GARDEY Bernard, Édouard, Marie, Paul

Par Nathalie Viet-Depaule

Né le 21 juillet 1920 à Nuits-Saint-Georges (Côte-d’Or), mort le 10 janvier 2015 à Beaune (Côte-d’Or) ; dominicain, prêtre-ouvrier ; ouvrier spécialisé (1951-1953), chroniqueur-pigiste, cadre ; syndicaliste, militant associatif en faveur des mal-logés.

Issu d’une lignée de vignerons bourguignons, Bernard Gardey perdit très jeune son père qui, gazé pendant la Première Guerre mondiale, mourut de tuberculose en 1926. Reconnu comme pupille de la Nation (1929), il fut élevé par ses grands-parents maternels à Vosne-Romanée (Côte-d’Or). Sa famille, « de bons chrétiens, habituée à recevoir des ecclésiastiques », comptait un aïeul, tertiaire de Saint-François qui, en léguant une volumineuse biographie de saint François, lui fit entendre « l’appel à la pauvreté, l’appel à l’absolu ». Il apprit le français, le latin et le grec avec son curé, passa le baccalauréat et entra à l’université de Dijon (Côte-d’Or) où il obtint une licence d’histoire et géographie. La Seconde Guerre mondiale lui fit interrompre son diplôme d’études supérieures, et, après qu’il eut cherché vainement à s’engager, l’amena sous le choc de la défaite à entrer chez les Frères prêcheurs en 1941. Il intégra d’abord le couvent Saint-Jacques à Paris (noviciat), puis le Saulchoir, à Étiolles (Seine-et-Oise, Essonne), ce couvent d’études de la Province dominicaine de France, où il allait acquérir une solide formation intellectuelle. Il put, notamment, étudier le marxisme, choix qu’il fit après avoir créé avec quelques frères dominicains un centre d’observation et de triage à Nancy (Meurthe-et-Moselle) pour délinquants mineurs et y avoir exercé les fonctions de moniteur pour échapper au Service du travail obligatoire. Ce fut dans le prolongement de cette expérience qu’il sollicita l’autorisation de faire, pendant l’été 1946, un stage de manœuvre dans la métallurgie à Longwy (Meurthe-et-Moselle) et qu’il put l’accomplir grâce au concours de René Boudot.

Ayant terminé ses études en juillet 1950 (prêtre depuis 1948), Bernard Gardey, désireux de partager la condition ouvrière, fut d’abord chargé de faire un rapport sur les différentes équipes ouvrières dominicaines : Hellemmes (Nord), Paris (XIIIe arr.), Chaville (Hauts-de-Seine, Seine-et-Oise), Marseille (Bouches-du-Rhône), Longwy, Le Havre (Seine-Maritime, Seine-Inférieure), puis travailla quelques mois dans l’équipe d’Économie et Humanisme à Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône) et à l’Arbresle (Rhône). Assigné, au début de l’année 1951, à la Mission ouvrière dominicaine Saint-Paul, au 48 avenue d’Italie à Paris (XIIIe), dont Albert Bouche était responsable, il allait faire équipe, d’une part, avec Joseph Robert*, Henri Berger, Pierre Jacques et, d’autre part, Henri Desroche et Louis Lebret* qui avaient installé une antenne d’Économie et Humanisme dans une partie des locaux et qui lui demandèrent ses premiers articles pour l’une de leurs revues, Efficacité.

À partir de ce moment-là, Bernard Gardey devint prêtre-ouvrier. Ayant trouvé de l’embauche à la Précision mécanique à Paris (XIIIe arr.), il anima bientôt la communauté missionnaire de Chaville avec laquelle il avait été en contact par l’intermédiaire de Louis Charpentier, son compagnon d’étude au Saulchoir. La communauté, sous l’impulsion de Marguerite Charpentier (la sœur de Louis), était composée de quelques jeunes femmes laïques, anciennes éclaireuses, qui avaient été séduites par le livre du dominicain Jacques Loew*, En mission prolétarienne. Elles s’étaient installées, en janvier 1948, en plein quartier ouvrier à Chaville en ouvrant une librairie-papeterie appelée « Chez nous » qui se prolongeait par un petit appartement. Leur activité s’était beaucoup développée (piqûres gratuites à domicile, distribution de soupe aux personnes âgées, accueil d’enfants et de prostituées, colonies de vacances) et avait généré une nébuleuse de sympathisants qui souhaitaient une présence sacerdotale.

