GAUCHE Albert, Jean, Paul

Par Tangi Cavalin, Nathalie Viet-Depaule

Né le 17 septembre 1922 au Puy-Sainte-Réparade (Bouches-du-Rhône), mort le 25 novembre 2011 ; ajusteur, boiseur, agriculteur ; prêtre du diocèse d’Aix-en-Provence (1948), prêtre-ouvrier à Marseille (1951-1953) ; secrétaire du syndicat CGT du Bâtiment à Marseille, secrétaire du syndicat des éleveurs de basse-cour des Bouches-du-Rhône ; maire de Mimet (Bouches-du-Rhône) de 1977 à 1995.

Fils d’un fermier au service du châtelain d’Arnafon, Albert Gauche grandit dans une famille de paysans catholiques, très pratiquants, où la seule possibilité pour les garçons de pouvoir faire des études était d’aller au petit séminaire. Il quitta donc Puy-Sainte-Réparade (Bouches-du-Rhône) à l’âge de onze ans, après sa scolarité à l’école primaire, pour entrer au petit séminaire d’Aix-en-Provence. Ses études secondaires terminées, il intégra « tout naturellement » le grand séminaire. Son parcours fut interrompu en 1942 lorsqu’il fut envoyé aux Chantiers de jeunesse au Cannet-des-Maures (Var), puis à Poligny (Jura). Ayant été requis par le Service du travail obligatoire et sur l’ordre de son évêque, le très pétainiste Mgr du Bois de la Villerabel, de se rendre en Allemagne, il dut partir pour Augsbourg. Il fut affecté comme ajusteur à l’usine Messerschmitt, la grande usine de construction d’avions. Il y resta dix-huit mois, faisant partie d’un groupe de sabotage, ce qui lui valut d’être dénoncé, arrêté, torturé et déporté à Dachau d’où il s’évada à la faveur d’une alerte aérienne. De retour en France en août 1944, il reprit ses études au grand séminaire, mais souffrant de l’atmosphère qui y régnait, il obtint, avec un autre séminariste, Daniel Campiano, la possibilité de travailler à la BP à Lavéra pendant l’été 1945.

Ordonné prêtre en 1948, Albert Gauche fut nommé vicaire à Port-de-Bouc. Il se heurta rapidement aux conceptions pastorales de son curé. Très marqué par le travail en usine et le monde ouvrier qu’il avait découvert en Allemagne, il supporta difficilement le clivage existant entre le clergé et les habitants. Il refusa d’habiter à la cure, prit ses repas à la cantine de la SNCF, s’inséra dans des mouvements de jeunes en dehors de l’Action catholique spécialisée, soutint les ouvriers des chantiers de construction navale lors de leur grève, tant et si bien que son curé demanda son départ. Il sollicita alors l’autorisation de passer quelques mois à la Mission de France.

En septembre 1950, Albert Gauche arriva à Lisieux pour passer un an au séminaire de la Mission de France, comme « petit père » (nom dévolu aux prêtres déjà ordonnés), partageant la vie d’équipe et cherchant, selon ses propres termes, « à mettre en corrélation la pastorale de l’Église et l’insertion dans le monde du travail ». Nommé ensuite à Saint-Louis de Marseille (son évêque l’avait détaché au diocèse de Marseille), il put sortir de la pastorale traditionnelle en devenant officiellement, en septembre 1951, prêtre-ouvrier. Il fit équipe avec le dominicain André Piet* et le jésuite Charles Monier*, logeant avec eux à La Cabucelle. Il travailla, pendant quelques mois, dans une petite entreprise du bâtiment, comme manœuvre-maçon sur des chantiers et se syndiqua à la CGT. Il fit ensuite une formation professionnelle en béton armé du 18 août 1952 au 18 février 1953. Il avait alors choisi de quitter La Cabucelle à cause des divergences entre son équipe et celle de Jacques Loew* sur la conception de la mission ouvrière pour habiter au Rouet, dans la cour d’un café, à proximité d’un immeuble que le Mouvement populaire des familles (MPF) avait squatté. Il y anima une petite communauté de laïcs et fut embauché en mai 1953 comme boiseur à la Société de constructions industrielles.

Dès qu’il commença à travailler, Albert Gauche s’engagea dans le syndicalisme. Il endossa rapidement des responsabilités. En décembre 1952, il fut élu membre du secrétariat CGT du Bâtiment et en devint le secrétaire adjoint en 1953. Membre de la commission administrative de l’Union départementale en mars 1953, il fit partie d’une délégation à Paris, à la caserne de Reuilly, pour protester contre l’emprisonnement d’Alain Le Léap*, accusé de complot contre la sécurité de l’État à la suite des manifestations contre le général Ridgway. Il était également membre du comité pour la libération de Jacques Duclos, créé le 29 juin 1952, et du Comité d’action pour la paix au Vietnam, créé en janvier 1953. Il fit aussi partie des quarante-cinq personnalités de Marseille qui lancèrent un appel pour la négociation en Indochine, le 19 mai 1953.

