FABRE Henri [Isère]

Par Mathilde Dubesset, Pauline Maurel, Catherine Wolff

Né le 19 mai 1920 à Entraigues (Isère) ; gynécologue-accoucheur puis médecin inspecteur de la santé à partir de 1979 ; résistant pendant la Seconde Guerre mondiale, responsable régional sanitaire des Francs-Tireurs et partisans français ; pionnier des centres du Mouvement français pour le planning familial, créateur du premier centre, à Grenoble, en 1961.

Issu d’une famille d’instituteurs républicains et laïcs, Henri Fabre fit ses études de médecine à Grenoble. Il fut adhérent du Parti communiste 1941 à 1946 avant d’en démissionner. Résistant pendant la Seconde Guerre mondiale, Henri Fabre fut responsable régional sanitaire des Francs-Tireurs et partisans français pour l’Isère. Il ouvrit en novembre 1951 son cabinet de gynécologue-accoucheur. Peu après, en réaction à un article lu dans la presse, il prit contact avec Marie-Andrée Lagroua Weill-Hallé et décida d’adhérer à l’association La Maternité heureuse fondée en 1956. À la fin des années 1950, Henri Fabre faisait de fréquents allers-retours entre Grenoble et Paris pour participer aux réunions de La Maternité heureuse. Affiliée à l’International planned parenthood federation en 1958, celle-ci devint en 1961 le Mouvement français pour le planning familial (MFPF). Les militants grenoblois, dont Henri Fabre, voulurent dépasser le stade de la simple réflexion et de l’expectative. Dès mars 1961 fut constitué au sein de l’équipe grenobloise un groupe de travail chargé de mettre au point les modalités pratiques d’ouverture et de fonctionnement d’un centre grenoblois du MFPF. Les membres de la direction nationale du MFPF, pour leur part, s’opposaient à un projet qui pouvait entraîner la disparition de l’ensemble du MFPF. Mais le docteur Fabre et ses amis étaient prêts à prendre ce risque, l’essentiel étant pour eux de faire réagir l’opinion publique sur les questions de l’avortement et de la contraception.

Dans ce but, Henri Fabre fit appel à son ami Georges Pascal, professeur de philosophie à Grenoble. Ce dernier soutenait les buts du MFPF de Grenoble, dont il fut le président, en organisant des conférences et en organisant les relations publiques du mouvement. Afin d’éviter des poursuites judiciaires, Georges Pascal et Henri Fabre s’adressèrent à Maître Jean Eynard, avocat à la cour de Grenoble. Celui-ci établit que la loi de 1920 n’interdisait que la propagande anticonceptionnelle et non l’usage des contraceptifs, pas plus que leur prescription ou leur vente à titre individuel et sur demande des intéressées. Par ailleurs, cet avocat a démontré que les informations données par les associations aux adhérents qui en faisaient la demande n’étaient pas assimilables au délit de propagande. Une fois l’obstacle juridique levé et un compromis passé avec la direction nationale du MFPF, la section grenobloise assuma l’entière responsabilité de son centre dont l’inauguration eut lieu le 10 juin 1961. Les locaux étaient installés dans le centre-ville, place de l’Étoile, dans le même immeuble que le cabinet gynécologique du docteur Fabre, ce qui a suscité de nombreuses critiques. Quelques mois après l’inauguration, le centre déménagea non loin, dans un local trouvé par le Docteur Fabre.

L’ouverture du centre grenoblois du MFPF suscita la méfiance, voire l’hostilité. Ce fut le cas des autorités catholiques (déclaration très critique de l’évêque de Grenoble du 9 novembre 1961) et aussi du PCF. Le docteur Henri Fabre avait demandé un rendez-vous au comité local de ce parti, juste avant l’ouverture du centre grenoblois du MFPF, afin de connaître la position du parti. Dans cette période (le tout début des années 1960), le PCF considérait que la classe ouvrière devait pouvoir, non pas limiter ses naissances, mais avoir le nombre d’enfants désirés, mais il précisait qu’il n’agirait pas contre les activités du MFPF grenoblois. Quant aux autres partis politiques, ils n’ont pas particulièrement réagi à l’ouverture du centre.
Lors de son inauguration, la plupart des députés et sénateurs du département invités ne se déplacèrent pas car ils estimaient que le combat pour la contraception pouvait être dangereux politiquement. Seul un député radical-socialiste et un conseiller municipal étaient présents tandis que le maire de Grenoble, le médecin Henri Michallon, et l’explorateur Paul Émile Victor adraient leurs félicitations à Henri Fabre. Cette absence de reconnaissance du monde politique contrasta avec la réaction de la population qui envoyait des lettres, comme celle qui est adressée au "centre de l’espoir" de Grenoble ou qui se déplaçait directement. Le centre connu immédiatement une affluence impressionnante. Marie-Andrée Lagroua Weill-Hallé, présidente et fondatrice de La Maternité heureuse, était présente à l’inauguration du centre grenoblois mais à titre personnel, voulant éviter de faire courir des risques au MFPF sur le plan national.

