SOUPÉ Fernand [SOUPÉ Hilaire, Émile, Fernand]

Par René Lemarquis, Claude Pennetier

Né le 19 juin 1889 à Planches (Orne), mort le 26 septembre 1976 à Courdemanche (Eure) ; ouvrier fondeur puis cantonnier à Vitry-sur-Seine ; maire communiste de Montreuil-sous-Bois (Seine) ; membre du Comité central du PC et de la commission des cadres ; secrétaire de la Région Paris-Est du PC ; rompt avec le Parti communiste à l’hiver 1939.

Fils d’un journalier agricole, puis manœuvre, syndiqué et socialiste, et d’une ouvrière dans une fabrique de corset (le couple eut cinq enfants), Fernand Soupé commença à travailler dans l’agriculture, puis, à vingt ans, se fit embaucher dans une fabrique d’épingles près de L’Aigle. À son retour du service militaire, il entra à la Compagnie générale d’électricité, toujours dans l’Orne, comme lamineur. Mobilisé en août 1914 comme deuxième classe, père de famille en 1915 et en 1917, il fut affecté spécial dans une fabrique de munitions où il créa en 1917 un syndicat des métaux qui organisa, dit-il, 1300 ouvriers sur 1500. Son action lui valut un renvoi au front en 1918. À son retour, en 1919, il revint de l’Orne, fut un syndicaliste actif pendant les grèves de mai 1920, puis, renvoyé, partit pour la région parisienne.

Il s’installa d’abord à Argenteuil en travaillant à la maison Gallio comme fondeur. Encore renvoyé en raison de son militantisme, il alla au Bourget puis, il vint à Vitry-sur-Seine et travailla comme fondeur à l’usine Bedault, mais il fut surpris alors qu’il fabriquait clandestinement des bustes de Jaurès et de Lénine ; il fut poursuivi à la demande du patron et condamné à trois mois de prison avec sursis, il se mit alors quelques mois en congés de parti. Il organisa une section syndicale et une cellule communiste. Licencié en 1928, il poursuivit son action à la tréfilerie de Vitry et anima une cellule de 22 membres. Chassé en 1929, il se fit embaucher au chantier de la nouvelle Centrale électrique mais, quelques mois plus tard, les patrons s’inquiétèrent de son influence. La municipalité communiste le recruta la même année comme cantonnier car aucun employeur local n’acceptait de l’embaucher.

Il avait épousé Louise Dureaux, ouvrière d’usine, dont le père était "d’opinion politique réactionnaire". Syndiquée, membre du SOI, mais seulement sympathisante communiste en 1932, elle fut employée à la mairie de Vitry-sur-Seine. Ils avaient quatre enfants.

Fernand Soupé adhéra au Parti socialiste en 1917 et, partisan de la IIIe Internationale, fut communiste après 1920. Il fut, au grès de ses déplacements, plusieurs fois secrétaire de cellule, de sous-rayon puis de rayon par intérim.

En 1929, il était membre à la fois du syndicat CGTU des employés et ouvriers des communes de la Seine et du 4e rayon du PC. Il suivit, l’année suivante, les cours de l’école régionale du PC puis, devenu permanent politique, anima les secrétariats du comité intersyndical et du sous-rayon de Vitry. En 1930, il était un des dirigeants communistes de la région parisienne. "Dans le parti j’ai suivi jusqu’au congrès de Saint-Denis [1929] la position qu’avait Cachin : centriste. Ceci parce que mon développement politique n’était pas grand". Hostile à l’opposition trotskyste particulièrement présente dans le IVe rayon, à Treint et à Suzanne Girault, il affirma, en 1932, avoir condamné les "méthodes du groupe".

