GAULMIER Jean, Joseph Antoine

Par Françoise Olivier-Utard

Né le 10 mars 1905 à Charenton-du-Cher (Cher), mort le 11 novembre 1997 à Paris (XVe arr.) ; universitaire, professeur de littérature à Damas (Syrie), puis à Strasbourg (Bas-Rhin) de 1951 à 1970, puis à Paris de 1970 à 1975 ; directeur de l’information et de la radiodiffusion de la France combattante à Beyrouth et à Alger de 1942 à 1945 ; pacifiste.

Jean Gaulmier naquit dans une famille de notables, catholique pratiquante. Il était l’aîné des cinq enfants de Joseph Louis, « propriétaire », et d’Antoinette Crouès. Il fit ses études secondaires au collège Sainte-Croix de Neuilly et passa le baccalauréat en 1921. Il échoua en 1925 au concours de l’École normale supérieure (année de Sartre et Nizan) et renonça à se présenter une seconde fois, et même, plus tard, à se présenter à l’agrégation. Il choisit de s’inscrire à la Sorbonne, et, sur les conseils de son professeur de philosophie Étienne Gilson, il entreprit d’étudier l’arabe. C’est ainsi que naquit sa passion pour les études orientales. Son goût personnel le portait vers les écrivains français qui avaient été séduits par le voyage en Orient. L’orientalisme, plus que l’Orient lui-même, devint son sujet de prédilection, à travers les contes, les récits de voyage, les réflexions sur l’histoire des sociétés. Désireux de faire connaissance avec le terrain, il décida de tenter l’aventure, s’engagea « incognito », comme simple soldat, au 17° régiment des Tirailleurs sénégalais, et arriva au Liban en 1928. On ne tarda pas à reconnaître sa formation et on lui confia la fonction de conseiller pour l’instruction publique, à Damas, puis, successivement, à partir de 1929, la direction des études françaises à Hama-sur-l’Oronte, Alep puis Damas. Il devint un homme de lettres après la publication de deux romans, Terroir (1931) et Matricule huit (1934), chez Rieder, qui éditait aussi la revue Europe, lancée par Romain Rolland.

En 1939, il fut mobilisé sur place. En 1941, il choisit son camp, contre le général vichyste Dentz. Il rejoignit la France Libre, qui assumait la charge des États du Levant. Il publia même à cette occasion un livret de pastiches de tous les écrivains français qui auraient pu s’élever contre la tyrannie, de Joachim du Bellay à Georges Duhamel : Combattant malgré eux. Son engagement fut dès le début républicain, antivichyste et antifasciste. En 1942, sa rencontre avec Charles de Gaulle fut décisive. Ce dernier lui confia la direction de l’Information et de la radiodiffusion de la France combattante à Beyrouth. Jean Gaulmier prit donc en mains La Syrie et l’Orient, quotidien né de la fusion de deux petits journaux locaux, et en fit le journal en langue française du Monde libre. Soucieux de maintenir le rayonnement de la culture et surtout de la littérature française, contre les entreprises allemandes et même, dans une certaine mesure, anglaises, il y publia les poètes de la Résistance française, Bernanos, Eluard, Aragon, Vercors. Il publia aussi une anthologie des œuvres de Charles de Gaulle, en 1942. Il prit même la liberté de contacter André Gide, qui accepta de confier au journal ses notes sur « La délivrance de Tunis », en 1943. Entre juillet et décembre 1944, un bref passage à Alger, pour y assurer l’intérim de la direction de la radio de la France Libre, le mit en contact avec Paul Rivet*, Roger Garaudy*, André Marty, René Capitant et toute l’intelligentsia communiste et gaulliste présente à la veille de la Libération. L’activité littéraire et éditoriale y était foisonnante.

Il retourna à Beyrouth en 1945 pour enseigner à l’École supérieure des lettres, dépendant de l’université de Lyon. Il put alors terminer ses deux thèses, dont celle sur Volney (Un grand témoin de la Révolution et de l’Empire, Volney), soutenue en 1947. L’espoir qu’une université serait créée au Liban ayant avorté, il demanda un poste de professeur à l’université de Strasbourg, en 1951, pour pouvoir travailler à la Bibliothèque nationale universitaire de cette ville, sur le très riche fonds Gobineau acquis par les Allemands à la fin du XIX° siècle.

De 1947 à 1956 il assuma la fonction de maire de sa petite ville natale, mais l’éloignement géographique d’avec sa résidence universitaire l’obligea à renoncer à son mandat.

Entre 1958 et 1963 il assuma plusieurs missions en Afrique pour l’UNESCO, dans le cadre de projets éducatifs des pays accédant à l’indépendance. Il fut membre élu du conseil de l’Université de Strasbourg de 1964 à 1970.

