MERCADER Caridad, née DEL RIO Y HERNANDEZ Caridad. Pseudonymes : Jeanne Florence [ou FLORENCE Jeanne]

Par René Lemarquis, Claude Pennetier

Née le 29 mars 1896 à San Miguel de Aras (province de Santander, Espagne), morte à Paris en 1975 ; militante communiste en France de façon intermittente entre 1928 et 1938 ; mère de Ramon Mercader et membre du réseau chargé d’assassiner Trotsky.

Un fils de Caridad Mercader, Georges Mercader
Un fils de Caridad Mercader, Georges Mercader

Son père, Ramon del Rio y Pacheco, était d’une famille d’ancienne noblesse dont un membre ambassadeur auprès du tsar. Ayant perdu de leur fortune, lui et son frère partirent en Amérique latine et y prospérèrent. Il rentra à Cuba dans la carrière diplomatique et y dirigea le parti libéral. Sa mère, Natalia Hernández del Castillo était d’une famille créole dont le père avait, en 1863, libéré à Cuba ses esclaves, ce pourquoi il avait été fusillé avec cinq fils. Peu après la naissance de Caridad eut lieu la guerre d’Indépendance dans laquelle sa mère aidait en cachette les insurgés. Son père en disgrâce fut envoyé à Tokyo et sa mère vint à Paris où Caridad fut élève à l’institution religieuse catholique « Le Sacré Cœur ». Le père mourut alors qu’elle avait treize ans en proposant de remettre ses terres aux paysans si ses enfants voulaient les quitter. Caridad obtint son baccalauréat et se rendit à Madrid pour apprendre l’espagnol qu’elle connaissait à peine puis alla à Brighton en Angleterre dans une institution religieuse identique et entreprit une licence de mathématiques. À l’âge de seize ans, elle épousa, en 1912, Pablo Mercader dont elle eut quatre enfants, trois fils : Georges, Ramón, Pablo et une fille, Montserrat.

Caridad Mercader commença à évoluer après son mariage (elle affirmait avoir apostrophé durement le curé au baptême de son fils aîné à la cathédrale de Barcelone). En 1914 elle adhéra à l’École moderne, fondée en 1901 par l’anarchiste Francisco Ferrer, et prit part au mouvement anarchiste. Elle déclarait avoir mis elle-même une bombe dans l’usine de son mari lors d’une grève du textile car le travail n’y avait pas cessé. Arrêtée elle fut enfermée comme folle dans une maison de santé, « La Nueva Belen », portant pendant trois mois la camisole de force et soumise au régime des douches. Les anarchistes menacèrent le directeur de la maison et elle fut libérée. Cependant elle s’opposa à certaines actions anarchistes comme, selon elle, « tuer les jaunes »... « Les patrons d’accord, mais les ouvriers qui travaillent, non ! ». En sortant de la maison de santé, elle s’enfuit en France avec seulement 1 000 pesetas (soit 7 000 F de l’époque), confia ses quatre enfants à une amie et partit... faire de l’élevage à Dax (Landes). Elle eut un nouveau fils, Luis, avec Jacques Denegre, un Français mort par la suite dans un accident. Elle connut ensuite une vie difficile à Bordeaux où elle fut cuisinière dans un restaurant puis secrétaire d’un avocat. Ses deux fils aînés, après l’école hôtelière de Toulouse, travaillaient l’un sur les navires de la Transatlantique, l’autre, Ramón, dans des hôtels. Elle fit alors une tentative de suicide (à la digitaline) et resta hospitalisée pendant six mois. Son mari « en profita » pour emmener en Espagne tous ses enfants sauf l’aîné. C’est alors que, complètement désemparée, elle commença à se rapprocher du parti communiste « dont la discipline l’effrayait ». Elle milita, par intermittence dans le SRI et les Amis de l’Union soviétique. Elle fut enfin admise dans le PCF en 1928. Puis ses enfants lui revinrent progressivement.

Caridad Mercader se rendit à Paris en 1931 où elle travailla dans une compagnie d’assurances (La Paternelle-Vie) comme secrétaire du sous-directeur puis comme mathématicienne à l’actuariat. Elle habitait dans le XVe arrt. où elle fut affectée aux cellules Necker puis Saint-Lambert. Victime de la loi interdisant le travail aux étrangers, elle fut interpellée par la police sur son lieu de travail et partit à Villeneuve-sur-Lot (Lot-et-Garonne) sous le nom de Jeanne Florence. Elle déclarait y avoir « dirigé » une grève de quatre mois et demi dans une briqueterie, aidée par André Chasseing, secrétaire de la région bordelaise et Renaud Jean, . Son arrestation aurait été évitée, dit-elle (mais son récit est manifestement exagéré), par une grève des ouvriers d’une manufacture d’armes à Libos, puis elle fut expulsée de France où, disait-elle, elle n’avait eu que de « petites responsabilités » : secrétaire de cellule, de groupe de langue, de membre du Comité de rayon (lieux non précisés).
En fait, sous le nom de Marie Deliot, elle était la compagne du militant communiste Maurice Rabatel avec laquelle elle cohabita, à Paris d’abord, puis à Savignac (Lot-et-Garonne), de l’été 1934 à l’été 1936 avec des passages en Espagne à partir de 1935.

