RIVET Paul, Adolphe

Par Nicole Racine

Né le 7 mai 1876 à Wasigny (Ardennes), mort le 21 mars 1958 à Paris (XVIe arr.) ; médecin militaire, ethnologue, professeur au Muséum d’Histoire naturelle, directeur du Musée de l’Homme ; président du Comité de vigilance des intellectuels antifascistes (1934-1939), député socialiste SFIO (1945-1951), membre du CC de la Ligue des droits de l’Homme (1938-1958).

La victoire de Paul Rivet, professeur au Muséum d’Histoire naturelle, directeur du Musée de l’Homme, comme candidat unique de la gauche, au second tour des élections municipales, le 12 mai 1935, dans le Ve arrondissement de Paris, symbolisa les chances de succès et les espérances du Front populaire d’autant plus que P. Rivet, avant de devenir le « premier élu » du Front populaire, en incarnait l’esprit d’union et d’action antifasciste : depuis mars 1934, il présidait le Comité de vigilance des intellectuels antifascistes entouré d’Alain (voir Alain [Chartier Émile, Auguste dit]) et de Paul Langevin. Si la vie publique de Paul Rivet commença donc en 1934-1935 sous le signe de l’urgence de la mobilisation antifasciste, ses convictions intimes en faisaient depuis longtemps un adhérent du Parti socialiste. Il fut attiré par le socialisme dès les débuts du siècle, alors qu’il était encore médecin. Ce fut après avoir rencontré Jean Jaurès à un dîner chez Lucien Lévy-Bruhl dans les années précédant la guerre de 1914 qu’il prit la résolution de s’inscrire au Parti socialiste, résolution qu’il dut remettre à la fin des hostilités (« Souvenirs », Revue philosophique, oct.-déc. 1957).

D’une famille de six enfants, fils d’un percepteur des contributions directes, Paul Rivet avait dû envisager des études courtes ; après être entré à l’École du service de santé militaire de Lyon et avoir soutenu sa thèse en 1897, il avait été nommé en 1898 médecin au 1er régiment de Cuirassiers. En 1901, il saisit l’occasion de partir comme médecin de la mission géodésique française envoyée en Équateur pour mesurer un arc de méridien. Ce séjour dans les Andes fut décisif pour sa vocation scientifique ; il y resta cinq ans, recueillant une abondante documentation sur l’anthropologie, l’ethnographie et la linguistique des populations de l’Équateur, alors peu étudiées. Rentré en France en 1906, le docteur Rivet se fit détacher au Muséum d’Histoire naturelle pour y classer et étudier les collections qu’il avait rapportées. Il fut nommé en 1909 assistant (sous-directeur) du Muséum. Il quitta l’armée et commença à publier les travaux qui allaient faire de lui un spécialiste des Amérindiens et des langues amérindiennes, un maître d’une science nouvelle utilisant les ressources de la linguistique, de l’anthropologie et de l’ethnologie. La Première Guerre mondiale interrompit ses travaux. Mobilisé le 2 août 1914, il fut affecté comme médecin-chef à l’ambulance chirurgicale n° 4 du 3e corps d’armée ; il préconisa l’intervention chirurgicale le plus près possible des combats (alors que la pratique était l’évacuation des blessés à l’arrière). Il participa aux batailles de la Marne, d’Artois, de Verdun et de la Somme, restant au front jusqu’en 1916, date à laquelle il fut affecté à la mission française auprès des troupes serbes à Salonique. Nommé à la tête d’un hôpital de campagne, il y resta deux ans s’intéressant à la lutte contre les épidémies, notamment le paludisme. En mars 1918, il fut promu chef du service d’hygiène et de prophylaxie des Armées alliées en Serbie. Cité à l’ordre de l’Armée d’Orient, il reçut la croix d’officier de la Légion d’honneur ; il revint en France le 25 mars 1919.

