MESSALI Hadj [MESLI Ahmed, dit HADJ MESSALI]

Par René Gallissot

Né le 16 mai 1898 à Tlemcen (Algérie), mort le 3 juin 1974 à Paris ; émigré à Paris, communiste et dirigeant de l’Étoile Nord-africaine (1926-1932), directeur du périodique El Ouma (1930-1934) ; fondateur de la Glorieuse ENA (1933), du Parti du Peuple algérien (PPA, 1937), du Mouvement pour le triomphe de la démocratie et des libertés (MTLD (1946), du MNA (1954), initiateur du mouvement national algérien.

Membre de la famille Mesli de Tlemcen, la cité musulmane de l’ouest, le vrai nom de Messali Hadj est Ahmed Mesli ; Messali est une prononciation de facilité pratiquée en France. Le grand père qui s’était installé à Oujda (Maroc) et le père qui y était né, se sont faits appeler en vieillissant, hadj qui est une mention honorifique signifiant que l’on est sanctifié ; Ahmed Mesli l’ajouta au nom de Messali pour devenir Messali Hadj, suggérant une dignité religieuse, en particulier en 1931 comme directeur d’El Ouma (communauté musulmane/nation) bien avant d’avoir effectué le pèlerinage de La Mecque. Il appartint à une famille de six enfants dont quatre filles, qui vécut péniblement, tirant quelques ressources de parcelles de terre (quatre hectares) à Saf-Saf (4 kms de Tlemcen) en co-propriété avec un parent Al Gouti Memchaoui.

Le père, un géant de plus de deux mètres, -Messali lui-même était de forte stature-, était aussi cordonnier à ses heures entre autres travaux d’appoint ; il s’employait en hiver au relais de diligences de Montagnac, à 20 kms. À la fin de sa vie, le vieil hadj Mesli devint gardien du mausolée de Sidi Boumédienne, le saint vénéré de la ville, et mourut très âgé, cent douze ans dit-on, en mars 1938. Le père de Messali était membre de la confrérie musulmane des Derkaoua, fort populaire dans l’ouest maghrébin ; sa mère, dont le père avait été cadi (juge musulman), était aussi très religieuse ; elle mourut en 1922. Messali fut donc élevé en ce milieu arabo-musulman très fervent ; en 1911, notamment, se produisit « l’exode de Tlemcen », départ de nombreux chefs de familles musulmanes vers l’Orient.

L’enfant fréquenta l’école de la confrérie Derkaoua et fit des débuts à l’école primaire française. À neuf ans, il quitta l’école pour commencer à travailler, selon ses souvenirs, comme apprenti coiffeur puis apprenti cordonnier ; à dix ans, il devint garçon épicier dans l’épicerie d’un parent située à une dizaine de kilomètres de Tlemcen. Il revint à Tlemcen, travailla dans une fabrique de tabac à coller des étiquettes sur les paquets et les sacs, mais fut renvoyé en application de la loi française d’interdiction de travail, des mineurs. Un instituteur le ramena à l’école, mais il n’obtint pas le certificat d’études primaires. Il aurait de nouveau, fréquenté l’école de la confrérie Derkaoua, école de Zaouïa, jusqu’en 1916. Par faveur sociale, il fut accueilli dans une famille française, les Couétoux, des chrétiens protestants qui font le bien ; le docteur Couétoux qui était dentiste, soignait sans compter, les « indigènes » ; Mme Couétoux devint une seconde maman. Veuve, elle partit à Oran puis à Paris où elle tint des chambres pour pension, rue du Repos près du cimetière du Pére Lachaise (XXe arr).

« J’ai vécu comme un bouchon sur l’eau », écrit Messali parlant de ses vingt premières années à Tlemcen, au début de ses « Mémoires ». Le service militaire le tira de son milieu et le passage en France comme soldat, fut le début de l’émigration. Il partit pour l’armée en 1918 à Oran puis à Bordeaux ; il fut nommé caporal en août 1919, puis devint sergent à titre indigène. Pendant la guerre, en métropole, la barrière coloniale n’était pas encore automatique. À Bordeaux, en 1918-1919 comme d’autres soldats, Messali fut accueilli dans des familles françaises ; jeune sous-officier indigène, il fut cependant éconduit quand il présenta une demande en mariage d’une jeune fille de famille bien bordelaise et française. Il suivit des cours et conférences pour se rattraper en instruction.