Elle y fut nommée au Comité central espagnol puis au Bureau politique du Parti communiste catalan jusqu’à la guerre contre Franco (cette ascension semble bien rapide !). Après l’unification dans le PSUC elle fut au secrétariat féminin, attaché au secrétariat d’organisation. Quand éclata l’insurrection, elle aurait (selon La Dépêche de Toulouse du 26 juillet 1936, citée par Pierre Broué) sauvé la vie du général franquiste Goded sur le point d’être exécuté par les ouvriers catalans. Engagée elle fut blessée au front devant Pina de Ebro, dès le début de la guerre. À sa sortie d’hôpital, elle fut envoyée au Mexique et aux États-Unis. Joseph Minc raconte : « Un jour, Georges [Mercader] me dit : « Viens Joseph, je vais te présenter ma mère ». Elle était de passage à Bordeaux. Je me retrouvai dans un hôtel, face à cette belle femme, très bien habillée, qui s’apprêtait à partir en voyage au Mexique… Quelque temps plus tard, je la retrouvai en photo dans L’Illustration : elle y figurait à la tête d’une manifestation de soutien, à Mexico, aux Républicains espagnols ». Elle partait surtout pour acheter des armes avec deux responsables de la JSUC (Imbert et Ruiz) et un du PC espagnol ainsi que quatre Mexicains qu’elle qualifiait (mais elle était prompte à qualifier) de « trotsquistes » (sic) en fait des poumistes) et qu’ils firent « expulser du parti ». Les officiers du navire (« Tous des traîtres » ! affirmait-elle) les abandonnèrent à Cuba, mais elle refusa avec ses compagnons de quitter le bateau. Le gouvernement mexicain intervint pour empêcher leur arrestation et les accueillit. Elle connut alors d’autres difficultés avec le PC du Mexique « dont la direction sympathisait avec le POUM » (ce qui était bien sûr sans fondement) et voulait l’obliger à des réunions avec des délégués de ce parti puis avec des « fascistes mexicains » avec lesquels une bataille finit « à coups de revolver ». Le bateau put enfin repartir chargé d’armes et il en fut de même aux États-Unis où ils obtinrent armes, canons et ambulances. Son autobiographie, non datée, se termine par « cela me mène à 1937 ». Mais un paragraphe donne ensuite sur ses enfants des renseignements qui semblent aller au-delà de cette date puisqu’elle parle au passé de la guerre espagnole : Georges Mercader, l’aîné, fut « membre du parti » à Bordeaux où il eut diverses responsabilités ; Ramon Mercader, le futur assassin de Trotsky, membre des JC et du parti catalan a été secrétaire des Jeunesses et « commandait pendant la guerre » un bataillon à Madrid ; Pablo Mercader des Jeunesses et du Parti, fut tué au front à Madrid ; Montserrat Mercader (dite Montse), membre de l’UJFF et du PCF, était gérante du Journal des Jeunes filles de France mais « son mari n’a pas été courageux en Espagne et a certaines déviations », il est prisonnier (où ?) ; Luis Mercader, qui était pionnier en Espagne fut Komsomol et servit dans l’Armée rouge dans les communications. Ramon et Luis Mercader étaient venus à Moscou à la victoire de Franco.