Paul Rivet reprit ses travaux scientifiques, publiant de nombreux articles sur l’ethnologie et la linguistique américaine dans le Journal de la Société des américanistes. Il s’efforça de faire prévaloir ses conceptions d’internationalisme scientifique, en tentant de rétablir les échanges intellectuels avec les chercheurs allemands. A cette date, il s’opposa à ce qu’on rayât les membres des pays ennemis de la Société des américanistes dont il était le secrétaire général adjoint. Il pensait que l’humanité devait tendre à abolir les nationalismes et que les hommes de science avaient leur rôle à jouer dans l’idéal de réconciliation de tous les peuples. Il participa aux premiers congrès d’américanistes d’après-guerre « dans un esprit de complet internationalisme » comme il l’écrivit à Franz Boas, américaniste d’origine allemande, professeur à Columbia University. Il vit avec tristesse s’édifier une paix qui ne répondait pas à son idéal de réconciliation entre les peuples. Il travailla inlassablement au rapprochement franco-allemand ; après l’avènement de Hitler, il s’occupa des intellectuels allemands émigrés et conçut le projet d’un Collège international permettant aux exilés de poursuivre leurs recherches.

Paul Rivet professait que l’ethnologie constituait un tout et il voulait réunir les différentes composantes de cette science, préhistoire, anthropologie, linguistique. En 1925, il fonda avec Marcel Mauss* et Lucien Lévy-Bruhl l’Institut d’ethnologie de l’Université de Paris dont il fut nommé secrétaire général en 1926. En 1928, il fut élu à la chaire d’anthropologie du Muséum d’histoire naturelle, puis directeur du Musée d’ethnographie du Trocadéro. Il demanda le rattachement du musée à sa chaire du Muséum ; il fit nommer Georges-Henri Rivière sous-directeur du Musée du Trocadéro et entreprit avec lui de le transformer. Il nourrissait l’ambition de réunir en un seul ensemble les collections anthropologiques du Musée de l’Homme, les collections ethnographiques du Trocadéro, l’Institut d’ethnologie de la Sorbonne et les bibliothèques de ces institutions. Cette ambition se concrétisa lorsqu’à l’occasion de l’Exposition internationale de 1937 on décida d’édifier à la place du Palais du Trocadéro, le Palais de Chaillot. Paul Rivet obtint du conseil municipal l’affectation d’une aile du nouveau Palais afin d’y organiser le Musée de l’Homme ; avec l’aide de collaborateurs enthousiastes comme G.-H. Rivière et Jacques Soustelle, il se lança dans la réalisation de ce projet. Paul Rivet voulait faire du Musée de l’Homme un centre de recherche et d’enseignement ; il désirait également qu’il fût un établissement permanent d’enseignement populaire, « le premier musée de France mis réellement à la disposition de la collectivité » (L’œuvre, 14 juin 1936), ouvert le soir, présentant ses collections de façon claire et vivante et surtout donnant « au peuple une idée plus forte de la dignité humaine » (Vendredi, 28 mai 1937). Retardée malgré ses nombreuses démarches auprès des responsables de l’Exposition et de Léon Blum lui-même, l’inauguration du Musée n’eut lieu qu’en juin 1938. En 1936 Paul Rivet dirigea le volume VII de L’Encyclopédie française consacré à « L’Espèce humaine ».

Au lendemain des événements du 6 février 1934, la personnalité de Paul Rivet apparut comme la plus à même de faire l’unité sur son nom, aux initiateurs du mouvement qui donna naissance au CVIA, François Walter (Pierre Gérôme, voir ce nom), André Delmas, secrétaire général du SNI (voir André Pierre Émile Delmas) et Georges Lapierre, militant du SNI (voir Georges Anatole Lapierre). Paul Rivet présida, le 17 février 1934, à la Mutualité, la première assemblée constitutive du comité, en présence d’une centaine de participants parmi lesquels une majorité d’intellectuels, Jouhaux et des militants syndicalistes ; la réunion se déroula dans la confusion et le tumulte (voir le récit d’ André Delmas dans A Gauche de la barricade). Rivet, découragé par l’incapacité des intellectuels à s’organiser, faillit renoncer à l’entreprise. Cependant il accepta de rester à la tête du mouvement. Le manifeste « Aux Travailleurs » (5 mars 1934), sous le triple patronage de Paul Rivet, président, Alain et Paul Langevin, vice-présidents (représentant symboliquement les trois familles de la gauche, socialiste, radicale, communiste) rendit publique la naissance du Comité d’action antifasciste et de vigilance bientôt connu sous le nom de Comité de vigilance des intellectuels antifascistes (CVIA) qui se mettait « à la disposition des organisations ouvrières ». Un des premiers actes publics de Paul Rivet fut d’aller le 7 avril 1934 aux États généraux du travail à la CGT et le lendemain à la CGTU. Le manifeste du CVIA recueillit bientôt des milliers de signatures. Le 8 mai 1934, le premier bureau définitif du CVIA était élu, comprenant des intellectuels de toutes les familles de la gauche ou des inorganisés, significatif de son ambition d’être un « front populaire avant la lettre ».

