GAGNAIRE Victor [GAGNAIRE Pierre, Léon, Victor]. Surnoms : JOURDAN, MARTEL

Par Antoine Olivesi

Né le 26 avril 1884 à Marseille (Bouches-du-Rhône), mort le 27 février 1963 ; peintre puis docker ; syndicaliste et militant communiste, secrétaire général du syndicat des Ports et Docks de Marseille de 1936 à 1940 puis après la guerre ; cadre des Francs-tireurs et partisans (FTP).

Fils de Léon Gagnaire et de Marie Robert, Victor Gagnaire (Victor est en réalité le surnom qui lui avait été donné dans son enfance, les autres surnoms mentionnés datant de l’époque de la Résistance) naquit dans une famille ouvrière du quartier du Rouet à Marseille. Il connut une jeunesse orageuse et fut condamné à plusieurs reprises entre 1901 et 1910 (bris de clôture, violences ou outrages à agents, etc.). Pacifiste avant 1914, Victor Gagnaire fut mobilisé comme simple soldat dans le 55e régiment d’infanterie. Il fut condamné à cinq ans de travaux publics par le Conseil de guerre XVe région pour désertion à l’intérieur en temps de guerre, violences à agents, fabrication de feuilles de route, bris de clôture et port d’armes. Mais il avait été soigné à l’hôpital psychiatrique de Marseille et bénéficia en conséquence d’une pension militaire d’invalidité. Gracié par un décret présidentiel du 8 mars 1921, il fut amnistié par la loi du 29 avril 1921. Marié à Anne Depetris, père d’un enfant, Victor Gagnaire travaillait en 1928 comme docker sur le port de Marseille et militait à la CGTU. Selon les sources, son adhésion au Parti communiste remonterait à 1924 (Provence nouvelle), en 1933 (La Marseillaise), en 1934 (biographie renseignée par le militant en 1950 à l’attention de la SMC). Il était en tout cas devenu permanent dans les années 1930 après avoir expliqué aux dirigeants du parti et du syndicat que sa condamnation au bagne résultait d’une bagarre de jeunesse. Charles Tillon, qui le comparait à Jean Valjean et à Jules Durand, demanda en février 1934 à Victor Gagnaire de réorganiser le syndicat unitaire des dockers. « Je ne sais pas parler, à peine écrire », répondit ce dernier qui s’acquitta cependant de cette mission avec l’aide de Marcel Andréani.

Victor Gagnaire animait alors une poignée de militants CGTU au syndicat des dockers dont le siège se trouvait 16 boulevard des Dames, près de la Joliette tandis que la majorité des dockers de ce même syndicat suivait les sabianistes Noël Ciavaldini et Nazzi* et qu’il existait par ailleurs une troisième organisation affiliée à la CGT confédérée. Victor Gagnaire combattit les uns et les autres, surtout les premiers. Il était dynamique, joyeux, entraîneur d’hommes, orateur populaire. C’est le 7 décembre 1935 que, dans Rouge-Midi pour la première fois, Gagnaire est dit secrétaire général du syndicat unitaire des dockers. À la fin de 1935 et au début de 1936, au cours d’une grève des dockers qui se déroula dans un climat d’unité d’action, Victor Gagnaire et son équipe réussirent à éliminer les sabianistes (Noël Ciavaldini* et Nazzi) et à prendre la direction du syndicat au cours d’une assemblée générale que les syndicalistes communistes auraient réussi à imposer. D’après Lucien Molino, la préfecture aurait refusé d’avaliser la désignation de Gagnaire à cause de ses condamnations. Charles Nédélec* lui reprocha de les avoir cachées. Gagnaire se serait défendu en les minimisant et en invoquant la prescription. Cette grève avait rebondi le 31 janvier 1936. Il fit partie d’une délégation ouvrière qui fut reçue par Albert Sarraut à Paris le 18 février 1936. Il lui exposa les revendications des dockers sur les conditions d’embauche et la répartition du travail à bord selon les cales. Victor Gagnaire négocia également avec Oscar (dit Ludovic) Frossard, ministre du Travail lorsque ce dernier vint arbitrer le conflit à Marseille. Les patrons refusant de réembaucher certains dockers, en particulier les délégués du syndicat, il fallut menacer d’une grève générale de solidarité de 24 heures pour les faire céder. Le protocole d’accord, dont Victor Gagnaire fut l’un des signataires, fut conclu le 22 février. Le travail reprit le 25.