Démobilisé au début de 1921, il rentra à Tlemcen où il s’employa chez divers patrons musulmans ; il participa à des concours de gymnastique, apprit la musique locale (violon), s’enthousiasma pour le kemalisme : il fut interrogé par la police pour avoir crié, monté sur une table de café : « Vive Mustapha Kemal Pacha ! »

À vingt-cinq ans, il émigra à Bordeaux puis à Paris en octobre 1923 et se rendit aussitôt chez Mme Couétoux qui l’accueillit dans sa maison-pension, rue du Repos. Il travailla dans divers établissements : maison de textile, moulage de métaux, livreur chez Lancel, chez Mignapouf, maison d’habillement de luxe. À la pension Couétoux, il fit la connaissance d’Émilie Busquant, fille d’un ouvrier des hauts-fourneaux de Neuves-Maisons (Meurthe-et-Moselle), employée aux Magasins réunis, place de la République. Il la présenta bientôt comme Madame Messali ; ils auront deux enfants, Ali né à Paris en 1930, Djanina née en 1938 à Alger. À partir de 1927, Messali compléta les quelques subsides qui lui venaient du Parti communiste sous le couvert d’un emploi à la coopérative « La Famille nouvelle » jusque vers 1931-1932, comme marchand ambulant de bas et chaussettes sur les marchés, de Nogent-sur-Marne et du Perreux notamment. Plus encore il s’évertua à prolonger son instruction ; à son éducation familiale, de morale faite de principes idéologiques musulmans, il joignit une culture prolétarienne d’école communiste.

Très vite, il entra en contact avec Abdelkader Hadj-Ali qui pour le PC, fut à la tête de la Section nord-africaine de l’Union intercoloniale, organisa le meeting ouvrier nord-africain, de l’Emir Khaled* de passage à Paris en 1924. Messali suivit les réunions de l’Union intercoloniale et de la CGTU ; il fréquenta la maison de Brunoy au sud de Paris où vivait A. Hadj-Ali avec sa femme qui était bretonne ; il le remplaça quelquefois pour tenir la quincaillerie. A. Hadj-Ali qui était un peu son frère aîné en communisme, l’envoya suivre une formation à l’école du PC à Bobigny. Messali se mêla en 1925, à la campagne communiste contre la guerre du Rif et de Syrie. C’est de l’Union intercoloniale que naquit en mai 1926, l’Étoile nord-africaine (ENA), constituée selon les principes des organisations de masse de militantisme communiste avec la présence à la direction d’une "fraction ” communiste, dont Messali ne semble pas faire partie, autour du principal responsable Hadj Ali*. La première carte d’adhésion de l’ENA indiquait : « Étoile nord-africaine-Association des Musulmans-Algériens-Tunisiens-Marocains ; Président d’honneur : Émir Khaled, section de l’Union intercoloniale, 3 rue du Marché-des-Patriarches, Paris (Ve arr.). » Son programme en dix points demandait les libertés et droits politiques pour les émigrés d’Afrique du Nord. Par ailleurs la CGTU faisait campagne dans des « congrès nord-africains », pour l’indépendance des colonies et l’élection en Algérie d’une assemblée constituante au suffrage universel.

Messali prendrait pour la première fois la parole en public comme orateur de l’ENA, le 7 octobre 1926, dans un meeting tenu dans la salle des ingénieurs civils devant quelque 250 Nord-africains. Il fut encore l’orateur du meeting du 30 janvier 1927 qui rassembla huit cents personnes à la Maison des syndicats, rue de la Grange-aux-Belles, et adopta une résolution réclamant notamment au nom des Algériens : « 1° l’indépendance de leur pays ; 2° la suppression de l’indigénat (code colonial extrêmement répressif) ; 3° les mêmes droits que les ouvriers français... » Messali fut le porte-parole de l’ENA au congrès de la Ligue anticoloniale et anti-impérialiste, organisation créée par l’Internationale communiste, qui se tint à Bruxelles au Palais Egmont en février 1927. Dans son intervention, il réclama : "1° l’indépendance de l’Algérie ; 2° le retrait des troupes françaises d’occupation ; 3° la constitution d’une armée nationale ; 4° le remplacement des délégations financières élues au suffrage restreint par un Parlement algérien élu au suffrage universel. » D’organisation de la main-d’œuvre coloniale nord-africaine, l’ENA se mua en mouvement nationaliste algérien dont Messali était le verbe.

