GÉRIN René, Marius, François, Léon

Par Jean Maitron

Né le 3 juillet 1892 à Varennes-lès-Nevers (Nièvre), mort le 20 novembre 1957 à Paris (XVe arr.) ; professeur de lycée, élève de l’École Normale supérieure, agrégé des Lettres ; journaliste ; militant pacifiste.

Fils d’un érudit, Marius Gérin, professeur au lycée de Nevers, secrétaire
de la Société académique du nivernais qui sut ressusciter l’œuvre de Claude Tillier, René Gérin fit ses études au lycée de Nevers puis en khâgne à Louis-le-Grand. Licencié en 1911, il fut admis à l’École normale supérieure en juillet 1912 et fit alors une année de service militaire, octobre 1912-octobre 1913 au 117e régiment d’infanterie. Entré à l’École en novembre 1913, il appartint à la promotion de Marcel Bataillon et de Jean Pommier. Nommé sous-lieutenant le 9 août 1914, René Gérin servit avec éclat durant toute la guerre, participa aux combats d’Artois, de Verdun en 1916, de la Somme en septembre-octobre 1916, du Chemin des Dames en 1917, du sud de la Marne en juillet-août 1918. Trois fois blessé (octobre 1914, novembre 1917, octobre 1918). Capitaine en décembre 1917, René Gérin fut démobilisé comme capitaine adjudant-major et reçut la Légion d’honneur en 1918.

Agrégé des Lettres en novembre 1919, il fut nommé professeur du lycée de Limoges (Haute-Vienne) mais, rapidement, quitta l’enseignement pour le journalisme. Guy Thuillier, qui a consacré dans la Revue administrative (voir Sources) une étude sur René Gérin et « Le pacifisme avant 1939 », a noté que, faute d’entrer en possession de son dossier de professeur, « nous connaissons mal sa vie et ses opinions, pendant les années 1919-1926 ». Quoi qu’il en soit, René Gérin allait collaborer à L’Œuvre. Plus tard, il allait faire, et pendant longtemps, des cours de vacances au collège Sainte-Barbe.

On peut penser que René Gérin, qui avait combattu au front durant quarante-cinq mois, peut être caractérisé en 1919, selon la formule d’André Klotz dans Les Hommes du jour du 4 avril 1935, comme l’homme des trois galons, quatre citations, trois blessures et qui n’accepta pas cette guerre, à laquelle il sacrifia sa jeunesse. Aussi allait-t-il se passionner – et se passionna toute sa vie – pour les débats sur les origines de la guerre et allait-il dorénavant soutenir, hautement, le pacifiste Georges Demartial, ancien sous-directeur au ministère des Colonies, inventeur du « statut » des fonctionnaires vers 1906, qui fut un peu son maître à penser. Une commission d’enquête venait de suspendre Demartial de l’ordre de la Légion d’honneur. René Gérin demanda alors au Grand Chancelier « un traitement identique » mais ne reçut aucune réponse. Devant « la conspiration générale du silence et du mensonge », il décida alors de consacrer son traitement de légionnaire à la publication d’études de Georges Demartial. La première brochure contenait un article de Demartial contre Poincaré : ce dernier, à qui René Gérin avait écrit, demanda à le voir, eut plusieurs entretiens avec lui, l’autorisa à lui poser des questions sur le problème des origines de la guerre et lui répondit longuement : il sortira de ces entretiens un petit livre, Les Responsabilités de la guerre, quatorze questions par René Gérin, quatorze réponses par Raymond Poincaré, publié chez Payot en 1930. René Gérin ne céda en rien mais, reconnaissant l’honnêteté de Poincaré dans la discussion, il se fit quelques ennemis à gauche.

Poursuivant ses recherches, René Gérin publia, en 1931, un livre : Comment fut provoquée la guerre de 1914 (une seconde édition parut en 1933 chez Marcel Rivière, 215 p.), ouvrage courageux, fidèle aux thèses de Demartial, et dont les conclusions étaient nettes, demandant la révision de l’article 231 du Traité de Versailles : « Après tous les crimes et malheurs dont fut témoin le monde, ce serait peut-être le premier pas décisif vers la vraie fraternité, par la grande rédemption. » En mai 1932, René Gérin publia chez Marcel Rivière Pour discuter les idées reçues. Paralogismes du Français moyen, « chef d’œuvre d’esprit critique et d’esprit » jugeait Félicien Challaye.

René Gérin devint alors secrétaire général de la Ligue internationale des combattants de la paix présidée par Victor Méric et qui comptait dans son Comité d’honneur Victor Margueritte, Romain Rolland, Charpentier, Demartial, Lacaze-Duthiers, Lecache, Henri Jeanson, Sébastien Faure. La ligue publia Debout les jeunes puis Le Barrage dont Gérin devint le rédacteur en 1939. Avec Georges Pioch, il s’engagea totalement dans l’action pacifiste. Bon orateur, il fit des tournées de conférences, où il prônait l’objection de conscience ou plutôt la résistance massive à l’idée de guerre, non sans incidents parfois.

