Par Claude Schkolnyk-Clangeaud
Né le 14 août 1914 à Bialystok (Pologne), mort le 11 mars 2008 à Paris ; journaliste ; permanent communiste ; responsable pendant la Résistance de la Section juive de la MOI.
Issu d’une famille de commerçants juifs mais dont certains membres s’étaient signalés par leur engagement dans la révolution de 1905 et plus tard dans le Parti communiste polonais, Adam Rayski passa son enfance à Bialystok, ville industrielle aux confins de la Biélorussie, peuplée majoritairement de juifs. Une population qui était divisée entre les différentes tendances idéologiques de la gauche juive, du Bund au communisme en passant par les sionistes de gauche du Poalei Sion. Jeune lycéen, il fut fasciné par la lecture des œuvres de Boukharine qui lui révéla la » lumière du marxisme ». Il devint rapidement responsable de de la « gauche scolaire » puis secrétaire du Komsomol (Jeunesse communiste) de Bialystok. Exclu du lycée pour ses idées et activités subversives, il dut, afin de poursuivre des études universitaires, partir en France en septembre 1932.
Parallèlement aux études de journalisme à la Sorbonne et à l’École libre des sciences politiques, Rayski revendiquant à la fois son identité juive et communiste, trouva sa place dans les organisations de jeunesses juives rattachées au Parti communiste par la « Section juive de la MOI » (Main d’œuvre immigrée). Le 1er janvier 1934, la « section juive » lança un quotidien en langue yiddish, Naïe presse(Presse nouvelle) dont le rédacteur en chef était Louis Gronowski, dirigeant de la MOI. Rayski fut engagé comme journaliste et devint en même temps permanent du parti. Il fut envoyé comme stagiaire à l’Humanité où de 1934 à 1936, sous la direction d’André Marty puis de Paul Vaillant-Couturier*, souvent à côté d’Aragon il passa par une « bonne école » du journalisme communiste.
Militant ardent et parfaitement « dans la ligne », il se fit cependant remarquer par l’originalité de ses analyses, ce que lui valut une ascension particulièrement rapide d’autant que la « section juive » et ses multiples branches manifestaient une propension quasiment congénitale à se comporter comme un parti communiste juif autonome. Les tensions avec le « centre » étaient fréquentes mais aboutissaient rarement à des situations de rupture.
Quand le journal entra dans la clandestinité fin octobre 1939, sous le titre de Unzer Wort (Notre parole), il resta à son poste jusqu’à sa mobilisation le 20 mai 1940. Il rejoignit alors un régiment de l’armée polonaise basée à Coëtquidan (Morbihan) et fut affecté comme interprète auprès du 8 régiment d’infanterie. Fait prisonnier au moment de la débâcle, il s’évada et rentra à Paris le 14 juillet. Il s’attacha, dans un premier temps en tant que membre de la direction clandestine, à reconstituer l’organisation clandestine, appelée « Solidarité ». En effet, son objectif initial et immédiat était d’apporter une aide matérielle aux familles frappées par le Statut anti-juif et autres mesures de persécution. Une solidarité à connotation politique, car elle fut accompagnée des appels à la résistance passive, lancée dans les journaux et tracts qui prennaient une place de plus en plus grande dans les activités de la section juive.
En avril 1941, Rayski fut délégué en zone sud où de nombreux juifs s’étaient repliés depuis l’exode de juin 1940. À Toulouse, il porta la consigne du parti de mettre en place un réseau d’évasion et d’hébergement pour les internés des camps de Gurs, d’Argelès et du Vernet, et d’organiser pour certains le retour vers leurs pays d’origines pour y rejoindre la résistance (Pologne, Tchécoslovaquie, Yougoslavie, etc...) par le biais du travail volontaire en Allemagne. À Marseille, il organisa un réseau d’information et une imprimerie clandestine pour faire paraître le premier journal clandestin de la section juive en zone sud. À Lyon, Il fait venir de Paris Jacques Ravine pour assurer la direction dans la zone libre qui disposait déjà d’organisations à Grenoble, Roanne, Marseille, Nice, Toulouse, Montpellier, Périgueux et Limoges.
