FÉLICE (de) Jean-Jacques [FELICE (de) Jean-Jacques, dit]

Par Matthieu Méance

Né le 15 mai 1928 à Montmorency (Seine-et-Oise, Val-d’Oise), mort le 27 juillet 2008 à Paris ; avocat ; défenseur des droits des peuples colonisés ; vice-président de la Ligue des droits de l’Homme (1983-1996).

Jean-Jacques de Félice était issu d’une famille bourgeoise protestante. Son grand père, son arrière-grand-père et son arrière-arrière-grand-père étaient pasteurs. Son père, Pierre de Félice, fut député radical (1951-1958) et sénateur du Loiret (1946-1951 et 1965-1974) secrétaire d’État dans le gouvernement de Guy Mollet (1956-1957). Jean-Jacques de Félice avait le sentiment d’appartenir à une minorité qui, historiquement, avait été l’objet de persécutions. La culture de la résistance à l’oppression était une valeur forte de son éducation familiale. Il gardait d’ailleurs toujours à l’esprit le mot que Marie Dunant, enfermée pendant près de quarante ans en raison de sa religion, avait gravé sur le mur de sa cellule : « résister ». Son engagement philosophique et spirituel fut également nourri par les lectures que sa mère lui recommandait : Gandhi, Tolstoï…

Adolescent, il fut responsable de mouvement de scoutisme protestant comme les Éclaireurs unionistes de France. C’est à cette époque qu’il fut marqué pour la première fois par la misère sociale de certains de ses camarades. Dès ces premiers instants, elle lui parut insupportable.

Pendant l’exode de 1940, sa famille quitta la région parisienne pour rejoindre Limoges en vélo. Il fut témoin des exactions des troupes allemandes. Cependant, face à l’injustice du sort lors des bombardements et des inégalités du marché noir, il était conscient d’appartenir à une catégorie privilégiée. Les violences et la répression à l’encontre des juifs lui firent prendre conscience de la nécessité de résister. Il ne participa à aucun mouvement de résistance organisé, même si son père accueillait des prisonniers évadés.

Il était peu passionné par les études mais aimait lire. Il acheva ses études de droit et prêta serment en 1952. Mais il fut souvent déçu par la froideur et le conservatisme du droit. Beaucoup de magistrats qu’il rencontra tout au long de sa carrière « ont été et restent, […] me semble-t-il, du côté de l’ordre établi et contre toute contestation qui finalement crée le droit des périodes à venir ». Or pour lui, il fallait une « utopie nécessaire pour faire fixer dans le droit des aspirations mêmes lointaines ». Persuadé que la société avait une responsabilité dans la délinquance des mineurs, il se spécialisa dans ce domaine. Il affirmait que l’éducation et la prévention étaient de meilleurs outils que la répression. Durant ses premières années au barreau de Paris, il défendit donc les mineurs délinquants de l’Est parisien.

Jean-Jacques de Félice fut un défenseur des droits des peuples colonisés. Le personnalisme d’Emmanuel Mounier*, le refus de l’ordre établi, l’injustice coloniale et le mépris avec lequel étaient traités les peuples colonisés lui avaient déjà fait prendre conscience de la nécessité de décoloniser. Alors qu’il défendait des mineurs délinquants des bidonvilles de Nanterre (Seine, Hauts-de-Seine) à la fin des années 1950, certains de leurs parents firent appel à ses services afin de protester contre les violences et les rafles dont ils faisaient l’objet. Dans le contexte de la guerre d’Algérie, ceux-ci étaient arrêtés car accusés d’avoir cotisé à des organisations politiques indépendantistes. Il rendit de nombreuses visites en prison à ses clients algériens, à Fresnes notamment, avec lesquels il eut de longues discussions. Il devint par la suite un des avocats des responsables du FLN au sein du groupe de magistrats créé et dirigé par Jacques Vergès. Son objectif était moins de défendre une cause politique que de représenter des individus victimes d’injustice. C’est à ce moment qu’il rencontra l’avocat et militant du FLN Mourad Oussedik. Il devint son collaborateur et c’est en tant que tel qu’il fut l’un des avocats des négociateurs d’Evian comme Ahmed Ben Bella. Il entretint également de nombreux liens avec la Cimade, particulièrement appréciée de certains de ses clients algériens : « J’ai beaucoup travaillé avec la Cimade. Je voyais bien à cette époque-là que les partis, les syndicats étaient ressentis par mes clients algériens comme moins désintéressés que la Cimade ou d’autres personnes individuelles… Mes clients algériens dans la prison me disaient : avec la Cimade, on sait qu’on ne sera pas utilisé ».

