Par René Gaudy
Né le 1er janvier 1899 à Calais (Pas-de-Calais), mort le 18 septembre 1983 à Brest (Finistère) ; militant communiste ; dirigeant du syndicat des employés et contremaîtres des secteurs électriques de la région parisienne (1933-1939), secrétaire général de la Fédération « illégale » (clandestine) CGT de l’Éclairage de 1942 à la Libération, secrétaire général de la Fédération réunifiée jusqu’en avril 1945, membre du bureau fédéral jusqu’en 1963 ; résistant.
Après avoir obtenu son certificat d’études primaires, Fernand Gambier fut apprenti esquisseur en dentelles jusqu’en 1914. En 1917, il devança l’appel et passa trois années dans la marine. En mars 1924, il entra comme employé stagiaire à la Compagnie parisienne de distribution d’électricité (CPDE) à la section « Chaise » (rue de la Chaise, VIIe arr.), dans le service comptabilité abonnés. Lorsqu’une cellule communiste fut créée à cette section, Gambier, qui avait adhéré au PC début 1924, en devint le secrétaire ; le journal de la cellule s’appelait Contact. Le syndicat des employés et contremaîtres des secteurs électriques de la région parisienne, à la scission, était resté à la CGT et les communistes avaient pour consigne d’y militer. Le militant communiste le plus actif du syndicat était alors Émile Pasquier*. Fernand Gambier ne voulait pas adhérer à cette centrale « réformiste » et il ne fut convaincu qu’après une discussion au siège du comité central avec Pierre Semard et Suzanne Girault*. Le 17 mars 1933, il fut élu ou réélu secrétaire adjoint de ce syndicat. L’autre secrétaire adjoint était Suzanne Gérin*, que Gambier devait retrouver dans la Résistance. Le secrétaire général était Émile Pasquier. Fernand Gambier travailla successivement à la section « Barbès » de la CPDE, il y était en mai 1930, et vers 1934-1935 au service de l’éclairage public, rue Antoine-Bourdelle (XVe arr.) où il milita avec Raymond Cousin, qui devait être décapité par les nazis en 1942. En 1936, Gambier, qui habitait alors 107, avenue Victor-Hugo à Aubervilliers, participa à l’occupation des usines dans cette ville et à la Plaine Saint-Denis. Après la réunification, Gambier resta membre de la direction du syndicat. Le IIIe congrès de l’Union syndicale (qui regroupait plusieurs syndicats d’électriciens : syndicat des ouvriers, syndicat des employés et contremaîtres, syndicats des TIRU, la Compagnie parisienne du Chauffage urbain, la Lyonnaise des Eaux de Rueil-Nanterre), réuni les 12 et 13 mars 1938, l’élut secrétaire appointé de cet organisme. Il fut réélu au IVe congrès les 18 et 19 mars 1939. En 1938, il effectua un voyage d’un mois en URSS avec une délégation des syndicats français. Dans Le Secteur Électrique, organe du syndicat, il écrivit de fin 1936 à 1939 de nombreux articles pour l’aide à la République espagnole et contre le fascisme ; dans le numéro de juillet-août 1939, il terminait son compte rendu des manifestations du 14 juillet par ces mots : « Halte au fascisme ! Halte à la trahison ! » Après la signature du Pacte germano-soviétique, les communistes étant chassés de la direction du syndicat, c’est H. Aragon* qui devint secrétaire général. Le statut du personnel de la CPDE prévoyait que lorsqu’un permanent syndical avait fini son mandat, il devait être réintégré à son travail. Mais la direction refusa sa réintégration, prétextant sa mobilisation prochaine, qui n’intervint finalement qu’en mars 1940. Le 2 novembre, Gambier écrivit à Léon Jouhaux pour protester contre l’exclusion de la Bourse du Travail des syndicats « se refusant, dit Gambier, à faire de la politique » et pour le retour à l’unité syndicale ; Jouhaux ne répondit pas à cette lettre. Ayant fait partir sa famille à Brest, Gambier, dans une semi-clandestinité à Aubervilliers, garda le contact avec Émile Pasquier qu’il rencontra souvent dans les locaux des œuvres sociales des services publics, rue de Bondy et rue Richerand (Xe arr.). Émile Pasquier, Jacques Alliez et Fernand Gambier rendirent visite à Marcel Paul* mobilisé à Brest sur le Richelieu, pour discuter de la situation, mais celui-ci était surveillé et l’échange ne put aller plus loin.