L’agression de la Wehrmacht contre l’URSS ouvrit une nouvelle étape pour la résistance communiste. Rayski écrit : « Les verrous [du pacte] ont sauté ; enfin nous entrons dans la guerre. » Il fut rappelé à Paris pour prendre la responsabilité nationale de la section juive qui était déjà confrontée à une première vague de persécutions notamment d’internement des juifs étrangers et d’exécution massives d’otages juifs. Il résuma la situation existentielle des juifs par cette formule : « Sur l’horloge de l’histoire, les aiguilles avançaient plus vite pour les juifs que pour les autres populations de l’Europe occupée. Le temps des autres n’était pas exactement le nôtre » Il ébaucha dans la presse clandestine les grandes lignes d’une stratégie qui se précisa au fur et à mesure qu’on parvint à connaître la mise en place en France de la « solution finale ». Cette stratégie était fondée sur le refus de l’isolement de la population juive de l’ensemble de la nation, but que l’occupant et Vichy voulait atteindre en englobant les organisations juives et ainsi que tous les juifs français et immigrés, dans une communauté obligatoire, l’UGIF. Pour survivre il n’existait qu’une voie : dire non à la législation d’exception en passant dans la clandestinité même si cela paraissait inconcevable pour une population civile, vieillards et enfants compris. Ce qui ne pouvait se faire sans le concours actif de, la population non-juive. Après les grandes rafles de juillet 1942 qui frappaient très durement les juifs étrangers de Paris mais où grâce à l’alerte lancée par la « section juive » plusieurs milliers ont pu échapper à la police ; on assista à une prise de conscience conduisant hommes et femmes à la résistance politique et armée. Sous l’impulsion de Rayski fut créé le 2e Détachement juif qui constitua le fer de lance des FTP-MOI. Ses combattants seront immortalisés par la fameuse « Affiche Rouge ». Rayski favorisa dans la lutte armée sa fonction politique et psychologique dans la mesure où elle contribua à démoraliser les troupes d’occupation, d’une part, mais,d’autre part à apporter à l’ensemble des juifs courage et espoir.
Pour sortir les juifs de leur isolement et aussi afin de concrétiser la solidarité, de plus en plus agissante, des catholiques,protestants et laïques de tous les horizons, la section juive mit en place, dès août 1943, une structure, le Mouvement national contre le racisme (MNCR) qui occupa dans la résistance une place spécifique tant par ses réseaux de sauvetage d’enfants que par sa presse (J’Accuse, Fraternité et autres) qui se consacra à la lutte contre la propagande antisémite. Rayski assurait la direction politique de tous les organes de la section juive de la MOI, de son mouvement de jeunes et du MNCR. Il supervisait les structures de résistance adaptées à la diversité de la population : union des femmes, mouvement des jeunes, groupes de résistance par arrondissement, services d’écoute de radio, diffusion de l’information, groupes de sauvetage d’enfants.
Il recevait les directives d’orientation générale de Jacques Duclos* par l’intermédiaire de Louis Gronowski une fois par mois. Mais la spécificité du destin juif — lui et ses camarades savaient dés octobre 1942 l’existence des chambres à gaz et que les juifs étaient voués à l’extermination — conduisit Rayski et la direction à analyser la situation par leurs propres moyens et en fonction de l’aggravation de mesures de déportation.
En 1943, les Brigades spéciales de la préfecture concentrent leurs efforts sur les organisations juives de la MOI considérant, à juste titre, qu’elles représentent sa force essentielle. Favorisée par un système de filature particulièrement raffinée et du concours de deux provocateurs, la police marqua des coups aboutissant en novembre au démantèlement quasi total de la « Section juive » et des FTP-MOI.
Rayski, identifié par les services de police, fut activement recherché mais réussit à passer à travers les mailles du filet. En mai 1943, la direction juive se trouva en conflit avec la MOI et Jacques Duclos* qui refusaient le transfert en zone sud de l’organisation parisienne encerclée par les dispositifs policiers. Cependant, après les arrestations de juillet 1943 de près de cent militants, la direction du parti revint sur sa décision en admettant l’argument politique de la nécessité, pour la Section juive, de se trouver plus près des organisations et de la masse, donc en zone sud.
Dès octobre 1943, les organisations juives de la MOI de la zone sud, connaissaient une montée en puissance exceptionnelle et sont reconnues par tous les autres courants de la vie juive comme partie intégrante de la Résistance juive. Cette dernière unifie ses forces en créant le Comité général de défense juif qui servait d’embryon pour la fondation, dès janvier 1944, du Conseil représentatif des israélites de France (CRIF) incarnant la communauté d’après guerre.
