GAUDIBERT Pierre

Par Anysia L’Hôtellier

Né le 3 mars 1928 à Paris, mort le 17 janvier 2006 à Paris ; conservateur de musée, critique d’art, écrivain ; théoricien de l’action culturelle, fondateur de l’ARC.

Issu d’un milieu bourgeois et ultra-conventionnel, Pierre Gaudibert fut vite en désaccord avec ce modèle et quitta le foyer familial après une dispute avec son père, ingénieur général des armées.

À Paris et à Lyon, il poursuivit des études de philosophie et d’histoire de l’art qu’il finança grâce à des petits boulots comme plongeur dans les restaurants. À cette époque, il croisa Louis Althusser*, Gilles Deleuze et Félix Guattari. Pendant la guerre, en zone sud, il rencontra les « Camarades de la Route », héritiers des mouvements des Auberges de jeunesse qui jouèrent un rôle déterminant dans sa formation. Au début des années 1960, il fut animateur culturel dans le XVe arrondissement de Paris. Il développa ses qualités de pédagogue et s’intéressa aux relations entre habitants et architecture, entre arts et espace urbain.

Pierre Gaudibert milita au sein des associations « Travail et culture » et « Tourisme et travail ». Il rejoignit ensuite « Peuple et Culture », où il fit la rencontre d’Henri Cueco*, artiste qui devint un grand ami. Pour cette association, il fut guide et accompagnateur au cours de multiples voyages dans les musées d’Europe.

Une fois diplômé, il intégra le Musée d’art moderne de la Ville de Paris en 1966. Cette année-là, grâce à son expérience dans les milieux de l’éducation populaire et après avoir analysé les institutions muséographiques de la Ville avec François Debidour et Bernadette Contensou, Pierre Gaudibert décida de créer, au sein du musée, une section contemporaine nommée ARC, Animation-Recherche-Confrontation. Son but : exposer différemment pour toucher de nouveaux publics, lutter pour le « musée-forum » contre le « musée-temple ». Gaudibert souhaitait atteindre la « classe moyenne » (en passant notamment par les syndicats d’étudiants, d’enseignants, de fonctionnaires, les comités d’entreprises, les mouvements de jeunesse), faciliter les rencontres artistes-public et décloisonner les différentes formes artistiques en favorisant leur dialogue. Gaudibert contribua ainsi à l’émergence d’un type muséographique nouveau à l’heure où le débat sur la démocratisation de la culture faisait rage et où New-York remplaçait Paris en tant que capitale de l’art contemporain.

Dès le mois de juin 1967, Pierre Gaudibert accueillit à l’ARC une exposition préfacée par le critique Gérald Gassiot-Talabot et intitulée « Le Monde en question ou 26 peintres de contestation ». Gaudibert s’intéressa aux nouveaux groupes artistiques qui émergeaient dans les années 1960, comme la Figuration narrative (Monory, Klasen, Fromanger…) à laquelle le critique associa son nom. L’exposition de l’ARC en janvier 1969 s’intitula « Salle rouge pour le Vietnam » ; une vingtaine de peintres y donnaient leur sentiment sur la guerre. Gaudibert se tourna aussi vers l’abstraction géométrique de Jean Dewasne et accrocha en février 1969 son tableau intitulé La longue marche, en hommage à la révolution chinoise. En 1970, il organisa une exposition retentissante qui marqua l’avènement du mouvement Supports-Surfaces animé par Viallat, Dezeuze, etc. La même année, c’est encore à l’ARC que l’artiste grec Vlassis Caniaris dénonça dans son installation le régime des colonels qui emprisonnait son pays. On se souvint aussi des deux tableaux du peintre Mathelin décrochés sur ordre de la préfecture lors d’une exposition à l’ARC en 1971. Sous la direction de Pierre Gaudibert, l’ARC offrit ainsi une tribune à un art du témoignage social et politique.

En 1972, il démissionna de l’ARC suite à un désaccord avec son administration à propos de l’exposition « 60-72. Douze ans d’art contemporain en France » commandée par le président Georges Pompidou.

En tant que membre actif de « L’Atelier » (avec Catherine Tasca, Jérôme Clément, Bernard Faivre-d’Arcier, Baptiste Marrey, Bernard Gilman, Bernard Pingaud, etc.), Gaudibert défendit, avec Henri Cueco et Danièle Giraudy, les Arts plastiques. Cet atelier, créé en 1977, accompagna la gauche dans les élections législatives de 1978 et les présidentielles de 1981.

De 1978 à 1985, Pierre Gaudibert fut directeur du musée de Grenoble dans lequel il créa un département des arts du Maghreb et organisa un Festival africain (1982). Il valorisa notamment un art encore méconnu : l’art contemporain africain, dont il devint rapidement le premier spécialiste en France. Il avait été un des premiers conservateurs de musée à faire des recherches en Afrique et à présenter l’art contemporain des Shonas au Musée d’art moderne de la Ville de Paris (1970). Au début des années 1980, en tant que conseiller du ministère béninois de la culture, il réalisa le programme du musée de Porto-Novo et du musée de l’esclavage de Ouidah. Il participa également à la mise en place du Magasin, le Centre national d’art contemporain (CNAC) de Grenoble, qui ouvrit ses portes en 1986.

À partir de la fin des années 1980, il fut chargé de mission au ministère de la Culture. En octobre 1985, il arriva au Musée national des arts d’Afrique et d’Océanie de Paris en tant que conservateur en chef chargé de mission sur les cultures contemporaines de l’Afrique. En 1991, il publia un ouvrage qui est désormais une référence : L’Art africain contemporain.

Forte personnalité du monde des arts, des musées et de la culture, Pierre Gaudibert s’illustra par son engagement et son anticonformisme. Véritable analyste des politiques culturelles, critique visionnaire et découvreur de talents, il contribua à l’émergence d’un modèle muséographique innovant, ainsi qu’à l’affirmation de l’art contemporain français et africain sur la scène artistique.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article50589, notice GAUDIBERT Pierre par Anysia L’Hôtellier, version mise en ligne le 8 juin 2009, dernière modification le 3 juillet 2009.

Par Anysia L’Hôtellier

ŒUVRE CHOISIE : Action culturelle : intégration et ou subversion, Casterman, 1972, 177 p. — De l’ordre moral, Grasset, 1973, 148 p. — 1936-1976 : luttes, création artistique, créativité populaire, Fédération de Paris du Parti socialiste, 1976, 40 p. — Du culturel au sacré, Casterman, 1981, 163 p. — L’arène de l’art (en collaboration avec Henri Cueco), Éd. Galilée, 1988, 225 p. — L’art africain contemporain, Cercle d’Art, 1991, 175 p.

SOURCES : Pierre Gaudibert, Henri Cueco, L’arène de l’art, Éd. Galilée, 1988. — Serge Lemoine (dir.), L’art du XXe siècle, la collection du musée de Grenoble, RMN/Musée de Grenoble, 1994. — Geneviève Poujol, Madeleine Romer (dir.), Dictionnaire biographique des militants XIXe-XXe siècles : de l’éducation populaire à l’action culturelle, L’Harmattan, 1996. — « Mort du critique d’art Pierre Gaudibert », Libération, 20 janvier 2006 — Harry Bellet, Le Monde, 24 janvier 2006. — Stella Maris, « Pierre Gaudibert », http://stellamaris.blog.lemonde.fr/, 25 janvier 2006. — Cécil Guitart, « Hommage à Pierre Gaudibert », http://www.go-citoyennete.org/, 25 janvier 2006.

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