La victoire de Paul Rivet au second tour des élections municipales à Paris apparut comme celle du Comité de vigilance dont de nombreux membres s’étaient mobilisés pour empêcher la réélection du candidat sortant, président de l’Union nationale des combattants, Lebecq. Au premier tour, le 5 mai, Lebecq (URD) qui avait obtenu 2 311 voix manquait de 16 voix la majorité absolue (le candidat communiste arrivé en tête, Nédélec, avait obtenu 722 voix, Sennac radical de gauche du petit Parti Camille-Pelletan, 589 voix, Gruny, radical socialiste, 523, Pierre Audubert SFIO, 505). Le 8 mai 1935, on apprit la candidature de Paul Rivet pour qui tous les candidats de gauche se désistèrent. L’initiative de la candidature Rivet revint à Pierre Gérôme, d’après ce qu’écrivit André Wurmser dans Vigilance, le 25 mai 1935 ; cependant ce dernier passe sous silence l’action de Gérôme, dans Fidèlement vôtre (1976), et fait de la candidature Rivet une initiative communiste. La campagne de Paul Rivet comme candidat de l’Union de défense des libertés démocratiques se déroula en trois jours, fertiles en réunions, à la Mutualité ou sous les préaux d’école, en présence des candidats de gauche qui s’étaient désistés et de personnalités du monde universitaire comme Jean Perrin, Paul Langevin, ou politique comme Paul Vaillant-Couturier, Marcel Cachin, G. Cudenet. Une affiche signée des noms de personnalités de la Sorbonne, du Collège de France (Ferdinand Brunot, Lucien Lévy-Bruhl, Paul Langevin, Jean Perrin, Frédéric Joliot et Irène Joliot-Curie...) fut apposée sur les murs de la circonscription.

Le 12 mai, le professeur Paul Rivet, candidat du Front populaire, l’emportait par 2 445 voix contre 2 293 à Lebecq. Le Populaire titra : « Le fascisme est battu... Lebecq, l’homme du 6 février, est battu par Paul Rivet. » Le président du CVIA représenta avec Pierre Gérôme le Comité au Comité national du Rassemblement populaire créé en juillet 1935 et participa activement à la mise au point du programme du Front populaire. Ce fut comme militant socialiste soucieux de l’application de ce programme que Paul Rivet prit plusieurs fois la plume dans Le Populaire (voir « Le respect des contrats », 20 janv. 1938). Il resta jusqu’après 1945 partisan d’un gouvernement d’alliance de type Front populaire (lettre à Léon Blum, 24 octobre 1947). A la veille du congrès de Royan du Parti socialiste (juin 1938), Paul Rivet fit éditer un appel dans lequel il déclara : « Il faut que le Parti exige l’application intégrale du programme du Front populaire ou qu’il entre dans l’opposition. » Léon Blum lui répondit, dans son discours du 7 juin au congrès dans lequel il justifiait sa proposition de gouvernement de rassemblement national. Après la dissolution de la Fédération de la Seine, les 13-14 avril 1938, Paul Rivet, bien que n’étant pas pivertiste, mais désapprouvant les mesures disciplinaires prises, se refusa à signer la déclaration de fidélité au parti exigée par la CAP des militants de la Fédération ; il se trouva de ce fait considéré comme s’étant mis hors du parti (voir l’article d’Amédée Dunois dans La Bataille socialiste de juin 1938 pour que P. Rivet reprenne sa place dans le parti).