En 1969, Jean-Jacques de Félice défendit Nidoïch Naisseline, fils du chef tribal kanak de Maré Henri Naisseline. Ce dernier était incarcéré pour avoir distribué en 1968 un tract en langue vernaculaire pour protester contre une interdiction faite aux Kanaks de fréquenter des lieux publics. Les juges coloniaux de Nouvelle Calédonie avaient interdit à J.-J. de Félice de se rendre à Nouméa et il avait fallu l’intervention du général de Gaulle qui était reconnaissant à Henri Naisseline, partisan de la France Libre et militant gaulliste, pour qu’il puisse y débarquer. Il y défendit de nombreux jeunes Kanaks poursuivis pour participation à des actions non violentes indépendantistes. Au-delà des individus, il était conscient que c’était aussi les intérêts de tout un peuple qu’il défendait. S’il était persuadé de la nécessité de décoloniser, il n’utilisa pas sa fonction pour défendre une cause politique. Dans son positionnement, le message était clair : il ne revendiquait pas l’indépendance des colonies mais défendait le droit de leurs leaders à la revendiquer. Il ne cessa de défendre les droits de ce peuple. Ainsi, en mai 1989, il participa à la manifestation de commémoration du massacre d’Ouvéa du 22 avril 1988 qui eut lieu près du métro Charonne à Paris. Sur la tribune, il prit la parole pour demander l’ouverture d’une enquête sur cet événement qui avait fait dix-neuf morts mais également le droit à l’autodétermination du peuple kanak. Il fut président pendant près de vingt ans de l’Association d’information et de soutien aux droits du peuple kanak. (AISDPK).

L’entrée de Jean-Jacques de Félice au sein de la Ligue des droits de l’Homme au début des années 1960 s’inscrivait dans la continuité de son combat pendant la guerre d’Algérie. Elle lui permettait de dénoncer les tortures, les sévices et le racisme dont il avait vu les signes. En outre, il considérait les droits de l’Homme comme un formidable outil de défense. En 1967, il s’était rendu en Bolivie pour défendre Régis Debray au nom de l’association. Au sein de celle-ci, il rencontra de nombreux militants très engagés comme Daniel Mayer*, Robert Verdier*, Pierre Vidal-Naquet* et Madeleine Rebérioux*. Il en fut le vice-président entre 1983 et 1996.

Durant les années 1960, il devint président du Comité français contre l’Apartheid. En 1968 il défendit de jeunes militants comme Daniel Cohn-Bendit, dont les aspirations et les revendications rejoignaient les siennes. En outre, c’était également pour lui un moyen d’affirmer que les événements de mai 1968 n’étaient pas « un accident de l’histoire ». Après 1968, il créa le Mouvement d’action judiciaire (MAJ) pour les droits des prisonniers. C’est au sein de cette association qu’il devint l’avocat de Klaus Croissant, un avocat allemand sympathisant de la Fraction armée rouge réfugié en France en 1977. Cet avocat n’avait jamais mis de limites entre la défense de ses clients et son idéologie politique. Comme un pied de nez, le défendre permettait à J.-J. de Félice de combattre ceux qui faisaient l’amalgame entre l’avocat et le cas qu’il défendait. C’est à cette occasion qu’il rencontra Jean-Paul Sartre* et Michel Foucault avec lequel il fonda le Groupe d’information sur les prisons (GIP) en 1971 visant à améliorer les conditions de vie des prisonniers. Il collabora également avec le GISTI (Groupe d’information et de soutien des émigrés), créé en 1972 et qui regroupait des travailleurs sociaux, des militants associatifs en contact régulier avec des populations étrangères et des juristes.