Le congrès de Bruxelles le nomma au Comité exécutif provisoire de la Ligue anti-impérialiste, et bien que le principal organisateur reste Hadj Ali*, et en second, vraisemblablement A. Menouar* puis M. Marouf*, Messali fut désigné momentanément comme secrétaire général ; il commença à apparaître comme le leader de l’ENA. Non sans difficultés internes, celle-ci demeura dans la mouvance de la Commission coloniale du Parti communiste qui fonctionna d’une manière précaire ; elle fut en fait plus directement sous l’impulsion de la 20e Union régionale (Région parisienne) de la CGTU (section de la main-d’œuvre coloniale). Mais les années 1927-1931 furent des années difficiles pour le PC soumis à la répression, replié en son sectarisme et secoué par des changements de direction. L’ENA rassembla quelque 3 000 à 3 500 adhérents, principalement algériens de la région parisienne en 1927. Elle parut connaître une certaine déperdition en 1928 ; son journal l’Ikdam nord-africain ou l’Ikdam de l’ENA, par référence à l’Ikdam (la Vaillance), journal de l’émir Khaled*, cesse de paraître. Elle se donne aussi de nouveaux statuts en février 1928 ; était-ce un premier effort d’autonomie ? Son plus important meeting en janvier 1929 réunit 1 200 personnes, et la police lui attribue encore quelque 4 000 membres (Ve et XVIIIe arr. de Paris, Puteaux, Levallois, Clichy, Boulogne-Billancourt). Mais les meetings et assemblées se firent rares. En juillet 1929, c’est Benali Boukort*, jeune communiste arrivant d’Algérie, qui est désigné par la Commission coloniale pour représenter l’ENA au IIe congrès de la Ligue anti-impérialiste à Francfort-sur-le-Main (Allemagne) sans qu’aucune réunion préparatoire n’ait eu lieu. C’était donc une organisation en état de faiblesse que frappe en novembre 1929, une première mesure de dissolution.

Fin 1930 et début de 1931 s’amorça la relance de l’ENA, moins par le PC que par la CGTU qui s’appuie sur M. Marouf*, alors qu’Hadj Ali s’en détache. Messali paraît affirmer une orientation de plus en plus autonome. En octobre 1930 paraît le premier numéro du journal el Ouma (communauté/nation) qui appelle au rassemblement de "nos frères d’Algérie, de Tunisie et du Maroc ” ; le second numéro ne sort qu’en septembre 1931. En juin 1931, le bureau de la 20e Union régionale de la CGTU avec Marouf* s’efforce de réorganiser l’ENA en imposant à tous les Nord-africains, membres du Parti communiste ou de la CGTU d’adhérer au mouvement ; Marouf et la CGTU cherchèrent en outre à diffuser un autre journal, épisodique, auprès de la main-d’œuvre nord-africaine : el Amel (l’Ouvrier), et tiennent quelques meetings en banlieue en 1932.

Parallèlement, ce qui sous-entend donc une concurrence, el Ouma, qui signifie aussi bien nation que communauté musulmane ou communauté arabe, placée au départ sous le double patronage d’Hadj Ali et de Messali, puis devenue le journal de Messali seul et de ses jeunes alliés, Amar Imache* (gérant du journal), Belkacem Radjef* qui sera le trésorier de la nouvelle ENA, soutient une revendication pleinement nationaliste non plus centrée sur les problèmes de la main-d’œuvre immigrée. Le numéro de novembre-décembre 1931 porte en manchette une citation du réformateur musulman égyptien Cheikh Abdou : « Le vrai patriotisme dans l’Islam est celui qui se manifeste dans l’action. » Sous le pseudonyme de El Tlemçani (le Tlemcénien), Messali en appela à l’Union des « révolutionnaires nationalistes » pour conduire le Maroc, l’Algérie et la Tunisie dans « la voie de la libération ».

Les références à l’islam, voire à l’arabisme apparaissent donc avant tout contact avec l’émir Arslan, propagandiste qui publiait à Genève La Nation arabe, et avec qui Messali serait entré en correspondance au cours de l’année 1932, selon les rapports de police. Les relations, par contre, sont fréquentes avec les étudiants maghrébins de Paris qui forment l’Association des étudiants musulmans nord-africains (AEMNA), dénonçant la politique coloniale française antiarabe et antimusulmane comme le montrent l’Exposition coloniale, la célébration du centenaire de la conquête de l’Algérie, le dahir berbère au Maroc (ordonnance du Sultan qui applique aux Berbères un droit coutumier, musulman certes, mais en dehors du droit écrit de langue arabe), et le congrès eucharistique de Carthage. Il se noua aussi, par ailleurs des relations avec l’Amicale des commerçants musulmans qui soutient la Ligue de défense des intérêts musulmans où se retrouve Hadj Ali, mais qui tournaient à la rivalité quand se constitua la nouvelle Étoile nord-africaine en mars 1933 en organisation indépendante et finissent par la rupture en mai 1934.

