Par Gilles Morin
Né le 11 mai 1887 et mort le 1er novembre 1976 à Gisors (Eure) ; industriel faïencier ; républicain socialiste puis socialiste indépendant de l’Eure (USR, UDSR, PSU, RDG) ; maire de Gisors (1945-1953) ; conseiller général de Gisors (1925-1940, 1945-1951, 1958-1976) ; député de l’Eure (1928-1942 ; 1945-1955) ; résistant ; secrétaire d’État aux anciens combattants et victimes de guerre (31 octobre-24 novembre 1947).
Fils d’ouvrier devenu jeune industriel, Albert Forcinal a été mobilisé comme élève officier (aspirant) en 1914 : blessé à la bataille de la Marne le 5 septembre suivant, volontaire pour retourner au front en 1916 il obtint neuf citations et fut fait officier de la Légion d’honneur sur le champ de bataille en 1918. Président de l’Union des mutilés et réformés du Vexin, il s’engagea en politique dès les années vingt, comme Républicain-socialiste. Élu conseiller général de Gisors en 1925, candidat en avril 1928 dans le canton des Andelys, il emporta le siège de député au deuxième tour et se trouva réélu dans les mêmes conditions en 1932 et 1936, cette fois au nom de l’Union socialiste et républicaine.
Sa culture politique a été profondément façonnée par l’expérience de la Première Guerre mondiale, avant de l’être ensuite par celle de la Résistance et de la déportation. Affilié à la formation d’Aristide Briand, il plaça tout d’abord tous ses espoirs de pacifiste dans les mérites de la sécurité collective, militant pour la Société des Nations et le désarmement. Il se montra par ailleurs un ferme républicain : défenseur de la laïcité, il se fit désigner dans la commission d’enquête sur les événements du 6 février 1934 et dénonça les dictatures. En 1936, il fut désigné aux fonctions de secrétaire de l’Assemblée. Membre de la commission de l’Armée depuis son élection, il en devint vice-président et rapporta la loi sur l’insoumission. Membre de la section de Gisors de la Ligue des droits de l’homme, président du groupe d’amitié franco-espagnol, il participa à de nombreuses manifestations du Front populaire en faveur des républicains espagnols et tenta d’empêcher la reconnaissance du gouvernement de Franco. Mais Daladier posa la question de confiance et celle-ci fut ratifiée par l’assemblée.
Albert Forcinal, vice-président de la commission de l’Armée, bien qu’ancien combattant de Verdun ne prit pas part au vote qui accorda les pleins pouvoirs au Maréchal Pétain le 10 juillet 1940. Républicain radicalisant, par ailleurs franc-maçon, appartenant à la loge « La persévérance couronnée » de Rouen, Forcinal se montra totalement hostile à Vichy et plus encore à la collaboration. Très vite, il s’engagea en résistance, participa à l’action du mouvement « Libération-Nord » et entra dans le réseau « Cahors-Asturies ». Cette action lui valut d’être arrêté par la Gestapo le 13 mai 1943. Emprisonné à Fresnes, il fut déporté à Buchenwald, d’où il a été rapatrié en avril 1945, dans un état de santé alarmant. Il fut désigné pour siéger à l’Assemblée consultative provisoire au titre des prisonniers et déportés et était membre du Comité départemental de Libération.
Déjà actif dans les mouvements d’anciens combattants dans l’entre-deux-guerres, Forcinal joua un rôle important dans les nouvelles associations, notamment celles de déportés. À Buchenwald, avec Eugène Thomas, Léon Mazeaud, Abel Farnoux et le professeur Balachowski, il a participé au projet de fonder une fraternité qui, en dehors de toute idéologie, souda ceux qui ont partagé les périls de la Résistance et les souffrances de la déportation et garda le souvenir de ceux qui ne reviendraient pas. Ce projet né dans la clandestinité des camps nazis aboutit à la naissance de la FNDIR dont il fut l’un des responsables. Il participa aussi à la naissance d’un autre mouvement pluraliste, l’Association nationale des Anciens combattants de la Résistance, dont il fut vice-président en 1954.
Ancien parlementaire résistant revenu de déportation, Albert Forcinal fut nommé membre de l’Assemblée consultative provisoire. Il retrouva entre mai et novembre 1945 tous ses mandats : maire et conseiller général de Gisors, député du département de l’Eure. Il fut réélu conseiller général en septembre 1945 sans faire campagne, avec 80 % des exprimés. Il conserva cette fonction jusqu’en 1976, étant par ailleurs désigné vice-président du conseil général dès 1945. Aux élections à la première Assemblée nationale Constituante, le 21 octobre 1945, il conduisit la liste « républicaine indépendante », qui arriva en tête (29 837 voix sur 143 785 suffrages exprimés). Apparenté au groupe radical, il fut désigné juré à la Haute Cour de justice. Fidèle à la IIIe République qu’il a représenté, il vota, le 19 avril 1946, contre le projet de Constitution. Après le rejet du référendum du 5 mai 1946, Albert Forcinal fusionna la liste radicale et la sienne et se retrouva en deuxième position derrière Pierre Mendès France sur la liste du Rassemblement des gauches républicaines qui se présenta à la seconde Assemblée Constituante, contre le tripartisme. Ils furent tous les deux élus, Mendès France au quotient et Forcinal à la plus forte moyenne.
