DURAND-SAVOYAT Maximilien (Maxime, Max)

Par Michel Cordillot

Né en 1833 à Avignonet (Isère), mort en 1911 en Amérique du Sud ; marié, père de famille ; avocat puis cultivateur ; parti en Argentine au début des années 1850, revenu en France pour se battre dans l’Armée des Vosges après le 4 septembre 1870 ; coopérateur, membre de l’AIT, puis co-fondateur du POF de Jules Guesde à Grenoble (Isère) ; Franc Maçon et Libre Penseur.

Maximilien Durand-Savoyat était le fils de Napoléon Durand-Savoyat (1800-1859). Propriétaire-cultivateur et agronome à Cornillon-en-Trièves (Isère), celui-ci avait pris dès 1830 la direction du Dauphinois, affichant des sentiments républicains, avant d’être élu député « très démocrate » à l’Assemblée nationale constituante, puis à l’Assemblée législative. Co-rédacteur de la Feuille du peuple (1849) et membre du comité central républicain, il tenta de résister au Coup d’État de Napoléon Bonaparte, puis se retira de la vie politique. Il était, aux dires de Victor Hugo, un « homme d’un rare esprit et d’un rare courage » (Histoire d’un crime).

Maximilien Durand-Savoyat fit des études de droit à Paris. Républicain et libre-penseur, il se fit recevoir à la Loge « Les Amis de la patrie » du Grand Orient de France (Paris). Au lendemain du coup d’état du 2 décembre 1851, il décida d’émigrer en Argentine en compagnie de son frère aîné Oscar (né en 1828). Ils s’installèrent d’abord à Buenos Aires, puis à Santa Fe (province de Santa Fe), et enfin à Paraná et Gualeguaychu (province de Entre Ríos). Maximilien épousa Rosario Martinez, avec qui il eut trois enfants (Napoléon, Effmi et Manuel Thot).
Passionné par les questions relatives à l’éducation, il fonda le Collège de l’enseignement supérieur de Buenos Aires en 1860. Il s’intéressa également aux questions agricoles, et publia en 1867 dans les Anales de la Sociedad Rural Argentina le premier article traitant de la Fasciola hépathique (douve) qui touchait tout particulièrement les animaux des fermes de la côte de Nogoya (« El Saguaipé. Epizootía causada por el Saguaipé vulga. Duva o Fasciola de Linnéo »).

À Buenos Aires, Maximilien et Oscar s’associèrent à un imprimeur nommé Pablo Buffet pour créer une entreprise d’édition. En 1863, ils publièrent un livre sur la franc-maçonnerie, Ritual de los tres grados simbólicos del rito moderno francés, oficialmente practicado por las LL. de la obediencia del G. O. de Francia y reconocido por el Sup. Cons. y O. O. del Uruguay. L’année suivante, le Registre statistique de la République Argentine (Registro estadístico de la República Argentina) pour l’année 1864 donna une traduction partielle en espagnol des Misérables de Victor Hugo, qui était l’œuvre des frères Durand-Savoyat. La traduction complète parut à la Librería de Durand-Savoyat y Buffet en 1865.

Peu après, l’entreprise Durand-Savoyat y Buffet disparut, peut-être à cause du départ d’Oscar, qui avait quitté Buenos Aires en 1858 pour aller s’installer à Santa Fe et y lancer une expérience d’apiculture.

En 1864, Oscar et Maximilien furent rejoints en Argentine par leur plus jeune frère, James (né à Mens, Isère, le 11 décembre 1849, mort à Monte Carlo, le 9 février 1914, futur député et sénateur). Tous trois fondèrent alors à Paraná, dans une ferme prêtée par le gouverneur de la province, une coopérative populaire pour y pratiquer l’apiculture à grande échelle et de façon scientifique. Il était prévu dans les statuts que les bénéfices seraient répartis à parts égales entre les sociétaires. Le site, aujourd’hui occupé par le Collège national, fut baptisé « El Colmenar » (Le Rucher). Cette expérience est aujourd’hui considérée comme le moment fondateur de l’apiculture en Argentine.

Parallèlement, ses fondateurs se lancèrent dans l’élevage des vers à soie, faisant sur ce thème des études intéressantes sur des espèces indigènes analogues, dont les produits pourraient être industrialisés. À cet effet, ils firent des voyages à l’intérieur de la province, étendant leur recherche dans le domaine de l’entomologie et de la botanique. Les résultats positifs en furent publiés dans certains journaux de l’époque.

Laissant ses deux frères en Argentine, Oscar rentra en France en 1869 pour reprendre l’exploitation de la propriété acquise par leur père en 1834. Juste avant que n’éclate la guerre de 1870, Il fut en Dauphiné l’un des co-fondateurs, avec Bovier-Lapierre et Édouard Rey (le frère du disciple de Bakounine Aristide Rey), d’un journal qui affichait comme programme « la suppression des armées permanentes et la création de milices nationales pour garantir l’indépendance du pays ».

