FOUGEYROLLAS Pierre alias Denis Folias

Par Olivier Fressard

Né le 22 décembre 1922 à Mont-de-Marsan (Landes), mort le 29 mai 2008 à Paris ; agrégé de philosophie, professeur de « psychologie sociale » à l’université de Dakar, professeur de sociologie à l’Université Paris VII (Denis-Diderot) ; membre du PCF (1942-1956), membre de l’Organisation communiste internationaliste ; résistant, membre du CDL de la Haute-Vienne ; membre du comité de rédaction de la revue Arguments.

Issu d’une famille de la classe moyenne enracinée dans le Périgord (son père, Paul, était magistrat), Pierre Fougeyrollas effectua ses études secondaires à Périgueux où le surprirent la guerre, la défaite et l’invasion allemande. Il intégra, en 1940, une classe de khâgne à Toulouse (Haute-Garonne) où Georges Canguilhem, son professeur de philosophie, décida de sa vocation pour cette discipline.

À cette époque, Pierre Fougeyrollas eut l’occasion de fréquenter des juifs d’origine étrangère, fuyant les Allemands, qui l’initièrent aux querelles internes au marxisme et lui donnèrent des aperçus sur les réalités des pays d’Europe orientale. À la suite de l’invasion de l’URSS par la Wehrmacht, il s’engagea, en 1942, dans la Résistance aux côtés des communistes (Jeunesses communistes), tout en poursuivant des études universitaires en philosophie et en droit. Il entra dans la clandestinité en 1943 et prit des responsabilités au sein des Forces unies de la jeunesse patriotique (FUJP). Il fut recherché par la police de Vichy. Il devint, à la fin de la guerre, membre du Comité départemental de Libération de la Haute-Vienne.

En 1945, après la Libération, Pierre Fougeyrollas monta à Paris pour y poursuivre ses études de philosophie. Il réussit le concours de l’agrégation en 1951.

Il était un membre actif du Parti communiste dans lequel il se lia en particulier à Jacques Duclos*. La mort de Staline, la publication du rapport Khrouchtchev, puis la répression par les chars soviétiques de l’insurrection hongroise de 1956 eurent raison de son adhésion au mythe communiste. Il démissionna du parti en 1956.

Pierre Fougeyrollas cherchait alors sa voie dans différents cercles intellectuels parisiens. Il rencontra Edgar Morin* qui l’intégra en 1958 dans le comité de rédaction de la revue Arguments fondée en 1956. Il en fut, pendant plusieurs années, un des membres actifs, aux côtés de Kostas Axelos*, Jean Duvignaud et François Fejtö*. La curiosité intellectuelle qui caractérisait la revue convenait fort bien à Fougeyrollas, intellectuel avide de connaissances, qui entendait tenir ensemble le fil de la réflexion philosophique et celui des savoirs positifs des sciences humaines.

Le désenchantement à l’égard du communisme se traduisit, pour lui, par la publication, en 1959, d’un premier livre, Le Marxisme en question. Il y exposait une critique du mythe communiste qui le conduisit jusqu’à une interrogation critique sur la théorie marxiste elle-même. Cet ouvrage qui trouva quelques lecteurs attentifs, tel le politologue Pierre-Henri Taguieff, contribua, à sa manière, aux analyses du totalitarisme.

Pierre Fougeyrollas entama une carrière universitaire au début des années 1960. Il rédigea une thèse en sociologie politique sous la direction de Jean Stoetzel, promoteur en France de la psychologie sociale scientifique. Elle fut publiée en 1963 sous le titre La Conscience politique dans la France contemporaine. Ce travail marqua une étape dans la trajectoire intellectuelle de Fougeyrollas qui, désormais, s’engagea dans des travaux de sciences humaines s’étayant sur des enquêtes de terrain.

Insatisfait et désireux de découvrir d’autres horizons, il trouva un poste à la faculté de Lettres et Sciences humaines de Dakar qu’il rejoignit en 1961. « Le choc culturel africain », selon ses propres termes, fut pour lui l’occasion de consacrer plusieurs études à la société sénégalaise dans l’esprit de la psychologie sociale de son maître Stoetzel (Modernisation des hommes. L’exemple du Sénégal, 1967). Ce long séjour en Afrique noire mit également Fougeyrollas aux prises avec la décolonisation. Il soutint la politique gaullienne en la matière. Il participa activement, par ailleurs, hors de l’université, à des projets concrets en faveur du développement, en particulier dans le domaine de la communication. Il noua alors une relation personnelle avec Léopold Sédar Senghor.

Après avoir vécu les événements de 1968 au milieu de l’agitation étudiante sénégalaise, Pierre Fougeyrollas regagna Paris en 1971 à la suite d’une dégradation de ses relations avec les autorités sénégalaises qui le contraignirent à quitter l’Afrique. Il fut alors nommé à l’Université de Paris VII où il rejoignit le département de sociologie dirigé par Pierre Ansart. Il y enseigna jusqu’au début des années 1990.
Il fut membre du Club Jean Moulin et même l’auteur principal d’un des chapitres de L’État et le citoyen. (Claire Andrieu, 2002, p. 439-440).

