Né le 14 décembre 1845 à Bastia (Corse), mort le 5 septembre 1884 à Marseille (Bouches-du-Rhône). Tour à tour employé de commerce et typographe. Secrétaire de la section de Marseille de l’AIT à partir de fin 1868, « l’un des chefs les plus influents de l’Internationale en faveur de laquelle il a fait dans le Midi de la France une très active propagande ». Directeur des Contributions indirectes sous la Commune de Paris.
Fils de marin, André Bastelica vint très jeune habiter Marseille avec sa famille. D’après La Voix du Peuple, sa mère, née Marie-Louise Simoni, exerça sur sa formation sociale une influence déterminante. L’enfant reçut une instruction primaire et marqua beaucoup de goût et de facilité pour l’étude. Il compléta ses modestes acquisitions par de nombreuses lectures personnelles. Devenu ouvrier typographe, il collabora à diverses revues littéraires marseillaises : le Triboulet, la Canebière, etc. et se révéla écrivain au « style précis et fougueux, quelquefois précieux, mais le plus souvent plein de flamme et de vivacité » (Olivesi, La Commune de 1871 à Marseille..., p. 43). A. Bastelica possédait surtout une facilité d’élocution remarquable et, très vite, il manifesta des dons d’orateur qui expliquent, pour une part, l’ascendant que, tout jeune encore, il exerça sur les travailleurs de la région. Il habitait 32, boulevard des Dames
C’est vers 1864 qu’il se familiarisa avec les questions politiques et sociales. Des amis lui firent lire la Revue sociale de P. Leroux et les œuvres de Proudhon ; deux ans plus tard il devint correspondant du Courrier français et apprit ainsi l’existence de l’Internationale. Lorsqu’il y adhéra, en 1867, la section marseillaise ne comptait encore que quelques dizaines de membres. L’année suivante le nombre des adhérents était de 400 environ, mais c’était l’époque des poursuites (les deux Commissions de Paris furent condamnées de mai à juin 1868) et l’organisation de la section marseillaise fut certainement contrariée par cette répression. Fin 1868, Bastelica prit la direction de la section, mais, en septembre 1869, lors du 4e congrès de l’AIT, le rapport sur la situation à Marseille dont A. Richard donna lecture — A. Bastelica qui l’avait rédigé n’avait pu assister au congrès — ne faisait état que de résultats encore modestes. Il y était dit en effet : Le bureau correspondant de Marseille a été seulement installé en cette ville dans le courant du mois d’août — sans doute s’agit-il d’une réorganisation de la section, fondée dès 1867 — et si quelques militants ont été gagnés, le succès obtenu le plus remarquable a été l’adhésion « spontanée » de trois corporations : celles des vanniers, des chaisiers et des marins. Durant le congrès même, le 8 septembre, une lettre de Bastelica annonçait la constitution d’une vingtaine de chambres syndicales et l’adhésion en bloc des matelots de Marseille à l’Internationale. Ce fut le moment de la grande activité de Bastelica qui rayonna de l’Hérault aux Basses-Alpes, créant partout des sections et faisant adhérer des sociétés ouvrières à l’Internationale. Il collaborait à l’Égalité de Genève, à l’Internationale de Bruxelles, à La Marseillaise de Paris ainsi qu’au Peuple et à l’Égalité de Marseille. Le 1er octobre il écrivit à A. Richard de Lyon pour lui faire part de ses espoirs après les élections générales et la victoire de Gambetta et d’Esquiros à Marseille ; il pensait « à établir un plan de révolution française » (Troisième procès de l’AIT..., p. 23), si, à Lyon, il pouvait discuter la question avec Aubry de Rouen et un militant parisien. Le 6 octobre, nouvelle lettre à Richard dans laquelle il exposait son idéal anarchique : « Nous voulons le non-gouvernement parce que nous voulons la non-propriété ; et vice-versa. La morale humaine détruira les religions révélées, le socialisme supprimera le gouvernement et la question politique. » (Revue socialiste, juin 1896. Voir également, dans J. Jaurès, Histoire Socialiste, t. X, Le Second Empire, par A. Thomas : plusieurs lettres de Bastelica, dont celle du 6 octobre 1869. Les termes n’en sont qu’approximativement les mêmes). En octobre et novembre il envoya des sommes importantes pour les grévistes d’Elbeuf, 1 050 F par exemple le 25 octobre, et ce versement élevé dénotait un rayonnement accru. C’est pourtant à ce moment que Bastelica faisait des projets pour passer en Argentine avec Albert Richard (Voir biographie de celui-ci). Quoi qu’il en soit, il écrivait, le 2 février 1870, à Dupin de Saint-Étienne, qu’il avait organisé 25 corporations et qu’une chambre fédérale était constituée avec deux délégués par corps de métier. Et Bastelica de conclure : « L’avenir