FERNANDEZ Adèle [née D’GALULA Adèle, Sarah]

Par Michèle Bitton, avec l’aide d’Anita Fernandez

Née le 13 avril 1907 à Marseille (Bouches-du-Rhône), morte le 11 février 1997 à Paris (XVIIIe arr.) ; infirmière ; militante communiste et écrivaine.

Adèle D’Galula naquit à Marseille, au 307 rue Paradis, fille de Joseph D’Galula, négociant, âgé de 32 ans et d’Anna Berthe Allatini, sans profession, âgée de 26 ans.
Son père, plus connu sous le nom de Jules Galula, était issu d’une famille de négociants tunisiens en huile d’olive installés à Marseille depuis le début du XIXe siècle. Sa mère, née à Salonique, venue à Marseille pour se marier, appartenait à la famille Allatini originaire de Salonique où existe encore l’importante minoterie familiale transformée en musée.

Après Roger et Sophie, Adèle était la plus jeune de leurs trois enfants. Elle avait quinze ans en 1922 lorsque son père mourut d’une crise cardiaque. Cette perte précoce fut à l’origine de sa décision d’acquérir un métier, malgré l’opposition maternelle qui trouvait incorrect qu’une jeune fille travaille dans ce milieu juif bourgeois. Adèle N’Galula fit des études d’infirmière qu’elle termina en 1930, travailla à l’hôpital Paul Desbieff, rue d’Hozier et au dispensaire de la Maison des enfants de la rue Sainte Catherine (dans le quartier du Vieux port détruit en 1943). Elle s’y occupa plus particulièrement de traiter des enfants aux rayons ultraviolets, une activité assez dangereuse dont peu d’infirmières voulaient se charger. Elle n’abandonna pas ses loisirs habituels, continuant à voyager, à pratiquer le tennis et l’équitation ou à suivre, avec sa cousine Éliane Amado Levy-Valensi, qui devint philosophe et psychanalyste, des cours de reliure et de dessin.

Le 8 janvier 1933, à Marseille, Adèle N’Galula épousa Carlos Fernandez, ingénieur de nationalité espagnole âgé de vingt-huit ans. Elle l’avait rencontré à un bal, lors d’un voyage à Paris. Issu d’une famille apparentée aux Allatini, il était directeur d’une usine de lampes de voitures à Colombes dans la banlieue Est de Paris. Leur premier enfant, Jean-Arthur, naquit en 1934 à Colombes. Suivirent Michel et Annie (Anita) en 1935 et en 1939.

À la déclaration de guerre, son frère Roger et son beau-frère, Jean Brunschwig, l’époux de sa sœur Sophie, furent mobilisés. Son mari Carlos demanda également à servir, mais encore en cours de naturalisation, il ne put intégrer l’armée française. En mai 1940, la famille Fernandez décida en hâte de se réfugier en zone non occupée. Ils achetèrent le Mas Alto, une petite maison de campagne sur les hauteurs d’Entremont à trois kilomètres d’Aix-en-Provence. Rapidement à cours d’argent, Adèle s’occupa de ses quatre enfants (Pierre (Pedro) était venu au monde en 1941), du jardin et du poulailler, tandis que Carlos se plaçait partout pour tous les travaux possibles, ouvrier agricole, maçon, bûcheron. Le couple rejoignit la résistance locale en faisant de leur maison un lieu d’accueil pour des internés évadés du Camp des Milles et en apportant leur aide à des parachutages anglais dans les collines avoisinantes, ainsi que l’atteste un certificat délivré par le docteur Georges Vidal-Naquet après la guerre. Adèle Fernandez accompagna le docteur Donnier au camp des Milles, durant les terribles journées d’août et de septembre 1942 au cours desquelles près de deux mille internés furent transférés à Drancy avant d’être déportés et exterminés à Auschwitz. Avec le Pasteur Menen, le rabbin Salzer et plusieurs délégués d’œuvres caritatives, des médecins essayèrent de sauver le plus grand nombre possible de personnes de la déportation. Selon André Fontaine « Le Docteur Donnier, assisté d’Adèle Fernandez, aurait réussi à en transférer quelques uns dans leur clinique, boulevard Gambetta, à Aix-en-Provence. » (A. Fontaine, Le camp d’étrangers des Milles, 1989, p. 145.). André Fontaine note aussi que le 10 août 1942, lorsque soixante douze enfants sauvés de la déportation montent dans le car qui doit les conduire à Marseille, « une infirmière juive, Adèle Fernandez, s’aperçoit – selon son propre témoignage – que les plus petits ignorent leur identité. Elle s’efforce d’y remédier, sans y parvenir tout à fait, en interrogeant les aînés. » (A. Fontaine et alii dans Zones d’ombre, 1990, p. 340).
En juin 1943, leur situation devenant de plus en plus périlleuse, les Fernandez parviennent à se réfugier en ’Espagne grâce à la nationalité espagnole de Carlos. Ils y passèrent deux ans au cours desquels Adèle déploya des talents de masseuse et Carlos vendit des peintures et des portraits. En juin 1945, Adèle put rentrer en France avec ses enfants ; Carlos, considéré comme déserteur en Espagne, ne fut autorisé à les rejoindre que quelques mois plus tard. De retour à Marseille, ils apprirent la mort de plusieurs membres de leur famille dans les camps d’extermination, notamment celle de Jean Brunschwig, l’époux de Sophie, la sœur d’Adèle, et celle de sa tante maternelle, Olga (Edma) Valensi, la mère d’Éliane.

