GAZIER Albert, Pierre

Par Michel Dreyfus, Gilles Morin

Né le 16 mai 1908 à Valenciennes (Nord), mort le 2 mars 1997 à Vanves (Hauts-de-Seine) ; employé ; syndicaliste, membre du bureau de la CGT clandestine, participe à la création de Libération-Nord, secrétaire de la CGT à la Libération, membre du comité directeur (1947-1969) et du bureau de la SFIO ; député de la Seine (1945-1958) ; secrétaire d’État des gouvernements Gouin, Bidault et Blum, ministre de l’Information (juillet 1950-juin 1951), ministre des Affaires sociales (1956-1957), président du Conseil de la Magistrature.

Assemblée nationale, Notices et portraits, 1946

Enfant d’enseignants, Albert Gazier naquit le 16 mai 1908 à Valenciennes. Son père, Félix, professeur agrégé, décéda à la guerre en 1916. Pupille de la nation Albert Gazier fréquenta le lycée d’Orléans puis le lycée Condorcet où il obtint le baccalauréat de philosophie et de mathématiques. Après quoi, il dut entrer dans la vie active.

Il débuta en 1928 comme commis libraire aux Presses Universitaires de France, alors coopérative d’édition. Il n’en poursuivit pas moins des études de Droit qui le menèrent à la licence. Entré au syndicat d’employés de la région parisienne, il créa une section syndicale dans son entreprise et adhéra à la Fédération des Employés CGT en 1932. En 1935, devenu secrétaire général de la Chambre syndicale des employés de la région parisienne il travailla un temps comme employé des caisses d’Assurances sociales. Les grèves de juin 1936 devaient bouleverser son existence : son syndicat d’employés voyant ses effectifs passer d’environ 5 000 membres à près de 80 000, il devint permanent syndical. À partir de cette même année, il fut aussi un collaborateur régulier de l’Institut supérieur d’éducation ouvrière de la CGT pour lequel il écrivit plusieurs brochures.

Albert Gazier adhéra à la SFIO en 1932 à la section de Bois-Colombes et fut tête de liste socialiste aux élections municipales de mai 1935. En 1936, il fut candidat de ce parti aux élections législatives dans la 3e circonscription de la Seine (Colombes), où il rassembla 2 034 suffrages sur 4 631 exprimés. Il fut également membre du Conseil national économique de 1936 à 1940, il y représenta la Fédération nationale des syndicats d’employés.

En septembre 1939 il fit, sur sa demande, son service militaire, ayant été exempté en 1928. Démobilisé au bout de dix mois, il eut un rôle très important dans la reconstruction des syndicats durant la guerre. Après 1940, les Confédérations avaient été dissoutes mais non les syndicats qui ont continué à vivre. Albert Gazier poursuivit alors une double existence : légale et illégale. À l’automne 1940, il fut signataire du manifeste des douze syndicalistes avec Pineau, Saillant et Tessier notamment. Il participa aussi à la constitution de « Libération Nord ».

Membre du bureau clandestin de la CGT reconstitué et de son Comité d’études économiques et syndicales, il échappa en 1942 à une arrestation. Recherché par la Gestapo, un temps réfugié dans le Jura, il fut désigné comme délégué de la CGT auprès de la France-Libre. En octobre 1943, il passa à Alger ou il représenta la CGT auprès du gouvernement provisoire et à l’Assemblée consultative provisoire avec Bouzanquet et Buisson.

Secrétaire de la CGT à la Libération avec Saillant et Bothereau, il participa à la conférence de fondation de la FSM en 1945 à Londres. Il fit aussi partie de l’équipe qui publia le journal de tendance Résistance Ouvrière au sein de la CGT à partir du 24 novembre 1944. Mais à partir de 1945, il abandonna ses activités syndicales pour se consacrer aux activités politiques.