est à nous ! » (Arch. PPo., B a/439.) Le 13 mars 1870 il représenta avec Pacini la Fédération marseillaise à l’assemblée générale de la Fédération lyonnaise que présidait Varlin. Le 28 avril, il écrivait à James Guillaume : « J’ai fondé en trois jours de marches forcées et pénibles à travers ce pays des plus montagneux, cinq sections stratégiques autour desquelles rayonnera toute la contrée ; Cogolin, Saint-Tropez, La Garde-Freinet, Collobrières et Gonfaron » (ibid.) ; il se flattait d’avoir « acquis cette fois la preuve invincible, irrécusable, que les paysans pensent et qu’ils sont avec nous » et il ajoutait : « Tout ce mouvement brise mes forces, mais augmente mon courage » (Olivesi : La Commune de 1871 à Marseille). Cependant, il allait devoir mettre un terme provisoire à son activité militante : poursuivi en mai 1870 — Voir J.-B. Aillaud — il passa en Espagne où il présida d’ailleurs le 1er Congrès, tenu à Barcelone, des organisations espagnoles appartenant à l’Internationale (Bulletin de la Fédération jurassienne, 1er août 1872). Il regagna Marseille après la chute de l’Empire et la proclamation de la République. Il redoubla alors d’activité, mais déjà la Fédération marseillaise était solidement organisée et aurait compté de 4 000 à 5 000 adhérents. Non seulement il avait déployé de persévérants efforts pour grouper les ouvriers avec la perspective de résister au patronat, si besoin est par la grève, « éruption endémique du mal social » (manifeste rédigé par Bastelica à propos de la grève du Creusot, publié dans le Mirabeau de Verviers, 24 avril 1870, et cité par Testut, L’Internationale, p. 80), mais encore il s’était préoccupé de l’éducation populaire en participant à la fondation, en août 1868, de la section marseillaise de la Ligue de l’Enseignement qui comptait 700 adhérents en 1870.
Le 9 septembre, à l’Alhambra, devant 2 000 personnes, il réclamait alors l’organisation d’un gouvernement du Midi, directoire provençal qui décréterait la levée en masse, lèverait des impôts pour les armements et s’appuierait sur les travailleurs. Un appel fut rédigé et adressé aux ouvriers allemands (Voir Adrien) et, le 18 septembre, fut constituée la Ligue du Midi, véritable gouvernement présidé par Esquiros, administrateur du département des Bouches-du-Rhône avec pleins pouvoirs civils et militaires. La veille s’était tenue à Lyon une grande réunion où avait été décidée la création du Comité central du Salut de la France. Le lendemain, au cours d’une seconde réunion, eut lieu l’élection des membres de ce comité aux séances duquel assistèrent Bakounine — véritable créateur du Comité — et Bastelica. De retour à Marseille, celui-ci proclama le 22 septembre, devant plusieurs milliers d’assistants, l’adhésion sans réserves de la Fédération marseillaise de l’Internationale à la Ligue du Midi dont il définissait ainsi le programme : Réquisitions, impôts de 30 millions sur les riches, confiscation des biens des traîtres et du clergé, séparation de l’Église et de l’État, épuration, liberté de la presse, élection des juges par le peuple, suppression des écoles religieuses et affectation de leurs locaux aux écoles laïques... Puis, liant le problème de la défense de la patrie à celui de la révolution sociale, il déclarait : « Notre seule pensée, notre unique souci est aujourd’hui contenu dans ces seuls mots : Le salut de la France ! » (Olivesi : La Commune de 1871 à Marseille..., p. 101-102). De nouveau, à Lyon, trois jours plus tard, il signait l’affiche rédigée par les soins du Comité Central du Salut de la France qui décrétait l’abolition de l’État et faisait appel à l’insurrection. Le 28 septembre, à midi, place des Terreaux, se réunissaient des milliers de manifestants appelés par le Comité Central du Salut de la France et par le Comité Central fédératif, ce dernier rassemblant les groupements républicains. Saignes, à la tête d’une centaine de personnes, parmi lesquelles Bakounine, Parraton, Bastelica, força l’Hôtel de Ville et instaura un pouvoir révolutionnaire qui, rapidement, échoua. Un moment arrêté, Bastelica put cependant regagner Marseille où se réfugia également Bakounine qui, grâce à lui, put s’enfuir à Gênes fin septembre. À l’Alhambra, le 17 octobre, Bastelica obtint un vote de confiance en faveur d’Esquiros, destitué par Gambetta, et, le 1er novembre, enfin, fut proclamée à Marseille une Commune révolutionnaire dont Bastelica fit partie, mais dont il se retira par peur des responsabilités selon Alerini (lettre à Bakounine, 9 novembre 1870, citée par J. Guillaume, t. 2). Cette Commune ne dura d’ailleurs que trois jours et démissionna entre les mains du préfet Gent envoyé par Gambetta.
