Par Mikhaïl Narinski
Né le 21 décembre 1879 dans la ville de Gori dans la région de Tiflis à l’époque dans l’empire russe, (actuellement Georgie), mort le 5 mars 1953 à Moscou ; de nationalité géorgienne ; journaliste et propagandiste du mouvement communiste ; dès avril 1922 secrétaire général du CC du PCR (b), puis du PCUS ; en 1920-1921 candidat au CE de l’IC, puis membre à part entière en 1924 date de son entrée au Présidium ; de 1926 à 1930, membre de la délégation du PCUS au Komintern ; à partir de 1929Staline dirigeait en fait l’activité du Komintern et contrôlait ses directions principales en même temps qu’il contrôlait l’appareil de l’État soviétique.
Son père, Vissarion Djougachvili, était un artisan cordonnier ; sa mère, Ekaterina Djougachvili, était une paysanne. En 1906, Staline épousa Ekaterina (Kato) Svanidze, décédée en 1908. En 1919, il épousa Najedda Alilouyeva, qui se suicida dans la nuit du 8 au 9 novembre 1932.
En 1894, Iossif Djougachvili termina à Gori sa scolarité à l’école religieuse, puis suivit à Tiflis le séminaire orthodoxe, d’où il fut exclu en mai 1899 pour propagande marxiste. Devenu Staline il devint membre de la première organisation géorgienne social-démocrate en 1898 et fut chargé de la propagande marxiste. En mars 1901, il entra dans l’illégalité à Tiflis et commença sa vie de révolutionnaire professionnel. En novembre 1901, il fut introduit dans le comité de Tiflis du Parti social-démocrate. Il fut arrêté en avril 1902, puis fut expédié à dans la région d’Irkoutsk en Sibérie. En janvier 1904, il s’enfuit de son lieu de déportation et revint bientôt au Caucase ; onze mois plus tard, il fut l’un des dirigeants de la grève des ouvriers à Bakou.
Dans le Parti social-démocrate, il soutint la ligne politique de Lénine*. En décembre 1905, il participa à la Première conférence bolchevique de toute la Russie à Tammerfors (Finlande), en 1906, il prit part au 4e congrès d’unification du PSDOR (b) à Stockholm. L’année suivante, il fut délégué à son 5e congrès à Londres.
De 1907 à 1910, il dirigea le travail du Parti à Bakou tout en participant à certaines actions dites d’expropriation des moyens pour les besoins du Parti. En mars 1908-juin 1909, en mars 1910février 1912, en avril 1912-septembre 1912 il se trouva en déportation et tenta de s’échapper à plusieurs reprises. En février 1913, il fut arrêté de nouveau à Pétersbourg et fut expédié à Tourouhansui, région de Sibérie, où il resta de 1914 à 1916. En déportation il avait un comportement fermé et réservé. En janvier 1912, il fut coopté au comité central du PSDOR et au bureau du CC Russe.
Le 12 mars 1917 Staline revint à Pétrograd et fut un des dirigeants des organes centraux du Parti, les journaux La Pravda, L’ouvrier et le soldat, etc. Il participa à la préparation et la conduite de l’insurrection armée à Pétrograd.
Après la victoire de la révolution d’Octobre il fut élu membre du comité central exécutif du Parti pour toute la Russie et fut choisi comme commissaire du peuple aux nationalités lors de la constitution du premier gouvernement soviétique. En mars 1919, il fut nommé au Commissariat du peuple chargé du contrôle public, réorganisé sous la forme de l’Inspection ouvrière et paysanne.
Durant la guerre civile Staline appartint au Comité militaire révolutionnaire des fronts Occidentaux, Sud et Sud-Ouest. Il se rendit à Pétrograd et Tzaritsin pour organiser la résistance aux armées blanches. Le caractère énergique et rigide du personnage s’y manifesta. Dès cette période de guerre civile ses relations avec Trotsky, qui présidait le commissariat militaire, furent empreintes d’hostilité.
Le 3 avril 1922 lors du plénum du CC du PCR (b) Staline fut élu secrétaire général du CC et le resta jusqu’à sa mort. V. Lénine*, dans sa « Lettre au congrès » du 25 décembre 1922 remarquait la brutalité de Staline, son intolérance à l’égard de ses camarades et proposait de le décharger du poste du secrétaire général, ce qui ne fut pas fait.
