BEREI Andor. Pseudonymes : DENIS, PÉPÉ, CLAVEL. (version Dictionnaire du Komintern)

Par José Gotovitch

Né le 9 novembre 1900, mort le 28 janvier 1979 à Budapest ; organisateur des Jeunesses communistes hongroises en 1919, traducteur à l’Internationale communiste des jeunes (ICJ) (1922-1924), rédacteur politique au Glavlit (1924-1931) ; enseignant au KUNMZ (Université communiste pour les minorités nationales d’Occident) et à l’École léniniste internationale (1931), membre du Secrétariat latin depuis 1932, délégué auprès du Parti communiste belge en 1934-1935 et de 1936 à 1946 ; membre de l’appareil gouvernemental hongrois après 1947.

Andor Berei
Andor Berei
(©CARCOB Bruxelles)

Fils d’un commerçant juif de Budapest, tombé en faillite et devenu employé, Andor Berei accomplit le cycle complet du gymnase et entama l’Université en 1918 tout en travaillant pour diverses firmes commerciales. Il suivit les cours de la faculté de droit et de philosophie pendant trois ans.

En 1917, il adhéra au mouvement étudiant antimilitariste, puis au Parti social-démocrate hongrois. En mars 1919, il devint membre du Parti communiste et organisa les Jeunesses communistes pendant la Commune de Budapest. Il participa en 1920 à la réorganisation clandestine du mouvement après son écrasement. Ayant émigré quelques mois à Vienne, il fut renvoyé par le Parti avec mission de développer l’organisation clandestine à Budapest. Arrêté en avril 1921, condamné à onze ans de prison, il gagna l’URSS en septembre 1922, avec sa femme, Andic, à la suite d’un accord d’échange de prisonniers. D’abord étudiant à la section allemande du KUNMZ (Université communiste pour les minorités nationales d’Occident), il fut engagé comme traducteur à l’Internationale communiste des jeunes de décembre 1922 à octobre 1924. Il parlait en effet hongrois, allemand, russe ; il développa encore sa connaissance des langues en maîtrisant le français, l’anglais, l’italien et l’espagnol. Pendant ces années, il animait également différents clubs et écoles de l’émigration communiste hongroise à Moscou. De 1924 à 1931, il fut rédacteur politique, puis responsable politique à la Direction générale des affaires de presse et d’édition (Glavlit) du Commissariat à l’Instruction publique, tout en poursuivant ses cours au KUNMZ et à l’ELI où sa femme enseignait également. Membre du PC russe, il assuma des responsabilités diverses au sein des organismes du Parti. Mais parallèlement, il n’échappait pas aux soubresauts qui parcouraient le parti hongrois à Moscou. Il fut écarté de la direction de celui-ci de 1929 à 1931.

En janvier 1932, il fut désigné comme référent au Secrétariat latin de l’IC. C’est à partir de mars 1934 que l’on trouve trace de ses interventions sur la Belgique. Trotskysme et rapports avec la gauche social-démocrate en constituaient les thèmes. Son discours sur le trotskysme s’inscrivait dans la ligne de l’époque. En revanche, il était critique envers le simplisme sectaire du parti belge à l’égard de la gauche socialiste. Ses interventions lors des séances « belges » du Secrétariat latin en 1934-1935 démontraient une connaissance précise de la situation et des rapports de forces en Belgique. En mai 1934, il avait accompagné une délégation des Jeunes gardes socialistes en voyage en URSS et assuré ainsi de multiples contacts mis à profit par la suite.

C’est donc lui qui fut envoyé, en compagnie de Farkas pour les Jeunesses, afin de corriger la faute commise par le Parti communiste belge qui avait accepté d’étendre aux Jeunesses trotskystes l’accord d’unité passé en août 1934 entre Jeunesses communistes et Jeunes gardes socialistes. C’est lui qui régla le cas de la direction des Jeunesses et du Parti, principalement Marc Willems et Henri De Boeck, écartés et envoyés à Moscou.

Mais il remplit à cette occasion une autre mission, cette fois avec Togliatti dépêché à cette fin en décembre 1934 à Bruxelles : rencontrer secrètement les leaders de l’aile gauche du Parti ouvrier belge (POB), les députés Paul-Henri Spaak et Albert Marteaux. Les délégués de l’IC prêchaient le maintien de cette gauche au sein du Parti ouvrier belge (POB) et combattaient l’idée d’un nouveau parti. Mais ils demandaient à la direction de l’IC de définir au plus tôt les mesures à prendre dans la perspective d’un gouvernement socialiste, appuyé sur le « front unique ». Un plan complet de coopération avec le groupe de L’Action Socialiste fut élaboré.