À l’Assemblée générale du 28 mai 1933, dominée par la personnalité et la force oratoire de Messali, l’ENA s’était réorganisée en se dotant d’un programme développé autour de deux axes. Un premier fait de réformes immédiates, les libertés, l’égalité des droits, l’amnistie, et un deuxième constitué d’objectifs fondamentaux : « 1° l’indépendance totale de l’Algérie ; 2° le retrait total des troupes d’occupation ; 3° la construction d’une armée nationale. » Elle se prononça pour un « gouvernement national révolutionnaire » par l’élection d’une Assemblée constituante au suffrage universel, l’étatisation des banques, mines, chemins de fer, ports et services publics, la remise de la terre confisquée aux paysans dans le respect de la petite et moyenne propriété. C’est dire que la nouvelle ENA devint effectivement un parti nationaliste algérien qui opéra encore cependant quasi exclusivement en France et lutte pour l’indépendance dans une perspective de réformes économiques et sociales qui s’inspiraient des partis et programmes ouvriers : droit syndical, nationalisation, limitation de la grande propriété « féodale ».

Ces propositions s’apparentaient aux positions et mots d’ordre de l’Internationale communiste à cette époque, qui préconisait la formation et le soutien de partis « nationalistes révolutionnaires » qu’elle distinguait des partis « nationalistes réformistes » qu’elle dénonçait. Mais en devenant véritablement un parti politique, l’ENA entra ouvertement en rivalité avec le Parti communiste. Messali fit même voter l’interdiction de la double appartenance à l’ENA et au PC, tout en encourageant l’adhésion syndicale, ce qui était exactement le contraire de la ligne défendue par Marouf*. Messali fut le leader d’un nationalisme populiste à base largement ouvrière dans l’immigration en France, mais aussi se donnant pour arabe et musulman. Les rapports de police parlaient même de serment sur le Coran « de travailler au triomphe final de l’Islam ». La relation de Messali avec le PCF devenait conflictuelle.

L’ENA se développa, sans retrouver cependant l’audience de la première ENA, par une série de réunions et de meetings dans la région parisienne qui, en 1934, dénonçaient les mesures de contrôle policier en Algérie, de prédication dans les mosquées et de l’usage de la langue arabe. La protestation en Algérie avec l’Association des oulémas, se dressa contre ce que la gauche désigna comme le « fascisme colonial », ce qui favorisa un rapprochement avec le PC qui aboutit en 1936 à la mise en parallèle du Front populaire et du Congrès musulman réunissant avec le PCA, les différents courants nationalistes. En France, ou plutôt à Paris, c’est généralement dans l’isolement que manifesta et agit l’ENA, et Messali déplora cette négligence du PC, tout en rejetant sa tutelle (reproches adressés en particulier à Maurice Thorez en pleine réunion publique en 1933). Menacée de poursuites, l’ENA prit en juillet 1934 le nom de « Glorieuse Étoile nord-africaine », sans modifier son bureau que présidait Messali.

À l’automne 1934, André Ferrat, qui était responsable de la Commission coloniale du PC, s’efforça tant bien que mal de préserver des relations avec l’ENA en proposant notamment, à la suite des « événements de Constantine », révolte musulmane contre le quartier juif, une commission commune d’enquête avec le Secours rouge international et la Ligue contre l’impérialisme. C’était une tentative de rapprochement entre PC et ENA par organisations internationalistes et anticoloniales interposées. En octobre 1934, les meetings de l’ENA furent interdits, et en novembre, la Glorieuse Étoile nord-africaine fut poursuivie pour reconstitution illégale d’association dissoute. Les principaux dirigeants furent arrêtés ; Messali fut écroué à la prison de La Santé le 1er novembre 1934 et condamné le 5, par la 14e chambre correctionnelle, avec Imache* et Rabjef*, à six mois de prison et 2 000 F d’amende.

Trois mois plus tard, en février 1935, l’ENA put se reconstituer dans la région parisienne sous le nom d’Union nationale des musulmans nord-africains, et son journal el Ouma reparut. Le mouvement, que l’on peut dire « messaliste », -Messali en étant le président-, s’implanta aussi à Lyon, Lille, Poitiers, Limoges, Saint-Étienne et commença à avoir des noyaux à Alger et dans quelques villes, prenant le relais du Parti nationaliste révolutionnaire de Si-Ahmed Belarbi* (Boualem). Le 16 avril 1935, la Cour de cassation cassa le jugement du 5 novembre 1934 (confirmé le 24 janvier), et Messali fut libéré le 1er mai 1935.

