BAMATTER Siegfried. Pseudonymes : PAUL, LUBOWSKY (1924), MARTHA (1928), FELIX (1929), SILVIO (19291932), FISCHER (1931), ENDLER P. H. (1935)

Par Peter Huber

Né le 1er février 1892 à Bâle, mort en janvier 1966 à Moscou ; secrétaire du Bureau latin de l’ICJ (Internationale communiste des jeunes) (1919-1920), membre du CE de l’ICJ (1920-1924), instructeur du CEIC (1925-1930) ; collaborateur de l’OMS en Espagne (1932-1935), rappelé à Moscou pour travailler à la section de presse (1936-1943).

Siegfried Bamatter
Siegfried Bamatter

Siegfried Bamatter naquit dans une famille de onze enfants. Son père travaillait comme peintre en bâtiment, sa mère comme bonne et ouvrière à domicile. Après l’école obligatoire et avant de devenir révolutionnaire professionnel (1919), il exerça plusieurs métiers, tels que manœuvre dans des broderies (entre autres en Angleterre), emballeur en France (1912-1913), garçon de café, garde-frein des chemins de fer suisses (1914-1915), et vendeur de journaux à Genève (1917-1918). Membre de la Jeunesse socialiste suisse depuis 1916, il en devint secrétaire en 1918, remplaçant Emil Arnold.

Collaborateur de Willy Münzenberg en Suisse, il joua un rôle important dans l’organisation du Ier congrès de l’ICJ tenu à Berlin en 1919. Grâce à sa connaissance des langues (il parlait déjà couramment l’allemand, le français, l’anglais et l’italien), il fut désigné responsable pour les pays latins, devenant ainsi le premier Suisse dans l’appareil de la nouvelle Internationale. De retour du IIe congrès de l’ICJ (1920), il publia, en Suisse, la brochure Eindrücke eines Arbeiters in Sowjet-Russland, récit élogieux de son premier séjour de cinq mois dans le pays des Soviets.

Tout en restant membre du PCS, il se retira du travail « jeune » en Suisse pour remplir jusqu’en 1924 des missions importantes pour le compte de l’Internationale communiste des jeunes (ICJ). En tant que membre de son CE, il servit d’agent de liaison et de délégué dans plusieurs pays, notamment en France, en Belgique, au Luxembourg, en Angleterre et aux États-Unis. L’année 1925 marqua une certaine rupture, du point de vue organisationnel. À l’instar de nombreux cadres fondateurs de l’ICJ, il quitta celle-ci à l’âge de 33 ans pour entrer dans l’appareil de l’IC. Habitant l’hôtel Lux à Moscou, membre du parti russe, il travailla jusqu 1930 en tant qu’instructeur pour la Section d’organisation de l’IC, et fut envoyé dans une dizaine de pays, notamment aux Pays-Bas, en Espagne et au Portugal. Après avoir assisté au VIe congrès de l’IC (1928), en tant que collaborateur du CEIC, il fut affecté, pour une année, au Bureau pour l’Europe occidentale (BEO) dirigé par G. Dimitrov Ce séjour à Berlin coïncida avec le début de la lutte de la direction de l’IC contre les « droitiers » et les « conciliateurs ». En 1929, Bamatter s’occupa du parti hollandais, jusqu’au moment où éclata, en Suisse, la plus grande crise du Parti. Cette crise détermina le Secrétariat politique du CEIC à envoyer Bamatter en Suisse afin de construire une nouvelle direction disposée à suivre la ligne de la « Troisième période ».

Les envoyés du BEO réussirent à convaincre les délégués du 5e congrès du PCS (1930) d’élire un nouveau bureau politique autour de Bamatter, qui prit la charge du secrétariat politique. Ainsi, Bamatter, coupé de la réalité suisse depuis une dizaine d’années, fut-il propulsé à la tête du PCS. Sa tâche qui consistait à redresser la situation à partir des nouvelles consignes de l’IC était vouée à l’échec — comme le montrent d’autres exemples de « parachutages » dans d’autres partis. Convaincu du bien-fondé de la nouvelle ligne politique, Bamatter fit de son mieux. Après avoir rapporté lors du 11e plénum du CE, il fut maintenu à la tête du PCS, à défaut d’une équipe de rechange. Dans leurs rapports, les émissaires du CE brossèrent une image peu flatteuse de ses performances. L’Allemand Ernst Grube, ancien collaborateur de Bamatter au BEO à Berlin, écrivit à Moscou : « Lors de notre séjour nous vîmes vite que le camarade Silvio [Bamatter] n’est pas à la hauteur des tâches. Le camarade Fried* partage cette opinion. Il faut destituer le camarade Silvio du poste de rédacteur en chef. » Le chef du secrétariat du CEIC pour les pays de l’Europe centrale, [V. Knorine-75594], envoya l’Allemand Fritz Heckert, membre du bureau politique du PCA, à Bâle « afin qu’il appuie Bamatter, qui n’a pas l’autorité nécessaire et qui est dépassé par les événements ». Bamatter cessa d’être à la tête du PCS au printemps 1932. Le secrétariat politique du CEIC le destitua, et mit à sa place une équipe autour de J. Humbert-Droz, récemment rentré de Moscou : jouissant d’un certain prestige dans les rangs du PCS, ce dernier cherchait le moment opportun pour en finir avec la ligne ultragauche, qui — même à Moscou — n’était plus en vogue.