Confirmé comme membre de l’Assemblée consultative après son installation à Paris, Albert Gazier se présenta à la première Assemblée Constituante dans le 5e secteur de la Seine en novembre 1945. Élu député, il le resta jusqu’en novembre 1958. Désigné par Félix Gouin sous-secrétaire d’État à l’économie nationale le 26 janvier 1946, il adressa une lettre de démission aux autres secrétaires confédéraux de la CGT expliquant que ses nouvelles fonctions étaient incompatibles avec celles de secrétaire de Centrale syndicale. Jusqu’à la fin de la première législative, il fut sous-secrétaire d’État aux Travaux publics et aux transports du gouvernement Bidault, secrétaire d’État à la Présidence du Conseil durant le gouvernement de transition de Léon Blum (décembre 1946-janvier 1947) et ministre de l’Information des gouvernements Pleven et Queuille du 12 juillet 1950 à juin 1951.

Dans le même temps, il s’associait de plus en plus à la direction de la SFIO. Partisan d’une conciliation, en août 1946 il avait tenté « de faire un pont » entre la tendance de Daniel Mayer et celle de Guy Mollet, participant à l’infructueuse tentative de rapprochement entre les deux courants le 2 août 1946. Après le renversement de Daniel Mayer, il était souvent invité aux réunions du Comité directeur du parti dans lequel il entra formellement au congrès d’août 1947. Il devait rester membre de cette instance jusqu’en 1969. Il y assuma dans un premier temps la fonction de responsable des liaisons avec le groupe parlementaire et de membre de la commission nationale d’études du parti dont il devait prendre la responsabilité en 1950.

Européen convaincu, Albert Gazier était devenu avec ses amis Pineau et Jacquet un des principaux collaborateurs de Guy Mollet à l’occasion de la crise de la CED qui avait secoué très sérieusement l’appareil du Parti socialiste. Pour Albert Gazier, le réarmement de l’Allemagne apparaissait comme dangereux mais inévitable, il fallait enfermer l’armée allemande dans un ensemble qui la domine. En 1954, il se distinguait pourtant sur un point de la majorité en étant favorable, au conseil national de Suresnes, à la participation au gouvernement Mendès-France. À l’issue de la crise de la CED, il devint vice-président du groupe parlementaire du 22 février 1955 jusqu’aux élections du 2 janvier 1956.

Après la victoire, toute relative, du Front républicain et la formation du gouvernement Guy Mollet, Albert Gazier devint ministre des Affaires sociales, charge qu’il conserva dans le gouvernement Bourgès-Mounoury. Il fut un des ministres socialistes les plus populaires mais aussi le plus attaqué pour avoir fait adopter d’importantes réformes sociales : allongement des congés payés à trois semaines, réduction des abattements de salaires selon les zones, institution d’un fond national vieillesse et doublement des allocations les plus basses… Son projet de loi de remboursement à 80 % des frais pharmaceutiques et médicaux, très attaqué par la droite, ne put être adopté.

À l’automne 1957, Albert Gazier se prononça contre la participation au gouvernement Félix Gaillard considérant que sa politique sociale était nettement en retrait par rapport à celles de ces prédécesseurs, abandonnant les projets de remboursement à 80 %, introduisant des taxes et impôts nouveaux…

Ministre, Albert Gazier ne s’était jamais désolidarisé de la politique algérienne de Guy Mollet — il l’avait même défendue à la tribune des congrès — mais, dégagé des servitudes de la participation ministérielle, il rechercha une solution diplomatique à la guerre. Ses positions antérieures, il les qualifiait de « proches de celles de Gaston Defferre*, mais en moins voyantes ». Comme son ami Christian Pineau, ministre des Affaires étrangères, il envisageait désormais une solution négociée, bénéficiant des bons offices du roi du Maroc et de Bourguiba. Après le bombardement de Sakhiet Sidi Youssef qu’il dénonça nettement au conseil national du 15 mars 1958, convaincu de trouver une solution urgente à la guerre, il se rapprocha de certains minoritaires modérés comme Alain Savary et Robert Verdier, rapprochement patent au conseil national du 2 mai suivant où la SFIO, décidant de ne plus participer au gouvernement, « débarquait » Robert Lacoste.

Après les événements d’Alger le 13 mai 1958 et le vote d’investiture de Pierre Pfimlin, la SFIO ayant décidé de renforcer le gouvernement une nouvelle fois, Albert Gazier redevint ministre de l’Information de ce gouvernement. À la fin de la crise, il rompit avec Guy Mollet* lorsque celui-ci alla chercher de Gaulle à Colombey-les-deux-Églises et, le 28 mai, il était le seul ministre en exercice présent dans la manifestation rassemblant toute la gauche. Le 1er juin, il fut un des 49 députés socialistes à refuser l’investiture à De Gaulle.