Avec l’accord de ses supérieurs et de l’évêque de Versailles, Mgr Roland-Gosselin, Bernard Gardey vint, en août 1951, habiter à proximité de « Chez nous ». Il avait quitté la Précision mécanique et trouvé du travail chez Renault. Il imbriqua dès lors sa vie de religieux, envoyé officiellement en mission ouvrière, et celle de l’ouvrier spécialisé, syndiqué à la CGT et délégué suppléant au comité d’entreprise pour les affaires du logement. Il allait d’ailleurs faire du logement social son cheval de bataille. Partageant lui-même les mêmes conditions de vie que les habitants qui résidaient autour de la librairie, il s’aperçut rapidement qu’il fallait œuvrer sur ce terrain.

Afin de s’opposer aux expulsions et de lutter contre l’insalubrité et la pénurie de logements, il constitua, avec les membres de la communauté, l’Association populaire du logement (APL) « ouverte aux mal-logés et à tous ceux qui montrent efficacement vouloir améliorer la situation quelle que soit leur opinion politique, philosophique ou religieuse. » L’association obtint une participation financière de la Régie Renault et put créer en 1953 une société coopérative d’HLM pour réaliser des logements destinés à des ouvriers. Tout futur locataire s’engageait à participer manuellement aux travaux des chantiers, et dans la mesure du possible, faisait partie du conseil d’administration de l’association. Bernard Gardey dut alors quitter Renault pour devenir un permanent bénévole au service des mal-logés. Il sut si bien attirer l’attention des pouvoirs publics, obtenir un permis de construire, demander des crédits pour faire surgir une cité ouvrière que, en 1955, trente logements étaient achevés.

Il vécut douloureusement la crise des prêtres-ouvriers qui éclata en 1953. Ses activités au sein de l’APL et l’encadrement spirituel de la communauté missionnaire ne l’avaient pas empêché d’être présent et attentif aux réunions de la mission ouvrière dominicaine et aux rencontres nationales des prêtres-ouvriers. À l’heure de l’ultimatum, il signa le « manifeste des 73 » en février 1954 pour protester contre les mesures prises par l’épiscopat et adopta une solution qu’il qualifia lui-même de « boiteuse ». Il profita de sa situation de non salarié pour « rester fidèle » à la classe ouvrière en poursuivant son travail à l’APL et accepta de rentrer le soir au couvent, ne voulant pas compromettre son Ordre. Très éprouvé par les décisions romaines, il riposta en écrivant un essai critique, Le scandale du XXe siècle et le drame des prêtres-ouvriers, sous le pseudonyme d’André Collonge, dont Émile Poulat allait souligner l’importance avant qu’il écrivît Naissance des prêtres-ouvriers.

Bernard Gardey prolongea son insertion à Chaville et, malgré les contrôles tatillons (comme l’interdiction du port du costume civil) auxquels il devait faire face de la part de son Provincial, le père Ducattillon, et du nouvel évêque de Versailles, Mgr Renard, il sut maintenir le souffle missionnaire de la communauté et mener à bien la construction de 150 nouveaux logements. Il décida néanmoins de quitter Chaville. Les déboires financiers comme les menaces qui pesaient sur la neutralité politique de la coopérative et, surtout, l’éclatement progressif de la communauté l’avaient convaincu qu’il était temps d’envisager d’autres activités professionnelles.