Peu de temps après, alors que la France avait proclamé la République le 4 septembre et qu’elle se trouvait menacée d’envahissement par les armées prussiennes, Maximilien abandonna en Argentine femme, enfants et travail pour partir se battre en France avec l’armée des Vosges de Garibaldi. Au moment de sa démobilisation après une campagne difficile, durant laquelle il souffrit cruellement des rigueurs du froid, il regagna Grenoble pour y passer quelque temps avec les parents et amis qu’il n’avait pas vus depuis près de vingt ans. Mais s’étant sans doute fait remarquer à l’occasion des réunions de soutien à la Commune de Paris organisées par le Dr Vogeli, il fut emprisonné durant 78 jours à la citadelle de Grenoble, après avoir été condamné par le conseil de guerre de la 22e division militaire pour insoumission à la loi sur le recrutement. Une fois libéré, il choisit de nouveau l’exil et se réfugia en Suisse où il s’installa comme cultivateur.

Fin 1871 (l’exemplaire de la Bibliothèque publique de Genève porte l’inscription 21 Xbre 1871), il publia un pamphlet antimilitariste intitulé À propos de l’armée. Pétition aux gouvernants de la France, qui était dédié à son frère Oscar : « (…) je t’ai entendu bien des fois te lamenter sur les terribles conséquences que le service militaire français cause à nos pauvres et braves familles de cultivateurs. (…) Dans les pages qui suivent, je crois avoir interprété tes sentiments. » Daté du 17 octobre 1871, mais sans doute rédigé avant la Commune (événement auquel il n’est pas fait allusion), son texte, très critique pour la hiérarchie militaire et le gouvernement de Défense nationale et développant des vues proches de celles du général Cluseret, se terminait par un poème signé Rémi, intitulé « Les victimes de la Ricamarie », véritable acte d’accusation contre l’armée, qui, en 1869, avait tiré sur les mineurs en grève. Le verso de la dernière feuille annonçait la parution imminente d’une autre brochure intitulée Insoumis et Déserteurs ou Les consuls Français ; Les Conseils de Guerre ; Les Prisons militaires, laquelle semble ne jamais avoir paru.

Ayant adhéré à l’AIT, Maximilien Durand-Savoyat assista les 27 et 28 avril 1873 au congrès de la Fédération jurassienne à Neuchâtel et prit la parole lors du meeting public tenu le dimanche 27 à la Grande Brasserie pour parler de la statistique. Il assista également au Congrès ouvrier général qui se tint à Olten du 1er au 3 juin. Il y fut nommé secrétaire pour la langue française et intervint à plusieurs reprises dans les débats. En réaction à une déclaration signée par cinq membres de la Fédération jurassienne (Pindy, Schwitzguébel, Guillaume, Wenker et Gameter) refusant l’idée que le programme de la Fédération ouvrière puisse être réalisé par une intervention de l’État et qu’elle soit dirigée par un comité central, il fit voter par la majorité des délégués une déclaration interdisant à tous les membres du congrès de « présenter [leur] opinion comme absolue », considérant que « seule l’organisation syndicale » pouvait contribuer à améliorer la situation des travailleurs. Désigné quelques mois plus tard, par la section de Porrentruy pour la représenter au congrès « fédéraliste » de Genève, il vit sa nomination refusée par le Conseil fédéral jurassien suite à une protestation de Pindy.

Il participa aussitôt après au congrès « marxiste » de l’Internationale organisé à Genève le 8 septembre 1873 et les jours suivants. Qualifié par James Guillaume de « personnage assez ridicule, qui se tenait à l’écart de la proscription communaliste » (L’Internationale, t. III, p. 135, n. 3), il était pourtant bel et bien présent au milieu des communards proscrits lors de la séance préliminaire du dimanche 7 septembre si l’on en croit le journal parisien Le Soir (11 septembre). Représentant la section de Moutier-Grandval, forte de 50 membres, qui avait adhéré aux résolutions du congrès de La Haye et avait par ailleurs participé à la campagne électorale pour les élections au Conseil national suisse du 27 octobre 1872 en soutenant un candidat radical, il fut nommé secrétaire de langue française du congrès, avec Bazin pour assesseur. Lors d’une séance publique (mardi 9 septembre, soir), il déclara que sa section, « vu que les dissensions et les divisions s’étaient produites dans l’Internationale, n’avait endossé les thèses d’aucun parti et s’occupait uniquement de ses propres affaires » (d’après le compte-rendu du Times de Londres). Il disparut peu après, emportant avec lui les résolutions du congrès (cf. lettres de John Ph. Becker à Sorge, novembre 1873, Correspondance F. Engels, K. Marx et divers, publiée par F.-A. Sorge dans Œuvres complètes de F. Engels, t. I, Paris, 1950).

