FAVREAU Michel, Auguste, Jean

Par Nathalie Viet-Depaule

Né le 15 novembre 1922 à Montaigu (Vendée), mort le 7 avril 1951 à Bordeaux (Gironde) ; prêtre du diocèse de Luçon (1945), prêtre-ouvrier à Bordeaux (1950-1951) ; docker ; militant du Mouvement de la paix.

Issu d’une famille profondément chrétienne – « l’un de ses ancêtres mourut en 1793 pour son Dieu et son Roi dans un chemin creux de Vendée » –, Michel Favreau grandit à Montaigu où son père, ancien officier décoré de la Légion d’honneur sur le champ de bataille pendant la Première Guerre mondiale, avait, place de l’église, une petite entreprise artisanale de cierges. Après l’école primaire, il entra au collège Richelieu de La Roche-sur-Yon (Vendée) puis, deux ans plus tard, au petit séminaire de Chavagnes (Vendée) qu’il quitta en ayant obtenu le baccalauréat avec la mention très bien. Il intégra, en septembre 1940, le grand séminaire de Luçon (Vendée). Dès janvier 1941, une partie de celui-ci fut occupée par l’armée allemande. Michel Favreau fut requis l’été suivant, avec d’autres jeunes hommes, séminaristes ou non, pour reconstruire la digue de Bouin. Cette expérience, qui le mit au contact d’individus de toutes conditions et de toutes croyances, allait le marquer profondément. Au séminaire, durant cinq ans, il anima des cercles d’études et s’intéressa tout particulièrement – bien qu’il fût « en terre de chrétienté » – au problème de la déchristianisation, intérêt que la lecture de France pays de mission ? des abbés jocistes Godin* et Yvan Daniel ne fit que renforcer. Lorsque le Service du travail obligatoire (STO) fut institué, il organisa un service d’entraide pour ses condisciples requis à défaut de pouvoir lui-même partir en Allemagne comme il l’aurait souhaité (une visite médicale l’avait jugé inapte).

Ordonné en juin 1945, Michel Favreau fut nommé vicaire aux Herbiers, mais ne trouva pas dans ce ministère dévolu aux œuvres de la paroisse (JOC, animation de loisirs populaires) ce qu’il recherchait. Il savait qu’il pouvait exercer autrement son sacerdoce. Il connaissait l’existence de la Mission de France et de la Mission de Paris, mais surtout il avait été lié à l’abbé René Giraudet, son aîné dans le diocèse, qui faisait figure de prêtre novateur et avait eu le sentiment de réaliser son rêve missionnaire en partant comme aumônier clandestin en Allemagne où il était mort des suites de son internement au camp de Bergen-Belsen. Michel Favreau demanda à son évêque, Mgr Cazaux, d’être envoyé en Indochine comme aumônier militaire pour pallier le manque de prêtres auprès des soldats. Il reçut la réponse le 2 mars 1949 : « À mon avis mieux vaudrait Bordeaux que Saïgon […] j’ai pensé spontanément à vous lorsque Mgr Feltin nous a parlé en assemblée provinciale des besoins des milieux ouvriers dans les paroisses populeuses des bords de la Gironde en particulier. Là vous trouveriez à réaliser plus vraiment ce qui m’a paru être votre vocation de toujours. »

Nommé vicaire dans la paroisse ouvrière Saint-Joseph à Bordeaux, Michel Favreau passa sa première année à nouer des contacts avec les habitants, notamment les sans-travail, les clochards, les chiffonniers, et à vivre à la limite du dénuement. Il occupa une partie de son temps aux travaux d’une chapelle de secours qui était en construction, au Bacalan, un quartier où était située une grande usine à gaz. Son arrivée coïncidait avec le démarrage de la mission ouvrière qui s’étendait sur le territoire des paroisses de Saint-Rémi et de Saint-Joseph et dont la responsabilité était confiée à Étienne Damoran. Mgr Richaud, le nouvel archevêque de Bordeaux, avait repris le projet de mission initiée par son prédécesseur, Mgr Feltin, et accepté que trois prêtres (Étienne Damoran, Émile Bondu et Michel Favreau) fussent affectés à l’évangélisation de la classe ouvrière.