Jean-Jacques de Félice était très attaché à la non-violence qui lui semblait la seule voie éthiquement possible et politiquement utile. Il avait toujours « refus(é) d’apprendre à tuer » et, admirateur de Louis Lecoin, fut l’un des militants qui permit la reconnaissance officielle du statut d’objecteur de conscience. Il fut l’un des défenseurs les plus convaincants de tous ceux qui refusaient de porter les armes. C’est ainsi que des déserteurs réfugiés en France, qu’ils soient Français pendant la guerre d’Algérie, Américains pendant la guerre du Vietnam ou Portugais pendant la guerre de l’Angola, prirent contact avec lui pour lui demander son aide. À ses yeux, leur désertion traduisait une conviction politique individuelle de refus du recours à la violence contre des peuples colonisés. À partir de 1971, il fut l’un des avocats des paysans du Larzac engagés dans des actions non-violentes contre l’armée. Au-delà de la lutte contre l’extension du camp militaire et les délits d’initiés, cette action était également, pour Jean-Jacques de Félice, l’occasion d’un engagement plus large. Il voulait dénoncer la vente d’armes et le développement de la bombe atomique. Cet adepte de la non-violence fut peut-être le meilleur défenseur de ceux que la société désignait comme terroristes. Avec Irène Terrel, il fut avocat des anciens membres italiens des Brigades rouges réfugiés en France et en particulier de Marina Petrella. Menacés d’expulsion, Jean-Jacques de Félice affirmait qu’il était du devoir de la France de leur accorder sa protection. En effet, il considérait qu’ils avaient réussi ce qui lui paraissait primordial : sortir de la violence.

Il fut également engagé dans de nombreux combats pour les personnes en difficulté. Il participa, aux côtés de l’abbé Pierre (voir Henri Grouès*), aux occupations de la rue du Dragon et du quai de la Gare. Il fut l’un des créateurs de la notion de droit au logement. Dans les années 1990, il défendit les droits des sans-papiers face à la répression et l’oppression dont ils étaient victimes.

Avocat pénaliste, il défendit Lucien Léger, condamné en 1966 à la réclusion criminelle à perpétuité pour un meurtre d’enfant, dont il obtint la remise en liberté en 2005. La très longue détention de son client – quarante et un ans – fit dire à Jean-Jacques de Félice : « Il y a une durée de détention au-delà de laquelle la justice se mue en vengeance. »

Jean-Jacques de Félice fut donc un avocat engagé, une sentinelle qui luttait contre toute forme d’injustice et d’oppression. Lors d’une soirée hommage qui lui fut consacrée le 10 février 2009, de nombreuses personnalités saluèrent en lui un homme de parole dont la rigueur morale et l’éthique le rendaient intransigeant face à l’injustice. Ainsi, un collectif de réfugiés italiens en France annonça au matin de sa mort que « vivant, il ne nous aurait jamais quittés ».

Les archives de Jean-Jacques de Félice ont été versées à la BDIC qui organisa une journée d’études le 27 juin 2009.

Ecoutez Jean-Jacques de Félice, avocat du peuple kanak, documentaire de Bernard Baissat
2008, 80 minutes, film vidéo
http://bbernard.canalblog.com/archi...

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article50166, notice FÉLICE (de) Jean-Jacques [FELICE (de) Jean-Jacques, dit] par Matthieu Méance, version mise en ligne le 10 mai 2009, dernière modification le 15 octobre 2020.

Par Matthieu Méance

SOURCES : Pierre Martial, Denis Langlois, Jean-Jacques de Félice, Objection mode d’emploi, Éditions Avis de recherche, 1984. — Erica Fraters, Réfractaires à la guerre d’Algérie avec l’Action civique non-violente 1959-1963, préface de Jean-Jacques de Félice, Syllepse, 2005. — Christine Courrégé (dir.), Le Dossier noir de l’instruction : 30 avocats témoignent, Odile Jacob, 2006. — Henri Leclerc, La parole et l’action, Fayard, 2017. Écoutez Jean-Jacques de Félice, avocat du peuple kanak, documentaire de Bernard Baissat, 2008, 80 minutes, film vidéo.

IMAGE ET SON : À voix nue, émissions radio de France culture, 28 octobre-1er novembre 2002.

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