Par Peter Huber
Née le 4 octobre 1901 à Bâle, morte le 2 décembre 1937 à Moscou ; collaboratrice du Comité exécutif de l’Internationale communiste (1924-1937), d’abord dans la Section pour l’information (1924), puis dans les archives (1925-1929) ; directrice du poste de l’OMS (département des liaisons internationales de l’Internationale communiste) à Paris (1932-1937), rappelée à Moscou et fusillée.
Fille d’un mécanicien et d’une couturière, l’aînée de trois enfants (voir Franz Dübi), Lydia Dübi fit ses études à l’école de commerce et entra, en 1918, dans une firme commerciale à Bâle. Militante des Jeunesses socialistes depuis 1917, elle fut fichée par les services de police une première fois en 1920, en tant que personne recevant de la propagande révolutionnaire. Au printemps 1921, devenue membre des Jeunesses communistes et du Parti, elle s’établit à Bienne et travailla comme secrétaire à la Caisse nationale d’assurance. Elle en fut licenciée, en 1922, à cause de ses activités communistes, suite à une dénonciation de la Fédération patriotique suisse. Rentrée à Bâle, elle trouva un engagement dans un magasin de chaussures, accéda au comité directeur du PC cantonal et participa aux réunions du Parti communiste suisse en tant que sténographe.
Prévue, dans un premier temps, pour le travail illégal du Parti communiste allemand à Berlin, elle partit en Union soviétique en septembre 1924, avec d’autres membres de la Jeunesse communiste, tels que Robert Krebs et surtout Siegfried Bamatter, dont elle était l’amie et devint l’épouse. Son arrivée à Moscou et son entrée dans l’appareil du Komintern se fit à la demande d’Edgar Woog, secrétaire et membre de la Commission internationale de contrôle (CIC) ainsi que chef de la toute récente Section pour l’information. Lydia travailla dès octobre 1924, comme secrétaire à la Section pour l’information, rédigea les sténogrammes des réunions de la CIC et écrivit, entre autres, une série d’articles, intitulée « Briefe aus Moskau » (Lettre de Moscou), pour le journal des femmes communistes suisses, Die Arbeitende Frau.
Devenue très vite, presque automatiquement, comme c’était la règle, membre du Parti bolchevique, elle passa, pendant l’été 1925, aux Archives du Komintern et en devint vice-directrice en 1927 sous Boris I. Reinstein. Cette même année, elle entra pour la première fois en conflit avec ce qu’on appellera « la ligne générale » : responsable de la bibliothèque et membre de la direction du Club allemand, elle dut se justifier auprès du comité du Parti pour avoir donné la parole, au Club, à des représentants de l’opposition Trotsky-Zinoviev, tels que K. Radek et F. Platten. Dübi fit son « auto-critique » et s’en tira même sans un blâme.
En 1929, lors du combat de Staline* contre « l’opposition de droite », Dübi fut embarquée dans la tourmente. Dans la discussion engagée au sein du Komintern à propos des « droitiers », elle fut classée dans la catégorie des « hésitants ». Le comité du Parti lui reprocha son abstention lors d’un vote au cours d’une réunion consacrée à l’accusation collective, par les collaborateurs de l’appareil du Komintern, à l’encontre de M. G. Grollman et B. I. Idelson, qui avaient inséré dans le journal mural du Komintern des articles très critiques envers la « Troisième période ». Dübi fut obligée de reconnaître « ses fautes » et expliqua sa reconversion par une lecture attentive de La Pravda.
Probablement déçue par ces débuts de « chasse aux sorcières » au Komintern et par le cours des événements en URSS, elle entreprit des démarches pour « quitter la politique » ; ainsi, en mai 1930, elle écrivit aux instances du Parti : « Étant donné que, pour la construction socialiste, le problème des cadres pour l’industrie devient de plus en plus crucial, j’aimerais apporter ma contribution dans ce domaine et entreprendre des études pour pouvoir me rendre utile dans l’industrie chimique (…) Je demande au bureau de la cellule de m’aider à m’inscrire à des cours techniques du soir, en attendant qu’on me dispense de mon véritable travail aux Archives, pour pouvoir me consacrer exclusivement aux études ». En même temps, le Parti communiste suisse demanda — en vain et à maintes reprises — que le Komintern la libère de l’appareil de l’IC pour qu’elle puisse rentrer en Suisse y renforcer le travail dans la partie romande et italienne — langues qu’elle dominait à la perfection. Le Komintern ne donna pas suite à ces demandes. Se soumettant à la discipline du Parti, Dübi fréquenta, à partir de novembre 1930, les cours de l’École léniniste. Le rapport de fin d’études, extrêmement élogieux, fait état de ses grandes capacités, de son énergie, de sa discipline, ainsi que de son « indépendance » — trait de caractère qui lui coûta probablement la vie.
En 1932, Dübi put quitter l’URSS, car elle fut chargée de construire le « poste n° 20 », c’est-à -dire l’antenne de l’OMS à Paris. Ainsi, après l’avènement d’Hitler au pouvoir et le démantèlement de l’appareil clandestin du Komintern à Berlin, elle dirigea l’appareil de communication le plus important que le Komintern possédait en Europe. Les difficultés avec le Centre ne se firent pas attendre. De l’autre bout de la ligne, elle reçut l’ordre de vérifier le passé politique de ses collaborateurs ; sous la pression du « premier procès de Moscou » (1936), elle fit preuve de vigilance, mais se plaignit de « rumeurs infondées » provenant de Moscou, qui paralysaient le travail. Comme tant d’autres cadres du Komintern travaillant à l’étranger, elle accepta — l’ordre venu — de rentrer à Moscou afin « d’écarter les malentendus ». Arrivée début juillet 1937, en compagnie de son adjoint Karl Brichmann, ancien collaborateur de l’OMS à Copenhague, elle fut arrêtée par le NKVD le 5 août, sous l’accusation courante. Interrogée pendant trois mois et traduite devant le Tribunal militaire, elle fut condamnée à mort le 3 novembre 1937 et exécutée la nuit même. Son frère Franz Dübi, ancien élève du KUNMZ (Université communiste pour les minorités nationales d’Occident) entre 1928 et 1932, obtint sa réhabilitation en 1958.
Par Peter Huber
SOURCES : RGASPI, dossier personnel, 495 274 236 ; 495 546 129 ; 495 19 217. — ARF, E 2015 (1), vol. 107. — Vorwärts (Basel) 14 avril 1988. — P. Huber, Stalins Schatten in die Schweiz, op. cit., p. 257-274. — B. Studer, Un Parti sous influence, op.cit., p. 637. — Mikhail Pantéleiev, « Lydia Düdi. Éléments biographiques », Communisme, n° 32-33-34 (1993), p. 177-181.