Ses positions politiques le portaient plutôt vers le radicalisme, mais il rencontra à l’université de Strasbourg des collègues de tous bords très engagés dans la lutte pour la paix. Il participa alors, aux côtés de Georges Cerf*, de Claude Cahen* (spécialiste de l’Orient lui aussi), de Louis Frühling, puis d’André Mandouze*, aux activités du Mouvement de la paix. La paix en Algérie lui tenait particulièrement à cœur. Son caractère plutôt distant et son abord en général assez froid n’en faisaient pas un militant de choc, mais il fut un universitaire engagé, qui prit position publiquement, donna régulièrement sa signature et distribua des tracts contre les guerres coloniales, contre les armes nucléaires, pour la paix et le désarmement.

Il publia le 13 novembre 1965 un retentissant « Mea culpa » dans Le Monde, annonçant sa rupture avec de Gaulle, dans « un dur devoir d’autocritique ». Il écrivait avoir contribué de 1941 à 1944 à la création du « mythe gaulliste », mais reconnaissait qu’il s’était trompé, et que l’idéal républicain de la France Libre avait été dévoyé. Au régime des partis avait été substitué celui des clans. Le Fil de l’épée était, il ne le comprenait que tardivement, la profession de foi d’un antidémocrate. « L’esprit de la France Libre, cet esprit de jeunesse, de courage allègre, d’espoir absolu dans les forces vives de la patrie, le climat des soldats de l’an II que nous avons connu, ne le cherchez pas en ce moment à l’Élysée où règne un homme seul qui assène au peuple français un mépris de plomb. » Il concluait par ces mots : « Parce que je reste un Français libre, je voterai pour François Mitterrand. »

Les événements de Mai 1968 à Strasbourg ne rencontrèrent guère son adhésion. Il craignait une régression de l’université. En 1970 il obtint sa nomination à la Sorbonne et prit sa retraite en 1975.

Jean Gaulmier fut de ceux qui construisirent la figure de l’intellectuel engagé de l’après-guerre. C’est par la littérature qu’il s’inscrivit dans le mouvement social, à la fois comme érudit et comme écrivain. Son penchant républicain l’avait amené à s’intéresser aux romans populaires provinciaux traditionnellement considérés comme mineurs, et à écrire lui-même des romans de terroir. Il aimait se pencher sur les témoins de la Révolution. Gobineau l’avait intéressé pour avoir écrit « Ce qui est arrivé à la France en 1870 », et pour ses récits d’Orient, plus que pour son « Essai sur l’inégalité des races », qu’il considérait comme une effusion lyrique et fantasmagorique. Si l’on cherche à lui associer une référence emblématique, ce pourrait être, par exemple, celle de Lamartine, mais le Lamartine poète romantique et républicain de février 1848, le défenseur du drapeau tricolore.

Il avait épousé Anne Ricard, le 24 septembre 1934, puis Jeanine Kolaczyk, le 12 avril 1940, à Beyrouth.

Il était titulaire de nombreuses médailles et décorations : Mérite syrien, Mérite libanais, officier de l’ordre libanais du Cèdre, Médaille de la Résistance, Médaille de la France Libre, Officier de l’Instruction publique, Officier de la Légion d’honneur.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article50526, notice GAULMIER Jean, Joseph Antoine par Françoise Olivier-Utard, version mise en ligne le 5 juin 2009, dernière modification le 22 août 2022.

Par Françoise Olivier-Utard

ŒUVRE : Terroir, Rieder, 1931. — Matricule huit, Rieder, 1932. — Combattant malgré eux, Charlot, Alger, 1945. — Un grand témoin de la Révolution et de l’Empire, Volney, 1959. — Spectre de Gobineau, JJ Pauvert, 1965. — Édition des Œuvres de Gobineau, Pléiade, 1983, 3 vol. — « Quelques souvenirs sur André Gide » in Autour du romantisme, de Volney à Jean-Paul Sartre, mélanges offerts à Monsieur le professeur Jean Gaulmier, Publications de la Faculté des lettres de Strasbourg, 1977. — « Mea culpa », Le Monde, 13 novembre 1965, (article ayant suscité une lettre de Vincent Monteil sur l’esprit de la France Libre le 26 novembre et une réponse de J. Gaulmier le 3 décembre 1965).

SOURCES : Archives de l’Institut CGT-Alsace d’histoire sociale (Dossiers Mouvement de la Paix). — Eric Deschodt : « Jean Gaulmier », Les Cahiers bleus, n° 45, 1988, p. 11-14. — Charles Grandhomme : « Jean Gaulmier », Nouveau dictionnaire de biographie alsacienne, Strasbourg, fasc. 12, 1988, p. 1126.

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