En qualité de secrétaire général, Staline concentra dans ses mains un pouvoir immense et se révéla un maître en intrigues. Après la mort de Lénine* (21 janvier 1924), il réussit à diviser ses rivaux potentiels à la direction du Parti : au départ il mena d’abord la lutte contre Trotsky et le trotskysme, ensuite contre Kamenev et Zinoviev*, puis contre N. Boukharine et ses partisans. À la fin des années 1920 toutes les oppositions étaient détruites. Les luttes internes à la direction du PCUS (b) furent transférées dans le Komintern. En 1924, Souvarine* fut éliminé de la direction du PCF avec la collaboration des représentants de Moscou, en raison de ses sympathies pour Trotsky. En décembre Monatte et Rosmer* furent également exclus du Parti pour le même motif.
En 1925, Staline avança la conception de la possibilité « de la construction du socialisme dans un seul pays » et en obtint ensuite sa réalisation avec l’industrialisation forcée, la collectivisation, l’exécution des plans de cinq ans. Faisant sienne cette conception le Komintern s’engagea désormais dans le soutien approfondi de la construction du socialisme en URSS et du stalinisme.
En janvier 1926, fut structurée une délégation du PCUS au Komintern qui examina désormais les questions les plus importantes en matière de stratégie et de cadres de l’IC. Elle devint l’outil principal et légitime de la « stalinisation » du Komintern. Au mois de mars 1926 Staline intervient dans la discussion qui eut lieu lors du VIe plénum concernant la direction du PCF. À cette occasion, il soutint particulièrement les propositions de Doriot et s’accrocha avec Pierre Semard, le secrétaire général du PCF, suspect de sympathies zinoviévistes. À la veille du VIIe plénum du CE de l’IC (novembre décembre 1926), qui marqua la fin de la carrière de Zinoviev* dans l’IC, le bureau politique du PCUS (b) décida de créer « le Bureau de la délégation russe au Komintern », dans lequel entrèrent seulement Staline, Boukharine et Piatnitski*.
La question allemande tint une place spéciale dans le travail de la délégation, les acteurs de la lutte dans la direction du Parti russe cherchant à gagner la direction du PCA. Staline soutint ainsi E. Thaelmann comme dirigeant du communisme allemand.
En novembre 1927, le comité central du PCF, exclut de ses rangs puis du Parti, Treint* et Suzanne Girault* qui avaient pris position en faveur de l’opposition et avaient critiqué les erreurs dites de droite du Parti et de l’IC, cela au moment même où s’esquissait la politique dite « classe contre classe » qui prétendait se fonder sur une nouvelle radicalisation ouvrière. Staline ne fut pas directement à l’origine de ce tournant gauche imposé au PCF dès le mois de septembre 1927 avant d’être répercuté dans toute l’activité du Komintern, mais il en fut rapidement l’un des défenseurs les plus intransigeant, voyant tous les arguments qu’il pouvait en tirer pour critiquer les soi-disant « droitiers » dans les partis nationaux et dans l’IC. Le 11e plénum du CE de l’IC (février 1928) formalisa la nouvelle tactique, exprimée par la formule « classe contre la classe ». Elle prévoyait le renforcement de la lutte contre la social-démocratie et préparait les partis à la perspective d’une crise sociale et politique aiguë dans les pays capitalistes. Cette nouvelle tactique sous-estimait clairement la menace du fascisme et imposait aux partis communistes une position dogmatique et sectaire. Elle fut largement étayée par une critique en règle de la politique suivit par le PCF depuis 1926, dans le cadre d’une commission où les dirigeants allemands et soviétiques dénoncèrent les fautes opportunistes des communistes français, notamment dans leurs rapports avec les socialistes et les autres forces de gauche.
Staline participa à la préparation du projet de programme et des thèses du VIe congrès du Komintern. N. Boukharine confia à Kamenev : « Le Programme en plusieurs passages a mécontenté Staline. Il voulait lire le rapport sur le programme devant le plénum » (ces propos concernaient le plénum du CC du PCUS de juillet 1928 qui précédait l’ouverture du congrès de l’IC). « Il marquait sa soif de devenir le théoricien reconnu » (d’après Vatlin, Trotsky et le Komintern (1923-1933), 1991. p. 43).