Candidat le 4 octobre 1931 à l’élection législative complémentaire, Fernand Soupé se présenta, sans plus de succès, en 1932 dans la première circonscription de Meaux (Seine-et-Marne) où il arriva cependant en seconde position obtenant 5 027 voix au premier tour et 6 650 au second sur 26 770 inscrits. Il fut nommé, cette année-là, secrétaire de la Région Paris-Est qui comprenait les rayons d’Alfortville, Champigny, Montreuil, Bobigny, Bagnolet, le canton du Raincy et le département de Seine-et-Marne. Fernand Soupé était entré au Comité central du PC à l’issue de son VIIe congrès (mars 1932). Le secrétariat le chargea, en octobre 1934, d’organiser le travail de la commission des cadres, avec Henri Gourdeaux et Léon Mauvais ; ils mirent à la tête de la commission Maurice Tréand. Soupé fit partie d’une délégation qui se rendit le 14 juillet 1934 au siège du Parti socialiste SFIO et de la délégation composée de Maurice Thorez, Jacques Duclos, Marcel Gitton et Henri Martel qui signa, le 27 juillet suivant, le Pacte d’unité d’action. Il se présenta, en vain, aux élections cantonales en octobre 1934 dans le canton de Lagny-Chelles.

Malgré la popularité de Daniel Renoult, ce fut Fernand Soupé qui conduisit la liste communiste aux élections municipales de mai 1935 à Montreuil-sous-Bois où se trouvait le siège de la Région Paris-Est. Ses responsabilités dans le parti expliquent peut-être ce "parachutage", qui eut lieu d’ailleurs en même temps que celui de Jacques Duclos, dans le but de consolider ce “fief” de la banlieue est (plus que la thèse d’une tendance ouvriériste visant à écarter un intellectuel issu de la petite bourgeoisie comme Renoult). Entre les deux tours, Cachin assura deux meetings, Thorez et Gabriel Péri deux autres, ce qui montre l’importance de l’enjeu. La liste Soupé obtint au premier tour 6 458 voix soit 41,41% des suffrages et les socialistes 1 534 voix (9,83%). Au second tour, les socialistes s’étant désistés, elle emportait les 36 sièges avec 8 956 voix contre 6 856 à la liste Aubin.

Devenu maire, Soupé fit paraître un Bulletin municipal où il présentait son activité. En quelques mois une série de mesures furent prises : ouverture d’un bureau de poste, d’une Bourse du travail, d’un foyer d’anciens combattants ; construction d’un stade, agrandissement de l’hospice intercommunal et d’un dispensaire. Le parc Montreau où sera installé le Musée d’Histoire vivante est ouvert au public. Il apporta une aide aux grévistes de juin 1936 ainsi que l’attestent de nombreuses lettres de travailleurs montreuillois. Il avait comme secrétaire André Grégoire. Notons que la municipalité rémunéra comme employé communal, jusqu’en 1937, Edmond Foeglin, habitant 11 rue de l’Église à Montreuil, qui travaillait par ailleurs à la Commission des cadres au siège du PC sous la direction de Maurice Tréand. En septembre 1936, Soupé accompagna en URSS la délégation présidée par Henri Sellier. Il fut réélu au CC lors des VIIIe (Villeurbanne, janvier 1936) et IXe congrès (Arles, décembre 1937) du PC.

L’attitude de Soupé en 1939-1940 fut assez ambiguë en ce qui concerne ses relations avec son parti. Elle se caractérise par plusieurs épisodes qui sont différents du schéma réducteur classique : Soupé, opposé au pacte germano- soviétique, aurait démissionné du Parti puis passé au PPF de Jacques Doriot. En fait Soupé approuva, sans doute troublé comme beaucoup de militants, le pacte. Il soutint l’effort de Guerre en participant avec Jacques Duclos au Comité d’aide aux mobilisés et à leurs familles crée le 20 septembre 1939. Par ailleurs lors d’une perquisition effectuée le 28 septembre dans les mairies communistes, Soupé assistait à cette opération qui n’avait donné aucun résultat à Montreuil, “rien n’a été trouvé en dehors de quelques brochures de propagande qui ont été saisies”. Mais le 4 octobre la municipalité fut suspendue et remplacée par une délégation spéciale dirigée par A. Spengler ce qui provoqua de la part de Fernand Soupé au nom de la municipalité déchue, “une protestation solennelle et indignée contre ce coup de force que rien ne justifie”. Cette suspension faisait suite au décret-loi du 28 septembre de dissolution des organisations communistes. Plus tard, en novembre, Soupé affirma avoir adressé le 18 septembre une lettre à Jacques Duclos où il aurait déclaré :

