Par Jean Maitron, Claude Pennetier
Né le 21 janvier 1919 à Paris (XIXe arr.), mort le 27 décembre 1944 dans l’explosion d’une mine à Habsheim (Haut-Rhin) ; apprenti boulanger puis ajusteur ; responsable des Jeunesses communistes ; lieutenant des Brigades internationales ; auteur du premier attentat contre un officier allemand le 21 août 1941 au métro Barbès-Rochechouart ; résistant.
Fils d’un ouvrier boulanger syndicaliste venu au communisme dans les années trente, Félix Georges et de Blanche Gaillourdet qui mourut en 1928, Pierre Georges était le troisième enfant d’une famille de quatre : une sœur Denise, un frère aîné, Daniel Georges et un frère cadet Jacques Georges, tous futur(e)s militants communistes et résistants. Dès 1928, son père l’inscrivit à la Fédération des enfants ouvriers et paysans (pionniers communistes) de Villeneuve-Saint-Georges (Seine-et-Oise, Val-de-Marne). Après avoir obtenu le certificat d’études primaires, il fit son apprentissage de boulanger et, en 1933, à l’âge de quatorze ans, adhéra au 20e rayon des Jeunesses communistes où on lui confia la tête d’un groupe de « benjamins ». La police l’appréhenda le 30 avril 1935 alors qu’il traçait des slogans communistes pour le 1er Mai. Le Tribunal pour enfants le condamna le 11 octobre 1935 à onze francs d’amende pour dégradation d’immeubles et de chemins publics. Pierre Georges avait quitté la boulangerie pour travailler comme poseur de rivets sur les chantiers de chemins de fer de Villeneuve-le-Roi, puis comme ajusteur aux Établissements Bréguet d’Aubervilliers (Seine, Seine-Saint-Denis).
Pierre Georges partit pour l’Espagne le 31 octobre 1936 et, le mois suivant, s’engagea à Madrid dans les Brigades internationales. La direction des JC de France avait essayé de le retenir en France vu son jeune âge (dix-sept ans), mais il avait insisté et était parti avec les volontaires. Affecté à la Brigade « La Marseillaise », il était en février 1937 à Albacete et en octobre 1937 à Cuesta de la Reina avec le grade d’adjudant affecté à l’état-major de la 14e BI, chargé de la presse. Il suivit, vers janvier 1938, les cours de l’école d’officiers des Brigades internationales et fut un temps instructeur à l’école des sous-officiers de l’Escorial. Un rappport précise : « Dans de nombreuses circonstances il s’est montré courageux, plein d’abnégation, d’une immense initiative et s’est révélé excellent tireur. Il brûlait d’envie de partir au front, mais on le retenait à cause de son âge. » Sa participation aux opérations militaires à partir de juillet 1937, en particulier en Aragon au printemps 1938, lui valut d’être blessé à trois reprises, à la cuisse, au bras et au ventre.
Revenu en France en août 1938, Pierre Georges devint secrétaire à l’organisation des loisirs de la Région Paris-Ville des Jeunesses communistes et secrétaire des JC du XIIIe arr. Le congrès de la fédération des JC réuni en avril 1939, l’élut au comité national. Domicilié chez son père, 100 boulevard de la Villette (XIXe arr.), il avait repris son emploi aux établissements Bréguet en avril 1939, selon la police, ou en février 1939 à la Compagnie générale des voitures, selon Ouzoulias (op. cit.), avant de se faire embaucher vers septembre aux usines de la CAPRA (Compagnie anonyme de production et recherches aéronautiques). Marié avec Andrée Coudriet en 1939 (née le 28 juin 1918 à Paris XIXe arr.), il eut une fille Monique, née en 1940.