Les permanences des hôtesses du centre grenoblois s’organisèrent. Le docteur Henri Fabre rallia à son action vingt-cinq médecins, qui, dans toute la France, approuvaient son initiative. Deux médecins grenoblois, dont le docteur Fugain, se joignirent à l’équipe en tant que médecins prescripteurs. Dès novembre 1961, la célèbre émission télévisée « Cinq colonnes à la Une » consacra un reportage au centre grenoblois ce qui permit au MFPF de se faire connaître plus largement. Le docteur Henri Fabre et deux militantes du centre (Simone Perillard et Denise Mignot-Trémeaux) furent interviewées dans ce reportage intitulé « l’expérience grenobloise ». Toutefois, quelques mois après l’inauguration du centre, le chef de la Sûreté grenobloise convoqua Henri Fabre, Georges Pascal et Denise Mignot-Tremeaux, dans le cadre d’un interrogatoire sur les activités du centre. L’affaire s’avéra sans suites.

Du côté du monde médical les réactions ne se firent pas attendre. Tout d’abord, de manière positive, puisque Henri Fabre fut contacté par un professeur d’obstétrique à Nancy, qui lui proposa de participer aux « Journées médicales de France », afin d’expliquer à ses pairs ce qu’était le MFPF. Le docteur Fabre accepta, et son intervention, bien que très contestée attira plus d’auditeurs que la salle ne pouvait en contenir. D’autres réactions négatives suivirent, comme celle du conseil national de l’Ordre des médecins qui, le 10 février 1962, délimita de manière très restrictive les attitudes admises ou refusées par la déontologie médicale dans le domaine de la contraception. En clair, les médecins n’avaient aucun rôle à jouer dans l’information et la diffusion des moyens anticonceptionnels. Ils n’avaient pas le droit d’utiliser leur qualité de médecin pour cautionner l’activité des centres dits de Planning Familial. En novembre 1965, le conseil national de l’Ordre des médecins déclara que la contraception et les centres de planning familial n’étaient pas des questions relevant de « l’ordre médical ».

À partir de 1965, le centre bénéficia de l’arrivée à la mairie de Grenoble de l’équipe d’Hubert Dubedout*, un proche de Pierre Mendès France. Le MFPF reçut à partir de cette date un soutien ouvert de la municipalité.
Il faut rappeler que la légalisation en France de la contraception date de 1967 mais ne fut effective qu’en 1972. Il fallut en outre attendre le 2 juillet 1981 pour que le président du conseil national de l’Ordre des médecins adresse une lettre au docteur Henri Fabre où il était dit : « Nos réticences sur la contraception, je vous le concède, étaient une erreur que nous admettons ».

Henri Fabre fut médecin inspecteur de la santé à partir de 1979.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article49652, notice FABRE Henri [Isère] par Mathilde Dubesset, Pauline Maurel, Catherine Wolff, version mise en ligne le 30 mars 2009, dernière modification le 15 octobre 2012.

Par Mathilde Dubesset, Pauline Maurel, Catherine Wolff

OEUVRE : La maternité consciente, préface de Georges Pascal, Denöel, Paris, 1961, 166 p. — L’Église catholique face au fascisme et au nazisme, Les outrages à la liberté, Edition E P O Bruxelles, 1995, 479 p.

SOURCES : Entretien (mai 1999). — L’Humanité, 2 mai 1956. — « Catholiques de Grenoble, votre évêque vous parle du grave problème de la régulation des naissances », in Supplément à la semaine religieuse de Grenoble, 9 novembre 1961. — « Lettre à la direction, l’Ordre en question », in Le Concours Médical, 14 novembre 1961. — D’une révolte à une lutte, 25 ans d’histoire du Planning Familial, MFPF/Éditions Tierce, 506 p., 1991. — Cinq colonnes à la Une, novembre 1961, reportage sur "L’expérience grenobloise". — Marie-Françoise Lévy, « Le Mouvement du planning familial et les jeunes », Vingtième siècle, 2002. — Françoise Picq, Les Années Mouvement, Éditions Tierce, 1992. — Notes de Claude Pennetier.

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