AGAR Florence [CHARVIN Florence, Léonide dite Agar]

Par Claude Pennetier

Née le 18 septembre 1832 à Sedan (Ardennes), morte le 16 août 1891 à Mustapha (Algérie) ; actrice ; sympathisante de la Commune de Paris.

Florence Agar
Florence Agar

Fille d’un militaire de carrière originaire de l’Isère, elle épousa Barthélemy Nique à Lyon à seize ans. En 1853, elle quitta la domicile conjugal et vécut à Paris de cours de piano et en chantant dans les cafés concert. Son ami François Ponsart devina en elle des talents de tragédienne et la poussa vers l’Odéon où elle joua Phèdre, avec succès le 17 janvier 1862. Soutenue par Achille Ricourt, Eugène Delacroix et Théophile Gauthier, elle entra au Théâtre français comme pensionnaire en 1863 mais ne pût obtenir sa nomination comme sociétaire. C’est la princesse Mathilde qui l’imposa en 1869. Cette aide lui fut reprochée mais elle incarna l’enthousiasme patriotique en 1870 en déclamant la Marseillaise jusqu’alors interdite.

Elle prêta son concours sous la Commune de Paris à diverses festivités : elle était le 14 mai 1871 aux Tuileries ; elle y était encore le dimanche 21, alors que les troupes de Versailles entraient dans Paris, et récitait des Iambes de Barbier, des Châtiments de Victor Hugo au profit des blessés et des veuves et orphelins des gardes nationaux tués. Le Figaro (15 mai 1871) lui reprocha d’être devenue sociétaire de la Comédie-Française grâce à la princesse Mathilde et de réciter les Châtiments après la chute de ses bienfaiteurs. Elle répondit très dignement, que pendant la Commune, elle avait œuvré pour les blessés, et qu’elle gardait sa fidélité à la princesse Mathilde : « Je suis prête à aller à Cayenne. J’attends pour cela une nouvelle dénonciation de vous. Je ne crains pas plus vos attaques à Versailles que je ne crains la Commune à Paris. » Ces attaques l’obligèrent à quitter la Comédie-Française en 1872.

En 1872, elle entreprit des tournées en province en commençant à Marseille où elle fut accueillie comme “Agar la Communarde”. Ses déplacements triomphaux la conduisirent ensuite de la Suisse au nord de l’Europe et en Angleterre.

Remariée en 1888 avec Georges Marye, elle s’installa avec lui en Algérie.

Au cours d’une représentation à Mustapha, le 5 juillet 1888, elle fut frappée de paralysie. Elle mourut trois ans plus tard.

Voir Louis Antonin, François Bonvin, Eugène Garnier.

Artistes ayant participé aux fêtes de bienfaisance organisées au bénéfice des combattants de la Commune de Paris : Agar, C. Alexandre, Amiati, Camille André, J. Arnaud, Auger, Th. Bertringer, Bidon, Bonel père et fils, Rosa Bordas, Boulard, Paul Burani, Caillot, Ernest Cordier, Daubé, Delaporte, Fernand Désaulnée, Goubert, Goujon, Guichard, Haydn, P. Joissant, Marion, Menu, Michot, Monplot, Morio, Noailles, Jules Pacra, Joseph Plessis, Richard, Roussel de Méry, Henri Rozé, Saint-Aubin, Schneider, Tesseire, Tinion, Augustin Verdure, Villaret, Williams.

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Hommage de Paul Bourget

Paul Bourget. 6, rue de Reims, Paris.
 
 Paris, 27 mai 1871.

Madame,

Je sais qu’en vous adressant des vers, à vous célèbre et belle, un jeune homme inconnu s’expose à paraître au moins impertinent. J’ai pourtant une excuse et dans les circonstances qui m’ont inspiré cette poésie, et dans le sentiment qui me fait vous l’envoyer. J’ai lu avec une émotion profonde votre lettre si ferme et si digne du 17 mai, elle répondait si bien à un vœu de mon cœur épouvanté que mes vers n’ont été pour ainsi dire qu’un cri. Acceptez-les donc, madame, comme une expression incomplète, mais sincère des sentiments de la jeunesse qui pense et rêve encore. Je m’estime trop heureux de vous avoir fait comprendre qu’au-dessus des canons et des fusils, votre voix est venue à nous, et que votre grande idée de fraternité fidèle ne restera point sans échos.

Mes vers d’ailleurs vous diront mieux que cette prose boiteuse comment le hasard a pour moi du moins, commenté d’un spectacle vivant et terrible votre vivante et douce leçon.
 
« Ne rien haïr, mon enfant tout aimer, ou tout plaindre. » V. Hugo
 
La brume du matin, molle, blanche, indécise,
Inondait l’horizon de la Seine et des cieux,
Les ponts entrecroisés et Notre-Dame assise
Sous ces voiles de pierres aux quais silencieux.
 
Sur un banc, un journal à la main, sans rien lire,
Comme je contemplais ces splendeurs en rêvant,
Dans les profonds lointains, vagues comme un sourire,
Un régiment passait, le drapeau rouge au vent.
 
