FRAIGNIER Marie, Joséphine, Henriette

Par Rémy Gaudillier

Née le 26 septembre 1908 à Nozeroy (Jura), morte le 26 novembre 1998 à Mignovillard (Jura) ; employée ; secrétaire régionale (1945) puis nationale du MPF (1947-1940), militante du MLP et de la CFTC-CFDT.

Fille de Léon, Élie Fraignier, alors secrétaire de mairie, et de Marie, Joséphine, Philomène Royet, Marie Fraignier était l’aînée de quatre enfants. Son père, rentré malade de la guerre de 1914, était issu d’une famille paysanne et sa mère d’une famille de restaurateurs ; tous deux tinrent un café-restaurant à Nozeroy, partirent ensuite diriger le magasin des Docks lyonnais à Saint-Amour (Jura), puis s’installèrent à Saint-Claude (Jura) au début des années 1920, la mère gérant l’épicerie et le père travaillant en usine.

Les Fraignier, profondément croyants – les deux fils allaient devenir prêtres – découvrirent avec étonnement le milieu sanclaudien où seules quelques familles étaient pratiquantes. Marie Fraignier confia que jusqu’en 1925 elle n’osait pas dire qu’elle allait à la messe le dimanche. Ce fut la découverte aussi du socialisme local et de ses mutuelles, alors que la bourgeoisie catholique avait beaucoup de mal à accepter la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) et ses objectifs. Pourtant, cette bourgeoisie restait marquée par le souvenir du Sillon, revigoré en 1926 par l’arrivée de l’abbé Gaillard, curé du Sacré-Cœur.

La vie était difficile pour les Fraignier. Le père mourut en 1926 et la mère, malade, dut quitter l’épicerie en 1928. Marie Fraignier, embauchée au magasin d’emballage d’une usine de pipes, fut frappée d’une double pleurésie qui l’empêcha de travailler pendant deux ans. Elle devint ensuite employée de banque avant d’entrer au bureau de l’usine Émile Dalloz (cinq cents ouvriers), spécialisée dans la taille de pierres en cristal. Avec la crise, les licenciements et la baisse des salaires, elle ne touchait plus que 350 F par mois en 1936 au lieu de 750 en 1929.

En avril 1936, elle réussit l’examen d’entrée comme auxiliaire à la recette des finances. Elle fit alors partie du groupe de JOCF, constitué d’abord de jeunes ouvrières. Ses premiers congés payés lui permirent de participer à la semaine d’études organisée par le mouvement à Thonon-les-Bains (Haute-Savoie) en juillet 1936 ; avec sa section, affiliée avant le congrès, elle participa à la préparation de cette semaine et à des récollections : l’une au moins fut animée par l’abbé Henri Godin*. La JOC devint ainsi sa véritable école de formation, dont le rassemblement du Parc des Princes fut, en 1937, le couronnement.

Atteinte par la limite d’âge, Marie Fraignier quitta la JOC en 1938 et rallia la Ligue ouvrière chrétienne (LOC) puis, en 1942, la section sanclaudienne du Mouvement populaire des familles (MPF) en formation. Durant la guerre, elle facilita les relations entre les sections jurassiennes et le MPF lyonnais. Ainsi, la section de Lons-le-Saunier accueillit en avril 1943 un sixième groupe d’enfants lyonnais convoyés par le MPF et placés dans des familles par la Ligue féminine d’action catholique.

En septembre 1945, Marie Fraignier quitta Saint-Claude pour un poste de permanente au centre Rhône-Alpes du MPF à Lyon (Rhône) – où elle fut secrétaire régionale en même temps que Georges Tamburini* –, puis au secrétariat national à Paris. Elle s’intéressait alors particulièrement au grave problème du logement. L’action squatters, qui touchait vingt-cinq villes, a « réveillé les pouvoirs publics », déclara-t-elle en juillet 1947 au congrès national du MPF. Ce ne fut qu’à partir de 1948, pourtant, que Ferrucio Moro* et le MPF lédonien organisèrent cinq opérations de ce type.