L’unanimité qui régnait au CVIA aux débuts de son existence sur les moyens de lutter contre le fascisme et de sauvegarder la paix (révision des traités, égalité des droits) se traduisit par la publication de nombreuses brochures sous l’égide de la triple signature d’Alain, de Paul Rivet, et de Paul Langevin. Citons Les prétentions sociales du fascisme, Non ! La guerre n’est pas fatale, La jeunesse devant le fascisme parues en 1934. Lorsqu’apparurent, après le congrès de novembre 1935, de fortes divergences dues à l’aggravation des menaces extérieures et au tournant politique de l’URSS et du PCF, Paul Rivet tenta de maintenir l’unité. Cependant, devant le durcissement des oppositions entre partisans d’une politique de fermeté vis-à-vis des pays fascistes et ceux qui voulaient rester fidèles aux thèses pacifistes des débuts, Paul Rivet donna sa démission du bureau en janvier 1936 ; il accepta de reprendre sa démission jusqu’au prochain congrès pour éviter l’éclatement du comité. En juillet 1936 il abandonna la présidence du comité et demanda à rentrer dans le rang ; c’est avec tristesse qu’il vit partir Langevin et ses amis du comité. En janvier 1937, cédant aux instances de Pierre Gérôme et d’autres amis, il accepta de reprendre sa place à la présidence ; il rejoignit le bureau du CVIA en même temps qu’ André Delmas et Georges Lapierre. Au fur et à mesure que le comité passait sous l’influence des « pacifistes extrêmes », Paul Rivet s’éloigna. Après Munich il n’assista plus aux réunions du bureau ; il entérina cette position en envoyant sa lettre de démission en janvier 1939 (Vigilance, 10 mai 1939).

En octobre 1937, Paul Rivet signa avec André Gide le télégramme adressé au gouvernement Negrin pour lui demander d’assurer aux accusés du POUM arrêtés à Barcelone en juin le respect des droits de la défense. Il patronna en 1939 la Commission internationale pour l’aide aux réfugiés espagnols.

Surpris à la déclaration de guerre en Amérique du Sud où il était en mission, Rivet rentra immédiatement en France où il arriva le 16 octobre 1939. Le 14 juin 1940 au matin, les troupes allemandes défilaient sur la place du Trocadéro ; il décida de laisser ouvert le Musée et de rester à son poste. Le 14 juillet 1940, il adressa une lettre ouverte au maréchal Pétain : « (...) l’immense majorité des Français a lu, avec stupeur, les noms des collaborateurs que vous avez choisis (...) Le pays n’est pas avec vous. La France n’est plus avec vous. » Le 18 novembre, il apprit par la radio qu’il était relevé de ses fonctions (il avait quelques jours auparavant protesté contre la destitution du recteur de l’Université de Paris, G. Roussy). Dès octobre 1940, Paul Rivet et ses collaborateurs les plus proches, Boris Vildé (de retour au musée, après sa démobilisation, avec de faux papiers), Anatole Lewitsky et Yvonne Oddon formèrent un groupe de résistance ronéotant des tracts dans les sous-sols du musée. Paul Rivet les mit en contact avec le groupe « Les Français libres de France » (Jean Cassou, Marcel Abraham, Claude Aveline, Agnès Humbert) ; ainsi naquit le réseau connu sous le nom de « réseau du Musée de l’Homme ». Le premier numéro de la première feuille clandestine de l’Occupation, Résistance, sortit le 15 décembre 1940, composé par Vildé et Lewitsky et tiré sur la vieille ronéo du CVIA. Malgré le danger qui pesait sur lui, Paul Rivet ne se décida à abandonner le musée que le 10 février 1941 pour gagner la zone libre ; il quitta son appartement le 10 au soir pour passer la nuit dans un petit hôtel en face de la gare et prendre le train à 7 heures du matin, le 11. Ce même jour la police allemande pénétrait au Musée de l’Homme pour l’arrêter ; le soir même ses collaborateurs, A. Lewitsky et Yvonne Oddon étaient arrêtés. Ayant gagné Lyon, puis l’Espagne, Paul Rivet arriva en Colombie le 23 mai 1941.

Il avait accepté l’offre de son ami Eduardo Santos, président de la République de Colombie, de créer un Institut d’ethnologie. Il y resta jusqu’en 1943, étudiant les langues et les civilisations colombiennes vouées à la disparition. Il était en relation avec les intellectuels français émigrés à New York, Henri Laugier, Claude Lévi-Strauss, Jacques Maritain. En 1943, il fut nommé délégué du comité français de Libération nationale par le général de Gaulle, puis attaché culturel au Mexique pour toute l’Amérique latine. Il séjourna alors à Mexico où il créa l’Institut français d’Amérique latine et la Librairie française de Mexico ; son action en faveur de la pensée française lui valut d’être cité par le général de Gaulle dans son discours du 31 octobre 1943 à Alger. Victor Serge qui rencontra Paul Rivet à Mexico en donna un émouvant portrait dans ses Carnets ; il s’interrogea, dès janvier 1944, sur le manque de clairvoyance du « vieux savant honnête des bons temps de la IIIe République », face à l’hégémonie stalinienne qui se préparait en Europe. Après la Libération de Paris, Paul Rivet obtint du gouvernement d’Alger l’autorisation de rentrer en France. Le 22 octobre 1944, il était de retour à Paris.