En même temps qu’Albert Gauche s’investissait dans la lutte syndicale, de vives tensions, nées du comité diocésain d’ACO et de son aumônier, Roger de La Pommeraye, qui cherchaient à dénoncer l’influence néfaste des prêtres-ouvriers sur les militants ouvriers, éclataient entre certains chrétiens marseillais. Des pressions constantes amenèrent l’archevêque de Marseille, Mgr Delay, à intimer l’ordre, le 27 mai 1953, à ses prêtres-ouvriers de cesser le travail en usine avant l’été, bien avant la décision de l’Assemblée des cardinaux et archevêques qui allait fixer la date au 1er mars 1954. Albert Gauche, Charles Monier* et André Piet* répondirent à l’archevêque : « Votre conscience vous a dicté votre décision. La nôtre nous interdit d’abandonner le poste que nous ont confié nos camarades dans leur combat. Nous leur donnons ainsi le témoignage de loyauté qu’ils peuvent attendre de nous. » Albert Gauche et André Piet firent le choix de rester au travail, Charles Monier se soumit aux injonctions de la hiérarchie, déchiré entre sa fidélité à l’Église et sa fidélité à la classe ouvrière.

Sa décision prise, Albert Gauche se maria le 28 novembre 1953 avec Andrée Dubant, originaire du Limousin, qu’il avait connue comme institutrice de l’école libre de son village natal qu’elle avait quitté au bout d’un an (l’école fermait ses portes) pour venir enseigner chez les jésuites à Marseille. Ceux-ci lui imposèrent de choisir entre le maintien de son emploi et son mariage. Refusant de céder à cette injonction, elle quitta son poste. Albert Gauche continua à travailler et à militer dans le bâtiment. Membre de la commission exécutive fédérale en janvier 1954, il fut élu le 21 février 1954 secrétaire du syndicat du Bâtiment. En 1956, il était secrétaire général permanent du Bâtiment et matériaux de construction. Il était également secrétaire de l’Union régionale du Bâtiment et membre du bureau de l’Union départementale. Il fonda alors une mutuelle locale du bâtiment avec le tiers-payant et la dirigea du 1er janvier 1956 au 30 novembre 1960. Il avait entre temps adhéré au Parti communiste, mais n’avait pas d’autre responsabilité que celle de faire partie du comité de section.

Ne trouvant plus du tout de travail à cause de ses responsabilités syndicales, Albert Gauche décida d’acheter un terrain dans le bassin minier, à Mimet (Bouches-du-Rhône), et de monter un élevage de poules. Il se déclara agriculteur à partir de 1961. Il reprit ses activités militantes au syndicat des éleveurs de basse-cour des Bouches-du-Rhône dont il devint secrétaire, vice-président puis président. En 1973, il adhéra au Centre provençal de comptabilité rurale (CPCR) et en fut le président à partir d’octobre 1983. Il présida à partir de 1984 le Groupement informatique agricole méditerranéen (GIAM). Il s’investit également dans la vie locale : il se présenta en vain aux élections municipales de 1965 et de 1971, mais fut élu en 1977 comme candidat du Parti communiste, réélu comme candidat rénovateur en 1983 et enfin réélu en 1989 contre la liste du Parti communiste. Et, quelle que fût l’étiquette politique, il occupa le fauteuil de maire de Mimet de 1977 à 1995.

En 1999, Albert Gauche, père de trois enfants (un de ses fils avait repris l’élevage, l’autre était ingénieur, sa fille comptable), occupait sa retraite à s’occuper de son jardin, de sa maison et à lire (notamment Le Monde, Le Monde diplomatique et de la philosophie).

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article50463, notice GAUCHE Albert, Jean, Paul par Tangi Cavalin, Nathalie Viet-Depaule, version mise en ligne le 3 juin 2009, dernière modification le 4 janvier 2012.

Par Tangi Cavalin, Nathalie Viet-Depaule

SOURCES : Arch. nationales du monde du travail à Roubaix, fonds de la Mission de France. — François Leprieur, Quand Rome condamne, Plon/Cerf, 1989. — Roger de La Pommeraye, Aux frontières du Royaume, Centurion, 1992. — Charles Suaud, Nathalie Viet-Depaule, Prêtres et ouvriers. Une double fidélité mise à l’épreuve 1944-1969, Karthala, 2004. — Tangi Cavalin et Nathalie Viet-Depaule, « Catholiques engagés à Marseille », Bruno Duriez, Étienne Fouilloux, Denis Pelletier, Nathalie Viet-Depaule (dir.) avec la collaboration de Tangi Cavalin, Les catholiques dans la République (1905-2005), Les Éditions de l’Atelier, 2005, p. 301-312. — La Marseillaise, 30 juin, 16 décembre 1952, 24 janvier, 17, 18, 30 mars, 20 mai, 2 juin, 18, 24 août 1953, 18 janvier, 22 février, 1er mars, 2 avril 1954. — Entretien avec Albert Gauche et sa femme, Andrée Gauche, 26 février 1999 et lettre datée du 6 avril 1999. — Notes de Jean-Claude Lahaxe.

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