Pierre Fougeyrollas renoua alors, curieusement, avec la vulgate marxiste par le biais du trotskysme. Espérant toujours une transformation révolutionnaire de la société et désireux de prendre part à l’action, il décida de rejoindre, peu de temps après son recrutement à Paris VII, les rangs de l’Organisation communiste internationaliste (OCI), devenue en 1980 Parti communiste internationaliste (PCI), mouvement trotskyste français animé principalement par Pierre Boussel, alias Lambert. Sous le pseudonyme de Denis Folias, il signa cinq articles dans la revue théorique de l’organisation, La Vérité, et un sous son vrai nom. Il quitta cette organisation en 1990.

Pierre Fougeyrollas écrivit alors plusieurs ouvrages en retrait par rapport à ses premiers travaux. Le marxisme y était présenté comme « la science du matérialisme dialectique » qui seule permet d’accéder à une connaissance objective des sociétés humaines et de leur devenir. À cette aune, tous les autres courants des sciences sociales sont jugés radicalement insuffisants et inextricablement pris dans l’idéologie dominante (Sciences sociales et marxisme, 1979). Mieux ciblée, mais tout aussi radicale, fut sa critique de « l’obscurantisme » du courant structuraliste de Lévi-Strauss, Lacan et Althusser (1976).

Dans ses dernières publications, Pierre Fougeyrollas, à la faveur d’une réflexion sur la crise des temps modernes et sur la nécessité de les dépasser, relativisa à nouveau l’approche marxiste. Menées sur le registre philosophique, ces contributions en appellent à « une nouvelle pensée », « post-philosophique » qui permette à l’homme de persévérer dans son processus d’« autodépassement ». La tradition philosophique occidentale doit être enrichie des pensées « ante-philosophiques » et « extra-philosophiques ». (Vers la nouvelle pensée : essai post-philosophique, 1994).

L’itinéraire politique et intellectuel de Pierre Fougeyrollas, décédé en 2008, fut assez singulier. Pendant longtemps, il fut typique d’une importante partie de l’intelligentsia française de sa génération dont il suivit les engagements et les errements les plus caractéristiques, notamment dans la difficulté de s’arracher au « mythe communiste » et à la « science marxiste ». À partir des années 1970, il prit à revers les révisions politiques de ses pairs et résista, au plan des idées, aux courants dominants, structuraliste puis postmoderniste. Dans ses derniers essais, il prit de la hauteur, sans céder pour autant au désenchantement, et chercha à frayer inlassablement de nouvelles voies pour l’avenir.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article50542, notice FOUGEYROLLAS Pierre alias Denis Folias par Olivier Fressard, version mise en ligne le 7 juin 2009, dernière modification le 13 novembre 2022.

Par Olivier Fressard

ŒUVRE : Le Marxisme en question, Stock, 1959. — La Conscience Politique dans la France contemporaine, Denoël, 1963. — Contradiction et totalité, Éditions de Minuit, 1964. — Modernisation des Hommes. L’exemple du Sénégal, Flammarion, 1966. — La Télévision et l’éducation sociale des femmes, Unesco, 1967. — Pour Une France fédérale vers l’unité européenne par la révolution régionale, Denoël, 1968. — La Révolution freudienne, Denoël, 1970. — Où va le Sénégal ?, Anthropos, 1970. — Marx, Freud et la révolution totale, Anthropos, 1972. — La révolution prolétarienne et les impasses petite-bourgeoises, Anthropos, 1976. — Contre Lévi-Strauss, Lacan et Althusser : trois essais sur l’obscurantisme contemporain, Savelli/Éd. de la Jonquière, 1976. — Sciences sociales et marxisme. Savoirs et idéologies dans les sciences sociales, Payot, 1979. — Les Processus sociaux contemporains, Payot, 1980. — Un destin planétaire, SPAG/Papyrus, 1982. — Marx, PUF, 1985. — Les Métamorphoses de la crise. Racismes et révolutions au XXe siècle, Hachette, 1985. — La Nation. Essor et déclin des sociétés modernes, Fayard, 1987. — L’Attraction du Futur : essai sur la signification du présent, Méridiens-Klincksieck 1991. — Vers la nouvelle pensée. Essai post-philosophique, L’Harmattan, 1994.

SOURCES : François George et Pierre Fougeyrollas, Un philosophe dans la Résistance, O. Jacob, 2001. — Rencontres autour de Pierre Fougeyrollas, textes réunis et présentés par Pierre Ansart, L’Harmattan, 1993. — Arguments. — Claire Andrieu, Pour l’amour de la République. Le Club Jean Moulin 1958-1970, Fayard, 2002. — Complément d’Eric Panthou.

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