Élu député socialiste SFIO dans le premier secteur de la Seine, en tête de liste, aux deux Assemblées constituantes (21 octobre 1945, 2 juin 1946) et à la première Assemblée nationale (10 novembre 1946), il fut vice-président de la commission des Affaires étrangères. Dès 1946, il se prononça pour une Union française fédérant des gouvernements librement choisis et affirma la nécessité de traiter avec Ho Chi Minh. A la veille de la conférence franco-vietnamienne de Fontainebleau en juillet 1946, désigné comme membre de la délégation française qui devait rencontrer Ho Chi Minh, Paul Rivet donna sa démission et écrivit une lettre à Marius Moutet, ne voulant être « ni dupe, ni otage, ni complice » ; il dénonçait la manœuvre en préparation : échec de la conférence, combinaison Bao-Daï.

Le 23 mars 1948, Paul Rivet démissionna du groupe parlementaire socialiste pour protester contre l’attitude du groupe qui avait écarté la proposition de trois parlementaires dont lui-même, réclamant « la suspension des poursuites » engagées contre les députés malgaches devant la cour de justice de Tananarive. Dans une déclaration, les parlementaires démissionnaires dénoncèrent l’abandon des principes socialistes en matière de politique économique, financière, coloniale ; en ce dernier domaine, pouvait-on lire, « ses mandataires au pouvoir sont solidaires d’une politique de répression à Madagascar et en Indochine ». Le 12 janvier 1949 le Comité directeur du Parti socialiste prononça à l’unanimité l’exclusion de Paul Rivet pour indiscipline de vote, refus de prendre l’engagement de respecter à l’avenir la discipline du parti, refus de remettre son mandat à la disposition du parti (Le Populaire, 14, 15 juin 1949). Dans une déclaration, Paul Rivet redit son attachement au « grand parti de Jaurès et de Guesde » et son espoir qu’il ne s’enliserait pas « dans les combinaisons misérables où certains ont voulu l’entraîner ». Il rejoignit l’Union républicaine et résistante, puis l’Union progressiste constituée en décembre 1950. Le 10 mars 1949, il interpella à la Chambre le gouvernement sur les événements d’Indochine. Le 21 mai 1949, jour où venait en discussion à la Chambre le nouveau statut de la Cochinchine, il déposa en accord avec Pierre Cot, Apithy et G. de Chambrun un projet de loi pour faire accepter une trêve réclamée par le gouvernement Ho Chi Minh. En de nombreux articles (Action, mai 1949, les Cahiers internationaux, juin 1949), il salua la volonté d’indépendance du peuple vietnamien et déplora l’incapacité des gouvernements français à s’adapter « aux nouvelles conditions de collaboration avec les peuples d’outre-mer ».

Aux élections législatives de 1951, Paul Rivet conduisit dans le premier secteur de Paris, une liste homogène « neutraliste » (liste d’Union socialiste, progressiste et d’action neutraliste) sur laquelle figurait aussi Gilles Martinet, rédacteur en chef de l’Observateur. Robert Verdier qui avait remplacé Paul Rivet comme tête de liste SFIO fut élu, tandis que la liste « neutraliste » ne recueillit que 8 418 voix. Malgré sa volonté proclamée de « refus de s’associer à une politique d’anticommunisme systématique », cette liste fut l’objet de vives critiques de la part de la presse communiste. En juin 1953, Paul Rivet donna sa démission de l’Union progressiste dont les députés n’avaient pas voté l’investiture de Pierre Mendès France. Cela ne l’empêcha pas en 1954 et 1955 d’ouvrir son appartement du Musée de l’Homme, lieu mythique, aux réunions des diverses organisations comme le CAGI et l’Union progressiste qui devaient aboutir à la création de la Nouvelle Gauche.

