Par Jean-Louis Panné, Claude Pennetier
Né le 13 mai 1899 à Nogent-le-Rotrou (Eure-et-Loir), mort le 8 juillet 1964 à Suresnes (Hôpital Foch, Seine) ; ouvrier mécanicien ; secrétaire des Jeunesses communistes (1923), secrétaire de la Fédération unitaire des Métaux et membre de la commission exécutive de la CGTU (1923-1927).
Membre du Comité central du Parti communiste (1925-1927), envoyé de l’Internationale syndicale rouge en Amérique latine, émissaire de l’Internationale communiste en Espagne (1930-1932). Secrétaire de l’Union régionale CGTU bordelaise (1933-1935). Secrétaire du mouvement Amsterdam-Pleyel (1935-1937). Résistant et déporté. Directeur de publication de l’Humanité (1957-1964).
Issu d’une famille de petits paysans berrichons, le père d’Octave Rabaté fit toutes sortes de métiers avant de devenir fossoyeur à Pantin (Seine). Syndiqué à la CGT, il sympathisait avec la tendance réformiste. La mère d’Octave appartenait à une famille pauvre de tisserands à domicile. Octave Rabaté fut reçu au Certificat d’études primaires en 1911, au certificat complémentaire en 1912 et entra, à la suite d’un examen, à l’École professionnelle Diderot où il resta jusqu’en juin 1914, date à laquelle il fut contraint de travailler comme garçon boulanger puis boucher. Il perdit son père tuberculeux en 1915 et sa mère dut s’embaucher dans la métallurgie. Ajusteur, Octave Rabaté commença à travailler en 1915 dans différentes entreprises dont Hispano-Suiza à Bois-Colombes (Seine). L’année suivante, il s’embaucha aux « Compteurs », boulevard de Vaugirard à Paris (XVe arr.). Syndiqué en 1917 à l’Union des mécaniciens de la Seine, il appartint aux Jeunesses syndicalistes de 1917 à 1919. En 1919, il fut membre du comité de grève de Pantin-Aubervilliers et fut élu, la même année, secrétaire de la section locale des Métaux, adjoint au Comité intersyndical de Pantin-Aubervilliers et membre du conseil syndical des Métaux de la Seine. Influencé par « l’anarcho-syndicalisme », il adhéra néanmoins à la section des Jeunesses socialistes de Pantin-Aubervilliers en 1917 puis milita au groupe local du Comité de la IIIe Internationale en 1919. Il rejoignit le Parti communiste dès sa fondation, parrainé par Mouflard* et Louis Collaveri* et se rangea à son aile gauche.
De mars 1920 à février 1922, Octave Rabaté effectua son service militaire au 1er régiment d’aviation de chasse de Thionville (Meurthe-et-Moselle) comme magasinier. Il y organisa le travail antimilitariste et envoya une « lettre de soldat » à l’Humanité en 1921. Dès cette époque, Octave Rabaté était en relation avec le « service spécial » auquel il fournissait des renseignements techniques militaires. Il cessa cette activité lorsqu’il prit des responsabilités à la Fédération des Métaux tout en continuant à servir d’agent de liaison jusqu’à son départ forcé de France à la suite de poursuite judiciaires. Libéré le 22 février 1922, il milita au sein des Jeunesses communistes à Pantin dont il fut le secrétaire local. Embauché chez Unic, il y fonda la première section d’usine de la Métallurgie mais fut licencié peu après. Devenu en mars 1923 secrétaire de la 4e Entente des Jeunesses communistes pour le travail antimilitariste, il accéda au secrétariat national des JC comme secrétaire chargé des luttes économiques au cours du congrès national de Lyon en mai 1923.
Parallèlement à ses activités dans les Jeunesses, Rabaté avait entamé une carrière syndicale : en juillet 1923, il fut désigné comme secrétaire appointé à la propagande de la Fédération des Métaux aux côtés d’Élysée Poussel*. Durant l’été, il fit partie de la délégation au congrès des syndicats soviétiques à Moscou. Il avait épousé le 28 août 1923 à Paris (XIe arr.), Georgette Roudninsky, ouvrière maroquinière, dont il se sépara vers 1927.