“Certes, j’ai cru au début, comme d’ailleurs plusieurs collaborateurs de journaux de droite ou du centre, que le Pacte germano-russe pouvait servir utilement la cause de la paix. C’est dans ces conditions qu’à mon conseil de Montreuil, nous avons voté, hors séance, un ordre du jour favorable à ce pacte. Mais quand j’ai su que les troupes russes étaient entrées en Pologne, je me suis rendu compte que ce pacte était nuisible à ma patrie. Je me suis désolidarisé du Parti”. Or dans cette missive datée en fait du 16 septembre, il disait : “Ayant cru pendant un certain temps que le pacte germano-soviétique pouvait servir la cause de la paix, je constate aujourd’hui avec tristesse qu’au contraire il a rendu possible la monstrueuse agression hitlérienne contre la Pologne […] Je désavoue ce pacte et reste profondément antihitlérien, souhaitant la victoire rapide de mon pays sur les ennemis de la civilisation […] Vive l’union des peuples de France, terre généreuse de la grande Révolution française”. Il terminait par “bien amicalement”. Aucun désaveu donc de son parti ni aucun départ et c’est pourtant cette lettre qu’il invoquera pour prouver sa rupture.

En réalité la lettre du 16 septembre n’est mentionnée qu’après son arrestation du 15 novembre 1939 qui avait eu lieu à la suite d’une perquisition opérée à son domicile. Dans le journal Le petit Parisien du vendredi 17 paraissait un article intitulé “la police découvre une imprimerie communiste” annonçant l’arrestation de Camille Henri, qualifié d’agent de liaison entre les militants de l’ex parti communiste. Cette arrestation avait entraîné celles de : Maurier dit Mourre, qui depuis la dissolution assurait avec Tréand un rôle de direction important de l’organisation illégale du PC, des conseillers municipaux Frot et Le Gall, et de Fernand Soupé ex maire de Montreuil. Les arrêtés furent mis à la disposition de la justice militaire pour infraction au décret loi du 28 septembre. Il semble donc que, contrairement à ses déclarations, Soupé, non seulement n’avait pas rompu avec son parti en septembre mais qu’il aurait joué un rôle dans son activité clandestine.

Les inculpés du 15 novembre, avec en plus Vassart qui venait de rompre, furent défendus par les avocats habituels des communistes et le 3e tribunal militaire de Paris les condamnera tous le 14 mai 1940 à 5 ans de prison, 5 000 F d’amende et 5 ans de privation des droits civiques et politiques pour propagande clandestine.

Dans son interrogatoire après son arrestation, Soupé avait évoqué une autre lettre, non datée qui appelait ses “anciens camarades de l’ex-PC” à cesser toute action pouvant nuire au moral, […] de rentrer dans les rangs de la communauté française”. Il annonçait sa démission de l’ex-PC pour sa politique qui avait permis “le dépècement de la Pologne et la honteuse agression contre la petite Finlande”. Cette dernière ayant eu lieu le 30 novembre 1939, on peut dater de début décembre sa rupture.
Le 30 décembre 1939, le Populaire fit paraître une lettre de Fernand Soupé annonçant sa démission.

Soupé resta incarcéré du 15 novembre 1939 au 25 mai 1940 à la Santé puis, après son procès, dans une autre prison à Bourges avec ses co-inculpés du 15 novembre 1939.

