FLEURY Lucien

Par Anysia L’Hôtellier

Né le 26 mai 1928 à Sèvres (Seine, Hauts-de-Seine), mort le 23 janvier 2004 à Paris ; artiste-peintre, professeur à l’École des beaux-arts d’Orléans (Loiret) ; membre de la Coopérative des Malassis.

Lucien Fleury fit ses études à l’École des Arts décoratifs jusqu’en 1952 et compta parmi ses professeurs Marcel Gromaire. Une fois diplômé, il commença son « métier » de peintre par des séjours en Italie, en Espagne et en Hollande avant de retrouver Paris. Lucien Fleury fut sensible à l’œuvre de Bonnard et peignit alors dans une veine post-cubiste tout en étant trop jeune pour vraiment faire partie de l’École de Paris. Fort d’un succès naissant, il participa à l’exposition « Les peintres témoins de leur temps » à la prestigieuse galerie Charpentier en 1954 et reçut la même année le Prix Fénéon. Il exposa à la première Biennale de Paris en 1959 et retrouva la galerie Charpentier en 1960 pour l’exposition « Formes et couleurs » et en 1962 pour « l’École de Paris ». Mais le jeune peintre brillant se sentit vite mal à l’aise parmi ces peintres plus âgés de « tradition française ».

Cherchant son propre langage, Lucien Fleury se rapprocha alors des artistes de « la Ruche ». Immeuble en rotonde du passage Dantzig, découpé en alvéoles constituant une multitude d’ateliers, la Ruche rassemblait de nombreux artistes communistes ou sympathisants. La vie du groupe était rythmée par des séances de dessin collectif, des critiques collectives, des discussions politiques et par une production de toiles souvent marquées par le gigantisme. Autour de Rebeyrolle, le « groupe de la Ruche » rassembla des artistes tels que Biras, Bocchi, Collomb, Simon Dat, Dujaric de la Rivière, De Galland, Thompson… auxquels venaient souvent se joindre Cueco, Fleury, Garcia Fons, Parré, Spitzer, Tisserand… Ce groupe d’artistes contribua à la création du Salon de la Jeune Peinture en 1953, un salon plus ouvert aux jeunes artistes et œuvrant à la défense de leurs intérêts moraux et matériels. Pour assurer le renouvellement des exposants, ce Salon se dota d’un fonctionnement démocratique parfaitement inédit dans ce type d’instance.

Lucien Fleury rejoignit le Salon de la jeune peinture à partir de 1964, une année-tournant à la fois pour le peintre et pour le Salon. Dans un contexte marqué par la fin de la suprématie de l’École française et par l’apparition de New-York comme nouvelle capitale des arts, le Salon vit arriver une nouvelle vague de peinture figurative animée par de jeunes artistes novateurs, actifs et provocateurs. Revisitant le Pop art, cette peinture mêle imageries les plus populaires, de la bande dessinées à la photographie, du cinéma à la télévision, retrouve le goût de l’ironie, les subtilités de l’humour, le détournement ou encore la citation plus ou moins sacrilège. Ce mouvement consacra également un certain renouveau de la peinture d’histoire, une peinture engagée et contestataire très ancrée dans l’actualité. La 16e édition du Salon de la Jeune Peinture en 1965, « Hommage au vert » au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, marqua un tournant en donnant le ton de ces nouvelles tendances.

De 1965 à 1970, tout en exposant, Lucien Fleury fit partie du comité du Salon de la jeune peinture ; il occupa même le poste de vice-président entre 1966 et 1969. Les assemblées générales du comité avaient lieu dans son vaste atelier de la rue du Val de Grâce. Durant les heures de Mai 68, Lucien Fleury fut parmi ceux qui animèrent l’Atelier populaire de l’École nationale supérieure des beaux-arts occupée où se retrouvaient peintres et non peintres pour inventer la réplique graphique aux médias officiels aux ordres du ministère de l’Information. De cet atelier sortaient des affiches qui portaient les « paroles de Mai » sur les murs. Pour le Salon de la jeune peinture de 1968 (reportée en 1969), « Salle rouge pour le Vietnam » à l’ARC (Musée d’art moderne de la Ville de Paris), Fleury exposa un Plan d’abri anti-aérien.