En 1948, dans son rapport moral pour le congrès du MPF à Issy-les-Moulineaux, Marie Fraignier insista sur la liaison fondamentale entre discours et actes : « Que serait, écrivait-elle, un mouvement de libération ouvrière qui ne s’incarnerait pas dans ses activités ? Un tel mouvement exige un réel engagement citoyen, il faudrait aux équipes de militants à tous les échelons, l’occasion de se réunir, de réfléchir sur la vie ouvrière en vue d’agir efficacement et non seulement en vue de l’entraide ; en vue de peser sur la vie ouvrière et pas seulement de réaliser une action sociale à caractère paternaliste. Quelle place doivent tenir les femmes au MPF ? Les mamans ne doivent plus être d’éternelles quémandeuses, des êtres inférieurs qui ne savent pas se débrouiller, mais doivent bâtir une nouvelle profession, un service social véritable géré par les usagers et les professionnels. » Comment ne pas voir dans ces lignes, écrites en septembre 1948, l’amorce de la revendication originale formulée par les associations familiales liées au Mouvement de libération du peuple (MLP) lors de la fête des mères de 1955 : « Le vote et l’éligibilité des mères de familles non salariées, en lieu et place des représentants patronaux aux conseils d’administration des organismes de protection sociale » ?

Son frère Louis l’a décrite comme « entièrement dévouée alors au mouvement » pour lequel, par souci de disponibilité, elle avait fait le choix du célibat. Elle estimait que le passage au MLP était prématuré et que le MPF devait rester un mouvement familial. Elle était en désaccord sur ce point avec son beau-frère, Ferrucio Moro, permanent jurassien du mouvement.

Son mandat de permanente terminé, elle revint dans le Jura. Elle travailla comme serveuse à l’hôtel Dalloz de Lamoura, où son frère Joseph était curé, puis réintégra, après une mise à niveau, sa profession à l’usine Delolme de Saint-Claude qu’elle quitta autour de 1966 pour s’installer à Lons-le-Saunier. Elle fut employée au garage Lamy puis chez un expert comptable où elle défendit un collègue licencié pour son militantisme, et enfin chez Billet, épicerie en gros. Elle connut le chômage avant sa retraite en 1973.

Durant toute cette période, elle resta une militante. En 1959, elle était trésorière de la section de l’Union des forces démocratiques (UFD) de Saint-Claude ; à Lons, en 1971, elle figurait en huitième position sur la liste d’Union d’action socialiste, menée pour les élections municipales par Roland Belperron. Elle consacrait alors l’essentiel de son activité à la CFTC-CFDT dont elle devint vice-présidente départementale (1961-1965). Une fois retraitée, elle s’engagea au club des locataires de la Marjorie de Lons et participa aux activités du club du troisième âge qu’elle avait contribué à fonder.

Par conviction, Marie Fraignier avait refusé la Légion d’honneur au début des années 1980 et était restée résolument chrétienne, comme le prouve son engagement à l’ACO de 1973 à sa mort. Elle faisait alors partie des « laïques consacrées », femmes célibataires engagées dans un institut au service de l’Église catholique.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article50341, notice FRAIGNIER Marie, Joséphine, Henriette par Rémy Gaudillier, version mise en ligne le 26 mai 2009, dernière modification le 1er juillet 2009.

Par Rémy Gaudillier

SOURCES : Arch. Dép. Jura, 1203 W 49. — Arch. de la CFDT, déposées aux Archives départementales, série J. — La Croix du Jura, 3 avril 1943. — Joseph Debès, Naissance de l’Action catholique ouvrière, Les Éditions Ouvrières, 1982. — Cahiers du GRMF, 7, 9-12, 14, 1992-2006. — Témoignage écrit de Marie Fraignier à l’occasion du 50e anniversaire de la JOC. — Entretiens avec Marie Fraignier, mai 1990, Louis Fraignier, 7 décembre 2000. — Notes d’André Caudron.

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