De la prison de la Santé (au n° 1157, 14e cellule, 10e division), il écrivit une série de lettres à diverses personnalités montreuilloises en proclamant “son innocence”. Le 28 décembre, il présenta ses vœux pour 1940 aux membres de la Délégation spéciale, au personnel communal et à la population montreuilloise en signant “le maire suspendu”. Les 23 janvier et 3 février 1940, il correspondit avec le président de l’Union commerciale et industrielle de Montreuil, Arlabosse, en disant que sa lettre à Duclos était la preuve de sa rupture. Il écrivit même, le 24 février, à Spengler, président de la délégation spéciale, et salua d’autres membres de la délégation dont Aubin qu’il avait battu en 1935, pour jurer qu’il n’avait fait aucune tentative de reconstitution du PCF. Sa lettre à Duclos était, disait-il, connue de nombreuses personnes et du ministre de l’Intérieur. Le Préfet de la Seine, alerté, écrivit le 19 mars à Spengler lui demandant si la fameuse lettre avait été publiée ou affichée et à quelle date. Sans réponse, le préfet réitéra sa demande le 16 avril et Spengler comme Aubin répondirent n’avoir pas connaissance que Soupé ait rendu public son désaveu. Un arrêté du préfet de la Seine constatait sa déchéance à dater du 21 janvier 1940 “attendu qu’il est de notoriété publique que Monsieur Soupé élu communiste au conseil municipal de Montreuil, appartenait à la date de dissolution du PC“ au dit parti et n’avait pas, soit par démission, soit par une déclaration publique avant le 26 octobre 1939 répudié catégoriquement toute adhésion”. Ainsi ni la justice, ni l’administration n’acceptaient la réalité de sa rupture. Le 28 juin, sur ordre du président de la Délégation spéciale, “le garde Leroy Charles se rendit chez Soupé, 4 rue de la Convention, mais ne trouva personne (sic)."

À cette date, les troupes allemandes étaient à Paris depuis deux semaines et l’ancien partenaire de Soupé à la commission des cadres, Tréand, engageait des pourparlers avec les Allemands pour la publication légale de l’Humanité, tout en incitant les anciens élus à reprendre leur place dans les mairies. Le 23 juillet plusieurs élus montreuillois, soutenus par 400 à 500 personnes, tentaient de récupérer la mairie. Un numéro clandestin du journal >em>La Voix de l’Est, daté de juillet 1940, ne mentionnant nulle part la défaite et l’occupation, attaquait “les lâches et provocateurs francs-maçons Spengler et compagnie qui font garder la mairie par des centaines de chiens courants des ploutocrates” et exigeait le retour des élus communistes à la mairie, citant Daniel Renoult (interné à Gurs), Beaufils, Mahé, Vandeputte, Jurquet et Goumand. Dans un article, Soupé était défini comme “un pauvre type prétentieux vomi par les ouvriers révolutionnaires, passé du côté des riches […] promettant tout pour rester à sa place de maire” ; il reniait le PC et se mettait “au service des Daladier, Blum, Reynaud et Cie plats valets de la City et des ploutocrates […] Le Soupé trop discrédité a été maintenu en prison par les bourgeois qui préfèrent se débarrasser des serviteurs trop gênants. C’est bien fait. Soupé le corrompu est de l’autre côté, on le leur donne sans regrets”.

De sa cellule de Bourges Soupé écrivit encore le 13 septembre 1940 une lettre à Spengler pour demander des nouvelles de sa famille sans ressources (son fils sans travail avec un bébé de onze mois). Après avoir affirmé qu’il était “terrible pour un homme d’être condamné étant innocent”, il annonçait : “Mon avocat m’a écrit voici quelques jours me disant avoir vu les personnes les plus qualifiées pour me faire libérer”. Il terminait par ces quelques mots fleurant l’esprit pétainiste : “La France immortelle se relèvera ! Soyons unis dans une féconde collaboration de classe !”

Selon l’Humanité clandestine du 26 novembre 1940, Jacques Doriot aurait demandé la libération de Fernand Soupé. La préfecture de police signalait le 6 janvier 1941 la découverte dans les couloirs de la station Lamarck du métro d’un tract intitulé “la voix populaire du 11e arrondissement” qui relatait la rupture de Vital Gayman en l’associant aux autres traîtres Gitton, Soupé, Capron. Soupé fut libéré le 1er mai 1941 sur ordre du gouvernement. En fait il semble que ce ne fut pas Doriot mais (selon G. Bourgeois ainsi que Berlière et Liaigre) Gitton qui s’occupait alors d’obtenir la libération et le ralliement à son POPF d’anciens cadres du PC qu’il aidait par ailleurs matériellement. Vassart, interné à la même prison de Bourges que Soupé, en témoigne. Gitton aurait fait libérer Soupé qui avait signé la lettre ouverte du POPF. On peut d’ailleurs rapprocher son cas des deux autres ex-communistes libérés le même jour, Piginier et Rivaud dont le parcours était assez semblable au sien et qui adhérèrent tous deux au parti de Gitton dont ils furent membres du comité central.