Lucien Fleury ne négligea pas pour autant son œuvre personnelle. Sa première exposition personnelle fut organisée en 1969, à la galerie Les Loges de l’Odéon, intitulée « Images-pièges », préfacée par Pierre Gaudibert. À partir de 1952, Fleury répondit par ailleurs à des commandes officielles de tapisseries et de décors muraux. Jusqu’en 1986, il ne réalisa pas moins de 44 commandes publiques dont dix tapisseries exécutées aux Gobelins et à Aubusson ainsi que soixante-dix tapisseries dites nouvelles (technique d’Alain Dupuis). Pour le 20e Salon de la Jeune Peinture, « Police et culture I » en 1969, Fleury participa à l’œuvre collective Livre d’école, livre de classe, sous titrée « instrument de propagande au service de la bourgeoisie », un gigantesque calicot où sont reproduits des fragments de manuels scolaires qu’il réalisa avec Cueco, Marinette Cueco, Naccache, Schnée, Schlosser et Dominique.

En octobre 1970, Lucien Fleury créa la Coopérative des Malassis avec les peintres Gérard Tisserand, Henri Cueco, Jean-Claude Latil, Michel Parré et Christian Zeimert. Le nom du groupe fait référence au plateau de Malassis à Bagnolet où l’atelier de Tisserand tenait lieu de quartier-général. Dans la mouvance de Mai 1968, leur action reposait sur une dénonciation de la mystification et de l’oppression sociale et visait à la réalisation d’œuvres collectives afin de dépasser la pratique picturale individualiste traditionnelle. Ils posaient la question du rôle de l’artiste dans la société, de son rapport au marché et de sa capacité à produire des œuvres militantes, autant de débats qui agitaient la scène artistique à cette époque. Les discussions du groupe avaient souvent lieu dans l’atelier de Fleury. Lors du vernissage de l’exposition controversée « Douze ans d’art contemporain » le 16 mai 1972 au Grand Palais, ils décrochèrent eux-mêmes leur tableau-manifeste de 65 mètres de longueur, Le Grand Méchoui (ou l’histoire d’un troupeau de moutons qui, effrayé par la confusion politique née de la guerre d’Algérie, a préféré s’en remettre à un homme providentiel) pour manifester contre cette opération de prestige pompidolienne et surtout pour protester contre la présence policière lors du vernissage. Un évènement qui rendit la Coopérative des Malassis célèbre. En 1975, les Malassis exécutèrent un décor mural de 2000 m² sur panneaux de fibrociment, intitulé Onze variations sur le Radeau de la Méduse ou la dérive de la société, réalisé, comble de l’ironie, pour le nouveau centre commercial Grand’place à Échirolles dans la banlieue grenobloise. Symbolisant le naufrage de la société de consommation, cette toile est teintée d’ironie et d’humour sceptique. Dernière série des Malassis, Cinq peintres romantiques ou Les affaires reprennent, fut exposée en avril 1977 lors de l’exposition « Mythologies quotidiennes II ». Ce fut la dernière grande œuvre collective du groupe, chaque panneau relevant cette fois d’une initiative individuelle. Le groupe se dissout en 1978.

Lucien Fleury adhéra quelque temps au Parti communiste français avant de se tourner ensuite vers le socialisme.

Il enseigna à l’école des beaux arts d’Orléans (Institut pour les arts visuels) entre 1965 et 1996, et participa à la réforme des écoles d’art en France, tout en continuant à peindre.

Parallèlement, Lucien Fleury développa une œuvre de plus en plus personnelle. Sa série des Cris d’appel exposée en 1974 à la Galerie Bellechasse montrait des corps tronqués, des portraits et autoportraits féroces, avec des références à l’enfance, avec son cortège de culpabilités et de fantasmes, le tout entre autodérision et introspection. L’artiste entreprit une psychanalyse entre 1977 et 1978, qui influença sa peinture, non seulement sur les thématiques (enfance, famille, autoportraits) mais aussi sur les techniques (touche rapide, utilisation du « non finito », adoption de nouvelles techniques comme le pastel, le fusain, l’acrylique et emploi d’une gamme de couleurs froides et foncées rehaussées parfois de touches de couleurs très vives). L’œuvre de Fleury évolua ainsi vers un certain lyrisme acide.