On ignore ce qu’il fit au cours des années suivantes, mais on le retrouve en 1892 à Grenoble. Son frère James, qui avait regagné la France en 1883 pour s’installer à Oriol-les-Bains (canton de Mens , Isère), où il avait une propriété qu’il exploitait tout en dirigeant à Paris une maison d’exportation, venait de se faire élire député dans la troisième circonscription de Grenoble lors des élections législatives du 22 septembre 1889, succédant à son cousin Léonce-Émile. Républicain modéré, il se prononçait dans sa profession de foi en faveur de la stabilité gouvernementale, de mesures en faveur de l’agriculture, d’une politique coloniale « sans aventure ni guerre » afin de procurer au pays les matières premières dont il avait besoin et de l’ajournement de la séparation de l’Eglise et de l’Etat « jusqu’au moment où il serait possible de l’accomplir sans périls ni haine », étant entendu que les ministres du culte devraient demeurer à l’écart de l’école et de la politique. Il siégea en tant que député de l’Isère de 1889 à 1893.

Beaucoup plus engagé que son frère, Maximilien prit contact avec Jules Guesde par l’intermédiaire du Socialiste en juin 1892 et fut l’un des fondateurs de la section locale du POF. Il en fut durant quelques mois l’un des militants les plus en vue et fut ainsi le porte-parole d’une délégation qui se rendit auprès du maire de la ville afin de protester contre son refus d’attribuer une salle municipale pour une conférence de Paul Lafargue. Quelque temps plus tard, il assista en qualité de délégué au 10e congrès du POF organisé à Marseille en 1892 (24-28 septembre). Puis de nouveau sa trace se perd, jusqu’à ce qu’il réapparaisse , toujours à Marseille, comme auteur d’une causerie-conférence sur la pensée libre en 1898. Il fera de même à Nice en 1903.

Il retourna sans doute peu après en Amérique latine. Il adressa en effet à son compatriote de Santa Fe, Luis Bonaparte, qui venait de publier un ouvrage intitulé Relapsos, une lettre en espagnol datée de Montevideo (Uruguay) dont voici la transcription :

« Loge des amis de la Patrie, fondée en 1827
Or .·. de Montevideo, 10 septembre 1907.
Sr. Luis Bonaparte - Santa Fe.
Mon très cher ami,
Les chapitres de votre petit ouvrage Relapsos sont pleins d’érudition. Une amie et moi l’avons lu avec attention. Vos réflexions sur la femme et le féminisme nous ont interpellés. Elles sont intéressantes et justes.
Notre Loge « Les amis de la patrie » reconnaît les aptitudes intellectuelles de la femme au même titre que celles de l’homme. Elle a chargé spécialement les délégués au Convent Français, de défendre, à l’assemblée générale des Loges fédérées de notre rite, qui se réunissent à Paris ce mois-ci, le projet d’admettre les femmes dans les loges maçonniques paritairement aux hommes.
Lors de nos réunions, nous avons eu des discussions instructives à ce sujet, et un travail de longue haleine sur ce thème a été récemment lu au cours de l’une d’elles et reçut une approbation unanime. Il sera imprimé. Il constituera une petite brochure destinée à être largement diffusée. Dès qu’elle sera disponible, nous vous l’enverrons afin qu’elle apporte à votre œuvre de propagande un peu plus de force.
Recevez, courageux champion de la grande cause, le cordial salut de votre admirateur. »

Le travail auquel il est fait allusion aurait paru en 1911 sous le titre El trabajo de la mujer (Le travail de la femme), sans doute sous forme d’un article ou d’une brochure.

Maximilien Durant-Savoyat mourut peu après.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article58470, notice DURAND-SAVOYAT Maximilien (Maxime, Max) par Michel Cordillot, version mise en ligne le 26 juillet 2009, dernière modification le 12 mai 2019.

Par Michel Cordillot

ŒUVRES : À propos de l’armée. Pétition aux gouvernants de la France par Durand-Savoyat Cultivateur. Genève, Imprimerie Ve Blanchard & Cie, 1872. In-8, 32, (2) p. – De la Libre pensée. Causerie-conférence donnée par le F.·. Durand-Savoyat, dans la tenue du 11 janvier 1898. Marseille, 1898, À la Resp.·. L.·. « Phare de la renaissance », 12 p. – Causerie-conférence sur la pensée libre, Nice, impr. de Gandini et fils, 1903, in-8° , 19 p. – La Petite épargne et le canal de Panama, Montpellier, Impr. Centrale, 1889 (également attribué à son cousin Léonce Émile). – El trabajo de la mujer, 1911 (non retrouvé).

SOURCES : Bulletin de la Fédération jurassienne, passim. – Le Socialiste, 26 juin, 1er mai, 19 septembre, 4 octobre 1892. – James Guillaume, L’Internationale. Documents et souvenirs, Paris, 1905-1911, passim. – Encyclopédie socialiste de Compère-Morel, Hubert-Rouger, Les Fédérations socialistes, tome III, p. 231. – Jacques Freymond, La Première Internationale. Recueil de documents, Genève, Droz,1971, vol. 3 et 4, passim. – Hipólito Guillermo Bolcatto, Luis Bonaparte : Un forjador de ideales, Santa Fe, Universidad Nacional del Litoral, p. 148. – Note de Marc Vuilleumier – Geneanet.org – http://andre.dubant.free.fr/genealogie/durandsavoyat/lesabeillesargentines.pdf

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