Forcinal s’inscrivit au groupe de l’UDSR, où il retrouva d’autres anciens Républicains socialistes puis USR, Alexandre Varenne*, Jean Médecin et Maurice Viollette. Reconduit comme juré à la Haute Cour de justice, il vota contre le nouveau projet de Constitution qui, cette fois, fut adopté par les Français. Avec Mendès France, le 10 novembre suivant, il fut le deuxième élu de la liste RGR à la première législature de la IVe République. Il présida le groupe parlementaire de l’Union démocratique et socialiste de la Résistance. Membre de la Commission de la défense nationale et de celles des pensions (qu’il préside de 1947 à 1950), il se montra un défenseur conséquent des intérêts de toutes les victimes de la seconde guerre mondiale. Face aux communistes et au RPF, il accepta d’entrer dans le cabinet de Paul Ramadier* le 22 octobre 1947. François Mitterrand, ministre des Anciens Combattants ne participant plus au gouvernement selon la décision de l’UDSR, Ramadier fit appel à son ancien collègue de la IIIe République pour lui succéder. Mais, après une déclaration de Guy Mollet, le 19 novembre 1947, Ramadier remit sa démission au Président de la République Vincent Auriol et la brève carrière ministérielle de Forcinal prit fin. Il soutint les cabinets de Troisième force jusqu’en 1951, approuva la nationalisation des écoles des Houillères en 1948 et la ratification du Pacte atlantique en 1949.
René Pleven, leader de l’UDSR, ne l’ayant pas pris dans son cabinet en juillet 1959, Albert Forcinal quitta le groupe UDSR pour s’apparenter au groupe radical. Aussi, aux élections du 17 juin 1951, il occupa la deuxième place de la liste unitaire de Rassemblement des gauches républicaines et du Parti radical conduite par Pierre Mendès France. Grâce à l’apparentement avec les listes socialistes, républicaine populaire et indépendante, celle-ci eut trois élus, avec 37 271 voix sur 142 696 suffrages exprimés, soit la totalité des sièges du département. Il soutient les gouvernements de centre-droit à l’exception de celui de René Mayer jugé trop européen et auquel l’opposait un vieux contentieux. Par-delà ses habituelles interventions en faveur des anciens combattants, il déposa une proposition de résolution tendant à inviter le gouvernement à reconnaître la Chine. Il ne prit pas part au vote des lois Marie et Barangé, favorables à l’enseignement privé et se montra réservé à l’égard de la construction européenne, ne participa pas au scrutin sur le pacte charbon-acier à l’origine de la formation de la CECA. Il s’opposa à la politique indochinoise des cabinets Mayer et Laniel. Puis il approuva la formation du gouvernement Mendès France et les Accords de Genève qui mettaient fin à la guerre d’Indochine. Opposé à la Communauté européenne de défense il vota la question préalable du général Aumeran dont l’adoption entraîna le rejet du traité le 30 août 1954. Puis, comme les mendésistes, il se prononça pour les Accords de Londres. Il fut d’ailleurs rapporteur du texte pour la Commission des anciens combattants. Mais il s’opposa aux accords de Paris autorisant le réarmement de la RFA et son entrée dans l’OTAN le 29 décembre. Il soutint pour le reste le gouvernement Mendès jusqu’à sa chute le 5 février 1955, puis son successeur à Edgar Faure. Mais, il contribua à sa chute le 29 novembre 1955, ce qui conduit à la dissolution de l’Assemblée nationale le 2 décembre suivant. Désormais séparé de Mendès France, il conduisit une liste « Forcinal républicaine et socialiste » qui ne recueillit que 5,4 % des suffrages exprimés le 2 janvier 1956 (8 656 suffrages, contre 59 822 à la liste Mendès France). C’était la fin de sa carrière parlementaire. Depuis juin 1952, le préfet notait qu’il ne venait plus guère dans le département, « il semble avoir renoncé à toute activité politique » écrivait-il.
Bien que « disparu depuis plusieurs années de la scène politique du département » selon le préfet, en avril 1958, il fut réélu conseiller général de Gisors dans une élection triangulaire au 2e tour, contre le communiste Georges Allard et le radical Émile Beyne, avec 38,5 % des suffrages. Hostile au retour au pouvoir du général de Gaulle, il rallia ensuite le PSU, siégea sous cette étiquette à l’Assemblée départementale et fut élu conseiller municipal PSU de Gisors en 1965.
Marié, il était père de trois enfants durant l’Occupation. Décoré de la Croix de guerre, il était commandeur de la Légion d’honneur.
Par Gilles Morin
ÉCRITS : Au secours des républicains espagnols [discours prononcés le 3 mai 1939, salle de la Mutualité à Paris, par Albert Forcinal, Georges Cogniot, Jean Chauvet, Henri Raynaud, Pierre Brandon. Préface de Francis Jourdain.], Paris, Éditions du secours populaire de France et des colonies ; (s. d.). In-16, 32 p., couv. ill.
SOURCES : Arch. Nat., F/1cII/111/B, 137, 146, 217 ; F/1cIII/1341 ; F/1cIV/152. CAC, 19780645/75. — Tribune socialiste, 27 mars 1965. — Arch. FJJ/6EF73/2. — Bulletin Intérieur de la SFIO, n° 35. — Rapports des congrès de la SFIO, 1944-1967. — Démocratie socialiste, n° 6, mai 1970. — M. Sadoun, Le Parti socialiste des accords de Munich à la Libération, Paris, thèse Université de Paris I 1979, 824 p. — Historique Libé-Nord en Indre-et-Loire, arch. Libération-Nord. — E. Duhamel, L’UDSR d’une Résistance à l’autre, 1945-1965, thèse d’histoire, 1993. — Dictionnaires des Parlementaires français, op. cit.