Par Jean Maitron
Né le 9 avril 1847 à Paris, rue des Canettes (ex-XIe arr.), mort le 7 juin 1914 à Saint-Maurice (Seine) ; comptable ; secrétaire de la délégation à la Guerre sous la Commune de Paris.
Son père, Pierre Benjamin, était un ancien militaire : ex-brigadier fourrier de la Garde municipale, qu’on retrouvait en 1876 aux Invalides ; sa mère, Catherine Marguerite Grillet, était blanchisseuse.
En 1856, Louis Barron était enfant de troupe au 3e régiment de grenadiers de la garde impériale ; il s’engagea en 1864, et devint sergent en 1868. Cassé de son grade, il quitta pourtant l’armée l’année suivante avec un certificat de bonne conduite. À la guerre, il prit du service et devint sous-lieutenant au 51e régiment, mais dut démissionner parce que malade.
Il gagna Paris en avril 1871 ; voyage volontaire, dit-il : « J’allais donc, enfin, voir une révolution sociale, la révolution rêvée, attendue, souhaitée par la jeunesse ardente et pauvre de ma génération, pendant les années fiévreuses de la fin de l’Empire. » Une recommandation de Courbet à Cluseret l’introduisit à l’état-major de Rossel où on lui présenta le mouvement communaliste sous les traits d’une lutte patriotique contre les Prussiens. Chargé de payer le personnel, en relations avec les chefs, il éprouva une déception juvénile ; les supérieurs rêvaient de grades, le peuple chômait et se désintéressait, « Mais le mouvement parisien qui, sous la poussée de l’enthousiasme, des illusions généreuses ou des passions ambitieuses, continue en vertu de la force acquise, cet étrange mouvement m’entraîne, pour ainsi dire à mon insu. » (Sous le drapeau rouge, op. cit., p. 83). Et, s’il ne partageait pas le goût du panache ou la croyance en la révolution juste et triomphante, il se battit cependant courageusement et fut fait prisonnier derrière une barricade, à Montmartre, le 23 mai, car le 14 mai il avait demandé à jouer un rôle plus actif, dans un poste « relatif à la direction des mouvements dans les diverses municipalités. Là surtout, la Commune a besoin de dévouements pratiques et infatigables ».
Après la défaite, il fut envoyé sur les pontons, mais n’avait pas été reconnu ès qualité, et bénéficia d’un non-lieu (4 août 1871), tandis qu’un an plus tard, le 4e conseil de guerre le condamnait par contumace, le 26 novembre 1872, à la déportation : jugement rendu contre un inconnu, officier d’état-major, secrétaire de Cluseret et Rossel.
Gagnant sa vie comme comptable, il fut même employé auxiliaire au ministère des Finances grâce à la recommandation d’un ancien patron directeur à Decazeville et député de l’Aveyron ; il travailla ensuite pour des entreprises privées. Peut-être serait-il passé inaperçu si, en 1876, sa corporation ne l’avait délégué au congrès ouvrier qui se tint à Paris du 2 au 10 octobre. Il intervint le 6 sur la question « apprentissage, enseignement professionnel ». Il exposa, de façon un peu confuse, la situation des employés, leur manque d’organisation syndicale, le chômage dont ils souffraient. Il regretta les corporations antérieures à la loi de 1791, qui surveillaient l’apprentissage. Il souhaita le développement de l’enseignement professionnel, particulièrement nécessaire dans sa corporation, enseignement qui devait être placé sous la direction des chambres syndicales.
La police identifia le militant délégué au congrès et l’officier communaliste frappé en 1872 ; il fut appréhendé, condamné, le 22 décembre 1876, par le 3e conseil de guerre, à la déportation dans une enceinte fortifiée et envoyé à l’île des Pins, car sa peine avait été commuée en déportation simple (1877). On avait trouvé chez lui, lors de son arrestation, un carnet-journal et trente manuscrits politiques ou d’économie sociale.
En déportation, il nota avec mélancolie que des convois arrivaient encore en 1879 ! L’évasion de Rochefort et de ses amis avait rendu la surveillance plus sévère, et les condamnés étaient gagnés par une immense lassitude : « À l’île des Pins, les ouvriers et les employés intelligents, socialistes moins rêveurs, mais non moins ardents et convaincus que leurs aînés de 1848, furent très malheureux, très dignes de pitié » (La Déportation..., op. cit., p. 24).
Louis Barron fut amnistié et rentra par le Calvados. Il jugeait quelque peu mélancoliquement l’avenir des déportés : « Près de ces drôles cyniques [les forçats libérés] d’honnêtes ouvriers, peureux de l’avenir, du combat pour la vie, envisageaient tristement les conséquences de leur liberté prochaine, se rappelaient les luttes incertaines de l’industrie, les rivalités de l’atelier, les chômages imprévus, la misère presque incurable des salariés. Ailleurs, des illuminés tranchaient en quelques formules brèves, absolues, les questions les plus complexes de la sociologie ; plus loin, des bourgeois sceptiques, issus directement de l’Université, songeaient à mettre à profit leur passé politique, à devenir habiles. » (La Déportation..., op. cit., p. 27).
Voir Marius Poulet, Schrameck, Tapia.
Il livra un récit personnel de la Commune (Sous le drapeau rouge) en 1889 et publia par les suites des ouvrages sur Paris (Paris-Étrange. Mœurs parisiennes), sur la région parisienne (Les environs de Paris) et sur les fleuves de France (La Loire ; La Seine).
Par Jean Maitron
ŒUVRE (uniquement celle relative à la Commune) : La Déportation et les déportés, Paris, 1880, Bib. Nat., Lb 57/7 566. — Sous le drapeau rouge, Paris, 1889, Bibl. Nat., Lb 57/10 037.
SOURCES : Arch. Min. Guerre, 3e conseil. — Ouvrage ci-dessus. — Compte rendu du congrès de 1876. — Michel Cordillot (coord.), La Commune de Paris 1871. L’événement, les acteurs, les lieux, Ivry-sur-Seine, Les Éditions de l’Atelier, 2021.