Soupé, qui était retourné dans l’Eure après sa libération, est de retour à Paris en octobre après avoir fait en septembre une demande d’HBM restée sans réponse auprès de la délégation spéciale de Montreuil. C’est alors qu’il dut sans doute adhérer au PPF de Doriot. Ce dernier était à cette époque (selon J. P. Brunet ) en pleine déconfiture. Alors que se présentant en 1940 comme “l’homme du Maréchal”, Doriot avait constitué en septembre 1940 avec Gitton, Clamamus... d’une part et des politiciens de droite d’autre part, un “rassemblement pour la révolution nationale”, il se retrouvait isolé un an plus tard, les ex communistes ayant rompu avec lui. Il tenta de remonter son PPF, reconnu officiellement par les autorités allemandes le 29 octobre, en lançant une politique ouvriériste, s’occupant des revendications populaires qui ne manquaient pas (ravitaillement, charbon...) et en recrutant des adhérents. Soupé représentait une “belle prise”.

En juin 1941 avait eu lieu l’agression nazie contre l’URSS, Doriot partit immédiatement avec la LVF dans la Wehrmacht. Un rapport de police informait qu’un meeting organisé par le PPF pour adresser un salut à Doriot et à ses camarades aurait lieu le dimanche 26 octobre. Soupé qui venait d’adhérer au PPF fut le 3e orateur après Boulanger et Montandon et il déclara notamment : “c’est Doriot qui m’a ouvert les yeux (...) lui qui n’a cessé de dénoncer les manœuvres du PC (...). Aux égarés qui restent fidèles aux anciens mots d’ordre du parti je conseille (...) de rejoindre la révolution Nationale qui se fera sous les ordres du Maréchal Pétain et de Doriot (...) Tous les anciens communistes et socialistes allemands se sont ralliés au National Socialisme de Hitler.”

Soupé travaillait comme permanent au siège du PPF et tentait de reprendre pied dans sa ville de Montreuil. Les RG informèrent le 13 décembre 1941 du tirage à plusieurs milliers d’exemplaires d’un tract destiné à être diffusé à Montreuil. Intitulé “Pourquoi je suis avec Jacques Doriot” Soupé développait sur deux pages les raisons de son adhésion au PPF “aboutissement logique et conforme à l’intérêt de la France et de la classe ouvrière elle-même”. Le pacte germano-soviétique y était défini comme “ la manœuvre la plus subtile de Staline et de la IIIe Internationale pour marquer leur plan diabolique de jeter le monde dans la plus grande des guerres”. Jouant sur le trouble que pouvaient provoquer les exécutions individuelles de soldats allemands parmi les sympathisants communistes il s’alarmait des “milliers d’ouvriers communistes condamnés ou dans des camps (...) internés susceptibles d’être pris comme otages”. Après avoir appelé à rallier la “Révolution nationale et sociale” il promettait de s’expliquer plus largement devant la population de Montreuil.

Soupé n’eut pas l’occasion d’intervenir dans la ville qu’il avait administrée. Il occupait alors, dans le 14e arr., 72 rue de Vanves, un appartement libéré par sa sœur. Il ne se protégeait pas vraiment bien que le 4 septembre Gitton ait été exécuté à Bagnolet. Chaque soir après avoir mangé Passage Jouffroy (proche du journal du PPF, le Cri du peuple où il travaillait 10 rue des Pyramides) il rentrait par le métro d’où il sortait à la station Pernety. À l’angle des rues Pernety et de Vanves il reçut une balle dans le dos le 22 décembre mais ne fut que grièvement blessé. Jean Chaumeil en fit le récit à Alain Guérin : "le hasard veut lui aussi que je le rencontre à Denfert-Rochereau. Je le suis de loin et je m’aperçois qu’il rentrait rue Dareau. J’ai demandé à ce que le groupe Valmy s’occupe de Soupé. J’ai mis Cyrano sur la piste et c’est lui qui a fait l’opération. Il ne l’a pas tué mais l’a blessé grièvement puisque la balle lui est entrée par les reins et lui est ressortie par la verge."