Il put ainsi présenter le rapport moral à la première assemblée générale de l’Union nationale des musulmans nord-africains le 9 juin 1935 à Levallois-Perret (Seine) en présence d’un millier d’assistants. Messali entraîna son mouvement, qui reprit en juillet le nom d’ENA, dans les manifestations, salle Bullier, le 27 juin, et le 14 juillet 1935, du Rassemblement populaire auquel il adhèra. L’ENA tint des meetings contre l’occupation de l’Éthiopie par l’Italie mussolinienne ; Messali invoqua la solidarité du prolétariat français, mais maintint avec vigueur l’objectif de l’indépendance : « Il ne s’agit pas pour les Nord-africains de devenir Français, déclare-t-il le 6 juillet 1935, mais de rester nationalistes nord-africains. » Messali participa en septembre 1935 au congrès islamique qui se tint à Genève où il rencontra Chekib Arslan sans que l’on puisse mesurer l’influence de ce dernier qui fut peut-être exagérée. Lorsque les poursuites reprirent contre les dirigeants de l’ENA, et que la répression s’abattit de nouveau sur l’organisation, Messali, qui était rentré à Paris, retourna se réfugier à Genève en décembre 1935. Il ne rentra à Paris que le 10 juin 1936 quand la victoire du Front populaire lui valut l’amnistie. L’ENA participa au défilé du 14 juillet 1936.

Messali maintint des contacts avec les partis et le gouvernement de Front populaire. Il rencontra Charles-André Julien* placé par Léon Blum à la tête du Haut-comité méditerranéen, organisme d’information ; il fut reçu par Aubaud, secrétaire d’État à l’Intérieur, le 20 juin 1936 ; il rencontra aussi la délégation du Congrès musulman, venue d’Alger à la fin de juillet 1936. Tandis que Messali maintenait l’objectif de l’indépendance en réclamant un parlement algérien, et refusait les formules de rattachement administratif et d’extension de la citoyenneté française, le Congrès musulman, et à travers lui le PC, et également l’Association des oulémas, pour ne rien dire de la troisième composante, la Fédération des élus, qui était partisane de l’assimilation, acceptèrent ce rattachement, renonçant au mot d’ordre, défendu jusqu’alors, d’Assemblée algérienne élue au suffrage universel, et allant s’engager dans le soutien du projet de réformes dit Blum-Viollette, qui préconisait l’accès à la citoyenneté française de quelque 21 000 Algériens, dans le statut musulman il est vrai.

Messali qui avait encore parlé à la Mutualité le 31 juillet, en compagnie des représentants du Front populaire, débarqua à Alger le 2 août et prit la parole au meeting que tint la délégation du Congrès musulman au stade municipal. Il déclara en arabe sa joie de retrouver la terre de sa patrie et le peuple algérien, et, au nom de l’ENA condamna le rattachement et réaffirma la revendication d’un parlement algérien : « Pour la liberté et la renaissance de l’Algérie, groupez-vous en masse autour de votre organisation nationale, l’Étoile nord-africaine, qui saura vous défendre et vous conduire dans le chemin de l’émancipation. »

Ce discours scella le divorce entre PC et congrès musulman d’une part, et mouvement messaliste d’autre part qui s’affirma comme le parti de l’indépendance algérienne. Messali demeura pendant trois mois en Algérie pour développer l’implantation de l’ENA. Dans cette rivalité d’organisations, l’hostilité communiste grandit, se fondant sur la priorité de la lutte contre le fascisme. Elle fit notamment grief à l’ENA de ne pas adhérer au mouvement des volontaires des Brigades internationales dans la guerre d’Espagne ; ce qui n’était pas le fait de Messali, mais d’Amar Imache*. Les attaques verbales devinrent violentes et des accrochages se produisirent entre militants. C’est le moment où le messalisme prit force en Algérie par l’adhésion à la personne même de Messali. Les drapeaux verts flottaient sur les stades où se tenaient les meetings, et on chantait dans les réunions, le premier hymne national que le messalisme donnait à l’Algérie, jusqu’à provoquer des incidents comme lors d’un meeting du Congrès musulman le 24 janvier 1937 à Alger.

Le Gouverneur général de l’Algérie demanda l’interdiction de l’ENA ; le ministre français de l’Intérieur attendait l’occasion ; il était en particulier au courant des oppositions que révélait l’assemblée générale de l’ENA tenue le 27 décembre 1936 à Paris, au retour de Messali, à la Maison des syndicats, rue de la Grande-aux-Belles, -ce qui marquait plus qu’une continuité -, devant quelque cinq cents participants. Imache* et Yahiaoui* qui avaient assumé la direction de l’ENA pendant le séjour de Messali à Genève, et s’étaient aussi prononcés contre le volontariat dans les Brigades internationales, critiquaient Messali, dénonçant même pour la première fois le culte de la personnalité. Les indicateurs de police distinguaient trois tendances dans le comité central élu qui les réunissait par souci d’équilibre : 1° celle des nationalistes intransigeants hostiles aux partis politiques français et au communisme ; 2° celle des partisans du Front populaire ; 3° celle des partisans de la préservation de l’alliance communiste tout en défendant l’objectif de l’indépendance, ce qui était très certainement l’orientation profonde de Messali. Cette situation de division encourage le ministère de l’Intérieur à précipiter la mesure d’interdiction qui consommait en outre la rupture avec le Parti communiste. L’ENA, forte peut-être alors de sept mille membres, fut dissoute le 27 janvier 1937 par décret du gouvernement de Front populaire dirigé par Léon Blum et ayant Charles-André Julien* et Maurice Viollette* pour conseillers, à la satisfaction aussi du PC qui redoublait d’accusations à l’encontre de l’organisation, assimilée aux ligues factieuses.