Bastelica, qui venait rendre visite de temps à autre à ses camarades parisiens — il se trouvait là, le 12 janvier 1870, lors de l’enterrement de Victor Noir et, pour sa part, avait critiqué l’attitude de Rochefort — arriva dans la capitale dans les premiers jours de mars 1871. Le gouvernement de la Commune de Paris le nomma directeur des Contributions indirectes. Nous savons en vérité peu de chose sur son action durant cette période et son nom n’est mentionné nulle part. Tout au plus apprend-on que le 20 mai, il présida une des séances de l’Internationale (cf. Les Séances officielles de l’Internationale à Paris pendant le siège et pendant la Commune, p. 47).
Après la défaite, il réussit à gagner l’étranger et serait arrivé à Londres le 12 août 1871 (Arch. PPo., B a/434, pièces 35 à 37). Il encourut plusieurs condamnations par contumace : déportation dans une enceinte fortifiée, par le conseil de guerre siégeant à Lyon, 11 août 1871, pour sa participation à l’insurrection du 28 septembre ; quatre ans de prison, 1 000 F d’amende et dix ans de privation des droits civiques, par le conseil de guerre siégeant à Marseille, 12 février 1872, pour affiliation à l’Internationale ; cinq ans de prison par le tribunal de 1re instance de la Seine, 16 mars 1872, pour usurpation de fonctions.
Admis au conseil général de l’Internationale, Bastelica fut élu, le 16 septembre 1871, délégué, avec Frankel, Serraillier et Vaillant, à la Conférence internationale qui se tint à Londres du 17 au 23 septembre. Il y défendit avec Robin « les principes dit collectivistes et fédéralistes » (cf. Molnar), mais sans doute ne prit-il que mollement la défense de Bakounine et de ses amis, car Anselmo Lorenzo qui, lui aussi, assista à cette Conférence, parla ensuite du silence couard ou, pis, des timides excuses de Bastelica. Ce dernier, découragé, répugnait sans doute à entrer dans l’un ou l’autre des deux camps qui se disputaient l’Internationale, et il fit d’ailleurs part à Joukowski de son désir de démissionner (cf. J. Guillaume. Bastelica était en outre tenu « quelque peu en suspicion » par J. Guillaume et ses amis depuis les mouvements insurrectionnels avortés de Lyon et de Marseille). Comme il appartenait à la « section française de 1871 » et que les statuts de cette section lui faisaient obligation de se retirer du Conseil général s’il n’y était pas délégué par la section, il abandonna le Conseil dans lequel il ne se sentait d’ailleurs pas à l’aise.
Dans le courant d’octobre, il gagna Neuchâtel et travailla comme typographe chez J. Guillaume qu’il connaissait personnellement, l’ayant rencontré chez A. Richard en décembre 1869. Il fut embauché grâce à un certificat que lui envoyèrent les internationaux de Barcelone, certificat établissant qu’il était reconnu comme ouvrier typographe par l’Union typographique de cette ville (Ibid., p. 224, note).