En mai 1950, il fit paraître son « Testament politique » dans les Temps modernes. Il s’y prononçait pour une Europe qui agirait comme une entité indépendante, affranchie de toute alliance militaire, travaillant au rapprochement des deux blocs antagonistes. Tout en disant entendre conserver vis-à-vis du Parti communiste son droit de critique et sa liberté d’appréciation, il dénonçait l’anticommunisme comme arme de politique intérieure. Après ce « testament » et son échec électoral en 1951 il renonça à la politique active. Cependant le conflit algérien allait mobiliser encore le vieux militant socialiste.
A la stupéfaction de nombre de ses amis d’extrême gauche engagés dans le combat anticolonialiste, il se rapprocha des défenseurs de l’Algérie française. Paul Rivet signa un appel « pour le salut et le renouveau de l’Algérie française » (Le Monde, 21 avril 1956) en même temps qu’une autre figure de la gauche républicaine et laïque, Albert Bayet. On ne peut comprendre ce rapprochement qu’en rappelant que Paul Rivet était partisan d’une émancipation graduelle des peuples colonisés, d’une politique de réformes mettant fin aux abus de la colonisation et permettant une représentation démocratique des colonisés ; bien que les temps aient changé, il restait fidèle à la conception d’une évolution progressive des pays colonisés qui avait été celle du Front populaire (cf. la brochure éditée par le CVIA en 1936, La France devant le problème colonial, rédigée par M. Casati et contresignée par Alain, Rivet, Langevin). Dans un article intitulé « Indépendance et liberté » (Le Monde, 1er février 1957), il écrivait : « Notre génération a cru que l’indépendance était un remède à tous les maux, une panacée contre les injustices et les misères humaines [...] Si l’indépendance de tous les peuples devait rester le but des efforts de tous — ajoutait-il —, il était nécessaire de proclamer qu’elle ne sera une réalité que le jour où les inégalités culturelles et économiques auront été largement atténuées. En effet, ces populations déshéritées, qui parviennent à l’indépendance, sont menacées de sombrer dans le désordre et l’anarchie, et de ce fait exposées à subir la dictature d’un homme ou d’une minorité. » Puis Paul Rivet dénonçait le fonctionnement des organismes internationaux, le jeu des grandes puissances, la démagogie des nouveaux États, il proposait même l’établissement d’un « vote pondéré » en relation avec le niveau culturel.

Paul Rivet accepta, à la demande de Guy Mollet et de Christian Pineau d’aller plaider dans toutes les Républiques d’Amérique latine et à l’ONU la cause du gouvernement français dans l’affaire algérienne. Cependant, d’après le témoignage de son ami, le journaliste brésilien Paulo Duarte, directeur de la revue Anhembi, qui l’avait interrogé sur son attitude sur le problème algérien lors de son voyage au Brésil « il commençait à se montrer déçu de ses amis du gouvernement Mollet, dont il se considérait déjà plus ou moins dupe. Il m’a encore répété ce qu’il m’avait déjà dit par lettre : que ce qui l’avait surtout impressionné dans la dernière (alors) phase de la guerre algérienne c’était le caractère de lutte religieuse que les arabes avaient donné à leur lutte pour l’indépendance » (P. Duarte, Paul Rivet por êle mesmo, p.166-167). P. Duarte disait être persuadé que Paul Rivet, malgré ses protestations, avait subi l’influence de Jacques Soustelle auquel le liait une vieille amitié et qui, en outre, s’était rangé de son côté lors de la lutte pour la succession de la direction du Musée de l’Homme.

Paul Rivet présida le Conseil supérieur de la radiodiffusion française et la commission des programmes de la radiodiffusion ; il présida également le Commission de la République française pour l’UNESCO. En 1957 parut la dernière édition de son ouvrage, Les origines de l’homme américain dans lequel il développait sa théorie de la participation océanienne au peuplement de l’Amérique, théorie qui suscite aujourd’hui des réserves. L’œuvre scientifique de Rivet n’en demeure pas moins celle d’un maître de l’américanisme, science qu’il contribua à créer.

Peu de temps avant sa mort, malade et alité, Paul Rivet avait tenu à confier à Gilles Martinet les raisons profondes qui l’avaient éloigné de lui et de ses amis et ce qui, malgré ses déceptions de la politique algérienne de ses amis socialistes, l’avait empêché de le rejoindre de nouveau : la méconnaissance de ce que la civilisation européenne avait apporté au monde ; il disait que s’il n’avait pu pour cela revenir vers ses amis de la gauche anticolonialiste, il avait tenu à marquer son désaveu à l’égard de la politique de Guy Mollet : ainsi avait-il saisi la première occasion en signant la motion du Syndicat national des instituteurs qui préconisait la négociation sans considérer l’indépendance comme inévitable (« Dernier entretien avec Paul Rivet », France-Observateur, 27 mars 1958 ; selon le désir de P. Rivet, G. Martinet ne publia cet entretien qu’après la mort de P. Rivet).