Il est vrai que René Gérin, de son propre aveu, ne cachait pas ses opinions extrémistes. « En cas de mobilisation, je préconise la grève générale et je crois qu’elle suffira. S’il le fallait, nous envisagerions aussi le sabotage et l’insurrection » (Comment j’ai été exclu de la Légion d’honneur, 1934, p. 11). De tels propos provoquaient nécessairement des remous et René Gérin fut à plusieurs reprises poursuivi et, finalement, il fut, comme Demartial, exclu de l’ordre de la Légion d’honneur par décret du 1er mars 1934. Gérin avait démissionné – et cette démission avait été acceptée le 4 novembre 1932 – de son grade de capitaine de réserve et était redevenu simple soldat, puis avait refusé, à plusieurs reprises, un nouveau fascicule de mobilisation. Le 5 janvier 1935, il était condamné à trois ans de prison. Dès cette époque, René Gérin, pour la liberté, s’éleva contre ceux qui accepteraient une guerre contre Hitler. En 1936, la guerre civile espagnole provoqua une crise dans la Ligue internationale des combattants de la paix et, dans le Barrage des 6 et 20 août 1936, il eut à combattre l’enthousiasme « belliqueux » de ceux qui, s’insurgeant contre l’attitude de « non-intervention officielle » du gouvernement français, proposaient, selon lui, de transformer la guerre civile en guerre internationale. Dans les mois qui suivirent, la propagande des combattants de la paix évolua vers le tolstoïsme. Pour tenter d’expliquer sa position, René Gérin publia plusieurs petits livres : Si la guerre éclatait, que faire ? (1936), Pacifisme intégral et guerre civile (1937), La Paix anxieuse et obstinée (1938) où il exprimait son angoisse devant les divisions et l’impuissance du pacifisme et dénonçait le « néonationalisme » de la gauche française. René Gérin, pacifiste antifasciste, se retrouva, durant l’été 1938, proche de certains syndicalistes qui constituèrent un Centre d’action syndicale contre la guerre. En septembre 1939, son nom figura sur l’appel de Louis Lecoin Paix immédiate mais il désavoua immédiatement sa signature (il était loin de Paris et Pioch avait pris sur lui de l’engager).

Vinrent les années difficiles de l’Occupation. S’il s’abstint de publier à partir de 1940, il demeura cependant, pour des raisons financières (il n’avait pas d’autres revenus), critique littéraire de L’Œuvre, journal de Marcel Déat.

À la Libération, René Gérin eut quelques ennuis : le 11 octobre 1944, il fut arrêté et emprisonné au fort de Noisy-le-Sec puis à Fresnes. Libéré en novembre, il fut à nouveau arrêté en juin 1945 et comparut devant la Cour de justice les 5 et 6 juillet. Il fut accablé par le commissaire du gouvernement, un certain Turlan, ancien de l’Action française et pétainiste sous l’Occupation qui, en 1944, avait beaucoup à se faire pardonner (René Gérin a conté l’affaire dans « Un procès de la Libération », Les Cahiers de contre-courant dirigés par Louis Louvet). Condamné à huit ans de travaux forcés, dix ans d’interdiction de séjour et à l’indignité nationale à vie, René Gérin fut transféré à Clairvaux le 1er août 1945. Devant les protestations d’écrivains, de journalistes, d’organismes de la Résistance, la peine fut finalement réduite à cinq ans de prison le 4 février 1946, puis à trois ans le 17 juillet. Libéré le 3 octobre 1946, René Gérin recouvra ses droits civiques à la demande de la Ligue des droits de l’Homme (dont il était membre du comité central à la fin des années trente) et, en septembre 1950, sa carte de journaliste professionnel. Il entra alors au Figaro. Il ne cessa de demander la révision de son procès mais ne put l’obtenir. En 1952, il publia, Un procès à la Libération 1954 et 1957, où il réfutait par le menu les accusations portées contre lui et accusait Turlan de « forfaiture ». En vain.

Atteint d’un cancer, René Gérin mourut le 20 novembre 1957 à l’hôpital Necker.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article49635, notice GÉRIN René, Marius, François, Léon par Jean Maitron, version mise en ligne le 28 mars 2009, dernière modification le 9 juin 2020.

Par Jean Maitron

Note de Félicien Challaye au décès de René Gérin

ŒUVRE : Pour ce qui concerne les livres, l’essentiel a été indiqué dans le cours de la biographie.

SOURCES : La biographie de René Gérin, ci-dessus retracée, doit tout à l’étude de Guy Thuillier : « Le pacifisme avant 1939 : René Gérin », La Revue administrative, n° 221, septembre-octobre 1984. — Note des trois pages dactylographiées par Félicien Challaye, à l’occasion du décès de Gérin et destinée aux anciens normaliens (papier Sylvain Broussaudier.

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