Par René Gallissot
Né le 30 septembre 1915 à Tizi-Ouzou, mort à Alger le 1er janvier 2000 ; membre du PCA et adjoint au maire d’Alger en 1945 ; syndicaliste de premier rang sur le port d’Alger, depuis 1948 secrétaire de l’Union des travailleurs des ports et docks de la CGT, autonomisée en UGSA de 1954 à 1956 ; mis en cause pour sa conduite politique en 1956 et après.
Typographe à ses débuts, bilingue confirmé, Abdelkader Guenatri devint en 1943-1944, pointeur sur le port d’Alger, ce qui le lia au service de l’embauche ; il fut un syndicaliste CGT très actif. Il fut aussi membre du PCA qui le fit élire dans la municipalité France combattante d’après guerre ; il est adjoint au maire, le général Tubert*, chargé du Bureau central de la main d’œuvre (BMCO) qui relève de la mairie et contrôle l’embauche des dockers sur le port ; autant dire que la CGT a le monopole du recrutement jusqu’en 1946-1947. Évidemment à partir de l’été 1947 et plus encore des grèves qui suivirent l’éviction des communistes des gouvernements d’Europe occidentale et l’aiguisement de la guerre froide, le conflit fut ouvert entre le patronat des acconiers et des compagnies de navigation et le syndicat CGT des dockers.
Or A. Guenatri était un responsable du syndicat des dockers du port d’Alger ; à partir de 1948, il fit partie du bureau de l’Union CGT d’Algérie des ports et docks, et devint membre de la commission exécutive des syndicats confédérés d’Algérie, la CGT territoriale, et du bureau de l’UD d’Alger (grand département d’Alger). En juin 1949 il se rendit célèbre en faisant expulser du syndicat CGT des dockers, un certain Pollio « en raison de son action modératrice au sein de la corporation » ; sa proposition fut adoptée à l’unanimité des 1 500 dockers présents à l’assemblée générale. Condamné par le tribunal civil d’Alger pour « menaces verbales contre les acconiers et les contremaîtres » en mai 1950, A. Guenatri fut exclu du BCMO par le Gouvernement général. Aux élections qui suivirent de la représentation syndicale au centre d’embauche du port, la liste CGT avec à sa tête Guenatri fut élue en entier. Belle revanche. Cependant tout en restant un des chefs des dockers et des maîtres de l’embauche au premier rang sur le port, Guenatri ne s’éleva plus dans la hiérarchie syndicale ; au témoignage de Lakhar Kaïdi* qui en devint par la suite le secrétaire général succédant au français André Ruiz*, une méfiance ou un doute firent écarter l’entrée de Guenatri au bureau et au secrétariat général de la CGT. Rivalité de personnes peut-être, bien plutôt suspicion communiste.
En avril 1949, dans une assemblée organisée sur le port, à un participant critiquant la CGT comme étant « un syndicat qui faisait trop de politique et ne s’occupait plus des revendications », Guénatri avait répliqué : « la CGT n’est pas une filiale du PC ». Alors que les grèves devinrent dures au début des années 1950, y compris par le refus des dockers de charger les bateaux vers l’Indochine, L. Kaïdi jugea l’attitude du patron de la CGT du port, conciliatrice dans ses relations avec les employeurs. Il demeura cependant de 1954 à 1956 le responsable syndical lors de la transformation de la CGT en UGSA, union syndicale autonomisée d’Algérie, associée directement à la FSM de mouvance communiste ; au dire de Boualem Bourouiba* qui prépara la création de l’UGTA, il demeura un syndicaliste très actif.
Ce qui semble certain c’est qu’Abdelkader Guenatri ne fréquentait plus les communistes, se détournait de leur réunion au café habituel du quartier de la Marine près du port, pour se joindre au café d’en face aux réunions des syndicalistes nationalistes qui se tenaient fréquemment autour d’Amar Ouzegane*. De surcroît, celui-ci avait un contentieux très lourd avec ses anciens camarades du PCA et plus encore avec Lakhdar Kaïdi qui s’est toujours opposé à lui, même quand en 1945-1946, A. Ouzegane était la voix du parti communiste.
Secrétaire général adjoint syndicat CGT dockers à Alger, il fut condamné le 2 décembre 1947 à 15 jours de prison. La Cour d’appel d’Alger lui accorda le sursis le 31 janvier 1948.
Après l’intensification de la guerre au 20 août 1955, A. Guenatri fut arrêté comme de nombreux syndicalistes et autres militants connus ; ils furent enfermés au camp de Djorf ; il fut très rapidement relâché. L. Kaïdi avait plongé dans la clandestinité ; il s’abrita dans la ferme de la Mitidja qui était le dépôt d’armes des commandos d’Alger constitués autour d’Abdelkader Guerroudj* en liaison avec le FLN ; il fut arrêté le 19 septembre 1956 après avoir pu expédier les armes ; il restait juste un stock de cartouches. Lors de son interrogatoire par la DST à Bouzaréah, on lui fit entendre un enregistrement ancien d’une conversion avec A. Guenatri ; L. Kaïdi se prononçait pour le refus par les dockers de décharger ou embarquer des armes sur les bateaux en provenance de France ; personne ne donna de date. Ce qui est plus inquiétant, c’est qu’Abdelkadri Guenatri fut ensuite appelé comme témoin à charge contre L.Kaïdi devant le Tribunal militaire d’Alger en octobre 1959. En tout cas, le grand syndicaliste des dockers semble avoir été épargné par les épreuves de la guerre.
Par René Gallissot
SOURCES : Arch. d’Outre-mer, Aix-en-Provence, série 1K880 et F159, 160, 165, 175, 1 K/297 (notes de Louis Botella). — B. Bourouiba, Les syndicalistes algériens, De l’éveil à la libération, L’Harmattan, 1998. — N. Benallègue-Chaouia, Algérie. Mouvement ouvrier et question nationale, OPU, Alger, 2004. — N. Djabi, Kaidi Lakhdar. Une histoire du syndicalisme algérien. Entretiens, Chihab Éditions, Alger 2005. — Notes de Salim Guenatri.