« Les Mémoires de Soudoplatov (Missions spéciales) », un article paru en 1997 dans une publication du FSB (ex-KGB) et une interview de Luis Mercader parue en 1990 dans le journal soviétique Troud permettent de suivre le parcours de Caridad Mercader après 1937. Elle fut recrutée par Tom (alias Leonid Kotov, pseudo de Léonid Eitingon responsable avec Soudoplatov des « Services ») au début de 1937 et fut surnommée « La Mère ». Un groupe d’agents fut formé avec son fils Ramon qui, après une blessure au front, vint en France à la fin de l’année sous le nom de Jacques Mornard et commença, au début de 1938, à « travailler » dans les organisations trotskystes. Il apprit à connaître ce milieu et Caridad est signalée par Jacques Kergoat (dans son livre sur Marceau Pivert) comme une ardente pivertiste de la 15e section dominée par la Gauche révolutionnaire. On la voit sur une photographie prise pendant une sortie champêtre de la XVe section socialiste (Marceau Pivert, ‘socialiste de gauche’, p. 60). Ramon Mercader était lié, selon Pierre Broué, à Daniel Béranger (qu’il qualifie d’agent du NKVD ; militant communiste entré sur ordre dans le mouvement socialiste, il avait organisé la rencontre entre Vassili Tchemodanov et Fred Zeller en avril 1935, tentative de noyautage de la direction des Jeunesses socialistes) et il fit « fortuitement » la connaissance de Sylvia Ageloff le 1er juillet 1938. En mars 1939, Staline donna personnellement l’ordre à Soudoplatov d’exécuter Trotsky (opération Outka). Ce dernier chargea Eitingon de former Caridad (et Ramon) aux techniques de renseignement et d’opération. En août la décision fut prise de transférer Caridad Mercader qui était la maîtresse d’Eitingon, au Mexique. La déclaration de guerre retarda le départ et Béria, dans un télégramme du 8 septembre ordonna de suspendre « l’opération Canard » (Outka). Cependant, dès le début 1940, « La Mère » retourna au Mexique, Sylvia Ageloff y vint également de janvier à mars et de nouveau en juillet pour rencontrer Ramon-Mornard devenu Jackson. Le 23 mai avait eu lieu l’échec de la première tentative d’assassinat de Trotsky par le réseau du peintre Siqueiros et il revenait au second réseau, dirigé par Eitingon, de retour en juillet au Mexique après avoir gagné prudemment New York, muni d’une somme d’argent et de directives du « Centre » d’assurer l’opération.

Le 20 août 1940, Caridad « donna sa bénédiction à son fils, écrit Soudoplatov, et attendit, dans une rue proche de la maison de Trotsky, dans une voiture avec Eitingon, le retour de Ramon après le meurtre. L’alerte ayant été donnée, Ramon fut pris et ils s’enfuirent. Ils gagnèrent Cuba où Caridad avait des parents, s’y cachèrent six mois et menèrent avec un réseau d’agents new-yorkais, l’organisation de la défense de Ramón (non identifié par la police mexicaine). Puis ils partirent pour New York, traversèrent les États-Unis, s’embarquèrent pour la Chine en février 1941 et arrivèrent à Moscou en mai par le Transsibérien. Le président Kalinine remit l’ordre de Lénine à Caridad, Soudoplatov et Eitingon pour la réussite de l’assassinat de Trotsky, déclarant : « Le parti n’oubliera jamais ce que vous avez fait. Il vous apportera... toute l’aide et le soutien dont vous avez besoin. » Béria offrit une caisse de bouteilles de vin géorgien (datant de 1907 avec l’aigle tsariste sur l’étiquette !!). Christopher Andrew affirme qu’elle fut reçue par Staline. Eitingon s’éloigna d’elle.

Caridad Mercader vécut alors de 1941 à 1943 à Tachkent. Dimitrov, dans son Journal en date du 19 août 1942, note « Mercader (traductrice Blagoeva). A la demande de Soudoplatov, je l’ai enregistrée dans notre organisation du parti. Jusqu’à maintenant elle a continué à travailler pour le réseau du NKVD […] Soudoplotov la caractérise comme une personne totalement sûre et dévouée. Travaille dans la rédaction française d’Inoradio. J’ai donné des instruction pour régler sa situation envers le parti communiste espagnol et pour la considérer comme faisant parti de notre réserve. » (Journal, p. 684). Une note signée Zaitsev, vice-président du Comité de l’information radio du 25 septembre 1942 indique que « depuis avril 1942, la camarade Caridad Mercader travaille comme rédactrice à la rédaction française du Comité de la radio pansoviétique. Elle s’est montrée comme une camarade consciencieuse et disciplinée. Sa connaissance insuffisante de la langue russe et l’absence d’expérience journalistique ont créé à la camarade Mercader quelques difficultés dans son travail mais, par son travail consciencieux, elle les a surmontées ». Caridad Mercader fit après guerre de nombreuses tentatives pour faire libérer son fils se rendant au Mexique puis s’installant à Paris dès la fin de 1944 (avant la capitulation allemande). Elle projeta pour lui un mariage que refusa Staline désireux que fût maintenue l’ignorance de l’identité de l’assassin. Selon Ramon (témoignage de son frère Luis) un plan d’évasion fut compromis par le comportement « imprudent » et « incontrôlé » de sa mère, ce qu’il n’aurait jamais pu lui pardonner ayant dû passer encore quinze années en prison.