La guêtre blanche aux pieds, hâves, mais fiers encore,
Chantant La Marseillaise à plein cœur, bien au pas,
Joyeux ces insurgés partaient dans cette aurore
Pour une guerre impie, et n’en frémissaient pas.
 
Sur les képis ternis, les sacs gris, les vareuses,
Sur les yeux enfiévrés de deux sièges soufferts
Les fusils, noirs de poudre entre les mains calleuses,
Montaient, fermes et droits, sombre moisson de fers.
 
Des femmes, des enfants, les suivaient en silence,
Et tous, sans se douter, que vaincus ou vainqueurs
Leur dévouement trompé déshonorait la France,
Partaient fiers et joyeux dans la paix de leurs cœurs.
 
O Patrie ! O vertu ! La conscience humaine
A donc son jour fatal où l’éternel devoir
Couvre de nuit l’éclat de sa lueur sereine ?
- Quel œil se vantera de comprendre et de voir ?
 
Ah ! qu’on soit dur au mal, et d’airain pour le crime,
Qu’on traque le forçat, comme un loup, sans merci !
Dent pour dent, œil pour œil. –Soit !- Mais l’homme sublime,
Celui qui veut, combat, s’abuse et meurt ainsi,
 
Qu’il soit damné des lois ! Je refuse d’y croire !
La mort de ces bandits qui souffrent en héros
Devoir impérieux qu’acclamera l’histoire !
Dieu ! Quel devoir ! Sauver sa patrie en bourreaux.
 
Mais dans ces jours de deuil que penser et que faire ?
Quand un fusil chargé s’allonge à tous les toits
Attendre bras croisés, en paix ? Le cœur se serre.
Combattre ? Dans quels rangs ? Contre qui ? Pour quel droit ?
 
Alors devant ce ciel qui sourit sans entendre
Implacable et serin, à nos cœurs ulcérés
J’ai détourné de l’air trop limpide et trop tendre,
Sur mon journal froissé mes yeux désespérés.
 
Et là j’ai lu, gravé par les mains d’une femme
Mon devoir de poète en traits fermes et doux.
Ce juste, cet Humain que je cherchais, madame,
Votre cœur deux fois saint vous l’enseignait pour nous.
 
Vous dîtes : « aux Proscrits comme aux mourants fidèles
« Nous tous que Dieu fît bons, nous tous que Dieu fît grands
« Nous prierons, le cœur plein de pitiés éternelles,
« Et l’âme des martyrs planera sur nos rangs.
 
« Pour nous les pleurs sacrés d’une douleur honnête
« Lavent les plus souillés – pardon mystérieux
« Et nous leur donneront, toi tes vers, ô poète,
« Moi ma voix et la paix et le bonheur tos deux.
 
« Nous montrerons vivant dans nos œuvres divines
« Ces deux anges choisis de jeunesse et d’amour
« L’indulgence à genoux qui bénit les ruines
« Le souvenir qui fait immortel un seul jour ! »
 
Merci, femme au cœur pur, oui votre œuvre est divine,
Vous qui savez du moins vivre vraiment votre art
Douce comme Gretchen, forte comme Pauline
Si grande sans emphase, si belle sans fard.
 
Pardonnez-moi, madame, de n’avoir pu rendre ces vers aussi absolument dignes de vous comme je l’aurais rêvé. Croyez bien encore une fois que je ne me serais pas permis de vous importuner, sans le désir de vous témoigner l’admiration de votre conduite. Je n’ose vous demander de me répondre. Je sais trop combien les évènements doivent absorber votre pitié. Heureux si j’ai pu vous consoler une minute !

Agréer, madame, l’assurance de mon admiration la plus respectueuse pour une artiste qui sait si bien rendre Sylvia et qui sait si bien agir comme les héroïnes les plus aimées.

Paul Bourget

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article51035, notice AGAR Florence [CHARVIN Florence, Léonide dite Agar] par Claude Pennetier, version mise en ligne le 26 juillet 2009, dernière modification le 11 août 2021.

Par Claude Pennetier

Florence Agar
Florence Agar
Florence Agar en 1878
Florence Agar en 1878
Florence Agar dans <em>Phèdre</em>
Florence Agar dans Phèdre

SOURCES : J. Bruhat, J. Dautry et E. Tersen, La Commune de 1871, Paris, Éditions Sociales, 1960. — Édith Thomas, les « Pétroleuses », Paris, Gallimard, 1963. p. 151. — Journal Officiel de la Commune, 12 et 20 mai 1871, réimpression, Paris, V. Bunel, éditeur, 1872. — Les Murailles politiques françaises, Paris, Versailles, la Province, Paris, Lechevalier, 1874, t. II (18 mars 1871-28 mai 1871), p. 565. — Renseignements communiqués par Michel Gillibert.

ICONOGRAPHIE : Bruhat, Dautry, Tersen, La Commune de 1871, Paris, Éditions Sociales, 1960, p. 209.

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