En 1977, le Syndicat national des artistes plasticiens CGT fut créé, Lucien Fleury fit partie d’une des commissions de travail du syndicat : celle qui traitait de l’enseignement avec Dupré, Netto, Parré et Perrot.

À partir des années 1980, l’art de Fleury se fit plus serein, et marqua un nouveau tournant quant aux thèmes et aux techniques utilisées. La série des Tartelettes, comme celle des Huîtres ou des Fleurs, aux coloris flamboyants, révèlent une sorte d’hédonisme, de bonheur de vivre. En 1987, une importante rétrospective Lucien Fleury fut organisée au musée des beaux arts d’Orléans. En 1985, il expose au 40e Salon de Mai au Grand Palais et en 1996 à l’exposition « Face à l’Histoire 1933-1996 » au Centre Georges Pompidou.

Atteint d’une pleurésie, il mourut en 2004 à Paris à l’âge de soixante-quinze ans. Une exposition au Musée des beaux-arts de Dole eut lieu en 2007 à la suite d’une importante donation de sa famille.

En avril 1987, pour le catalogue de son exposition au musée des beaux-arts d’Orléans, Lucien Fleury confia : « J’ai une position « romantique » par rapport à l’engagement politique à gauche, je me sens toujours marginal par rapport aux idéologies ». Cet aveu révèle la nature complexe et exigeante d’un artiste à l’écart du goût du jour et des modes. Allant de l’introspection sans concession aux productions spectaculaires et engagées de la Coopérative des Malassis, l’œuvre de Lucien Fleury est profondément inscrite dans les paradoxes de son temps.

Principales institutions conservant les œuvres de Lucien Fleury : Musée des beaux-arts de Dole (importante donation de la famille Fleury. Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, FNAC, FRAC Centre, Musée national d’art moderne/Centre Georges Pompidou, Musée de Grenoble, Musée de Long Island de New-York, Musée des beaux-arts d’Orléans, Musée Sainte Croix de Poitiers, Musée Denis Puech de Rodez.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article50449, notice FLEURY Lucien par Anysia L’Hôtellier, version mise en ligne le 2 juin 2009, dernière modification le 19 septembre 2021.

Par Anysia L’Hôtellier

SOURCES : Lucien Fleury : Musée des beaux-arts d’Orléans, 25 mai-31 août 1987, Musée des beaux-arts, Orléans, 1987. — Lucien Fleury : Sèvres, 1928-Paris, 2004, Musée des beaux-arts de Dole, 13 octobre-23 décembre 2007, Association des amis des musées du Jura, Impr. Édips, 2007. — Emmanuel Benezit, Dictionnaire critique et documentaire des peintres, sculpteurs, dessinateurs et graveurs de tous les temps et de tous les pays par un groupe d’écrivains spécialistes français et étrangers, Gründ, 1999. — H. Gloaguen et A. Tronche, L’art actuel en France : du cinétisme à l’hyperréalisme, éditions André Balland, 1973. — F. Parent et R. Perrot, Le Salon de la Jeune Peinture : une histoire 1950-1983, éditions JP, 1983. — J.-P. Delarge, Dictionnaire des arts plastiques modernes et contemporains, Librairie Gründ, 2001. — Émilie Chabert, La coopérative des Malassis. Les enjeux d’un art politique, mémoire de maîtrise (sous la dir. de S. Wilson), Université Paris IV, 2004 — M.-M. Duchet-Bidaut, Lucien Fleury, mémoire de maitrise (sous la dir. de M. Le Bot, Université Paris I, 1983. — La coopérative des Malassis – Cueco, Fleury, Latil, Parré, Tisserand, Éditions Jean Oswald, 1977. — La coopérative des Malassis, enjeux d’un collectif d’artistes, Ivry-sur-Seine, 1999. — Jean-Luc Chalumeau, La nouvelle figuration, une histoire de 1953 à nos jours, Éditions Cercle d’art, 2003.

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