Non mobilisable, resté solidaire du Parti communiste qui avait été interdit après le Pacte germano-soviétique, responsable de l’édition illégale de La Jeune garde. Pierre Georges fut appréhendé le 2 décembre 1939 avec son épouse, comme son frère Jacques, sa belle-sœur, Raymonde Le Margueresse et six autres militants, pour confection et distribution de tracts communistes. Sa femme et lui subirent les brutalités policières comme les autres membres de sa famille. Il bénéficia d’un non-lieu le 6 mai 1940, mais l’administration décida son internement administratif au centre de séjour surveillé de Baillet (Seine-et-Oise) avant de le verser à la compagnie spéciale des travailleurs de la Ferme Saint-Benoît. En juin 1940, au moment de l’avance allemande, Pierre Georges réussit à décrocher un wagon à bestiaux du train qui emmenait les prisonniers à Bordeaux, et à s’échapper. Il se rendit à Marseille, prit contact avec des dirigeants communistes qui lui confièrent la responsabilité des Jeunesses communistes du Sud-Est. « Frédo », comme on l’appelait alors, fit merveille dans le travail clandestin : il réussit à renouer des contacts dans la plupart des départements de son secteur, à se rendre en Corse, à organiser la propagande parmi les marins et soldats de Marseille et Toulon, à tirer des tracts, et même à récupérer des machines à écrire et des armes en effectuant de fausses perquisitions (Angeli et Gillet, op. cit., p. 227). Jean Mérot lui succéda au début de l’année 1941. « Frédo » partit à Paris pour entrer à la direction nationale des Jeunesses communistes. Pierre Georges bénéficiait de solides soutiens à Moscou,, où Marty se partait garant de ses qualités dans des documents internes comme dans la presse du Komintern. Il soulignait seulement qu’il avait besoin d’une formation politique. Quelques mois plus tard, le Parti communiste le chargea d’organiser un groupe armé. Lui-même réalisa le premier attentat meurtrier contre les troupes d’occupation en abattant un officier de la Kriegsmarine, le 21 août 1941, au métro Barbès. Ayant échappé de peu à l’arrestation le 8 mars 1942, il partit tenter de se cacher dans les environs de Rochefort (Charente-Inférieure, Charente-Maritime) où résidait son frère Jacques puis en Franche-Comté et s’affirma, sous le nom de guerre de Colonel Fabien, comme un remarquable chef FTP. Là encore, il paya de sa personne et fut grièvement blessé à la tête le 25 octobre 1942. C’est à Paris que la police l’arrêta le 30 novembre 1942, au métro République, puis le livra aux Allemands (voir le « rapport » de Fabien à la direction du PC sur son arrestation, ses interrogatoires sous la torture et son évasion, dans Jacques Duclos, op. cit., t. 3, 2e partie, p. 322-325). Il séjourna trois mois à Fresnes, avant d’être envoyé à la prison de Dijon. Il occupa dans cette prison la cellule 47 de la division A, dans laquelle il put écrire sur le mur un graffiti (recueilli par Jacques Foucart) : « Georges Pierre, du Comité central des Jeunesses communistes, condamné à mort par les boches comme chef de partisans, a séjourné dans cette cellule, février 1943. Gloire à la Jeunesse communiste, gloire à ses martyrs ». Il fut par la suite interné au fort de Romainville, duquel il s’évada vers mai 1943 pour organiser des maquis dans les Vosges, en Haute-Saône et dans le Centre-Nord.
Après avoir participé à la Libération de Paris, le Colonel Fabien rassembla un groupe de cinq cents hommes pour continuer la lutte contre l’armée allemande avec les forces françaises et alliées. Sa troupe devint vite un régiment rattaché à la division Patton et engagé dans la campagne d’Alsace pendant l’hiver 1944. Le 27 décembre 1944, son poste de commandement situé à Habsheim, près de Mulhouse, sauta, provoquant la mort de Fabien, d’un lieutenant-colonel, de deux capitaines, d’un lieutenant et d’un agent de liaison. Les conditions exactes de cet accident n’ont pas été totalement éclaircies : la version la plus couramment admise est celle de l’explosion d’une mine examinée par Fabien et ses cinq compagnons (voir Albert Ouzoulias, Les Bataillons…, op. cit., p. 462).
Une station de métro et une place du XIXe arr. de Paris portent le nom du Colonel Fabien ; par extension, le siège du Parti communiste situé sur cette place est souvent appelé du même nom. Son père et son beau-père avaient été fusillés par les Allemands. Sa veuve, Andrée Georges, déportée de la Résistance à Ravensbrück et Mauthausen, resta une militante communiste. Elle travailla comme dactylo à la Fédération des déportés, internés résistants et patriotes et signa l’appel des Résistants en faveur de Georges Marchais en mars 1980 (l’Humanité, 14 mars 1980). Elle est décédée en février 2006.
La fille de Pierre Georges a publié en 2009 un livre s’appuyant sur une documentation familiale (Monique Georges, Le colonel Fabien était mon père, Mille et une nuits, 2009)
Par Jean Maitron, Claude Pennetier
SOURCES : RGASPI, 495 270 5696 : questionnaire du 25 octobre 1938. — Arch. Jean Maitron, fiche Pierre Georges. — Le Monde, 20 août 1971. — L’Humanité, 19 août 1971, 11 janvier 1975 et 14 mars 1980. — Unir-Débat, n° 5, 10 mai 1967. — Albert Ouzoulias, Un des libérateurs de Paris sans peur et sans reproche, le Colonel Fabien, Éditions sociales, 1945, 71 p. — Albert Ouzoulias, Les Bataillons de la Jeunesse, op. cit. — Jacques Duclos, Mémoires, t. 3, Fayard, 1970. — Simone et Auguste Gillot, Un couple dans la Résistance, op. cit. — Claude Angeli et Paul Gillet, Debout, partisans !, Fayard, 1970. — Pierre Durand, Qui a tué Fabien ?, Messidor, 1985. — Michel Pigenet, Les « Fabiens », des barricades au front (septembre 1944-mai 1945), L’Harmattan, 1995. — Jacques Foucart, Les Graffiti de la Rue d’Auxonne (prison de Dijon), Imprimerie Jobard (3e édition), 1966, p.11. — Notes d’Alain Dalançon à partir du témoignage de Jacques Georges.