ESTANG Luc [BASTARD Lucien, dit]

Par André Caudron

Né le 12 novembre 1911 à Paris (XIVe arr.), mort le 25 juillet 1992 à Paris (XVe arr.) ; journaliste à La Croix (1934-1955), membre du comité des Éditions du Seuil depuis 1956 ; critique dramatique, poète, essayiste et romancier ; syndicaliste du SJF-CFTC.

D’ascendances bretonnes et gasconnes, Lucien Bastard, fils d’un horloger bijoutier, fréquenta deux collèges religieux : Notre-Dame de Grâce au Bizet (Belgique) et l’institution Saint-Bernard de Clairmarais (Pas-de-Calais). Il revint en 1929 à Paris où il mena une vie de bohème, alternant les périodes de chômage et de travail dans une compagnie d’assurances. De ces années difficiles, il garda la « haine des misères » mais son romantisme nihiliste se dissipa grâce à la rencontre d’un prêtre qui sut le ramener vers la foi de son enfance.

C’est surtout à La Croix, où il entra en 1934, qu’il s’affirma comme intellectuel catholique. Il y fit l’essentiel de sa carrière de journaliste, commencée notamment dans la critique de cinéma par ses chroniques signées « Fauteuil 22 ». Parallèlement, il se lança en poésie sous le pseudonyme de Luc Estang qu’il allait conserver jusqu’à la fin de sa vie, obtenant même plus tard, par décret du 10 octobre 1976, l’autorisation de s’appeler officiellement ainsi. Ses premiers vers furent publiés dès novembre 1938 dans le numéro 210 des Cahiers du Sud. Appartenant au groupe littéraire du Beau navire qui éditait depuis 1934 une revue du même nom, il écrivit de nombreux poèmes de forme classique mais d’expression très moderne, inspirés souvent par ses préoccupations métaphysiques et religieuses.

Devenu chef du service littéraire du quotidien catholique en 1940, il suivit son journal en zone libre, à Limoges, pendant l’Occupation, et prit part à la Résistance, ce qui lui valut d’être nommé membre du Comité départemental de Libération de la Haute-Vienne, au titre du Front national et en tant que chrétien. Il quitta cette assemblée, qui remplaçait le conseil général, en septembre 1944, lorsque La Croix reprit sa parution dans la capitale, et fut remplacé par Jacques Dumas-Primbault. De retour à Paris, Luc Estang, spécialisé désormais dans la critique dramatique, reprit la tête de son service jusqu’au jour où il fut appelé à siéger, en 1956, au comité des Éditions du Seuil. Personnalité influente du comité de lecture, il était considéré comme représentant la ligne chrétienne progressiste.

Il avait fait paraître son premier roman en 1947 et deux ans plus tard il entamait la parution d’une série de trois volumes, appelée Charges d’âmes, dont le premier, Les stigmates, souleva quelques remous en 1949, si bien que Luc Estang arrêta la diffusion de ce livre en juin 1950. Il lui fut reproché de dépeindre trop durement les vices d’un coin de banlieue parisienne. Il n’en avait pas moins pris une place enviable dans la lignée des grands romanciers chrétiens tels que Georges Bernanos, François Mauriac* et Julien Green, un ami qu’il amena à se faire éditer au Seuil. Dans une vingtaine de romans, Luc Estang avait présenté avec force « l’inquiétude spirituelle ». Membre du jury du prix Renaudot, il avait collaboré après 1955 au Figaro littéraire et à diverses revues, ainsi qu’à des émissions radiodiffusées.

Son nom était apparu le 23 décembre 1955, à la veille des élections législatives, au bas d’un manifeste publié par Le Monde, où plusieurs intellectuels catholiques rappelaient que l’enjeu du scrutin n’était pas, comme le laissaient supposer certains, le problème de la laïcité, mais celui de la politique à suivre en outre-mer. Les signataires insistaient sur la nécessité de dépasser la querelle scolaire pour retenir avant tout la question des nationalismes. Parmi eux figuraient Robert Barrat, Jean Baboulène, Paul-Henry Chombart de Lauwe, Jean Delumeau, Jean Lacroix*, Henri-Irénée Marrou*, François Mauriac*, René Rémond*, Pierre-Henri Simon* et Georges Suffert*.

Chevalier de la Légion d’honneur et des Arts et lettres, Luc Estang avait reçu le grand prix de la Société des gens de lettres (1950) puis le prix de l’Aide à la pensée française, le grand prix de littérature de l’Académie française (1962) et le prix Guillaume-Apollinaire pour l’ensemble de son œuvre (1968).

Marié le 18 février 1939 à Suzanne Bouchereau-Boisgontier, il avait adhéré au Syndicat des journalistes français (SJF-CFTC). Il y siégea au conseil syndical de 1946 à sa démission en 1951.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article50123, notice ESTANG Luc [BASTARD Lucien, dit] par André Caudron, version mise en ligne le 8 mai 2009, dernière modification le 8 mai 2009.

Par André Caudron

ŒUVRE : Poésie : Le mystère apprivoisé, Robert Laffont, 1943. — Les Béatitudes, Gallimard, 1945. — Le poème de la mer, GLM, 1950. — Les quatre éléments 1937-1955, Gallimard 1956. — D’une nuit noire et blanche, Gallimard, 1962. — Le jour de Caïn, Seuil, 1967. — Corps à cœur, Gallimard, 1982. — Mémorable planète, Gallimard, 1991, etc.
Essais : Invitation à la poésie, Robert Laffont, 1943. — Le passage du Seigneur, Robert Laffont, 1945. — Présence de Bernanos, Plon, 1947. — Ce que je crois, Grasset, 1956. — Saint-Exupéry par lui-même, Seuil, 1956. — Saint-Exupéry, Seuil, 1978. — Julien Green, avec Robert de Saint-Jean, Seuil, 1990.
Romans : Temps d’amour, Robert Laffont, 1947. — Charges d’âmes, Seuil, 1 : Les stigmates, 1949 ; 2 : Cherchant qui dévorer, 1951 ; 3 : Les fontaines du grand abîme, 1954. — L’interrogatoire, Seuil, 1957. — L’horloger du Cherche-Midi, Seuil, 1959. — Le bonheur et le salut, Seuil, 1961. — Que ces mots répondent, Seuil, 1964. — L’apostat, Seuil, 1968. — La fille à l’oursin, Seuil, 1971. — Il était un p’tit homme, deux volumes, Seuil, 1975. — La laisse du temps, Gallimard, 1977. — Les déicides, Seuil, 1980. — Les femmes de M. Legouvé, Seuil, 1983. — Le loup meurt en silence, Seuil, 1984. — Le démon de pitié, Seuil, 1987. — Celle qui venait du rêve, Seuil, 1989.

SOURCES : Catholicisme, IV, Letouzey et Ané, 1956 (Jean Morienval). — Who’s who in France, 1969-1970. — Le Monde, 29 juillet 1992. — Claire Toupin-Guyot, Les Intellectuels catholiques dans la société française : le Centre catholique des intellectuels français, 1941-1976, Presses universitaires de Rennes, 2002. — Notes d’Éric Belouet et de Nathalie Viet-Depaule.

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