Par Claude Pennetier
Né le 4 mai 1926 à Saint-Aubin-les-Elbeuf (Seine-Inférieure, Seine-Maritime), mort le 25 février 2019 à Clermont-l’Hérault (Hérault) ; employé de la SNCF (1942, 1945-1947) ; membre du comité central (1956-1961), membre du bureau politique (1964-1994) du Parti communiste français, membre du secrétariat du PCF (1960-1979) ; député de la Seine-Maritime (1956-1958), puis de la 2e circonscription de Rouen et Sotteville (1967-1981), puis de la Seine-Maritime (1986-1988) ; directeur de l’Humanité (1974-1994).
Employé des chemins de fer, résistant, Roland Leroy est une figure majeure du communisme de la deuxième partie du XXe siècle. Homme d’appareil dès les dernières années de la vie de Maurice Thorez*, proche des plus hauts dirigeants, il ajoutait à ses qualités de cadre et de conférencier, une aisance dans les relations avec ses interlocuteurs qu’ils soient communistes ou non. Son charme joua beaucoup dans ses relations avec les intellectuels dont il eut la responsabilité au PCF , mais sa sociabilité et son style de vie le desservirent. En concurrence avec Georges Marchais* pour accéder à la plus haute fonction du parti, toutes ces propriétés sociales et intellectuelles concoururent à un choix qui lui laissa pour l’essentiel la direction de la presse et la réputation d’un grand homme de culture associée à celle d’un communiste réservé sur l’alliance avec les socialistes.
Fils de Louis Leroy, cheminot, et d’Henriette Charles, Roland Leroy fréquenta l’école primaire de Saint-Aubin-les-Elbeuf, obtint le certificat d’études puis le brevet élémentaire après trois années d’École primaire supérieure. Le père de Roland Leroy, cheminot, bénéficiant de la gratuité des transports pour lui-même et sa famille, emmenait son fils à Paris, dans les musées et dans les manifestations, à l’époque du Front populaire. Roland Leroy participa aux Auberges de jeunesse. Dès l’enfance, il baigna dans une atmosphère militante et fut politisé très jeune. Son père fut membre du Parti socialiste jusqu’à la scission de Tours. Roland Leroy le présentait aussi comme un « anarcho-syndicaliste », devenu paradoxalement adhérent du PCF en 1947. Il avait un frère plus âgé, Maurice (né en 1911), typographe, prisonnier libéré, militant du syndicat CGT du Livre et sympathisant communiste puis militant. Son autre frère (24 ans en 1944) fut « pacifiste intégral » puis sympathisant communiste. La famille comptait également deux militants : son oncle Édouard Charles* assurait la fonction de secrétaire de l’Union locale des syndicats d’Elbeuf. Arrêté le 21 octobre 1941, déporté en Allemagne, il y mourut en mars 1944. Un cousin germain, militant communiste, Maurice Boulet*, fut arrêté le 21 octobre 1941 et fusillé le 10 mai 1942 à Compiègne.
C’est dans ce contexte familial que Roland Leroy adhéra au Parti communiste en mai 1943, passa aux Jeunesses communistes en novembre 1943, et s’affirma rapidement, malgré son jeune âge, comme un cadre clandestin important. Responsable « Organisation » de sa section des JC d’Elbeuf, dirigeant régional « Organisation » des JC de Seine-Inférieure en avril 1944, il fut envoyé dans l’Oise comme responsable « Politique » de la jeunesse fin mai 1944. Il faillit y être arrêté le 30 juin puis redevint « Politique » des JC de Seine-Inférieure le 10 juillet 1944 et adjoint de Jean Collet* pour l’interrégion. À la Libération, il était à Rouen, où il occupa avec les FUJP la PlatzKommandantur. Favorable au développement des Milices patriotiques, il était vu par ses supérieurs comme un élément « dynamique », « organisateur », « intéressant », ayant une bonne éducation politique. Il avait profité des temps morts de la clandestinité pour lire L’Histoire du PCB de l’URSS, Socialisme scientifique et socialisme utopique d’Engels et des extraits du Capital de Marx. Il fallait « suivre ce jeune en vue de l’éduquer plus complètement ». Une école fédérale en janvier 1945 y contribua. Victor Michaut* du comité central, Jean Collet de la direction nationale de l’UJRF et Henri Levillain*, secrétaire fédéral, contribuèrent à sa formation et à sa prise de responsabilités dans le parti.
Roland Leroy fut mobilisé dans les troupes d’occupation en Allemagne de mai à décembre 1946, comme caporal du Génie, travaillant dans les mines et explosifs. Il s’était marié le 14 décembre 1944 avec une institutrice, Jeanne Malenfant dont il eut deux enfants, Marianne et François. Fille d’un électricien, sympathisant communiste, et d’une mère hostile, elle militait au PCF. La fédération communiste voyait en Roland Leroy et en Maurice Hébert* deux jeunes d’avenir. Il suivit l’école des dirigeants fédéraux en juin 1948 et l’école centrale de quatre mois de novembre 1950 à mars 1951 au cours de laquelle il fut remarqué pour son intelligence et son esprit d’initiative (« Très intelligent. Esprit très vif [...] Caractère joyeux, assez volontiers moqueur »), mais sa santé fragile était également signalée.