Aux archives de la Préfecture de police on peut suivre dans un dossier l’instruction menée par le juge Marquiset. Celui-ci mit en présence un livreur habitant rue Pernety, témoin de l’attentat, avec Yves Kermen, arrêté le 11 février 1942, soupçonné d’en être l’auteur. Le témoin nia que ce fut lui qui tira. Soupé avait été transporté à l’hôpital et le Cri du peuple du 26 février publiait une photo où, allongé sur son lit, il recevait une délégation d’ouvriers des usines Renault, Citroën, des produits chimiques et des employés des grands magasins conduite par Émile Nédélec. On précisait que “ses jours ne sont plus en danger”.

Selon Jean-Marc Berlière et Franck Liaigre, qui ont étudié les rapports des filatures et interrogatoires des Brigades spéciales, c’est au groupe Valmy, organisé par Fosco Focardi, Marcel Cretagne et Émile Bevernage que fut donné à la fin de 1941 l’ordre de tuer l’ex maire communiste de Montreuil. D’après les aveux de Marius Bourbon (pseudos Bordeaux puis Cyrano) aux policiers, c’est lui qui aurait transmis les instructions du Comité central du parti par le canal de Robert Dubois (Breton) en ce qui concerne les attentats contre Gitton, Soupé, Clamamus... Lucien Magnan faisait partie du groupe et c’est Bevernage qui tira sur Soupé. On retrouve encore le nom de Soupé dans le Cri du peuple du mercredi 3 juin 1942 après l’assassinat de son rédacteur en chef Albert Clément. “De son lit de souffrance où le retient encore sa blessure” il adressait ses condoléances à la famille de Clément, “ce camarade de combat”, et affirmait “sa foi et sa certitude de la victoire prochaine”. Cependant malgré sa notoriété son nom ne figure pas dans les numéros rendant compte du IVe congrès du PPF tenu du 4 au 8 novembre 1942. A cette date débutait l’opération Torch en Afrique du Nord et le 11 la Wehrmacht occupait l’ex zone libre. On ne sait rien du parcours de Soupé jusque 1946 où il fut arrêté le 26 février à Villefranche-sur-mer. L’Humanité du 28 février publiait en première page un article intitulé le traître Soupé est arrêté à Villefranche-sur-mer rappelant que “pendant l’occupation il s’était mis au service des nazis”.
Il fut écroué le 22 mars 1946 à la prison de Fresnes pour “intelligence avec l’ennemi” et “complicité de séquestration”. Par un arrêt de la Cour de Justice 2e sous-section, du 11 janvier 1947, il était condamné à 7 années de travaux forcés, à la dégradation nationale et à la confiscation des biens. Il fut transféré de Fresnes le 13 mars 1947 à Carère. Il est probable qu’il bénéficia des premières lois d’amnistie qui furent édictées dés 1948. Retiré dans l’Eure il mourut à 87 ans. Il avait fait promettre à son fils de ne jamais parler à quiconque de son action qui aurait été, selon lui, dictée par une question de vie ou de mort.

Une plaque devant le musée d’Histoire vivante de Montreuil rappelle qu’il était maire de la ville lors de l’inauguration de ce musée.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article50040, notice SOUPÉ Fernand [SOUPÉ Hilaire, Émile, Fernand] par René Lemarquis, Claude Pennetier, version mise en ligne le 1er mai 2009, dernière modification le 5 juillet 2022.