Lorsque Joseph Minc voulut retourner dans sa ville natale Brest-Litovsk, lors en URSS « il se trouva une personne de poids pour m’en dissuader : la mère de Georges, Caridad. Elle était revenue à Paris et nous étions devenus de très grands amis. Elle avait noué une relation très affectueuse avec notre fille. Quand je lui dévoilai mon idée, elle me dit : « Joseph, connaissant votre tempérament, ce n’est pas un pays pour vous ! » Un conseil qui avait de la valeur à mes yeux : celle qui me prodiguait avait elle-même vécu plusieurs années là-bas, en tant que représentante du PC espagnol. »

Caridad Mercader, domiciliée à Paris, revint plusieurs fois à Moscou en particulier après le retour, le 20 août 1960, de Ramon avec son épouse Raquelia en URSS. Celui-ci reçut la médaille d’or de héros de l’Union soviétique des mains de Chelepine alors président du KGB. Caridad et Ramón rendront encore visite à Emma Soudoplatov en 1961 alors que son mari était arrêté depuis 1953, ainsi qu’Eitingon, suite à la liquidation de Béria. Les rares visites en URSS entraînaient chez Caridad une véritable répulsion dit son fils Luis. Elle était littéralement effrayée par le mode de vie régnant, elle exigeait les conditions matérielles auxquelles elle était habituée en France. C’était, dit-il, « une femme avec un caractère difficile et un psychisme instable... elle était belle et plaisait aux hommes. À la fin de sa vie Ramon m’avoua qu’elle se droguait... il jugeait sévèrement sa mère, je dirais même avec rudesse ». Avant de mourir elle déclara : « J’ai quand même fait quelque chose pour détruire le capitalisme et regardez comment on construit le socialisme... je n’y comprends rien ». Elle mourut à Paris en 1975 à l’âge de quatre-vingt-deux ans sous le portrait de Staline. Son fils Ramon, retraité du KGB, avait quitté l’URSS pour Cuba où il fut un conseiller de Fidel Castro en mai 1974. Il y mourut le 10 octobre 1978. Son corps fut ramené à Moscou où, malgré le KGB qui voulait une discrétion totale, il fut enterré officiellement grâce aux interventions de Raquelia. Sa tombe au cimetière de Kountsevo porte le nom de Ramon Yvanovitch López.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article50096, notice MERCADER Caridad, née DEL RIO Y HERNANDEZ Caridad. Pseudonymes : Jeanne Florence [ou FLORENCE Jeanne] par René Lemarquis, Claude Pennetier, version mise en ligne le 5 mai 2009, dernière modification le 8 septembre 2023.

Par René Lemarquis, Claude Pennetier

Caridad Mercader en 1915
Caridad Mercader en 1915
Cliché communiqué par Gregorio Luri Medrano
Caridad Mercader, âgée
Caridad Mercader, âgée
Un fils de Caridad Mercader, Georges Mercader
Un fils de Caridad Mercader, Georges Mercader
Un fils de Caridad Mercader, Ramon Mercader, l'assassin de Trotsky
Un fils de Caridad Mercader, Ramon Mercader, l’assassin de Trotsky
À la fin de sa vie à Moscou.
(DR)
Pablo Mercader
Pablo Mercader
Mari de Caridad Mercader

SOURCES : RGASPI 495.220.363, autobiographie jusqu’en 1937, non datée [1938] (consulté par Claude Pennetier). — Note du comité de la radio pansoviétique : septembre 1942. — Pavel Anatoli Soudoplatov, Missions spéciales (Le Seuil, 1994). — Pierre Broué, L’assassinat de Trotsky, Complexe, 1980. — ; Pierre Broué, Trotsky, Fayard, 1988. — Lev Vorobiev, « Opération Canard », Nouveautés sur l’espionnage et le contre-espionnage, n° 19/100 de 1997. — Interview à Madrid de Luis Mercader par A. Polonoski, Troud, 14 et 15 août 1990. (Ces deux textes traduits dans Inprecor, n° 449-450). — Jacques Kergoat, Marceau Pivert, ‘socialiste de gauche’, Paris, Editions de l’Atelier, 1994. — Christopher Andrew, Vassili Mitrokhine, Le KGB contre l’Ouest : 1917-1991, Paris, Fayard, 2000. — Joseph Minc, L’extraordinaire histoire de ma vie ordinaire, Paris, 2001, 210 p. —Dimitrov, Journal, 2003, Belin, p. 760.

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