Le VIe congrès (17 juillet-1er septembre 1928) confirma le « tournant à gauche » dans la tactique du Komintern. Pour le défendre, Staline exposa devant tous les partis la tâche de l’organisation internationale : « Se préparer en liaison avec l’approche de la nouvelle montée révolutionnaire dans la plupart des pays de l’Europe à la lutte pour la dictature du prolétariat » (cf Vatlin, Le Komintern : les premiers dix ans. Les essais historiques, 1993.p 137). Bien qu’absent des travaux, il y joua un rôle important par l’intermédiaire des groupes de dirigeants gagnés à ses thèses qui désormais dénonçaient les « droitiers » et les « conciliateurs » à tous les niveaux de l’IC. Dans la commission chargée d’instruire le cas français, les critiques émises par le secrétariat de l’IC furent largement débordées par celles portées par des staliniens explicites tels que Barbé*, Schuller, Dengel ou Kolarov*. Ce congrès qui devait consacrer le rôle joué par Boukharine à la tête de l’IC fit apparaître la fragilité de sa position notamment au sein de la délégation russe. Mais la délégation française fut également agitée par les remous provoqués par les violentes critiques émises contre Boukharine à l’instigation de Staline comme en témoigne Cachin*, le 26 juillet, dans ses Carnets. « C’est la grande divergence Staline-Boukharine qui a des prolongements dans le Parti russe et le Parti allemand. »
Durant l’automne 1928 et l’hiver 1929, Staline affirma son emprise sur la direction de l’IC en outrepassant ses prérogatives pour intervenir notamment dans la vie de la section allemande. Il mena conjointement l’offensive contre Boukharine au sein de la direction du PCUS et de l’IC. En avril 1929 N. Boukharine fut démis de toutes ses fonctions de dirigeant, y compris de celui de secrétaire politique du Comité exécutif de l’IC. En juillet, il fut déchargé de ses responsabilités de membre du Présidium du CE de l’IC.
En 1929-1930, l’organisation du Komintern fut dirigée par Molotov, le protégé de Staline. Le pouvoir réel dans l’IC était désormais concentré dans un cercle de quelques personnes : Staline, Molotov, Manouilski*, Piatnitski*. Au début des années 30 la direction de l’IC et son appareil étaient devenues un instrument de la politique stalinienne.
Ce tournant « à gauche » se réalisa par des méthodes rigides et administratives à travers tout le Komintern. Le CC du Parti communiste suisse fut accusé de déviations droitières et ses dirigeants dénoncés comme des partisans de Boukharine et de ses méthodes à la direction de l’IC. Il leur fut demandé des confessions publiques sous peine d’être exclus de leur parti. Humbert-Droz*, proche de Boukharine., avait interpellé, le dirigeant russe, lors d’une séance du Présidium de l’IC, en décembre 1928. Staline lui répondit grossièrement « d’aller au diable ». Il fut ensuite démis de son poste de membre du Secrétariat politique de l’IC et expédié en Amérique latine. En Belgique, l’élimination de l’opposition, « la césure de 1928 », se réalisa non sans certaines difficultés, mais les partisans de l’orientation de Moscou finirent par triompher. En France, le remplacement de la direction du Parti se fit en deux étapes. En 1929, Manouilski* organisa l’arrivée à la direction d’une équipe de jeunes cadres issus des Jeunesses communistes. En 1931 il obtint la dénonciation puis l’élimination du soi-disant « groupe Barbé, Celor*, Lozeray* » qui aurait manipulé la direction du Parti et auquel on imputa l’effondrement des effectifs et la perte d’influence du parti provoqués en fait par l’application de la ligne de l’IC.
L’orientation sectaire de la direction de l’IC, imposée par Staline, conduisit à l’affaiblissement de l’influence des partis communistes et facilita l’arrivée des nazis au pouvoir notamment par la diffusion de la conception du social-fascisme, pour dénoncer la social-démocratie.
En 1934, la réalisation des objectifs staliniens dans l’IC fut confiée à Dimitrov*. En octobre 1934 Staline approuva les propositions de Dimitrov* sur les méthodes du travail du Komintern, la structure et le personnel de son appareil, mis en forme sur la base « des Instructions du Politburo du PCUS sur le travail de sa délégation dans le Komintern ».