Employé à la SNCF en 1942 et de 1945 à 1947, chef de gare, il fut secrétaire permanent de la fédération de Seine-Maritime du PCF (1948-1960). Benjamin du secrétariat en 1953, Roland Leroy n’en était pas moins le premier. Soutenu par Roger Pannequin*, il intégra la commission centrale de contrôle financier (CCCF) au XIIe congrès du PCF (Gennevilliers, avril 1950). [Cette élection fut notamment soutenue par Roger Pannequin, cf son dossier bio avec une appréciation de 1949-1950 et le témoignage de Pannequin]. Selon son témoignage, il se serait attiré l’inimitié d’André Marty* à l’occasion de sa venue au Havre. Mais c’est bien après l’exclusion du mutin de la mer Noire qu’il fut poussé dans ses retranchements lors de la préparation du congrès d’Ivry (XIIIe congrès, 18-21 juin 1954) et au comité fédéral des 18 et 19 septembre 1954. Fernand Dupuy notait : « Le camarade Leroy présenta un rapport très sérieux [...] bonne autocritique de son travail et reconnut le bien fondé des décisions du congrès à son égard ». Dupuy évoquait un accident, des troubles de mémoire et le surmenage : « Fait des efforts pour essayer de se corriger des défauts qui lui ont été reprochés avant le XIIIe congrès » écrivait-il. Roland Leroy avait été affecté par le décès de son enfant. De plus, un accident survenu de nuit, à la fin d’une réunion fédérale, avec la voiture de la fédération, lui fit du tort. Sans doute faut-il penser que ce jeune de vingt-huit ans avait été envisagé pour entrer comme membre suppléant du comité central mais que des réserves avaient été émises. Il disparut d’ailleurs de la CCCF. Ce n’était que partie remise puisqu’il entra au comité central au congrès suivant, celui du Havre, en juillet 1956. La même année, il fut élu député de la première circonscription de Seine-Maritime après un échec aux élections de juin 1951 et aux élections partielles de novembre-décembre 1952. Deuxième de la liste communiste derrière Fernand Legagneux* en janvier 1956, celle-ci obtint 30,5 % des suffrages et deux élus. Secrétaire d’âge de l’assemblée, il ne s’y fit guère remarquer, avec une seule intervention pendant sa mandature, son regard se portant surtout vers la direction du Parti communiste.
Dès lors sa progression fut rapide dans le contexte de la préparation de l’élimination de Servin* et Casanova*. La direction était à la recherche d’une relève talentueuse qui ne soit pas marquée par l’influence de telle ou telle grande figure du parti, si ce n’est celle de son secrétaire général. Conscient de cette situation, Marcel Servin demanda à Maurice Thorez, dans une lettre du 27 septembre 1960, si en renforçant le secrétariat avec Roland Leroy - qui devenait secrétaire du secrétariat - on ne lui attribuait pas ses anciennes responsabilités comme celle des organisations de masse et des associations laïques. Roland Leroy qui avait perdu sa circonscription aux élections législatives de novembre 1958, se donna à fond dans ces nouvelles fonctions et partit en tête de la critique de Servin-Casanova dans un article de l’Humanité du 3 février 1961. Comme Georges Marchais*, il fut un des grands bénéficiaires de la mise à l’écart des cadres dits « krouchtchéviens ». Pour autant, leurs tempéraments et leurs goûts culturels différencièrent ces deux jeunes en concurrence discrète jusqu’à la fin des années soixante.
Dans son contrôle des fédérations, Roland Leroy fit preuve de fermeté, poussant par exemple en Ille-et-Vilaine, en janvier 1963, le vieux militant Émile Guerlavas* à l’autocritique publique afin d’assurer la montée de Serge Huber*, envoyé par la direction. Responsable du secteur de la Jeunesse en 1962, il fut chargé, à partir de 1963, de combattre les dissidences au sein des Étudiants communistes. Selon Philippe Robrieux*, témoin direct, « il s’acquitt[a] de cette tâche particulièrement difficile avec une remarquable efficacité ». L’historien souligne que cet homme d’appareil et de sang-froid était capable d’échanger hors réunion avec ceux qu’il venait de combattre, de séduire, et de laisser passer une once de compréhension face à certains arguments. Il repéra dans l’UEC de jeunes talents, comme Guy Hermier*, dont il assura la promotion.