Dès lors, Victor Gagnaire, secrétaire général du syndicat des ports et docks réunifié, sera réélu à ce poste jusqu’en 1939 et animera toutes les grèves de la période. Au congrès de fusion de janvier 1936, à Marseille, il fut élu membre suppléant à la commission de contrôle de l’UD-CGT, puis de la CA en juillet. Le mois précédent, il avait empêché le départ des navires de la Compagnie Fraissinet pour la Corse. À la fin de l’année, il était membre du comité de défense de la République espagnole, les travailleurs du port de Marseille étant évidemment bien placés pour venir en aide à celle-ci. Le 12 juin 1937, avec Marcel Andréani et Maraval*, Victor Gagnaire enleva à bord d’un navire italien faisant escale à Marseille, un militant antifasciste transalpin, Morelli, extradé de Panama vers l’Italie mussolinienne. En mars 1939, il aida Charles Tillon à charger le Lézardieux, navire destiné à secourir les Républicains espagnols réfugiés à Valence. Il se rendit à plusieurs reprises en Espagne, en particulier à Barcelone en compagnie d’Emile Sellon et d’Agnès Dumay. Il y rencontra Dolorès IBARUTI, « la Passionaria ».

Victor Gagnaire fut également l’un des dirigeants de la longue grève des dockers pour la suppression du travail de nuit et du dimanche qui affecta le port de Marseille pendant tout l’été 1938. Du 11 juillet au 12 septembre, les dockers paralysèrent le trafic du port en refusant de charger et de décharger les marchandises dans ces cas précis et en refusant les heures supplémentaires. Victor Gagnaire exposa les revendications des dockers dans la presse, notamment le 12 juillet et le 9 août, et démontra que les salaires des dockers marseillais étaient inférieurs à ceux des autres ports français. Il fut alors l’objet d’une violente campagne de presse orchestrée en particulier par Marseille-Matin (12 août 1938) et Simon Sabiani. Il fut rappelé qu’il avait subi sept condamnations totalisant neuf ans et huit mois de prison, cinq ans de travaux forcés et dix ans d’interdiction de séjour pour « divers vols, violences, outrages, désertion en temps de guerre, fabrication de faux documents, etc. » Il fut qualifié de « fameux repris de justice, de funeste moscoutaire, de sbire des soviets » avec Andréani et ses acolytes. À propos des condamnations de Victor Gagnaire, un rapport du procureur de la République au préfet, daté du 27 juillet 1938, indique, après vérification personnelle du procureur lui-même, que le casier de celui-ci ne comportait aucune condamnation. Un rapport antérieur du commissaire spécial du 27 décembre 1935 mentionnait pourtant que Victor Gagnaire avait été plusieurs fois condamné pour vol, coups et blessures, mais qu’il avait été réhabilité en 1921.

En fait, Victor Gagnaire négociait et se montrait plutôt conciliateur alors que d’autres dirigeants syndicalistes, tel Firmin Cornago, adoptaient dans les assemblées générales une attitude plus dure. Il négocia à Marseille avec les patrons, les acconiers, les arbitres envoyés par le gouvernement, et à Paris, avec le ministre Anatole de Monzie qui le reçut le 22 août. Finalement après le décret de réquisition du 6 septembre, Victor Gagnaire conseilla la reprise du travail qui fut effective à partir du 12 et normalisée le 17. Les dockers n’obtinrent satisfaction que pour une partie des revendications exprimées, mais bénéficièrent, cependant, d’une augmentation de leurs salaires.

