LECLERCQ Fernand, Désiré, Auguste

Par André Caudron

Né le 7 mai 1858 à Moulins-Lille (Nord), mort en 1940 ou en 1941 ; mécanicien aux chemins de fer, préparateur à l’université, opticien ; syndicaliste chrétien ; fondateur de syndicats indépendants, directeur du journal Le Peuple (1893-1908), président de l’Union démocratique du Nord (1895), membre du conseil national de la Démocratie chrétienne (1897).

Peu après la naissance de Fernand Leclercq, dont le père était forgeron, la commune de Moulins-Lille, faubourg industriel, fut annexée à la grande ville voisine. Ouvrier mécanicien à la Compagnie des chemins de fer du Nord puis aux ateliers d’Hellemmes, Leclercq devint en 1882 mécanicien préparateur au cabinet de physique de la faculté catholique des sciences de Lille. En contact avec des intellectuels, il se mit à étudier et s’occupa de l’œuvre des cercles ouvriers ainsi que des conférences de Saint-Léonard dans le populeux quartier de Wazemmes. En 1888, son mariage avec la fille d’un boulanger - dont il aura une famille nombreuse - lui assura une certaine aisance et lui permit de s’installer à son compte comme opticien après 1890.
Dès la diffusion de l’encyclique Rerum novarum en 1891, Leclercq fonda des cercles d’études sociales et se mit en rapport l’année suivante avec l’abbé Paul Six* qui lui demanda un compte rendu des revendications exprimées par les salariés des patrons catholiques. Leclercq consigna notamment les abus dénoncés par le personnel des établissements Vrau (voir Camille Feron-Vrau*). Ce travail a sans doute inspiré le rapport de l’abbé Six devant le congrès social de Mouvaux (1893). En 1892, à l’assemblée générale des catholiques du Nord et du Pas-de-Calais, Leclercq, soutenu par l’abbé Paul Naudet*, avait défendu la participation des ouvriers aux bénéfices de leur entreprise. « Cette séance fera date », déclara Charles Thellier de Poncheville, président du comité catholique régional. « Pour la première fois, aux patrons qui s’occupent des intérêts ouvriers, un ouvrier est venu offrir le loyal concours des ouvriers honnêtes ».
En juin 1893, à Lille, Leclercq fonda l’Union syndicale textile, puis l’Union syndicale métallurgique dont les statuts s’inspiraient de ceux de l’Union syndicale des vrais travailleurs, créée tout récemment par Florentin Wagnon* et l’abbé Jules Bataille* à Roubaix. Leclercq et ses amis jetèrent ensuite les bases d’une série de syndicats indépendants, qu’ils voulaient strictement ouvriers et professionnels, à Fourmies, à Armentières et dans d’autres secteurs de leur région. A plusieurs reprises, Leclercq fut appelé pour régler des différends entre patrons et ouvriers, mission dont il s’acquitta, dit-on, « à la satisfaction des uns et des autres ».
Le 18 novembre 1893, il sortit le premier numéro d’un hebdomadaire, Le Peuple de la région du Nord, qui allait devenir plus brièvement Le Peuple. Ce « journal ouvrier », défendant le programme de la Démocratie chrétienne, bénéficia de l’aide de prêtres et de l’appui financier de Charles Rogez, négociant à Lille, du filateur Thiriez et de Leclercq lui-même. Celui-ci venait de jouer un rôle important au congrès ouvrier chrétien de Reims (20-23 mai 1893). Soutenu par l’abbé Pottier, de Liège, il fit voter un voeu opposant la formule des syndicats séparés, reliés par un conseil d’arbitrage, aux syndicats mixtes qui avaient la faveur des patrons catholiques. Le congrès suivant, en mai 1894, adopta un voeu inverse en dépit des protestations de Leclercq. Le 3 décembre 1893, sa conférence tenue à Lille avec Albert de Mun*, secrétaire général de l’Œuvre des cercles, avait indisposé le patronat local.