En 1945, le Parti communiste français, décreta l’intégration au parti des organisations des immigrés. L’histoire de leur résistance fut assimilée à celle de la Résistance communiste et a perdu sa spécificité et son caractère autonome. Il découvrit une compensation dans la foi en l’avenir d’un État pour Israël. Cependant Rayski qui rencontra Thorez et Duclos parvint à leur faire reconnaître la légitimité de l’UJRE qui échappa ainsi à la dissolution. En mai 1945, il fut invité à représenter le Comité de coordination des organisations juives issues de la Résistance, à la conférence internationale de New York, sur la situation du judaïsme européen au lendemain de la guerre. Il partit aussi mandaté par le PCF et Jacques Duclos* pour établir des contacts avec les communistes américains et faire connaître le rôle joué par les communistes français dans la Résistance.
La lutte pour l’indépendance des juifs de Palestine amena Rayski à jouer un rôle sur le plan international. Il établit des relations constantes entre le mouvement communiste français et la gauche israélienne : il organisa une rencontre entre Duclos et les membre de la direction du MAPAM, Barzilai, Oren et Sneh. Ces pourparlers engagèrent le PCF dans une attitude favorable à la reconnaissance de l’État d’Israël anticipant sur la déclaration de Gromyko à la session de l’ONU du 14 mai 1947, dans laquelle le représentant de l’URSS proposait une solution fédérale ou le partage de la Palestine en deux États.
En septembre 1949, Rayski accepta de revenir en Pologne Nommé président du Comité de l’administration centrale des éditions de presse, il jouissait des prérogatives d’un sous-secrétaire d’État. Ses activités anciennes au sein de la MOI ainsi que ses relations avec les organisations sionistes mondiales lui valurent rapidement la méfiance des organes de Sécurité entièrement contrôlés par les soviétiques ; il échappa de peu à un procès.
Après le « printemps polonais » de 1956 où son rôle fut particulièrement important notamment dans la libéralisation des structures étatiques de la presse, il accepta une mission en France dans le cadre des accords de coopération culturelle entre la France et la Pologne en prenant la direction un centre d’édition et de diffusion de la culture polonaise en rupture avec le stalinisme. L’alignement de Gomulka sur les soviétiques finit par renforcer la déception de Rayski quant aux chances de démocratisation du communisme (cf. Nos illusions perdues) Il dira que les mêmes idéaux qui l’ont fait entrer dans le communisme — la quête de justice et de liberté — sont à l’origine de sa rupture. Soupçonné de complicité — on croit à une vengeance de Varsovie — avec des agents des services secrets polonais en 1945-1946, il fut condamné en 1962 à sept ans de prison, mais bénéficiant d’une suspension de peine, il fut libéré en mars 1963 puis amnistié.
À la sortie de prison, Rayski se retira de la vie politique et se consacra à l’histoire de la Shoa et de la résistance juive.Il publia de nombreuses études dans des revues spécialisées. En 1985 parurent ses mémoires avec le titre de Nos illusions perdues, puis dans les années suivantes des ouvrages sur les juifs pendant la Seconde Guerre mondiale.
Il préside l’Amicale de liaison des anciens résistants juifs (AMILAR).
Par Claude Schkolnyk-Clangeaud
ŒUVRE : Nos illusions perdues, Balland, 1985. — Qui savait quoi ? L’extermination des juifs 1941-1945 (avec Stéphane Courtois et Denis Peschanski), La Découverte, 1987. — Le Sang de l’étranger. Les immigrés de la MOI dans la Résistance (avec Stéphane Courtois et Denis Peschanski), Fayard, 1989.
SOURCES : L. Gronowski-Brunot, Le dernier grand soir. Un juif de Pologne, Le Seuil, 1980. — J.-P. Gaudard, Les Orphelins du PC., Belfond 1986. — L. Chertok, Mémoires d’un hérétique, La Découverte, 1990. — Entretien avec Adam Rayski, 4 février 1991. —Renée Poznanski, "Rayski Adam", Dictionnaire historique de la Résistance, Bouquins, 2006, p. 511-512.