Les Fernandez décidèrent de s’installer au Mas Alto qui avait subit de nombreux dégâts lors une bataille livrée dans leur jardin (il restait encore un tank allemand et un trou d’obus dans le mur des chambres). Après différentes tentatives d’activités professionnelles à domicile, Carlos commença à travailler avec le céramiste aixois Jean Amado. Il ouvrira ensuite son propre atelier, au 19, rue Jacques de la Roque, et connaîtra une certaine notoriété en France et en Suisse.

Dès 1945, les Fernandez adhérèrent à la section locale du Parti communiste français. Ils en furent des membres très actifs. Ils s’investirent dans le renouveau de la vie culturelle aixoise, fréquentant le ciné club tout juste créé et les conférences de l’Université nouvelle, jouant dans la compagnie aixoise de théâtre amateur « Les Quatre Dauphins » fondée par Antonin Fabre avec laquelle ils se produisirent à Marseille et à Paris. Après la création du festival d’art lyrique d’Aix-en-Provence en 1949, Adèle Fernandez y travailla plusieurs saisons comme chef habilleuse. Durant plusieurs étés, elle fut aussi infirmière de la colonie de vacances de la CGT d’Aix, à Sylvanes-les-Bains dans l’Aveyron. Plus tard, elle compléta son métier d’infirmière par une formation de kinésithérapeute, activité qu’elle exerça de longues années avec succès mais qu’elle arrêta pour se consacrer davantage à son époux lorsque ce dernier tomba malade.

Parmi ses multiples occupations, Adèle Fernandez fut aussi écrivaine. Entre 1956 et 1976, elle publia neuf romans traitant souvent de voyages et d’aventures. Pour le premier, Tournée 32, elle emprunta son titre à la poste qui désignait ainsi la tournée du facteur qui desservait leur campagne. L’intrigue, qui se déroule à Aix-en-Provence durant la Deuxième guerre mondiale, est romancée, mais Adèle Fernandez y conserva des noms à peine travestis de personnages historiques, tel celui de l’archevêque aixois de Villerabelle [pour Mgr Florent-Marie Du Bois de La Villerabel, un des rares archevêques français désavoués par l’église après la guerre]. À sa cousine Anne qui voulait absolument mettre un nom sur chacun des personnages de son roman, Adèle écrivit : « Hélas ! les pauvres juifs (pas encore les Français, mais les autres) étaient déjà au camp des Milles et traqués depuis 1940. Leurs aventures sont les seules vraies du livre. J’étais là, devant la Mairie, lorsqu’on a arraché les gosses aux parents et j’ai pédalé derrière le car jusqu’aux Milles, pour essayer d’avoir l’identité des tout-petits et leur coller des bracelets de sparadrap numérotés […] Autre chose vraie, les parachutages ! Je n’allais pas m’en vanter, tu penses bien, il y avait déjà assez de risques comme ça ! Seule Soph [sa sœur Sophie] et Éliane [sa cousine] l’ont su la veille de mon départ pour l’Espagne. L’une parce qu’elle était en rapport avec le frère du Docteur Vidal Naquet qui nous avait mis dans le bain (quand les Allemands sont venus s’installer sur la colline, la chose est devenue impossible, nous n’avions plus qu’à partir) et l’autre parce qu’elle et Max [Amado, époux d’Éliane] avaient deviné quelque chose et m’ont prié la nuit avant leur départ de leur avouer ce qu’il en était. Tu penses bien que nos activités d’alors étaient aussi cachées que possible et Dieu sait combien de pauvres gens se sont cachés au mas sans que tu les voies jamais. » (Les Lettres d’Adèle à sa cousine Anne, 2000, p. 132)