En mars 1937, Messali annonça la fondation du Parti du peuple algérien (PPA) que les attaques communistes s’évertuaient à appeler Parti populaire algérien par analogie avec le Parti populaire français. Le PPA prit le relais des "Amis d’El Ouma ” qui avaient assuré la continuité du mouvement et même son élargissement en Algérie. Le PPA fut officiellement déclaré le 14 avril 1937 et son siège, fixé à Nanterre. Ses statuts l’organisaient sur le modèle communiste, l’assemblée générale annuelle tenant lieu de congrès, élisant un comité directeur et un bureau politique selon les principes du centralisme démocratique. Son programme « ni assimilation, ni séparation mais émancipation » se réclamait du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Le PPA déclare travailler pour l’ensemble de la population "sans distinction de rang ni de religion ”, défendre « le petit commerce, l’artisanat, les ouvriers, les petits fellahs, les étudiants, les professions libérales » ; le terme de nationalisation signifie retour des terres et des entreprises à des « nationaux » algériens.

Si le PPA se montrait ainsi interclassiste et plébéien, il relevait pleinement d’un nationalisme de libération nationale en se référant au peuple comme valeur suprême, et reprit le modèle organique des partis communistes et plus encore la pratique de l’action de masse. Le messalisme fut un populisme nationaliste, un révolutionnarisme national. Il se distinguait du communisme qui accordait la priorité à la lutte des classes et à la stratégie internationale qu’elle soit antifasciste ou de défense de l’URSS, mais aussi des autres tendances nationalistes algériennes qu’il débordait de plus en plus. Celles-ci étaient le fait de notables derrière la Fédération des élus et Ferhat Abbas, ou encore derrière les Oulémas qui représentaient d’autres traditions tout aussi bourgeoises et s’enfermaient dans le fondamentalisme musulman.

Messali retournait en Algérie en juin 1937 et y faisait une campagne de propagande ; arrêté le 27 août 1937, il fut interné à la prison Barberousse d’Alger ; son procès eut lieu le 2 novembre. Condamné à deux ans de prison, il fut transféré à la prison de Maison-Carrée dans la banlieue d’Alger. Le PPA gagna en audience comme le prouvent les résultats électoraux ( Messali élu fut invalidé, succès du PPA aux élections cantonales de 1938-1939 à Alger) ; le parti (comme le PCF et le PCA) fut interdit le 26 septembre 1939. De la prison, Messali avait écarté la fraction du PPA qui se mettait au service de la propagande allemande. Sorti de prison le 27 août 1940, il fut de nouveau arrêté un mois plus tard ainsi que de nombreux communistes. Il refusa les ouvertures de collaboration avec le régime de Vichy et un nouveau procès le condamna le 17 mars 1941 à seize ans de travaux forcés et à vingt ans d’interdiction de séjour. Il fut interné au camp de Lambèse, sous le régime du bagne, jusqu’en avril 1943, puis assigné à résidence à Boghari, Aïn Salah, Reibell (Chellala) dans le Sud algérien. En avril 1945, à la suite de la découverte de préparatifs qui visaient à le faire évader, il fut transféré à El Goléa (Sahara), puis à Brazzaville (Afrique équatoriale).

Après accord avec Ferhat Abbas, qui était à l’origine de la rédaction du texte, il apporta son soutien au « Manifeste du peuple algérien », ou plutôt le mouvement messaliste se redéploya à partir de mars 1944 en « Amis du Manifeste » (AML) qui servaient de couverture à la reconstitution du PPA et même à la mise en place d’une première organisation armée clandestine, l’organisation spéciale (OS), mêlée aux événements de mai 1945 qui voyaient les manifestations du 8 mai tourner localement en révolte et en affrontements violents. Surtout ils furent l’occasion d’une formidable répression, qui commença même avant, tant de la part des coloniaux que du gouvernement tripartite français. Le PCA était à cette époque en plein accès de dénonciation des nationalistes et du complot colonial. Il ouvrit ensuite une campagne pour l’amnistie. Libéré en juillet 1946, Messali fut assigné à résidence à Bouzaréah (au-dessus d’Alger) et fonda le Mouvement pour le triomphe et la défense des libertés (MTLD) qui doubla la reconstitution du PPA toujours illégal et, en 1949-1950, la mise en place précaire d’une seconde Organisation spéciale.