Bamatter dut renoncer à toutes ses responsabilités : tombé en disgrâce, bouc émissaire d’une orientation politique qui devait être remplacée par celle du Front populaire, il travailla quelques mois comme gérant d’un foyer des chômeurs à Bienne.

Cet échec politique et la manière brutale que le CEIC employa pour l’évincer de la direction du Parti ne brisèrent pas sa foi dans l’Internationale. Son dévouement au Parti et sa fidélité restèrent proverbiales jusqu’à sa mort. Il n’hésita pas à s’engager lorsque le CEIC l’appela à Berlin, et l’envoya au cours de l’été 1932 en Espagne, comme instructeur pour l’organisation. Les tâches qu’il accomplit pour le CEIC furent, cette fois, plutôt techniques : habitant Barcelone, puis Séville, Madrid, et les Asturies, il aida le parti espagnol, alors déchiré par l’exclusion de la direction de J. Bullejos, à mettre sur pied une infrastructure ; c’est lui qui assura, entre 1932 et 1935, la communication par radio entre le PCE et Moscou. À Oviedo (Asturies), il rencontra en 1934 sa future épouse, Maria Fernandez, qui l’accompagna à Moscou à l’été 1935.

Bamatter ne devait plus quitter l’Union soviétique, malgré plusieurs demandes envoyées à D.Z. Manouilski, G. Dimitrov, et M. Tchernomordik, ce dernier responsable de la section des cadres. Il travailla à la section de chiffrage de l’OMS et enseigna à son école spéciale. En automne 1936, lors des purges de l’appareil du CEIC et de la réorganisation de l’OMS, il fut licencié et dut se contenter de travaux occasionnels au SRI et de traductions pour les éditions du Komintern. Avec sa femme et leur enfant de trois ans, il vécut dans une situation très précaire ; son dossier personnel de la section des cadres regorge de lettres qu’il adressa à l’administration du CEIC. Dans l’impossibilité de trouver une chambre pour sa famille, il se vit obligé de dormir sur son lieu de travail. Sa situation s’améliora un peu en août 1937, lorsqu’il devint rédacteur à la section française des émissions destinées à l’étranger. Deux ans plus tard, il fut réintégré dans l’appareil du CEIC, comme rapporteur à la section de presse du Komintern, poste qu’il occupa jusqu’à l’évacuation de Moscou en octobre 1941.

Fait curieux, il survécut aux années de terreur sans avoir été l’objet d’une enquête politique ou d’une arrestation. Tout le disposait pourtant à en devenir une victime : son échec politique en Suisse en 1930-1932, ses années de travail conspiratif, à l’étranger ou pour le compte de l’OMS à Moscou. Un seul document dans son dossier personnel fait penser qu’il échappa de justesse aux persécutions : un certain Jacob Zysman, responsable pour les affectations à l’OMS en 1939, fut sur le point d’ouvrir une enquête contre lui — « nous avons l’impression que l’échec de nos chiffrages a une certaine relation avec le travail de Bamatter, mais on n’a pas réussi à avoir une vue exacte qui pourrait servir contre Bamatter. Un examen est nécessaire. Un questionnaire sur Bamatter se trouve à la section spéciale. » Ce début d’enquête resta sans suite.

Travaillant à Oufa avec le gros de l’appareil de presse, il retourna à Moscou au début de 1943. Après la dissolution du Komintern, il fut affecté à « l’Institut scientifique n° 205 », camouflage pour l’ancienne section de presse du CEIC. En 1944, il fut promu adjoint de son chef, Bedrich Geminder.

Dans l’immédiat après-guerre, Bamatter trouva un poste de traducteur à l’agence Tass. À la retraite depuis la mort de Staline (1953), il aurait, d’après les dires d’un Suisse revenu d’URSS, entrepris des démarches auprès des autorités soviétiques afin de rentrer en Suisse. Souffrant d’asthme, Bamatter mourut en janvier 1966 à la Clinique des vieux bolcheviques.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article49889, notice BAMATTER Siegfried. Pseudonymes : PAUL, LUBOWSKY (1924), MARTHA (1928), FELIX (1929), SILVIO (19291932), FISCHER (1931), ENDLER P. H. (1935) par Peter Huber, version mise en ligne le 22 avril 2009, dernière modification le 5 octobre 2010.

Par Peter Huber

Siegfried Bamatter
Siegfried Bamatter

ŒUVRE : S. Bamatter, Eindrücke eines Arbeiters aus Sowjet-Russland, Basel, Verlag Neue Jugend, 1921, 40 p.

SOURCES : RGASPI, dossier personnel, 495 274 64. — AFS, E 2001 (E) 1968/78, vol. 68. — Vorwärts (Zurich) 3 mars 1966.

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