Dans cette optique, Berei demeura un temps à Bruxelles pour conduire le Parti communiste belge à sa conférence de Charleroi en avril 1935, non sans avoir fait, en février 1935 à la Commission des cadres de l’IC, un tour complet des dirigeants belges. C’est ainsi que la conférence d’avril consacra le retour de Joseph Jacquemotte à la tête d’une direction entièrement refondue pour appliquer la ligne du VIIe congrès de l’IC. Berei prit publiquement la parole à cette occasion comme délégué de l’Internationale et combattit tout sentimentalisme envers les responsables déchus. Par ailleurs, féru de sciences économiques — il devait enseigner à l’Université de Budapest de 1961 à 1970 — il contribua, avec toute la raideur en vigueur à l’époque, à la riposte théorique au Plan De Man. Il regagna alors Moscou où, de septembre 1935 à mars 1936, il œuvra au sein du Secrétariat d’André Marty. Au début de cette année-là , la direction de l’IC lui octroya un blâme pour manque de vigilance et pour être venu en aide à « des personnes arrêtées par le NKVD ». Les dossiers ne sont pas plus explicites, mais l’on peut s’interroger dès lors sur la signification à donner à sa « mise à la disposition du comité central Parti communiste belge » qui intervint en avril. Avec un passeport au nom de Julius Fischel, sujet autrichien, il débarqua en mai 1936 en Belgique pour un séjour qui allait durer dix ans !
La guerre peut justifier tout au plus cinq années obligatoires. Le fait demeure donc étrange puisqu’il coïncide avec la suppression officielle par l’Internationale communiste des délégués auprès des partis. Était-ce un éloignement protecteur aux pires moments des purges pour un homme contre lequel une liste de griefs était manifestement prête ? En ce cas, qui était son ange tutélaire ?

La décision était intervenue avant le succès électoral du Parti communiste belge (PCB) de mai 1936, et a fortiori avant le déclenchement de la guerre civile en Espagne. Était-elle cependant liée au renforcement en nombre de membres et en audience populaire du Parti au tournant de 1936 ? Devait-il dès lors jouer un rôle plus important dans une stratégie dont l’axe se déplaçait vers l’Europe occidentale après la victoire de Hitler ?
Base arrière de Fried qui opérait en France, la Belgique devint un maillon plus important de l’appareil de l’IC.

Berei s’installa donc en Belgique et y joua d’emblée un rôle essentiel : participation au bureau politique (BP), participation à la rédaction du journal, préparation de tous les textes, de toutes les décisions. Il assura aussi le suivi personnel des anciens dirigeants des Jeunesses communistes belges devenus responsables de l’organisation unitaire socialiste-communiste (re)créée fin 1936 sur de « bonnes » bases et fut l’acteur vigilant de la création d’un parti flamand, veillant à juguler tout penchant nationaliste. À lire ses rapports, il était au four et au moulin, cherchant manifestement à démontrer que les bons résultats engrangés par le Parti communiste belge à partir de 1936 lui étaient largement dus. Sans doute faut-il mettre cette insistance en relation avec le blâme qu’il venait d’encourir. Un rôle lui revient sans contestation possible : c’est lui qui arbitra et aplanit les oppositions entre les membres du BP que la mort de Jacquemotte* en octobre 1936 avait conduits à l’affrontement. C’est lui qui mit en place Xavier Relecom dont il avait distingué le sens politique parfaitement en phase avec la politique du moment.

Sous le nom de Denis, il constitua un appareil de travail, de liaison, et de logements qui le rendit totalement autonome vis-à-vis du parti belge. En 1938 et en 1939, notamment pour la présentation d’un rapport d’un dirigeant du PCB ou la préparation du congrès d’août 1939, il se rendit à Moscou. C’est alors que le PCB insista vivement auprès de l’IC pour le maintien de Berei en Belgique. Il avait effectivement réussi l’osmose avec le noyau dirigeant du Parti et en imposait par sa culture marxiste, son sens de l’organisation jusque dans le détail, sa vigilance toujours en éveil, et sa capacité de travail.

Avec le repli en août 1939 de Clément (Fried), délégué auprès du Parti communiste français, Bruxelles devint le centre francophone d’édition de l’Internationale communiste en même temps que le siège de l’état-major du PCF. Dès cette période, et jusqu’en 1943, ce fut l’appareil de Clément qui servit pour les liaisons radio avec Moscou. Bien que disposant d’émetteurs propres, Berei ne signait pas les télégrammes belges, ce qui laisse entrevoir un lien hiérarchique entre les deux délégués.
Il faut noter qu’à plusieurs reprises, la présence de  Denis  ou de Victor fut dénoncée publiquement, notamment par un ancien sénateur communiste qui pourfendait, dans sa lettre publique de démission du Parti, « ce slave juif exerçant un contrôle dictatorial sur le bureau politique et les cadres ».