À l’été 1951, quittant la Bouzaréah, Messali repassa par Paris avant d’entreprendre un périple au Proche-Orient. Justifiant le nom de Messali Hadj, il fit le pèlerinage de Médine et La Mecque, et surtout s’arrêta au Caire qui, sous le roi Farouk, n’en était pas moins le siège de la Ligue arabe. Il se fit recevoir pour se faire reconnaître comme le leader du nationalisme algérien qu’il plaça sous les auspices du nationalisme arabe. Il rencontra certes Abd-el-Krim qui mit laborieusement en préparatifs, des commandos de l’Armée de libération du Maghreb ; s’il pensait au dernier recours que pouvait constituer la lutte armée, il entendit, à la tête du parti unique de la nation algérienne, entre Bourguiba, chef du Néo-destour pour la nation tunisienne et Allal el Fassi pour le parti marocain de l’Istiqlal, apparaître comme la figure emblématique, le guide (Zaïm) du peuple d’Algérie ; c’est au reste Bourguiba qui le salua comme « le père du nationalisme algérien ». Grâce aux subsides des monarchies et de la Ligue arabe et aux fonds du parti, il allait, au motif de préparer l’intervention d’une délégation algérienne à la conférence des Nations Unies, s’installer à l’Hôtel du Parc de Chantilly de novembre 1951 à février 1952. En grande djellaba blanche, et la barbe soignée, il donna réceptions et interviews, se vouant à invoquer la nation arabe et le monde musulman, peut-être un moment saisi par le vertige d’être le grand calife d’un Maghreb musulman.

Au printemps 1952, Messali conduisit une tournée de meetings en Algérie qui souleva des manifestations, un retentissement profond et des affrontements. Il fut arrêté à Orléansville (Chlef), expulsé en mai 1952 et assigné à résidence à Niort. Messali et les siens allaient assister voire prendre en charge par le groupement français écarté de la 4e Internationale (PCI exclu), dirigé par Pierre Lambert qui fit aider la famille Messali par Daniel Renard*. Cette liaison avec les « lambertistes » sera durable, jusqu’aux divergences en 1958 sous De Gaulle. Pour l’heure, en 1952-1953, le MTLD entra en crise, se partageant entre centralistes (partisans du comité central) qui acceptaient des réformes et participaient aux élections, notamment municipales à Alger, et bientôt dénonçaient le culte de la personnalité, et d’autre part, les messalistes fidèles, partisans du mouvement de masse pour aboutir à l’indépendance. La rupture fut accomplie quand Messali qui s’était arrogé les pleins pouvoirs sur le parti, fit tenir en Belgique à Hornu à la mi-juillet 1954, le congrès qu’il pilote à partir de son Comité de Salut public. Les activistes en marge du MTLD sortirent de cette crise en passant à l’insurrection du 1er Novembre 1954.

Dans son exil en France, Messali fut assigné ensuite à résidence aux Sables-d’Olonne en septembre 1954, puis à Angoulême en avril 1955, et à Belle-Isle en mai 1956. Il se trouva donc devancé par l’action insurrectionnelle alors qu’il n’excluait pas la perspective de la lutte armée et avait des contacts avec des groupes maquisards. Aussi s’opposait-il au FLN en dressant contre lui, à partir de décembre 1954, le Mouvement nationaliste algérien (MNA) qui était implanté principalement en France dans l’immigration algérienne du Nord et de Lorraine ; le parti se maintint par l’entremise du syndicat qu’il créa en février 1956, l’Union syndicale des travailleurs algériens (USTA). En réponse, l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA) fut fondée en Algérie. Ce sera à partir de 1957, l’Amicale des travailleurs algériens en France qui, en conservant les adhésions aux syndicats français, fit basculer les ouvriers algériens du côté du FLN, non pas les anciens, attachés à Messali, mais par les jeunes arrivants qui ne connaissaient que le FLN-ALN déclencheur de l’insurrection. La Fédération de France du FLN combattit l’emprise du messalisme ; les attentats s’enchaînaient malgré les cessez-le-feu acceptés par trois fois par Messali.