Victor Gagnaire lança un appel en faveur de la grève du 30 novembre 1938 qui fut très largement suivi par les dockers. Réélu membre de la CA de l’UD-CGT au congrès départemental de juin 1938, il fut reconduit au poste de secrétaire général du syndicat des dockers en février 1939.

Après la déclaration de guerre et la mobilisation de Charles Nédelec*, Victor Gagnaire dirigea pendant quelques semaines avec David Peyrot* et Léon Eynard, le bureau de l’UD-CGT. Le 12 novembre 1939, Gagnaire écrivit au contre-amiral commandant le front de mer Marseille pour défendre la convention collective du 29 septembre 1938. Mais Gagnaire et son syndicat étaient surveillés par la police. Le siège du syndicat, au 16 boulevard des Dames, fut perquisitionné le 17 novembre et les scellés furent posés. Le domicile de Gagnaire qui se trouvait à la même adresse fut également perquisitionné, sans résultat. Gagnaire écrivit au préfet des Bouches-du-Rhône le 17 janvier 1940 au préfet pour se plaindre car l’accès aux grilles du port lui était interdit et que les démarches qu’il avait effectuées pour lever l’interdiction avaient été vaines. Or il se trouvait sans travail alors qu’il était « citoyen français, ancien combattant, âgé de 55 ans, et ne demandant qu’à rentrer dans la production pour servir et être utile à mon pays ». Un arrêté d’internement administratif fut pris à son encontre pour le camp de Chabanet (Ardèche), le 29 février 1940. Il fut transféré au comme les autres internés dans celui de Saint-Angeau (Cantal), puis dans celui de Chibron (commune de Signes, Var) qui venait d’ouvrir, le 20 juin 1940. Son frère Eugène intervint auprès des autorités le 31 juillet 1940 pour s’inquiéter de sa situation. Le chef de camp donna un avis défavorable à sa libération le 5 février 1941. Il était considéré comme « extrêmement dangereux » vu l’autorité qu’il exerçait sur ses camarades. Ce refus et la dissolution prochaine de Chibron le décidèrent à s’évader, ce qu’il fit le 12 février 1941. La décision a sans doute été prise par l’organisation clandestine. On ne sait que partiellement ce que furent ses responsabilités par la suite. En 1943, il était passé aux FTP et assurait le rôle de recruteur interrégional pour le Var, les Alpes-Maritimes et le Vaucluse avec le pseudonyme de Jourdan. Il fut arrêté le 15 décembre 1943 sur le pont Barla à Nice avec Charles Faraut et Chambon qui furent déportés. Il parvint à s’évader et participa à la Libération du Vaucluse où, d’après René Gilly, ses camarades l’appelaient familièrement l’Oncle. Il reçut la médaille commémorative de la guerre 1939-1945.

Dès la fin des combats, Victor Gagnaire redevint secrétaire général du syndicat des dockers, fonction qu’il conserva jusqu’en 1962. En 1946, il fut secrétaire fédéral intérimaire avant la nomination de Marcel Baudin. En novembre 1947, il joua un rôle important dans la décision de manifester devant le Palais de Justice pour protester contre l’incarcération de plusieurs militants syndicaux. Durant l’été 1949, Victor Gagnaire tenta de mobiliser les dockers pour qu’ils ne chargent plus de matériel militaire destiné à l’Indochine. Lors de la grève des dockers de mars/avril 1950, il fut incarcéré à la prison des Baumettes. Jugé en juillet 1950 « pour complicité de rébellion et outrages à agents », il fut condamné, ainsi que Marcel Andréani, à payer 40 000 francs d’amende.
A cette époque, Victor Gagnaire s’impliqua aussi dans les luttes pour la paix et contre l’arme atomique. Il assista chaque année aux congrès de la CGT à Paris. Il effectua un voyage en Pologne en juillet 1950 au sein d’une délégation syndicale. Un séjour en URSS lui fut offert pour son 75e anniversaire en 1959.