En 1957, Adèle Fernandez rejoignit la section locale de l’Union des femmes françaises qui la désigna comme déléguée à divers congrès. Elle fut aussi invitée plusieurs fois à signer ses livres à la fête annuelle de l’Humanité à Paris. En 1958, elle effectua un voyage de six semaines à Moscou avec son époux qui parlait le Russe. Ses deux fils aînés (Arthur et Michel) furent appelés en Algérie, une guerre contre laquelle elle milita de toutes ses forces.

Lorsque leurs enfants n’habitèrent plus avec eux, Adèle et son époux quittèrent le Mas Alto en 1962 pour s’installer à Aix-en-Provence, dans un grenier au-dessus de l’atelier de Carlos. Cette année fut aussi celle de la naissance de leur premier petit-fils. Ils auront au total dix petits-enfants.

Après Tournée 32 Adèle Fernandez écrivit Le Caïd aux brins de lavande, un roman pour la jeunesse, commandé par son éditeur belge, La Renaissance du Livre. Il parut en 1963, l’année de la première attaque cardiaque de Carlos. Ils durent alors quitter leur grenier trop haut perché et emménager dans un rez-de-chaussée, au 23, rue de la Couronne.

Ses romans suivants furent tous édités à Paris, par les Éditeurs français réunis (EFR). A l’exception de La Belle de Port-au-Prince (1964), une fiction qui se déroule en Haïti qu’elle ne connaissait pas, ses autres oeuvres furent généralement inspirées par ses voyages. Aujourd’hui gants blancs (1966), a pour cadre l’Espagne franquiste à l’époque où elle y séjourna avec sa famille pendant la guerre. Un retour en Grèce et à Salonique, sur les traces de leurs aïeux, lui inspira Dur soleil de Grèce (1967), un roman policier récompensé par le prix Devilac-Laroque. La même année, elle fut officiellement invitée aux festivités organisées par la municipalité d’Aix-en-Provence en l’honneur de Darius Milhaud, avec lequel elle était parente, et à l’inauguration de la plaque qui fut apposée sur sa maison de la rue du Bras d’Or le 17 décembre 1967. En octobre 1968, le numéro spécial de la revue Europe « Le Roman et les Romanciers » fit paraître le texte qu’elle avait envoyé en réponse à un questionnaire adressé à cent cinquante romanciers. Ne souhaitant pas se rendre à nouveau en Grèce, où les colonels avaient pris le pouvoir, elle effectua en 1968 un dernier voyage avec son époux en Turquie. Elle y puisa l’inspiration d’un nouveau roman d’aventures, Des Arbres pour Süleyman, paru en 1970, un an après le décès de son époux.

Adèle Fernandez lui survivra vingt-huit ans, mais, écrira-t-elle « C’est dur et difficile de penser seule quand on a pensé à deux pendant 36 ans ». En 1973, après des travaux d’amélioration du Mas Alto, elle y vécu à nouveau de façon permanente et y accueillit régulièrement sa « tribu » pour les vacances. Elle poursuivit encore plusieurs années son travail politique et ses activités au sein du Parti communiste aixois et continua à participer régulièrement à des manifestations littéraires régionales. Jusqu’au milieu des années 1970, elle fit paraître trois autres romans. Le fruit sans douceur (1972) évoque le déchirement d’une famille sous l’occupation en Provence, où un frère devient collaborateur et l’autre résistant. Après Mikis et la confidence (1973), qui relate l’histoire d’un jeune homme apprenant tardivement qui est son vrai père, Saïgon des âmes errantes (1976), renoue avec sa veine exotique et historique, avec la guerre du Vietnam pour toile de fond. Une de ses dernières contributions publiques fut la préface qu’elle rédigea pour l’ouvrage de son ami Jean-Maurice Claverie (Paulus, dans la Résistance), La Résistance notre combat (1991).