Le 30 mars 1940, Fernand Gambier rejoignait son bataillon, caserne du génie à Arras (Pas-de-Calais). Le 14 avril, il quitta Arras pour la région de Vitry-en-Artois où il travailla dans une ferme. Le 30, il fut arrêté et, après une nuit à la prison d’Arras, il fut incarcéré à la Santé du 1er mai au 10 juin. À la Santé, Fernand Gambier se lia avec Albert Varloteau, alors fiancé à la fille de Paul Langevin. Le 10 juin, la Santé fut évacuée et Gambier se retrouva sur les routes avec d’autres prisonniers en direction de Gurs. Le 20 juin, à l’entrée de Bordeaux (Gironde), Paul Langevin* et Frédéric Joliot-Curie*, en voiture, tentèrent en vain de faire évader Varloteau et Gambier. Ce dernier fut interné d’abord à Gurs, où il devint chef de la baraque 12 (avec surtout la charge de répartir la nourriture), puis à Mauzac, où il participa à l’évasion de Depolier et de Foré (dirigeant communiste à Aubervilliers). En décembre 1940, avec notamment Émile Pasquier et Émile Loiseau, il passa devant le tribunal militaire de Périgueux (affaire dite des « 21 ») et fut condamné à un an de prison. En raison de la condamnation prononcée, il fut informé par lettre du directeur de la CPDE, M. Smagghe, le 3 février 1941, qu’il était révoqué de cette société à la date du 23 décembre 1940. Libéré de la prison de Nontron début mai 1941, et démobilisé le 6 juin, il revint à Aubervilliers et, informé d’une possible arrestation, il entra dans la clandestinité. Le 8 juin, il réussit à établir le contact avec Marcel Paul et remplaça presque aussitôt un militant défaillant, reprenant même son pseudonyme, « Victor » (il aura aussi « Blanchet », initiale « B »). Il devint l’un des responsables du tirage des journaux des comités populaires de l’Inter-Branches 5 (IB 5), groupant tous les services de la région parisienne : gaz, électricité, Compagnies du chauffage urbain, de l’Air comprimé, usines TIRU (incinération des ordures), métro et autobus (TCRP), eaux, hôpitaux, municipaux… Le tirage avait lieu dans une petite pièce rue des Récollets (Xe arr.), local loué par Marcel Paul sous le nom de Louis Lucas. Plus tard, chaque branche tira son propre journal. Suzanne Gérin travailla avec Gambier pour la répartition de ce matériel. Il rencontrait Marcel Paul dans une des planques de celui-ci près du Cirque d’Hiver ; il avait un revolver qui lui avait été fourni par Célestin Louapre, militant de la TIRU de Romainville qui récupérait des armes dans les ordures et les remettait en état pour la Résistance. Fin 1941, Marcel Paul fut arrêté et, en mars 1942 ce fut le tour d’Émile Pasquier, son remplaçant. Gambier devint alors responsable de la Fédération CGT clandestine et entra dans le triangle de direction de l’Inter-Branches 5 (les autres membres étaient Pacaud des hôpitaux et Thomasson, de la TCRP). Le rôle de Gambier fut important de 1942 à 1945. Il était en relation avec des syndicalistes résistants dans plusieurs entreprises de gaz et d’électricité : Gaz de Paris, CPDE, TIRU, Air Comprimé, Est-Lumière… En province, il était en contact avec Orléans (Adrien Prêtre), et Troyes (Gaston Pierson).
À partir de 1942, Fernand Gambier et ses camarades clandestins eurent un « œil » dans la Fédération « légale » : Lucien Barthes*. Les premiers contacts entre Fernand Gambier et Clément Delsol auraient remonté au 12 août 1943. Depuis les accords du Perreux d’avril 1943, l’unité s’était refaite au sommet de la CGT, il s’agissait désormais de la mettre en pratique dans les fédérations. Des pourparlers eurent lieu jusqu’en octobre 1943, date à laquelle Clément Delsol opposa un net refus aux propositions de Fernand Gambier. Pourtant au sein même des syndicats de la profession, notamment à Paris et en région parisienne, l’influence des communistes allait en augmentant. Un certain nombre de communistes assistèrent à la conférence nationale — « un véritable congrès » — de décembre 1943, même si un seul d’entre eux, Lucien Baujard*, Résistant de la Société Est-Lumière ou de la CPDE, selon les sources, y intervint pour demander une augmentation salariale mensuelle de 1 000 F. pour tout le personnel des compagnies d’électricité. Il revendiqua également le paiement intégral pour les mobilisés et la réintégration des révoqués. Il fut approuvé par l’assemblée, réunie rue La Fayette qui rassemblait 237 délégués venus de toute la France, dont de nombreux clandestins « camouflés » dans les syndicats légaux. Pour des raisons de sécurité évidente, Fernand Gambier n’était pas présent à cette conférence où il fut décidé que la Fédération se retirait de tous les organismes de la Charte du travail. Clément Delsol démissionna de son poste de vice-président de la Commission de l’article 77 de la Charte du travail. En 1944, avant la Libération, Gambier, accompagné de Lucien Barthes et couvert par une protection armée, se rendit au siège du syndicat patronal de l’électricité, rue de la Baume (VIIIe arr.) où ils discutèrent avec Edmond Roux, président du syndicat patronal, de le revendication des 1 000 F d’augmentation mensuelle pour tout le personnel des sociétés d’électricité. La conférence de décembre 1943 conforta considérablement la position de la Fédération clandestine (ou « illégale »). Mais elle ne déboucha pas sur la reconstruction de l’unité. Après les accords du Perreux, Gambier, en accord avec André Tollet (qui faisait le lien avec Benoît Frachon) avait pris contact avec Clément Delsol, secrétaire de la Fédération légale. Le bureau confédéral demandait que la composition des directions réunifiées tienne compte de la situation de 1939. À la Fédération de l’Éclairage, le secrétariat de 1939 était composé de trois ex-unitaires : Marcel Paul, Émile Pasquier et Lucien Barthes, ce dernier ayant rallié cette position, et d’un ex-confédéré, Jacques Alliez, Gambier proposa à Clément Delsol une direction 3/1 ; il déclarait dans une lettre au bureau confédéral du 28 juillet 1944 : « Deux auraient pu être consentis s’il y avait eu la volonté d’unité de leur part. » (Delsol refusa). Finalement, le Bureau confédéral « trancha » en faveur de Gambier : « Le seul bureau fédéral reconnu est le bureau illégal, l’autre bureau s’étant placé en dehors de la CGT » (lettre aux Fédérations et aux UD 26 juin 1944). À la Libération, les groupes armés des électriciens et gaziers, parisiens étaient organisés et commandés par Ali Fontugne, délégué syndical de la CPDE (section Italie) ; ils participèrent notamment à la libération du quartier de la Place de la République et de la Bourse du Travail.