Staline participa à la préparation du VIIe congrès du Komintern (25 juillet-21 août 1935). Il appuya la politique de formation d’un front uni de la classe ouvrière pour la lutte contre le fascisme et le changement de la tactique à l’égard de la social-démocratie. Staline écrivait le 5 août dans une lettre à Molotov : « Le congrès de l’IC ne paraît pas mauvais. Il sera encore plus intéressant après les exposés de Dimitrov* et Ercoli (Togliatti*) » (Lettre de Staline à Molotov. 1925-1936. Le recueil des documents, 1995, p. 252).
Staline pesa sur le Komintern pour qu’il accroisse son soutien à la politique intérieure et extérieure de l’URSS et organise la résistance au fascisme, pour qu’il aide à la formation et au renforcement des fronts nationaux, et organise les secours à la lutte des républicains espagnols.
C’est certainement à l’instigation de Staline que fut prise la directive de la direction du Komintern adressée au PCF de ne pas entrer dans le gouvernement Blum après la victoire du Front populaire. Dans le télégramme à Thorez* du 12 mai 1936 Dimitrov* indiquait : « Considérons juste position parti ne pas participer au gouvernement, mais de l’appuyer contre droitiers dans réalisation programme front populaire… Gouvernement nouveau devra agir comme exécuteur volonté et programme front populaire » (RGASPI. 495 184 43). Au cours des mois suivants Staline se prononça en faveur d’une poursuite de la politique de Front populaire écartant le renversement du gouvernement Blum mais favorable au renforcement simultané de sa critique. Le 16 décembre 1936 Staline dans une conversation avec Dimitrov* lui déclara : « Doivent continuer plus loin la ligne actuelle : critiquer Blum, sans mener jusqu’à l’échec, Blum le charlatan » (Dimitrov, Le journal (le 9 mars 19336 février 1949), Sofia, 1997, p. 119).
Le 14 septembre 1936, les directions des PC reçurent la directive du Kremlin d’organiser les livraisons clandestines à l’armée républicaine espagnole. Staline accorda une grande attention à l’organisation et aux actions des Brigades internationales en Espagne, via la France. En ce qui concerne la position du Parti communiste d’Espagne, Staline, le 17 février 1938, dans une conversation avec Dimitrov*, exprima l’opinion, que le PCE devait sortir du gouvernement dans l’espoir d’intensifier la décomposition des partisans de Franco et de faciliter la position internationale de la République espagnole. « Soutenir le gouvernement, mais ne pas entrer dans le gouvernement » ; de telles instructions furent données par Staline aux partis communistes d’Espagne et de France. (Dimitrov*, Le journal., p. 132).
L’activité du Komintern de 1936 à 1938 fut entravée par la répression massive, dont l’initiateur et l’organisateur était Staline. Parmi les victimes il y eut plusieurs dirigeants kominterniens connus : Jan Bielewski, Nicolas*. Boukharine, Milan Gorkic, Voyan, Vouiovitch*, Grigori Zinoviev*, William. Knorine, Bela Kun, Julian Lenski, Ossip. Piatnitski*, Karl Radek, Trissiler (Moskvin). Hugo Eberlein* et bien d’autres — sur 113 kominterniens importants : 57 furent condamnés à mort par fusillade, 24 à des emprisonnements de diverses durées. (Mikhaïl Pantéleiev. « Les répressions dans le Komintern », L’histoire nationale, 1996, n° 6,
p. 161-164). Il régnait dans le Komintern une situation de méfiance, de dénonciation, d’espionnite.
Avec l’aggravation de la menace d’une nouvelle guerre Staline aspirait à transformer le Komintern en une organisation conspirative, semi-légale, dont il pourrait manipuler les objectifs. Le 17 février 1938, il donna des instructions à Dimitrov* pour la réorganisation du fonctionnement du Komintern : « Réunir les congrès, les Plénums semi-légalement (ne pas taper les exposés, les propos) » (Dimitrov*, Journal, p. 132).
Jusqu’à la fin d’août 1939, Staline orienta le Komintern dans le sens du soutien international des efforts soviétiques en vue de constituer un front mondial contre les agresseurs fascistes, et pour la défense de l’URSS contre la menace d’une attaque militaire. Le principal foyer de guerre était le nazisme qui aspirait à l’hégémonie en Europe.
La situation changea avec la signature le 23 août 1939 du Pacte soviéto-germanique complété par le procès-verbal secret, qui lui était joint, puis avec le début de la Seconde Guerre mondiale.