On ne peut conclure cette biographie de l’homme de science qui avait cru que les combats qu’il avait menés conduiraient à construire une société plus juste sans évoquer le douloureux sentiment d’échec qui le saisit à la fin de sa vie. Dans « La tristesse des vieux », texte donné à Esprit en juin 1955, il avait écrit : « Nous avons cru à la paix et jamais nous n’avons senti, comme aujourd’hui, rôder autour de nous le spectre de la guerre ; nous avons lutté pour l’égalité des peuples, et partout nous sentons renaître le racisme ; nous avons cru à la fraternité humaine, et nous assistons à la pire des divisions que l’histoire ait connue (..) ; nous avons cru à l’action bienfaisante, souveraine de la science, et nous voyons utiliser les découvertes les plus merveilleuses non pour le bien de l’humanité, mais pour son extermination... »

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article50350, notice RIVET Paul, Adolphe par Nicole Racine, version mise en ligne le 27 mai 2009, dernière modification le 18 novembre 2022.

Par Nicole Racine

ŒUVRE : Bibliographie dans Mélanges Paul Rivet , Mexico, Univ. de Mexico, 1958, 2 vol. 31e congrès international des Américanistes, 23-28 août 1954, Sao Paolo.
Brochures éditées par le Comité de vigilance des intellectuels antifascistes et co-signées par Rivet : Alain, J. Baby, P. Langevin, P. Rivet, La jeunesse devant le fascisme, 1934, 23 p. — Alain, H. Bouché, P. Langevin, P. Rivet, Non ! la guerre n’est pas fatale, 1936, 62 p. — Alain, P. Gérôme, P. Langevin, M. Prenant, P. Rivet, Les prétentions sociales du fascisme, 1934, 32 p. — Alain, M. Casati, P. Langevin, P. Rivet, La France en face du problème colonial, 1936, 62 p.

SOURCES : Arch. du Musée de l’Homme. Fonds Paul Rivet. — Arch. Fondation nationale des sciences politiques, Fonds Léon Blum. — Arch. du Parti socialiste SFIO, OURS. — Victor Serge, Carnets, Julliard, 1952, 223 p. — Mélanges Paul Rivet , Mexico, Universidad nacional autonoma de Mexico, 1958, 2 vol., 31e congrès international des Américanistes, 23-28 août 1954, Sao Paolo. — Paul Rivet, 1876-1958, Groupement des universités et grandes écoles de France pour les relations avec l’Amérique latine, 1958, 24 p. — J. Ries, « Paul Rivet », Revue socialiste, mai 1958. — Paulo Duarte, Paul Rivet por êle mesmo, Sao Paulo, Editôra Anhembi, 1960. — Paul Rivet, fondateur du Musée de l’Homme, 1876-1958, Musée de l’Homme, 30 juin-fin sept. 1976, texte de Georgette Soustelle, préf. de P. Champion, 1976, 42 p. — Paul Rivet 1876-1976 : numéro consegrado al Centenario del nacimiento del Dr. Paul Rivet preparado por Luis A. Léon, Quito, Casa de la cultura ecuatoriana, 1977. — Nicole Racine-Furlaud, « Le Comité de vigilance des intellectuels antifascistes (1934-1939). Antifascisme et pacifisme », Le Mouvement social, oct.-déc. 1977. — P. Mauffrey, Paul Rivet : médecin militaire, ethnologue, homme politique et patriote, 1876-1958, Lyon, Univ. Cl. Bernard, Fac. de médecine A. Carrel, 1978, 62 p. — Martin Blumenson, Le réseau du Musée de l’Homme. Les débuts de la Résistance en France, Le Seuil, 1979. — A. Wurmser, Fidèlement vôtre. Soixante ans de vie politique et littéraire, Grasset, 1979. — CAC (Centre des archives contemporaines, documents aujourd’hui aux Arch. Nat. de Pierrefitte-sur-Seine) 19960325 article 1, rapport RG PCF 1950 (communiqué par l’IHTP).

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