Son ascension rapide se concrétisa lors du congrès CGTU de Bourges (12-17 novembre 1923) où, délégué de la Fédération des Métaux, il fut élu membre titulaire de la Commission exécutive et de la commission de la presse. Il devait être reconduit à cette fonction aux congrès suivants : Paris (26-31 août 1925) et Bordeaux (19-24 septembre 1927) au cours duquel il présenta un rapport sur l’organisation. Absent aux congrès de Paris (15-21 septembre 1929 et 8-14 novembre 1931), il ne réapparut qu’à celui de 1933 (Paris, 23-29 septembre) comme délégué de la Fédération du Bâtiment. Enfin, au dernier congrès de la CGTU (Issy-les-Moulineaux, 24-27 septembre 1935), il fut à nouveau délégué des Métaux. Il participa également au congrès d’unification à Toulouse (2-5 mars 1936).
Au congrès de Bourges (1923), il aurait été partisan du retour à la CGT pour en conquérir la direction. Il appartenait alors au comité de rédaction de la Vie ouvrière et était gérant du Creuset, revue de la Fédération des Métaux. Au début de l’année 1924, il effectua une longue tournée de propagande dans l’Ouest de la France.
Il semble qu’à cette époque, Octave Rabaté ait hésité entre des responsabilités syndicales ou politiques. En effet, en 1925, il fut également élu membre titulaire du Comité central du Parti communiste lors du congrès de Clichy (17-21 janvier) et membre de sa commission syndicale. Mais à cette époque, les syndicalistes de la CGTU formaient l’épine dorsale du Parti communiste. Octave Rabaté fut associé aux travaux du Bureau politique de juillet à décembre 1925. Aux élections municipales de mai 1925, il figura en deuxième position sur la liste communiste présentée à Pantin. Il fut la même année l’un des fondateurs de la société coopérative de production « La Mécanique moderne », située rue de la Convention. En 1926, il participa également à la fondation des Établissements industriels de moteurs et d’outillage, établis avenue Parmentier.
En mars 1925, il avait assisté à une session élargie du Comité exécutif de l’Internationale communiste et était devenu, en mai, membre du Comité central du Secours rouge international. Par contre, il observa une attitude réservée dans la campagne contre l’Opposition en URSS comme en témoigne la longue lettre qu’il fit parvenir en octobre 1926 au Bureau politique et qui fut publiée dans les Cahiers du bolchevisme. Par la suite, il devait expliquer ses hésitations par l’emprisonnement subi au moment même des débats. Selon lui, le passage de Zinoviev et Kamenev à l’Opposition, fut l’événement qui lui fit comprendre son erreur.
Octave Rabaté avait été condamné le 11 septembre 1925 par le tribunal correctionnel du Mans à quatre mois de prison et 500 F d’amende, sous l’inculpation de « provocation de militaires à la désobéissance », pour des propos tenus au cours d’une réunion contre la guerre du Rif. Ce jugement fut confirmé en appel le 6 mai 1926 par la cour d’Angers et Octave Rabaté fut arrêté le 30 mai alors qu’il animait les grèves de la vallée de la Meuse dans les Ardennes (Château-Régnault, Brault, Levrézy). Il fut réélu membre du Comité central du Parti communiste lors du congrès de Lille (20-26 juin 1926), mais son action politique et syndicale fut considérablement entravée par de nouvelles poursuites. Le 3 novembre 1926, il fut condamné à quatre mois de prison et 500 F. d’amende par le tribunal correctionnel de Valenciennes pour « provocation d’attentat contre la sûreté extérieure de l’État » et incarcéré à la Santé.
Courant 1927, Octave Rabaté fut le porte-parole, au sein du Comité central, du « groupe Crémet », composé de Demusois, Vassart, Fayet, Duisabou et Roque, qui s’opposait à la politique suivie par le Bureau politique. Le groupe cessa d’exister en novembre 1927 après l’élimination d’Albert Treint*. En décembre 1927, il fut réélu secrétaire de la Fédération unitaire des Métaux à l’issue du congrès confédéral tenu les 14-16 décembre. Il y prononça un discours sur la rationalisation dans lequel il analysait l’apparition de la « fabrication en grande série » dans la métallurgie française, notamment dans l’automobile, par l’introduction de l’organisation scientifique du travail et du taylorisme. Critiquant l’intervention de A. Mahouy* , il utilisa cette image : « On ne peut pas plus empêcher le travail à la chaîne qu’on ne peut empêcher la pluie de tomber... » et s’affirma partisan de l’OST, « y compris des normes de production », à la condition que le contrôle ouvrier soit développé et dans la perspective d’une prise de pouvoir du prolétariat.