Dans Le Peuple, Leclercq, n’hésitant pas à mettre en cause le chef de file des syndicats mixtes, écrivit que « M. Feron-Vrau aurait été décoré si le ministère récompensait ceux qui affament les ouvriers ». Son journal devint l’organe des premiers syndicats chrétiens, réunis en mars 1895 dans l’Union démocratique du Nord qu’il présida et anima avec Léon Viellefon. Elle organisa un congrès ouvrier à Lille les 2 et 3 juin ; rassemblant alors huit cents personnes, elle se structura en syndicats libres qui ne dépassèrent pas 1 000 à 1 200 adhérents et finirent par végéter.
Le Peuple, favorable à l’abbé Jules Lemire*, fut partie prenante dans la constitution, en 1896, d’un Parti démocrate chrétien qui ne dura guère. Puis Leclercq fut nommé membre de l’éphémère conseil national de la Démocratie chrétienne au congrès de Lyon (1897). La même année, il représenta les démocrates chrétiens français au congrès ouvrier international de Zurich. Par contre, il refusa d’assister, à Lille, au congrès catholique régional de 1897 : « La plupart des têtes sont nos adversaires », dit-il à l’abbé Lemire.
Venu au congrès catholique de 1902 sur l’insistance du président Thellier de Poncheville, il présenta « l’œuvre de la Maison des ouvriers », fondée deux ans plus tôt dans le centre de Lille. C’était à la fois une « maison de récréation », équipée d’un estaminet, et une « maison d’études et de consultations », hébergeant des cours populaires et des cercles d’études. L’orateur, avec son franc-parler, critiqua le paternalisme de beaucoup d’œuvres catholiques, cercles ou patronages : « Trop longtemps on a voulu mettre l’ouvrier en tutelle et le conduire comme un être inconscient ; c’est ce qui lui a fait délaisser les cercles. L’ouvrier est plus fier qu’on ne le pense ; il aime se sentir chez lui et comme il est son maître à la Maison des ouvriers, il s’y trouve comme chez lui et il y reste. » En 1905, Leclercq s’occupait toujours de cette Maison, en butte à l’hostilité des militants socialistes. De ses entretiens avec Marc Sangnier*, ce dernier retira des idées sociales qui devinrent celles du Sillon. Le Peuple, alors sous-titré « journal démocratique chrétien » et « organe des intérêts démocratiques et professionnels », disparut le 25 avril 1908.
Leclercq prit part aux Semaines sociales de France. En 1937, il fut fait chevalier de Saint-Grégoire le Grand, distinction pontificale, en même temps que son ami Léon Viellefon, lors de la célébration du cinquantenaire du syndicalisme chrétien. Hommage fut alors rendu à « l’héroïsme » de ce pionnier. La date de son décès n’est pas connue. En 1941, sa mémoire fut évoquée avec celle de Jules Zirnheld*, président de la CFTC, pendant la messe du 1er mai des syndicats libres du Nord. Tous deux étaient disparus au cours de l’année écoulée.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article5737, notice LECLERCQ Fernand, Désiré, Auguste par André Caudron, version mise en ligne le 30 juin 2008, dernière modification le 5 avril 2023.

Par André Caudron

SOURCES : Archives départementales du Nord, M 154/40. — Assemblée générale des catholiques du Nord et du Pas-de-Calais, Lille, 1892, 1899, 1900, 1902, 1903, 1907 — Compte-rendu du premier congrès chrétien de Reims, 1893 — Démocratie chrétienne, juin 1895 — M. Petitcollot, Les Syndicats ouvriers de l’industrie textile dans l’arrondissement de Lille, Paris, 1907. — Jules Lamoot, Mgr Six, Paris, 1937. — Pierre Lesage, Le Mouvement social chrétien du Nord, Lille, 1948. — Robert Talmy, L’Association catholique des patrons du Nord, Lille, 1962 — André Caudron, Dictionnaire du monde religieux dans la France contemporaine, IV. Lille Flandres, 1990.

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