En février 1872, attaqué par les marxistes pour avoir, selon eux, fait cause commune avec A. Richard et Gaspard Blanc ralliés à Napoléon III — un placard affiché sur les murs de Genève portait ces mots : « Au pilori Richard, Blanc et Bastelica ! » — ce dernier fut défendu par J. Guillaume dans le Bulletin de la Fédération jurassienne, n° du 15 février. Et, le 10 mai suivant, le Bulletin reproduisit la déclaration du Conseil fédéral belge publiée dans l’Internationale du 5 mai 1872, déclaration attestant « que le citoyen Bastelica n’a cessé de donner des gages de son dévouement à la cause, et que sa vie laborieuse et pénible en exil impose silence à la calomnie. » Bastelica, désorienté et abattu par l’échec de la Commune et les scissions dans l’Internationale, finit d’ailleurs par adopter, pour un temps du moins, les théories bonapartistes de Richard et de Blanc, mais J. Guillaume situe ce moment « dans l’été 1873 » (cf. L’Internationale, t. III, p. 89, n. 3). Dans une lettre privée à A. Thomas en 1907 (cf. Sources) J. Guillaume le jugera sévèrement : « pauvre cervelle de blagueur marseillais... ». Bastelica fut dénoncé comme bonapartiste dans une lettre de F. Engels à Sorge, 12 (et 17) septembre 1874. À Strasbourg, Bastelica aurait fait des propositions « bonapartistes » à Avrial qui l’aurait éconduit. Il continua à travailler comme typographe à l’imprimerie Borel (anciennement G. Guillaume fils) jusqu’en 1875 environ, puis s’embaucha à Strasbourg au Journal d’Alsace (L. Descaves, Philémon, vieux de la vieille, Paris, 1913, p. 269). Expulsé, il se fixa à Genève, et, selon la Révolution française du 1er juin 1879, il prit « la direction de l’Imprimerie française » et fonda le Progrès du Léman.
Gracié le 24 mai 1879, il revint à Marseille en 1881 et posa sa candidature devant les sections du Comité central républicain (1re circonscription) en vue des élections législatives qui eurent lieu cette même année. Mais son nom ne fut pas retenu et on lui préféra celui de Paul Durand (Arch. Dép., M 2 III 43).
Bastelica mourut presque subitement le 5 septembre 1884, en pleine épidémie de choléra sans qu’on puisse cependant attribuer sa mort à cette dernière. Le Petit Marseillais et le Petit Provençal lui consacrèrent une rubrique pleine de sympathie, et 1 500 personnes environ assistèrent à ses obsèques civiles. Voir Jean Vasseur.
ŒUVRE : Avertissement aux travailleurs (électeurs) de Marseille. Le suffrage universel et la révolution. Réponse hors concours pour le prix de 2 000 francs (de M. André Pasquet), Marseille, 1868, in-8°, 28 pp., Lb 56/1996.
Collaborations : Le Peuple, 22, 28 et 29 juin 1870, articles sur le 1er congrès des sections espagnoles de l’AIT. — La Réforme sociale, organe de la Fédération rouennaise de l’Internationale, janvier-octobre 1870. — La Solidarité, organe des sections de la Fédération romande de l’Internationale, avril-mai 1871.
SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE : Arch. Nat., BB 24/862, dossiers contumax, n° 5897. — Arch. PPo., B a/439. — Arch. Dép. Bouches-du-Rhône, M 6/163, /309, /3386. — M. Vuilleumier, « Notes sur James Guillaume... », Cahiers Vilfredo Pareto, Librairie Droz, Genève, 7-8/1965, pp. 105-106 (lettre de J. Guillaume à A. Thomas, 8 juin 1907.) — La Première Internationale. Recueil de documents publiés sous la direction de Jacques Freymond. Textes établis par H. Burgelin, K. Langfeldt et M. Molnar. Introduction par J. Freymond, 2 vol., Genève, 1962, E. Droz, éditeur, t. II, p. 278. — M. Molnar, Le déclin de la Première Internationale,. La Conférence de Londres de 1871, Genève, 1963, p. 109. — J. Guillaume, L’Internationale. Documents et souvenirs, (1864-1878), Paris, 4 vol., 1905-1910, t. 2, p. 115-119, p. 201, n. 1, et p. 216. — A. Olivesi : La Commune de 1871 à Marseille et ses origines, Paris, Rivière, 1950. — Correspondance F. Engels-K. Marx et divers, publiée par F.-A. Sorge dans œuvres complètes de F. Engels. Traduction Bracke (A.-M. Desrousseaux), Costes, éditeur, Paris, 2 tomes, 1950. — A. Richard : articles consacrés à l’Internationale dans la Revue de Paris, septembre 1896. — Revue Socialiste, juin 1896. — La Voix du Peuple : « Un socialiste : André Bastelica, ouvrier typographe », 20 septembre 1884. — Encyclopédie départementale des Bouches-du-Rhône, t. X, Le Mouvement social.