Adèle Fernandez vint habiter chez sa fille Anita, à Paris, en 1993. Elle y mourut le 11 février 1997, à l’âge de quatre-vingt-dix ans. Elle laissa plusieurs manuscrits inédits, des écrits pour ses petits enfants, une pièce de théâtre sur Vivaldi et deux romans : Ainsi mourut Giovanna, dans lequel elle retrace la vie de sa famille au début du siècle en Provence, et La clé du retour, un voyage inventé à partir du périple de ses aïeux depuis leur expulsion de la péninsule ibérique en 1492.

En 2000, sa fille retrouva des lettres qu’Adèle Fernandez avait écrites durant soixante-cinq ans à sa cousine Anne et les fit publier. Elle y ajouta des précisions historiques sur les itinéraires de deux femmes très différentes, qui restèrent néanmoins liées toute leur vie par leur enfance marseillaise partagée.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article50012, notice FERNANDEZ Adèle [née D'GALULA Adèle, Sarah] par Michèle Bitton, avec l’aide d’Anita Fernandez, version mise en ligne le 29 avril 2009, dernière modification le 16 février 2016.

Par Michèle Bitton, avec l’aide d’Anita Fernandez

Adèle Fernandez à une manifestation littéraire en 1973
Adèle Fernandez à une manifestation littéraire en 1973
[Photo communiquée par Anita Fernandez]
Adèle Fernandez fumant sa pipe, vers 1985.
Adèle Fernandez fumant sa pipe, vers 1985.
[Photo communiquée par Anita Fernandez]

ŒUVRE : Tournée 32, Bruxelles, La Renaissance du livre, 1956. — Le Caïd aux brins de lavande, Bruxelles, La Renaissance du livre, 1963. — La Belle de Port-au-Prince, Paris, les Editeurs français réunis (EFR), 1964. — Aujourd’hui gants blancs, Paris, EFR, 1966. — Dur soleil de Grèce, 1967, Paris, EFR (Grand prix du roman policier Devilac-Laroque). Réédition Verviers, Marabout, 1978. — Des Arbres pour Süleyman, Paris, EFR, 1970. — Le fruit sans douceur, Paris, EFR, 1972. — Mikis et la confidence, Paris, EFR, 1973. . — Saïgon des âmes errantes, Paris, EFR, 1976. —Anita et Adèle Fernandez, Lettres d’Adèle à sa cousine Anne. Soixante-quinze ans de correspondance (1927-1992), Paris, Éditions Double interligne, 2000.

SOURCES : Revue Europe, n° 474, octobre 1968, numéro spécial Le Roman par les Romanciers, « Adèle Fernandez », pp. 146-148. — Jean-Maurice Claverie, La Résistance notre combat : Histoire des Francs-tireurs et Partisans français du Pays d’Aix, Beaurecueil, Editions Au Seuil de la Vie, 1991. Préface d’Adèle Fernandez. — André Fontaine, Le camp d’étrangers des Milles 1939-1943, Aix-en-Provence, Edisud, 1989. — André Fontaine et alii « Les déportations à partir du camp des Milles (août-septembre 1942) », dans Zones d’ombres 1939-1944. Exil et internement d’Allemands et d’Autrichiens dans le sud-est de la France, sous la direction de Jacques Grandjonc et Theresia Grundtner, Aix-en-Provence, Alinea, 1990. — Michel Caire, « Décès d’une grande dame aixoise », La Marseillaise, 12 février 1997. —Georges Jessula, « Anita et Adèle Fernandez, Les Lettres d’Adèle à sa cousine Anne, note de lecture, La Lettre Sepharade, n° 36, 2000, p. 24. — Arch. Mun. Marseille, registres d’état civil. — L’indicateur marseillais, 1860 à 1945. — Archives nationales de France, dossiers de naturalisation de membres de la famille Galula avant 1870 (http://chan.archivesnationales.culture.gouv.fr/sdx/nat/index.shtm).

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