Les instructions de Staline relatives à une nouvelle orientation du Komintern furent données le soir du 7 septembre dans une conversation avec Dimitrov* : entre deux groupes de pays capitalistes pour le partage du monde et pour sa domination. Staline déclara : « Nous voulons qu’ils se battent comme il faut et s’affaiblissent l’un l’autre. C’est bien, si l’Allemagne est le bras qui affaiblit la position des pays capitalistes les plus riches (surtout de l’Angleterre). Hitler, sans le comprendre ni le souhaiter, affaiblit et mine le système capitaliste. » Staline déclara, qu’avant la guerre l’opposition entre la démocratie et le fascisme était juste. « Pendant la guerre, maintenir la distinction entre puissances impérialistes est désormais incorrect. La division des pays capitalistes entre fasciste et démocratique a perdu sa signification ancienne. » Staline proposa de retirer les slogans du frontistes dans chaque pays (front commun, front national). Les communistes des pays capitalistes devaient agir nettement contre les gouvernements, contre la guerre. Staline proposa de préparer et de publier les thèses du Présidium de l’IC. Il était nécessaire de dire à la classe ouvrière : la guerre est déclenchée pour la domination du monde ; les maîtres des pays capitalistes font la guerre pour des intérêts impérialistes ; cette guerre ne donne rien à l’ouvrier et au travailleur, excepté les souffrances et les privations. (Dimitrov, Le journal, p. 181-182.) Les indications de Staline devinrent des directives aux partis communistes, conditionnant leur tournant politique en septembre-octobre 1939.
Staline intervint dans la rédaction de l’article décisif de Dimitrov* « La Guerre et la classe ouvrière ». Il exprima le 25 octobre à l’auteur des remarques ; Staline rejeta la présentation des slogans révolutionnaires et proposa de se limiter aux slogans : « À bas la guerre impérialiste ! », « Cessation de la guerre, cessation du carnage ! », « Chasser les gouvernements, qui sont pour la guerre ! ». Staline ajouta : « Nous ne nous battrons pas contre les gouvernements qui sont pour la paix » (Dimitrov, Le journal, p. 184). Dans la pratique cela signifiait une orientation du Komintern de résistance aux efforts militaires de la Grande-Bretagne et la France, car la propagande soviétique estimait que l’Allemagne hitlérienne aspirait à la fin la plus rapide de la guerre et à la paix, tandis que les impérialistes anglais et les français étaient les principaux fauteurs de la guerre.
Staline imposa au Komintern la ligne politique, fondée sur la neutralité bienveillante de l’Union soviétique à l’égard de l’Allemagne. Cependant la destruction inattendue de la France et le renforcement rapide des positions germanique inquiétèrent la direction soviétique, et l’incitèrent à être sur ses gardes face à la politique allemande. Les différends soviéto-germaniques se révélèrent pendant la visite de Molotov à Berlin en novembre 1940. Le 25 novembre Staline dit à Dimitrov* : « Nos relations avec les Allemands sont extérieurement polies, mais entre nous il existe des frictions sérieuses » (Dimitrov, Le journal, p. 203). Staline définit la ligne politique de la direction de l’URSS et du Komintern jusqu’au 22 juin 1941 : rester en dehors des blocs faisant la guerre ; élargir l’influence de l’Union soviétique sur l’arène internationale et des partis communistes dans les pays ; ne pas contribuer au renforcement de la position de la Grande-Bretagne ; apporter une résistance prudente au renforcement ultérieur de l’Allemagne.
En se préparant à des négociations possibles avec Hitler, Staline évoqua le 20 avril 1941, la possibilité de la liquidation de l’Internationale communiste. Il déclara brusquement qu’il fallait rendre les partis communistes tout à fait indépendants, et qu’ils cessent d’être des sections de l’Internationale communiste. Il argumentait sa proposition par la nécessité de transformer les partis communistes en partis nationaux fonctionnant sous les noms divers, compte tenu de leur position diverse dans les pays différents. Cette proposition fut examinée par la direction du Komintern, fin avril - début de mai, puis les discussions cessèrent.
Le 6 mai 1941 Staline fut nommé président du Conseil des commissaires du peuple de l’URSS, c’est-à -dire chef du gouvernement soviétique.