Tous les trois pensèrent que le meilleur moyen d’exercer leur mission était de devenir prêtres-ouvriers. Michel Favreau choisit de se faire embaucher comme docker occasionnel sur le port, rejoignant ainsi une main-d’œuvre d’appoint mal payée et sans garantie de travail quotidien. Confronté au chômage, il accepta, un temps, de devenir matelot à bord d’une péniche, mais la solitude l’incita à partager à nouveau le sort des dockers. Ce fut l’insécurité de ce métier qui l’amena à s’intéresser à la vie syndicale, à soutenir des mots d’ordre de grève et à suivre les débats à la Bourse du Travail concernant la défense des droits des dockers occasionnels. Ne pouvant pas se syndiquer car le syndicat représentait seulement les dockers professionnels, il n’hésita pas à signer l’appel de Stockholm en même temps qu’Émile Bondu. Cela lui valut, le lendemain, de faire la « une » du journal local communiste Les Nouvelles qui titra : « Deux prêtres signent avec nous. » Il s’interrogeait sur les conditions à réunir pour promouvoir l’unité entre les différentes catégories de dockers lorsque, le 7 avril 1951, travaillant au chargement de fonds de wagons sur le Mary-Stone, il fut frappé par une palanquée de madriers. Sa mort entraîna immédiatement, en signe de deuil, le débrayage des ouvriers du port pendant deux heures.

Cette disparition tragique fit grand bruit dans Bordeaux. Connu comme prêtre et accepté par les dockers, Michel Favreau eut des obsèques où se côtoyèrent l’archevêque et le syndicat. Le temps lui avait manqué pour devenir docker professionnel et sans doute aussi pour être une figure du mouvement ouvrier bordelais d’une stature propre à obliger l’archevêque à reconnaître les conditions de travail particulièrement difficiles des dockers. Mgr Richaud, malgré la sollicitation insistante des prêtres-ouvriers et des progressistes bordelais, refusa de dénoncer la responsabilité de l’entreprise pour laquelle Michel Favreau travaillait le jour de l’accident. Il n’en devint pas moins une figure emblématique des prêtres-ouvriers, qui fit l’objet d’une médiatisation, surtout à partir de l’automne 1953, lorsqu’ils furent touchés par des sanctions romaines. François Mauriac*, dans Le Figaro du 6 octobre 1953, s’était d’ailleurs appuyé sur le « don » de cette vie pour justifier le maintien de leur mission.

En 2009, plusieurs rues portent le nom de Michel Favreau, à Montaigu, aux Herbiers, à Bordeaux et Pessac, dans la cité de castors où il avait participé à la construction des maisons sous l’impulsion d’Étienne Damoran ; une plaque commémorative apposée après sa mort dans l’église Saint-Joseph (aujourd’hui démolie) a été transférée dans celle de Saint-Rémi qui vient d’orner son chœur du dessin que Michel Favreau avait accroché au mur de sa chambre, représentant un bateau avec un mât en forme de croix.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article50331, notice FAVREAU Michel, Auguste, Jean par Nathalie Viet-Depaule, version mise en ligne le 25 mai 2009, dernière modification le 22 juin 2009.

Par Nathalie Viet-Depaule

SOURCES : AHAP, fonds Feltin IDXV 33-1. — Michel Favreau, Mission ouvrière de Bordeaux, 1951. — La Semaine religieuse de Bordeaux, 1951. — Guy Truchemotte, Michel Favreau, prêtre-ouvrier, docker sur le port de Bordeaux, Bordeaux, Éditions du Chevron d’or, s.d. — Pierre Andreu, Histoire des prêtres-ouvriers, Nouvelles éditions latines, 1960, p. 231-244. — « Michel Favreau, prêtre-ouvrier docker au port de Bordeaux, mort écrasé sous une “palanquée” le 7 avril 1951 », 7 avril 2001, plaquette, Les Herbiers, 2001. — Charles Suaud, Nathalie Viet-Depaule, Prêtres et ouvriers. Une double fidélité mise à l’épreuve 1994-1969, Karthala, 2004. — François Mauriac, La paix des cimes. Chroniques 1948-1955, Éditions Bartillat, 2009. — Entretien avec Émile Bondu, réalisé le 6 avril 1992 par Robert Dumont. — État civil de Montaigu.

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