Désormais minoritaire dans son parti, Albert Gazier devint le leader de fait d’une nouvelle tendance qui se caractérisait à la fois par son hostilité à la fondation de la Ve République et sa volonté de demeurer dans le parti et de préserver son unité. Durant l’été 1958, il tenta vainement avec quelques amis de former un regroupement centriste « d’européens » autour de Jean Monnet et repoussa les avances de l’Union des forces démocratiques, tout en adoptant comme ce cartel une position d’hostilité au référendum du 28 septembre. Au congrès d’Issy-les-Moulineaux où il présenta le texte appelant à voter « non » au référendum, il refusa de suivre Édouard Depreux*, Alain Savary* et Robert Verdier* dans la scission et la formation du PSA. Deux mois plus tard, il fut battu aux élections législatives et, après avoir perdu son siège de député, il dut céder le 7 janvier son poste de responsable de la commission nationale d’étude du parti à Maurice Pic.

La tendance qu’il animait avec Christian Pineau* et Gérard Jaquet* se réduisit progressivement par suite de départs durant l’année 1959 et après l’abandon des responsabilités gouvernementales par son parti qui marquait progressivement ses réserves vis-à-vis du régime. À partir de 1961-1962, il s’éloigna progressivement de la vie politique pour s’investir en priorité dans des activités professionnelles.

S’étant prononcé dès 1959 pour la rénovation du Parti socialiste, Albert Gazier soutint les initiatives de Georges Brutelle organisateur des colloques socialistes puis, en 1965, la candidature de Gaston Defferre*. À la fin de l’année, avec celui-ci et Jacquet, il démissionna de son poste de membre du bureau de la SFIO mais resta membre de Comité directeur. Il conserva cette fonction dans le nouveau Parti socialiste après 1969 puis dans le Parti socialiste né à Épinay en 1971. En 1975, il fut membre du Bureau exécutif du PS et, l’année suivante, il fut nommé délégué général chargé du comité des experts du parti, fonction qu’il assuma jusqu’au congrès de Nantes en 1977. Fin août 1981, il fut proposé par Pierre Mauroy pour faire partie d’un conseil des Sages. En 1985, il était président du conseil de la magistrature et toujours militant socialiste.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article50683, notice GAZIER Albert, Pierre par Michel Dreyfus, Gilles Morin, version mise en ligne le 11 juin 2009, dernière modification le 4 juillet 2014.

Par Michel Dreyfus, Gilles Morin

Assemblée nationale, Notices et portraits, 1946
Assemblée nationale, Notices et portraits, 1956

ŒUVRE : Les Congés payés. État de la législation, Paris, Librairie syndicale, 1937, 32 p. — La démocratie économique, conférence donnée le 20 avril 1966, Paris, SFIO, 1966, 52 p. — L’échelle mobile des salaires, Paris, Librairie syndicale (Centre confédéral d’éducation ouvrière), 1938, 32 p. — Les pays sous-développés, conférence donnée le 1er mars 1962, Paris, SFIO, 1962, 40 p. — Le Syndicalisme chrétien, Paris, Librairie syndicale (centre confédéral d’éducation ouvrière), 1937, 44 p. — En collaboration : Christian Pineau, Albert Gazier, Kleber Loustau : Face à la politique réactionnaire de Monsieur Pinay, les solutions socialistes, Arras, La société d’édition du Pas-de-Calais, 1952, 38 p. — Les Socialistes et l’Europe, études d’Albert Gazier, Gérard Jacquet, Christian Pineau. Préface de Guy Mollet, Paris, Parti socialiste SFIO, 1962, 64 p. — Collaboration à la presse de la SFIO.

SOURCES : Arch. Dép. Seine, D 3 M2, n° 17. — Rapports congrès SFIO 1945-1969. — Notice de l’OURS. — Le Travailleur parisien, octobre-décembre 1936, avril-juin 1938, juin-juillet 1939. — Alain Bergougnioux, Force ouvrière, Paris, Seuil, 1975. — Notes de Justinien Raymond.

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