Le 22 juin 1941 au matin, Staline convoqua Dimitrov* au Kremlin. Ayant annoncé au secrétaire général de l’IC l’attaque de l’Allemagne nazie contre l’Union soviétique, Staline définit une nouvelle ligne politique pour l’Internationale communiste : « Le Komintern ne doit pas apparaître ouvertement. Les partis sur place doivent développer le mouvement pour la défense de l’URSS. Ne pas mettre l’accent sur la révolution socialiste. Le peuple soviétique conduit une guerre patriotique contre l’Allemagne fasciste. Le mot d’ordre doit être la destruction du fascisme, et l’union des peuples qui aspirent à lutter ensemble » (Dimitrov, Le journal, p. 236). En fonction des instructions de Staline, les partis communistes devaient aider l’Union soviétique par tous les moyens possibles en organisant la lutte contre l’occupant allemand et en participant activement au mouvement de la Résistance. Ils devaient s’employer à créer des fronts unis nationaux pour renforcer la coalition antihitlérienne.
Afin d’affermir les relations avec les alliés occidentaux (les USA et la Grande-Bretagne) et de faciliter l’activité propagandiste des partis communistes Staline, le soir du 8 mai 1943, remit à Molotov, Dimitrov* et Manouilski* une directive sur la dissolution de l’Internationale communiste : « L’Internationale communiste comme centre dirigeant des partis communistes est un obstacle au développement indépendant des partis et à l’exécution de leurs tâches spécifiques » (Dimitrov, Le journal, p. 372). Les jours suivants, Staline examina plusieurs fois avec Dimitrov*, Manouilski* et Molotov le projet de décision du Présidium du CE de l’IC sur la dissolution du Komintern, les modalités de son acceptation et de sa divulgation. Il avait le souci de conserver les effectifs du Komintern et de préserver son appareil propagandiste. Le 13 mai, Staline remit à Dimitrov* l’instruction de « ne pas créer l’impression qu’on veut chasser des dirigeants étrangers. Ils continueront à travailler pour les journaux. Il faut créer quatre journaux (dans les langues allemande, roumaine, italienne et hongroise), de même il peut être utile de créer des comités antifascistes distincts avec les Allemands et d’autres, etc. » (Dimitrov, Le journal, p. 373).
En expliquant la décision du Présidium de l’IC relative à la dissolution du Komintern lors de la séance du bureau politique du PCUS du 21 mai 1943, Staline déclara : « L’expérience a montré, qu’aujourd’hui comme au temps de Marx et de Lénine, il est impossible de diriger le mouvement ouvrier de tous les pays du monde à partir d’un centre international. Particulièrement maintenant, dans les conditions de la guerre (...) Il y a une autre raison pour dissoudre l’IC, qui n’est pas mentionné dans la décision. C’est que les partis communistes sont faussement accusés d’être les agents d’un état étranger, et cela empêche leur travail parmi les masses. Avec la dissolution de l’IC, on retire des mains des ennemis cet atout » (N. Lebedeva, M. Narinski, Le Komintern et la Seconde Guerre mondiale, 2e partie, Moscou, 1998, p. 68-69, éd. russe). Le 10 juin 1943 fut publié le communiqué sur la dissolution du Komintern et la liquidation de ses organismes dirigeants.
Par ailleurs, la direction stalinienne prit des mesures pour préserver les liaisons illégales avec les partis communistes et l’appareil propagandiste de l’IC. Au comité central du PCUS furent créés le service de l’information internationale et des instituts spéciaux confidentiels, n° 99, n° 100, n° 205.
Staline demeurait le dirigeant reconnu du mouvement international communiste, fixant la ligne stratégique des partis communistes, et de leurs prises de positions politiques.
Par Mikhaïl Narinski
SOURCES : RGASPI, passim. — G.M. Adibekov, E.N. Charnarazova, C. Chirinia, La structure d’organisation du Komintern, 1919-1943], Moscou, 1997. — S. Vatlin, Les premiers dix années. Les essais historiques, Moscou, 1993. — D. Volkogonov, Staline. Le portrait politique, Moscou, 1996. — Dimitrov, Le journal (le 9 mars 1933-6 février 1949), Sofia, 1997. — Pierre Broué. Histoire de l’Internationale communiste 1919-1943, Paris, Fayard, 1997. — N. Lebedeva, M. Narinski, Il Komintern e la seconda guerra mondiale Perugia, Guerra Edizioni, 1996. — Serge Wolikow, Le PCF et l’Internationale communiste, 1925-1933, thèse, Paris VIII, 1990.