Pour en finir avec la guerre et permettre un avenir libre à l’Algérie, Messali préconisa une table ronde réunissant tous les partis politiques algériens. À partir de 1958, il compta sur le général De Gaulle pour engager cette solution. Cette 3e voie compromit Messali et plus encore laissa place à des liaisons douteuses entre des groupes du MNA et les services français et la police qui traquait le FLN. Messali se tint en dehors de la tentative de rapprochement sur les propositions du gouvernement français, menée par le Front algérien d’action démocratique (FAAD) qui reposait sur des syndicalistes de l’USTA (cf. A. Bensid*). En fait les manifestations de masses en Algérie de décembre 1960, montraient que le peuple algérien était gagné au FLN. Messali en prit acte. Quand en mai 1961, après les premières négociations d’Evian qui tournaient court, le ministre Louis Joxe offrit à Messali d’entrer dans le jeu des négociations, Messali confia à son neveu, Mohammed Memchaoui, de publier à Bruxelles la réponse au nom du MNA : le MNA « souhaite que les négociations en cours aboutissent à des résultats positifs et conformes aux aspirations nationales du peuple algérien. Le MNA, qui ne réclame pas pour lui-même le monopole de la représentativité qu’il conteste au FLN, ne désire pas que la division du nationalisme algérien puisse être utilisée par la France pour battre en brêche des revendications nationales essentielles ». (La Cité, Bruxelles, 9 juin 1961).

Messali était assigné à résidence à Chantilly depuis janvier 1959 ; il fut libéré le 10 mai 1962, après les accords d’Evian de mars. À l’indépendance, il refonda le PPA et reprit pour son journal, un vieux titre communard : Le Cri du peuple ; vainement. Il lui resta quelques centaines de fidèles à sa mort en juin 1974. Enterré d’abord au cimetière musulman de Bobigny, son cercueil, accompagné par son avocat défenseur Yves Dechézelles, fut transféré à Tlemcen où ses funérailles rassemblèrent une foule de quelque dix mille personnes. Cette concession du gouvernement algérien cherchait à prolonger le silence de l’État indépendant sur le messalisme et le rôle d’initiateur du mouvement national qui fut longtemps celui de Messali à partir de sa liaison avec le mouvement ouvrier.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article50820, notice MESSALI Hadj [MESLI Ahmed, dit HADJ MESSALI] par René Gallissot, version mise en ligne le 14 juillet 2009, dernière modification le 31 octobre 2022.

Par René Gallissot

SOURCES : Arch. Préfecture de police, Paris, cartons n° 56 et 57, cote 10694, rapport ENA 1934 et rapports de police, octobre et novembre 1936. — Arch. Outre-mer, Aix-en-Provence, 9H47 et 51. — Arch. ministère Outre-mer, Paris, SLOTFOM, série 3, carton 45. — Arch. IRM, Paris, dossier Écoles du PCF. — “ Mémoires ” de Messali, 5 000 pages en 17 cahiers d’écolier, couvrant la période 1898-1937, mais rédigés après 1970, arch. familiales. — Les mémoires de Messali Hadj. 1898-1938. (édition partielle), texte établi par R. de Rochebrune, préface d’A. Ben Bella, postfaces de Ch-A. Julien, Ch-R. Ageron, M. Harbi. Lattès, Paris, 1982. —  Messali hadj par le texte. Textes choisis et présentés par Jacques Simon, Bouchène, Saint-Denis 2000. — Omar Carlier, « La première Etoile nord-africaine (1926-1929). », Revue algérienne des sciences juridiques, économiques et politiques, n° 4, Alger, 1972 ; « Un groupement idéologique : les premiers communistes algériens de l’émigration », Colloque sur l’Intelligentsia maghrébine, Oran, 1982, publié dans Cahiers du GREMAMO, n° 4, Paris, 1987 ; repris et complétés dans Nation et djihad, op. cit. — C. Collot, L’Étoile nord-africaine, étude ronéo, Alger, 1970, et « Le PPA », Revue algérienne des sciences juridiques, économiques et politiques, 1971, n° 1. -Janet Zagoria, The rise and fall of the movement of Messali Hadj in Algeria, 1924-1954, University of Columbia, 1973. — S.Mathlouti Salah, Le messalisme. Itinéraire politique et idéologique, 1926-1939, thèse 3e cycle, Université de Paris 8, 1974. — B. Stora, Messali Hadj (1898-1974) fondateur du mouvement nationaliste algérien, thèse, École des hautes études en sciences sociales, Paris, 1978, et Dictionnaire des nationalistes algériens, L’Harmattan, 1985. — Notice par B. Stora et A. Caudron dans Parcours, n° 13-14, Paris, 1990. — M. Harbi, Messali, Les Africains, tome V, Jeune Afrique, Paris, 1979. — J. Simon, Messali Hadj (1898-1974), la passion de l’Algérie libre, éditions Tirésias, 1998. — Messali Hadj 1898-1998. Parcours et témoignages, Ouvrage collectif, Casbah-éditions, Alger, 1998. — M. Harbi et G. Meynier, Le FLN. Documents et histoire. 1954-1962, Fayard, Paris, 2004. — Nedjib Sidi Moussa, Algérie, une autre histoire de l’indépendance : trajectoires révolutionnaires des partisans de Messali Hadj, PUF, 2019.

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