Frappé par une crise cardiaque, en 1962, Victor Gagnaire ralentit ses activités et fut nommé président d’honneur du syndicat général des Ports et Docks. Il continuait pourtant à vendre L’Humanité et La Vie ouvrière. Par un matin glacial de février 1963, Victor Gagnaire succomba à une nouvelle crise alors qu’il était en train de collecter les cotisations syndicales. Lors de ses obsèques, le 2 mars, de nombreuses personnalités lui rendirent hommage, y compris des représentants du patronat auquel il avait donné beaucoup de fil à retordre. Une cellule du Parti communiste porte son nom à Marseille.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article49939, notice GAGNAIRE Victor [GAGNAIRE Pierre, Léon, Victor]. Surnoms : JOURDAN, MARTEL par Antoine Olivesi, version mise en ligne le 25 avril 2009, dernière modification le 7 septembre 2021.

Par Antoine Olivesi

ŒUVRE : Articles dans Le Midi syndicaliste, notamment les 15 mars et 15 avril 1936, et dans Rouge-Midi.

SOURCES : Arch. Dép. Bouches-du-Rhône, III M 53, rapp. du 15 octobre 1937 ; M 6/10809, rap. des 27 décembre 1935 et 16 janvier 1936 ; M 6/10793, rap. des 13 juin 1937 et 27 juillet 1938 ; M 6/10823, rap. du 28 septembre 1939 ; M 6/10844 (rapports de police des 9 et 10 septembre 1938) ; M 6/10874 (rapport du 5 février 1937) ; M 6/10898 (rapport préfectoral du 12 décembre 1936 ; M 6/10933, rap. du 2 octobre 1939 ; M 6/11246, rapp. du 7 mars 1940 ; XIV M 24/62 et 25/133, grèves des dockers. 5 W 186 (dossier internement), 148 W 302, notes de 1948 ; 5 W 186 (dossier d’internement). – Arch. de la fédération des Bouches-du-Rhône du PCF, biographie renseignée en 1950 à l’attention de la SMC. - Arch. Dép. Var (Jacques Girault), 4 M 291 et 292. — Le Petit Provençal, 1er, 8, 18, 22 février 1936 ; juin 1936 ; juillet à septembre 1938, notamment les 12 juillet et 10 août, 7 février 1939. — Marseille-Matin, 7 juin 1936, 12, 18 août 1938 et 2 septembre 1938. — Marseille-Soir, 22 août et 24 août. — Le Midi syndicaliste, 15 janvier, 15 mars, 15 avril, 12 juillet 1936, 20 juillet 1938. — La Marseillaise, 1er et 2 mars 1963 (nécrologie et photo). — Provence nouvelle, 3 mars 1963 (id.) : L’Avenir des Ports, organe de la Fédération des ports et docks, mars 1963. — Max Burlando, Le Parti communiste et ses militants dans la Résistance des Alpes-Maritimes, La Trinité, Parti communiste français, Fédération des Alpes-Maritimes, 1974, p. 169. — René Gilli, ⎨1936…1946. Tranches de vie⎬, La Trinité, sd. — M. Tournier, Les Grèves dans les Bouches-du-Rhône…, op. cit. — Ch. Tillon, On chantait rouge, op. cit., p. 185, 186, 202, 206, 207, 227, 249. — J. Bally, Le mouvement ouvrier…, op. cit. — Lucien Molino, Ma vie et mes combats , Marseille, chez l’auteur, 2000, p. 28-29. — Renseignements communiqués par sa compagne et par le syndicat CGT des dockers de Marseille.ai— témoignages (Henri Faurite, René Gilli). —Notes Jean-Marie Guillon.

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