Cité en 1927 dans l’affaire d’espionnage dite « Berstein-Grodnincki », il fut à nouveau soupçonné dans l’affaire dite « d’espionnage de Versailles » en janvier 1928 (voirJean Crémet*). Poursuivi , Octave Rabaté dut passer dans la clandestinité le 15 janvier 1928 et après un périple par plusieurs pays européens, arriva à Moscou en Union soviétique. Il put ainsi assister au IXe plénum de l’Exécutif élargi de l’Internationale communiste en février puis reçut un poste à l’Internationale syndicale rouge, fut désigné comme membre de la délégation française au IVe congrès de l’ISR (17 mars-3 avril) et entra Conseil central.
Représentant de la CGTU auprès de l’ISR, il fut envoyé en Amérique latine pour préparer le congrès d’unification syndicale qui eut lieu du 18 au 25 mai 1929 à Montevideo (Uruguay) et y intervint sous le pseudonyme de Mayer. Il y retrouva le responsable de la section Amérique latine du Komintern, Jules Humbert-Droz. Ayant appris l’Espagnol, il put accomplir plusieurs missions à travers le continent latino-américain : en Colombie (représentant l’ISR lors de la grève des ouvriers bananiers), Équateur, Pérou, Argentine. Il revint en novembre 1929 à Moscou où il assista aux travaux du Plénum du Comité central de l’ISR. Puis, il se rendit de février à juillet 1930 en Espagne où séjournait également Jacques Duclos*. Il fut chargé d’organiser une journée nationale de la Métallurgie. Rentré à Moscou en juillet 1930, il y retrouva Marie Bernuchon (voir Maria Rabaté*), sa compagne depuis l’automne 1927. Au congrès de l’ISR d’août 1930, la délégation française prit prétexte de son éloignement de France pour refuser de le représenter au Conseil central ; sa candidature fut finalement proposée au nom des syndicats soviétiques de la Métallurgie et acceptée. Il participa également à la Ve conférence des métallurgistes révolutionnaires comme rapporteur sur les questions de la lutte contre la guerre mais ne fut pas élu au secrétariat de la commission internationale (Interkom) des métallurgistes sur l’opposition de Gaston Monmousseau* et Arrachart. Monmousseau tenta également de le faire exclure du conseil central de l’ISR.
Par la suite, Rabaté accomplit un second séjour en Espagne de décembre 1930 à septembre 1931, comme délégué de l’ISR, — Jacques Duclos* étant le représentant officiel de l’Internationale communiste. Également présent, Humbert-Droz, délégué de l’ISR en disgrâce, fut placé par Moscou sous le contrôle de Rabaté. Les deux hommes ne s’entendirent pas et Humbert-Droz devait faire une description sévère de Rabaté dans ses correspondances. Durant un troisième séjour puis de novembre 1931 à septembre 1932, il s’installa à Barcelone en compagnie de Marie Bernuchon et de leurs deux enfants et aida à la fondation du journal communiste Mundo obrero. À son retour à Moscou, dans le contexte de l’élimination en France de la direction Barbé-Celor, Octave Rabaté fit un rapport « assez accablant pour la direction sectaire, autoritaire, du parti espagnol », celle de Trilla et de Bullejos. Selon Maria Rabaté : « Tout se décide à Moscou. Et voilà Octave “installé” à leur place de dirigeant du parti espagnol, un court moment, jusqu’à l’arrivée de Pépé Diaz » (op. cit.). Le couple demanda avec force d’être affecté à des fonctions en France. Mais il dut attendre le feu vert de la direction du Parti communiste, au cours du XIIe Plénum de l’IC (août-septembre 1932), pour pouvoir revenir.
Octave Rabaté rentra en France à la fin de l’année 1932. Il devint, en 1933, secrétaire de la XIIIe Union régionale CGTU (Gironde, Lot-et-Garonne et Gers) et y combattit l’influence du libertaire Jean Barrué*. En octobre 1934, parti enquêter en Espagne sur le sort des prisonniers politiques, quelques jours après l’échec de l’insurrection des Asturies (6-18 octobre), il fut arrêté le 26 octobre en compagnie de Thaddée Oppman*. Libérés le 26 décembre, tous deux furent aussitôt expulsés.
Devenu membre du secrétariat du Comité national de lutte contre la guerre et le fascisme, il abandonna ses fonctions syndicales bordelaises en février 1935 pour prendre en charge le secrétariat du mouvement Amsterdam-Pleyel à la demande d’Henri Barbusse, fonction qu’il conserva jusqu’en juin 1937. Ce fut lui qui donna lecture du « serment du Front populaire » lors du meeting de Buffalo, le 14 juillet 1935. En 1936, il appartint au secrétariat administratif du Comité national du Front populaire et était directeur de Paix et Liberté. De juin 1937 à la déclaration de guerre, il remplit les fonctions d’instructeur du Parti communiste dans l’Est et le Centre-Est de la France.