Il fut assigné officiellement à la Maison Saint-Dominique (Éditions du Cerf) le 19 mars 1959, ayant été pressenti pour faire partie du comité de rédaction de Signes du Temps, la nouvelle revue mensuelle qui allait remplacer La Vie intellectuelle. Sa vie s’organisa en fonction de ses articles résolument inscrits dans l’évolution sociale et politique de la société française, souvent signés sous divers pseudonymes et destinés à Signes du Temps comme à d’autres revues (Masses ouvrières, Témoignage chrétien, La Vie spirituelle, Parole et mission, Frères du monde, etc.). Il se lia avec le philosophe Gilbert Mury*, membre du Parti communiste, et eut souvent l’occasion de débattre publiquement avec lui. Leur amitié l’incita à participer à la Semaine de la pensée marxiste en 1965 et à réfléchir sur le dialogue possible entre chrétiens et communistes.

Souhaitant être affilié à la Sécurité sociale, il demanda, en 1964, à devenir salarié à mi-temps. Il eut alors à s’occuper de l’entretien des bâtiments et de la gestion des stocks des éditions du Cerf. Il se syndiqua à la CFDT et sut persuader le directeur de créer un comité d’entreprise (ils étaient en 1966 17 religieux et 90 employés). Il n’avait pas, par ailleurs, rompu avec toute idée de mission : il avait continué à suivre les réalisations qu’il avait impulsées à Chaville et avait tenu à préfacer la réédition, en 1962, de La France pays de mission ? des abbés jocistes Henri Godin* et Yvan Daniel aux Éditions 10/18.

Après le concile Vatican II, Bernard Gardey ne choisit pas de retourner à l’usine. Comme il l’écrivit dans son deuxième livre, Pour quoi je vis, il était à un tournant de sa vie. Après avoir tenté vainement de faire valoir à Rome, en mai 1968, auprès du cardinal Seper, préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, l’idée que les prêtres désirant se marier pourraient conserver les attributions du diaconat, il quitta l’Ordre des Frères prêcheurs en novembre 1968. Il se maria en 1969 avec Christiane Levassort, physiologiste à l’Institut de pharmacologie de la Faculté de médecine de Paris, qui avait participé à la vie de la communauté missionnaire de Chaville. Il travailla alors pour le compte d’une société d’HLM, une filiale de la SNCF, La Sablière, dont il dirigea le service social. Il eut à créer, à mettre en œuvre et à gérer l’animation des cités au moyen d’équipements sociaux.

Lorsqu’il fut retraité (1985), Bernard Gardey partagea son temps entre Paris et sa Bourgogne natale et écrivit son troisième livre, La foi hors les murs. Le grappillage de la Saint-Martin, qui témoigne de sa curiosité du monde, de sa volonté d’analyser la société comme celle de transmettre ses convictions, notamment religieuses, dont il ne se départit jamais.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article50300, notice GARDEY Bernard, Édouard, Marie, Paul par Nathalie Viet-Depaule, version mise en ligne le 22 mai 2009, dernière modification le 10 mai 2015.

Par Nathalie Viet-Depaule

ŒUVRE : Sous le pseudonyme d’André Collonge, Le Scandale du XXe siècle et le drame des prêtres-ouvriers, Olivier Perrin, 1957. — Pour quoi je vis, Cerf, 1968. — La foi hors les murs. Le grappillage de la Saint-Martin, Karthala, 2001. — Plus de 100 articles dans Signes du Temps, plus de 50 dans Économie et Humanisme, Efficacité, La Vie intellectuelle, Masses ouvrières, Fêtes et saisons, La Vie spirituelle, Parole et mission, Témoignage chrétien, Frères du monde, etc.

SOURCES : Arch. dominicaines de la Province de France, section III série J 30 et série O 39. — Fonds personnel Bernard Gardey. — Arch. nationales du monde du travail, Roubaix, dossier 1993002/0003. — François Leprieur, Quand Rome condamne. Dominicains et prêtres-ouvriers, Plon/Cerf, 1989. — Émile Poulat, Les prêtres-ouvriers. Naissance et fin, Le Cerf, 1999. — Charles Suaud, Nathalie Viet-Depaule, Prêtres et ouvriers. Une double fidélité mise à l’épreuve 1944-1969, Karthala, 2004. — Nombreux entretiens avec Bernard Gardey (1999-2009).

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