Par René Lemarquis, Claude Pennetier

Le conseil municipal de Montreuil en 1935
Le conseil municipal de Montreuil en 1935
Au 1er rang : Fernand Soupé est le 3e en partant de la gauche, Daniel Renoult est le 4e.
Crédit photo : Collection du Musée de l’Histoire Vivante (Montreuil).
Rassemblement à Montreuil vers 1937
Rassemblement à Montreuil vers 1937
Fernand Soupé se tient au milieu.
Crédit photo : Collection du Musée de l’Histoire Vivante (Montreuil).
Visite d'Édouard Herriot au Musée de l'Histoire Vivante de Montreuil en 1939
Visite d’Édouard Herriot au Musée de l’Histoire Vivante de Montreuil en 1939
Derrière Herriot : Fernand Soupé. A droite : Jacques Duclos.
Crédit photo : Collection du Musée de l’Histoire Vivante (Montreuil).

SOURCES : RGASPI, 495 270 97 : autobiographie, 28 janvier 1932 ; 495 10a 16. — Arch. F7/13131. — Arch. PPo. 101, Arch. PPo., BA 2443, Perquisition en mairie
10 janvier 1940 MONTREUIL : M. SOUPÉ, maire, a assisté à l’opération qui n’a donné aucun résultat. Rien n’a été trouvé en dehors de quelques brochures de propagande qui ont été saisies. — Arch. Dép. Seine, DM3 ; versement 10451/76/1 et 10441/64/2. — Arch. Musée de l’histoire vivante, Montreuil, lettres de Soupé de novembre 1939 à septembre 1940. — Bernard Pudal, Formation des dirigeants et évolution du mouvement ouvrier français, le cas du PCF, 1934-1939, Thèse de doctorat de science politique, Paris I, 1986. — Bulletin municipal de Montreuil, juillet 1935-mars 1939 (photo). — Cl. Willard, J. Fort, Montreuil-sous-Bois, Messidor, 1982. — Annie Barras, Montreuil, industrialisation d’une banlieue, Thèse, 1968. — J.-P. Bontemps, J. Jolinon, La municipalité de Montreuil-sous-Bois de 1900-1939, Mémoire de Maîtrise, Paris I, 1971. — Didier Frydman, Les communistes montreuillois (1935-1939), Mémoire de Maîtrise, Paris I, 1983. — Claude Pennetier, “Le mandat municipal dans l’itinéraire militant”, in Des communistes en France, Publications de la Sorbonne, 2002, p. 324. — Jean-Marc Berlière et Franck Liaigre, Liquider les traîtres. La face cachée du PCF 1941-43, Robert Laffont.— J.-P. Brunet, Jacques Doriot, Fayard — Presse : Le Petit Parisien, 17 novembre 1939, Le Populaire 30 décembre 1939, La Voix de l’Est (clandestine) juillet 1940, l’Humanité 28 février 1946, Montreuil Dépêche n°386, 15-21 mars 2006. — Documents communiqués par Daniel Grason : Perquisition des mairies du 28 septembre 1939 : PPo BA 24.43, compte-rendu du meeting PPF du 26 octobre 1941 : PPo 19501.2727.3, tract Pourquoi je suis avec Doriot : PPo 1950 Boîte PPF, enquête sur l’attentat du 22 décembre 1941 : PPo BA 2308, Le Cri du Peuple, 1942 BDIC GPF 2989. — Extrait du registre d’écrou de la maison d’arrêt de Fresnes, Arch. du Val de Marne Créteil. — Le Petit parisien, jeudi 12 février 1942. — Arch. Jean-Pierre Ravery, interview de Jean Chaumeil par Alain Guérin, 22 juin 1972. — Arch. CHS du XXe siècle, Archives André Marty 16, et Arch. PPo, carton 26, tracts d’occupation : listes noires : Soupé est cité dans la liste n°2 d’août 1943 (SOUPE Fernand. Ex-Maire de Montreuil. Traître PPF. Agent de la Gestapo), liste de mai 1954, nouvelle série, n° 1 (Soupé Fernand- Ex-maire de Montreuil (Seine). Agent hitlérien. Recruteur du PPF).

ICONOGRAPHIE : Bulletin municipal de Montreuil, juillet 1935-mars 1939 (photo).

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