Fernand Gambier et les autres dirigeants « illégaux » chassèrent « manu militari » Clément Delsol et ses amis des bureaux de la rue Lafayette ; mais ceux-ci ayant protesté auprès de la direction confédérale, Benoît Frachon exigea que l’unité se fasse avec Clément Delsol : Gambier devint secrétaire général permanent, les secrétaires permanents étaient Clément Delsol et Jean-Baptiste Tomas (tendance Jouhaux) et Lucien Barthes (tendance Frachon). Gambier fut le principal responsable fédéral jusqu’au retour de Marcel Paul. Il fut ensuite secrétaire permanent jusqu’en 1947-1948 et avait été membre du Comité d’épuration syndicale de la CPDE en 1945-1946.
Fernand Gambier prit la parole au cours d’un meeting de la CGT à Nevers le 1er mai 1945. Fervent partisan de la nationalisation du gaz et de l’électricité, il ne consacra pas moins de sept articles à cette question dans Le Peuple entre novembre 1944 et avril 1945, il intervint aussi à la radio à ce sujet fin 1944. Lorsque Marcel Paul devint ministre de la Production industrielle, Gambier participa à la phase décisive de la nationalisation. Il accompagna Marcel Paul début 1946 lors de son voyage officiel dans la Ruhr pour négocier avec les Britanniques la livraison à la France de quantités de charbon allemand plus importantes. En avril 1946, il intervint au nom de la Fédération de l’Éclairage, au XXVIe congrès de la CGT : il mit en relief l’importance de la loi de nationalisation qui venait d’être votée par l’Assemblée nationale (ce fut la seule intervention sur ce sujet) ; il fut élu à la commission administrative (non réélu au XXVIIe congrès). En 1947, il devint responsable du département « sports » du Conseil central des œuvres sociales (CCOS), poste qu’il occupa jusqu’à la dissolution de cet organisme par le gouvernement en février 1951. Il s’était déjà familiarisé avec ce type d’activités avant guerre, son syndicat ayant créé en 1937 un « Comité des loisirs » qui organisait des randonnées cyclistes, des séances de cinéma, des sorties à la campagne et au théâtre. Il fut membre du bureau fédéral de 1948 à 1963. Très lié à Marcel Paul, il quitta ses responsabilités lorsque celui-ci ne fut plus à la tête de la fédération. Il se retira à Brest, 2 rue Eden-Roc, où il mourut. L’aîné de ses fils était, en 1983, artisan dans la région de Nice. Un autre, Robert, mort en 1972, était compagnon volontaire de la Résistance. Fernand Gambier, qui avait été conseiller municipal d’Aubervilliers à la Libération, fut membre du PCF jusqu’à la fin de sa vie. Il avait entrepris de rédiger ses mémoires de militant. En 1947, il avait été fait chevalier de la Légion d’honneur.
Par René Gaudy
ŒUVRE : Articles dans Le Secteur électrique (1933-1939), Le Peuple (11 novembre, 18 novembre 1944, 25 novembre 1944, 16 décembre 1944, 13 janvier 1945, 24 février 1945, 14 avril 1945). — Intervention au XXVIe congrès de la CGT, avril 1946 ; notes autobiographiques (dactylog.).
SOURCES : Arch. FNE-CGT. — René Gaudy, Et la lumière fut nationalisée, Paris, Éditions sociales, 1978 ; Les porteurs d’énergie, Paris, Temps actuels, 1982. — M. Choury, Tous bandits d’honneur !, op. cit. — Papiers et témoignage de l’intéressé.