FRAISSE Lucien

Par Bernard Comte

Né le 8 novembre 1912 à Caluire (Rhône), mort le 4 août 2001 à Francheville (Rhône) ; prêtre jésuite, instructeur spirituel et éducateur, résistant.

Fils d’un employé des contributions, Lucien Fraisse passa par la khâgne et la licence d’anglais avant d’entrer en 1932 dans la Compagnie de Jésus. Officier instructeur à Saumur en 1939-1940, il combattit en juin dans la défense de la Loire. Adjoint en 1940-1941 du père Chaine à la Conférence Ampère, foyer lyonnais de lycéens, il marqua de sa forte personnalité les aînés et les anciens. Étudiant en théologie à Lyon-Fourvière en 1941-1944, il s’intégra au groupe Fontoynont de théologiens novateurs, dont les pères Chaillet, de Lubac, Pierre Ganne qui lançaient les Cahiers du Témoignage chrétien clandestins ; il se lia aussi à Emmanuel Mounier*, qui publiait à Lyon Esprit, à Jean Lacroix* et Joseph Hours. En contact avec de nombreux résistants, il fut un informateur et intermédiaire apprécié. Il collabora à l’École des cadres d’Uriage et aux Cahiers de notre jeunesse de l’ACJF. Étant un des conseillers des étudiants catholiques, il soutint au printemps 1943 le refus de la réquisition du STO. Ordonné prêtre en 1943, il visita le maquis de Malleval dans le Vercors à Noël et fit la tournée des camps à Pâques 1944. À la mobilisation des FFI en juin, il s’engagea comme aumônier mais le commandement le réclama comme officier combattant, ce que la Compagnie n’autorisait pas ; il accepta cependant en se contentant d’informer son supérieur. Il conduisit les opérations des FFI de la Drôme comme adjoint au chef départemental, puis combattit en Maurienne avec les chasseurs alpins. Il acheva ensuite ses études à Fourvière, enseigna la philosophie à Dôle (Jura) et passa l’année 1948-1949 aux États-Unis où il sympathisa avec le père John LaFarge, champion de la justice interraciale, et avec Dorothy Day, animatrice du journal ouvrier The Catholic Worker.

Nommé en 1949 à la Maison des étudiants catholiques de Lyon, aumônier des khâgneux et des étudiants en droit et en pharmacie, il attira les sympathies par son contact direct et la vigueur de son enseignement. Il opposait aux conformismes, au moralisme et à la piété individualiste, le prophétisme biblique et le service de la justice ; il guidait les jeunes vers leur équilibre affectif et psychologique autant que vers une foi d’adultes libres et responsables, actifs dans la cité. Il accompagnait aussi des groupes de professeurs, médecins, avocats, journalistes ou syndicalistes, auxquels il présentait la tradition catholique en référence à la culture et aux courants de pensée actuels (existentialisme, marxisme, puis structuralisme) et aux tâches de la vie associative, syndicale et politique. Il était proche en cela des pères Ganne et Varillon et du père Dabosville, aumônier des catholiques membres de l’école publique, de Jean Lacroix* et Hubert Beuve-Méry*, et de Mounier auprès duquel vivait son frère Paul Fraisse* à Châtenay-Malabry. Il soutenait des prêtres-ouvriers et des communautés missionnaires de laïcs.

Son succès inquiétait dans les familles bourgeoises et dans le clergé, ses amitiés « progressistes » et ses critiques de « l’Algérie française » furent dénoncées. Ses critiques de l’attitude des autorités catholiques dans les crises de l’après-guerre, sa réserve devant la doctrine du « mandat » de l’épiscopat sur l’Action catholique, son caractère intransigeant et ses formules abruptes firent juger son action dissolvante du sens de l’autorité et politisée. La sanction tomba en 1957 : il était relégué à Nice, avec interdiction de s’occuper de jeunes et d’étudiants. Indigné par l’arbitraire de la procédure, il fut durement atteint par le désaveu de son action de serviteur du message évangélique dans sa force critique. Autorisé à revenir à Lyon en 1961, il ne retrouva pas de ministère auprès des étudiants, mais il reprit, pour près de trente ans, l’accompagnement de groupes d’adultes, enseignant à la suite de son ami Ganne la pauvreté et l’humilité de Dieu. Sans avoir rempli de fonctions en vue ni publié de livres, il exerça une profonde influence dans le monde catholique et au-delà.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article50340, notice FRAISSE Lucien par Bernard Comte, version mise en ligne le 26 mai 2009, dernière modification le 26 mai 2009.

Par Bernard Comte

SOURCES : Bernard Comte, L’honneur et la conscience. Catholiques français en résistance, Éditions de l’Atelier, 1998 ; « Jésuites lyonnais résistants », dans Étienne Fouilloux et Bernard Hours, Les Jésuites à Lyon XVIe-XXe siècle, ENS Éditions, 2005 ; « Les jésuites », dans L’intelligence d’une ville. Vie culturelle à Lyon 1945-1975, Éd. Bibliothèque municipale de Lyon, 2006.

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