Octave Rabaté approuva la signature du Pacte germano-soviétique. Mobilisé dans la défense passive en septembre 1939, il fut démobilisé un an plus tard. Il devint alors responsable politique de la région des Charentes et de Loire-Inférieure du Parti communiste clandestin. Arrêté avec quatre autres militants communistes (dont Gustave Normand) par la police française le 28 mars 1942 à Saintes (Charente-Inférieure), au domicile d’Émile Lemasson, sous le nom de Jean-Louis Deschamps, il se comporta en habile kominternien. Ses faux papiers ne faisant pas illusion, il donna son identité et ses responsabilités (sauf ses séjours en URSS), « reconnu qu’il venait ici chercher mensuellement cinq cents francs, représentant les cotisations de 165 communistes collectées par Lemasson ». Il donna l’heure du rendez-vous (10 h rue de Rennes, entre le boulevard Montparnasse et le boulevard Raspail) qu’il avait le lendemain à Paris avec « Pierre » dont il donna la description. En fait, il s’agissait d’une astuce pour permettre à la direction du Parti communiste de comprendre qu’il était arrêté. En prison, il prit en main la discipline des détenus, isolant ceux qui avaient faibli. Transféré à Paris, il fut incarcéré à la prison du Cherche-Midi, puis au fort de Romainville. Torturé, condamné à mort, il échappa à l’exécution et fut déporté en avril 1943 à Mauthausen. Nommé à la tête du triangle de direction de la résistance communiste française à l’intérieur du camp, avec Maurice Lampe et Frédéric Ricol, il fut coopté à la direction de l’organisation de résistance internationale du camp.
Il fut libéré le 23 avril 1945. Médaillé de la Résistance, décoré de la Croix de guerre tchécoslovaque, ce personnage populaire dans son parti (où on le connaissait sous le surnom de « Tatave »), ne joua plus un rôle de premier plan à la différence de sa compagne qu’il épousa le 23 novembre 1953. Il fut chargé de la rubrique « Vie sociale » à l’Humanité. Il en devint en 1957 le directeur de publication, poste qu’il conserva jusqu’à sa mort en 1964 et qui lui valut de nombreuses inculpations, particulièrement pendant la guerre d’Algérie. Le 23 novembre 1953, il avait épousé Marie Bernuchon.
ŒUVRE : Rationalisation et action syndicale, discours prononcé au congrès fédéral des Métaux (14-16 décembre 1927), Bureau d’édition, 1928.
Par Jean-Louis Panné, Claude Pennetier
SOURCES : Fonds Octave Rabaté, Arch. Dép. de Seine-Saint-Denis (322 J), inventaire en ligne. — RGASPI, 495 270 8628. — Arch. Nat. F7/13972, 13973. — Arch. PPo. 300. — Arch. Jean Maitron (fiche Batal). — A. Vassart, Mémoires (inédits). — Les Cahiers du bolchevisme, n° 61, 27 novembre 1926. — Les Lettres françaises, 16 juillet 1964 (nécrologie de P. Daix). — P. Daix, J’ai cru au matin, Laffont, 1976. — Claude Willard, « Témoignage : Maria Rabaté , une femme communiste », Cahiers d’histoire de l’Institut Maurice Thorez, n° 29-30, 1979. — J. Humbert-Droz, De Lénine à Staline, dix ans au service de l’Internationale communiste, 1921-1931, Neuchâtel, La Baconnière, 1971. — W. Kapsoli, Mariategui y los congresos obreros, Lima, 1980. — Témoignage autobiographique envoyé à H. Jourdain en 1959. — Renseignements et documents fournis par Madame Hélène Rabaté, en particulier l’« Autobiographie du camarade Octave Rabaté selon le schéma de la section d’organisation de l’IC » (22 septembre 1932) trouvé à Moscou (ex. IML, RGASPI). — RGASPI, 495 27 8628. — Musée de la Résistance nationale, A2 47A FTPF Charentes. — Fonds Octave Rabaté, IHS CGT, CFD 52. — Arch. Octave Rabaté, Arch. du PCF, Arch. Dép. Seine-Saint-Denis. — Jean Rabaté, Octave et Maria. Du Komintern à la Résistance, préface de Roland Leroy, avant-propos de Pierre Daix, Le Temps des cerises, 2007.