Malgré cela, c’est le hasard d’un rendez-vous avec un dirigeant belge qui conduisit à son arrestation le 9 mai 1940, suivie de sa déportation en France, sous une fausse identité. Il s’évada de Saint-Cyprien et regagna Bruxelles à la fin de juillet 1940. Son retour en URSS envisagé et accepté par l’IC en février 1941 fut vraisemblablement rendu impossible ou annulé par l’invasion de juin 1941. Il fut désormais, plus que jamais, sous le nom de Clavel, le dirigeant qui assura la continuité du Parti communiste belge à travers toute la guerre, en liaison maintenue avec l’IC, ou ce qui en tint lieu après 1943. C’est lui qui mit sur pied l’organisation militaire du Parti : les Partisans armés. Il prêchait sans relâche pour l’observation des règles de clandestinité et s’y conforma avec rigueur, disposant de courriers et de logements distincts pour chacun de ses contacts de travail. C’est ainsi qu’il échappa à la razzia de juillet 1943 qui fit tomber toute la direction du Parti et des partisans. La SIPO-SD (Sicherheitspolizei und Sicherheitsdienst, police secrète SS) les interrogea sur l’homme de l’IC dont ils connaissaient l’existence. Il reconstruisit la direction autour du seul membre du bureau politique demeuré en liberté, Edgar Lalmand. Cette circonstance particulière légitima tout naturellement son maintien comme dirigeant effectif après la dissolution de l’IC. Il était concrètement le numéro un dans la direction quotidienne. Cette situation fut d’ailleurs consacrée par sa désignation formelle comme membre du secrétariat du Parti à la Libération. De fait, il avait alors plus d’ancienneté dans le parti belge que bien des cadres et des membres qui formaient ses rangs. Sous l’Occupation, Berei fut également en rapport avec le parti luxembourgeois dont le principal dirigeant Dominique Urbany était à Bruxelles parmi ses collaborateurs. À la Libération, il fut aussi consulté par les communistes hollandais.

Fait exceptionnel en Europe occidentale, il demeura à Bruxelles après la Libération. Dès octobre 1944, il s’inscrivit auprès de la Police des Etrangers comme étant entré en Belgique en janvier 1941 en provenance de Prague. . L’enquête de la Sûreté de l’État constata qu’il était inconnu aux adresses mentionnées, mais l’intervention du secrétaire général du Front de l’Indépendance soulignant les services exceptionnels rendus par Berei à la résistance, l’intervention d’une avocate, communiste et dirigeante du FI, soulignant de surcroît sa « situation délicate en sa qualité d’israélite », firent accorder le séjour provisoire au « journaliste ». Averti qu’il devrait quitter le territoire « dès que les circonstances le permettront », il obtint cependant une prorogation de 3 mois en 3 mois, jusqu’au 21 août 1946 ! On a peine à croire qu’il avait totalement échappé à la police politique d’autant que sa présence et son rôle avaient été publiquement dénoncés .

Le secrétaire général du Parti étant ministre du Ravitaillement, Berei assura donc à nouveau un rôle de coordination politique, mais aussi et surtout de contrôle des cadres. C’est lui qui prononçait les sentences à l’encontre des militants revenus de captivité et décidait de leur affectation éventuelle.

La fascination qu’il inspira et l’autorité qu’il exerça sur les militants qui furent appelés à connaître son existence étaient très fortes et ne tenaient pas uniquement à sa fonction de représentativité. Travailleur acharné, polyglotte, curieux de tout, il laissa le souvenir du bolchevik rugueux dont l’autorité parfois brutale avait maintenu le Parti de 1935 à 1945 à travers toutes les tempêtes. Ces qualités qui affermirent le parti clandestin lui imprimèrent également un cours peu en rapport avec la période d’épanouissement de la Libération.

Rentré en Hongrie en 1946, il fut secrétaire d’État aux Affaires étrangères puis Président de l’Office central du Plan. Membre de la direction du Parti, il fut évacué en URSS en 1956. Il y demeura trois ans à l’Institut d’économie de l’Académie. Il retrouva ensuite Budapest, y enseigna à la Faculté d’Économie Karl Marx et dirigea de 1962 à sa mort, la maison d’édition du Parti, Kossuth.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article50003, notice BEREI Andor. Pseudonymes : DENIS, PÉPÉ, CLAVEL. (version Dictionnaire du Komintern) par José Gotovitch, version mise en ligne le 28 avril 2009, dernière modification le 23 août 2010.

Par José Gotovitch

Andor Berei
Andor Berei
(©CARCOB Bruxelles)

SOURCES : RGASPI, 495 199 160, 495 10a 146, 495 10a 153, 495 193 246, 495 95 244, 495 193 232, 495 193 236. — CARCOB, Microfilms IML, Bureau Politique du PCB. — Police des Etrangers, Bruxelles, n°° 2014745 . — Interview, Budapest, 1975. — Notice nécrologique de Népszabadsag, 30 janvier 1979 — Jean Blume, Drôle d’Agenda, Bruxelles, 1985. — Sandor Kopacsi, Au nom de la classe ouvrière, Paris, 1979.

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