Lors du XVIIe congrès du PCF (Paris), du 14 au 17 mai 1964, avec quatre nouveaux élus (Henri Krasucki*, Roland Leroy*, René Piquet*, Gaston Plissonnier*), le bureau politique connut son plus grand bouleversement de l’après-guerre et plus d’un quart du comité central fut renouvelé. Waldeck Rochet* devenait secrétaire général. Roland Leroy fut à l’aise dans la nouvelle équipe. Président de France-URSS depuis juin 1959, il effectua en 1964 plusieurs délégations et voyages d’études, notamment en octobre 1964, à Moscou, avec Georges Marchais* et Jacques Chambaz*, après l’éviction de Khrouchtchev. Il conserva durablement une influence déterminante dans cette association et à ce titre fut bien connu des soviétiques.
À l’issue du XVIIIe congrès en janvier 1967, Roland Leroy* remplaça Henri Krasucki à la section des intellectuels et de la culture, fonction qu’il marqua de sa personnalité jusqu’en 1974, en raison de son sens du contact avec les artistes et les écrivains, comme de l’évolution du parti sur ces thèmes. Très lié au couple Aragon*-Triolet*, il s’appuya sur le philosophe Louis Althusser* avec qui il eut des liens d’amitié, et plus tard sur l’historien Jean Ellenstein*. Un accident d’automobile en 1967 freina cependant son activité. Élu député de la 2e circonscription de Rouen et Sotteville en mars 1967, il conserva son mandat jusqu’en juin 1981, battu alors par le socialiste Pierre Bourguignon. Il fut de nouveau député de Seine-Maritime de 1986 à 1988.
Son rôle fut particulièrement important en mai-juin 1968 pour éteindre la fronde des universitaires qui n’acceptaient pas la cassure avec les étudiants. Il organisa une réunion de deux jours avec les signataires de la lettre des 36, s’opposant à leurs analyses sans pour autant les pousser à la rupture. Selon son témoignage, c’est pourtant dans cette période que le choix de Waldeck Rochet se porta sur Georges Marchais, et non sur lui, pour l’avenir du parti. Le secrétaire général se fixait comme objectif essentiel la réalisation d’une Union de la gauche. Marchais lui parut plus apte à mener cette tâche que Leroy, plus réservé vis-à-vis des socialistes. Par ailleurs, pour bien des cadres ouvriers du parti, Marchais apparut comme l’homme fort de la sortie du mouvement.
Roland Leroy fut marqué par l’intervention soviétique en Tchécoslovaquie en août 1968, intervention qu’il vécut sur place car il y passait ses vacances et rencontrait Dubcek. Il publia plus tard son carnet de notes entre le 7 et le 27 août. Dans l’après 1968, Roland Leroy, assisté de François Hincker*, poussa les intellectuels du parti à tenir compte des aspirations nouvelles et laissa se développer les débats philosophiques, tout en les maîtrisant. La désignation de Georges Marchais à la direction du parti se fit en deux temps, d’abord à l’été 1969 comme secrétaire adjoint, régent de fait du parti, en raison de la maladie de Waldeck Rochet, puis comme secrétaire général en titre en décembre 1972. La procédure de désignation ne laissait pas place à la contestation. Leroy représentait l’intelligence, la culture et ce qu’Anicet Le Pors* appelle un « esprit libertin » (Les Racines et les rêves, p. 74), Marchais incarnait l’autorité, l’habileté et l’image ouvrière. En orientant Roland Leroy vers la presse (pas seulement l’Humanité, toute la presse communiste), l’équipe Marchais lui offrait un poste prestigieux, celui de Marcel Cachin*, de Paul Vaillant-Couturier* et d’Étienne Fajon* mais en tentant plusieurs fois, sans succès, de le doubler, ainsi avec la nomination de François Hilsum* comme adjoint en 1979. Leroy fut associé aux négociations du Programme commun et en avril 1974 c’est lui qui, avec Paul Laurent*, rencontra les représentants socialistes pour apporter le soutien du PCF à une candidature de François Mitterrand aux élections présidentielles, sur la base du Programme commun.
Quoiqu’ils en disent officiellement, le courant ne passa pas bien entre Marchais et Leroy. De petites piques (« le chef de gare ») en humiliations au comité central et en propagation de rumeurs sur les femmes et le whisky, Leroy fut mis sur la défensive. Sa non désignation au secrétariat en 1979 sonna le glas de son rôle à la direction du parti, même s’il restait au bureau politique. Il dépassa cependant ces difficultés en marquant de sa personnalité l’Humanité et l’Humanité-Dimanche de 1974 à 1994.
Roland Leroy avait la carrure des grands dirigeants ouvriers à l’italienne, serait-on tenté de dire, par le style et le charisme intellectuel. Novateur en culture, il ne le fut pas en politique, restant longtemps respectueux du grand frère soviétique et attaché à la prééminence du Parti communiste au sein de la gauche. Il affirmait sur France-Culture en juin 2012 qu’en situation de diriger le parti, il n’aurait pas changé de cap à plusieurs reprises, comme Georges Marchais.
Divorcé en 1974, Roland Leroy s’était remarié en mai 1975, à Saint-Christol-les-Alès (Gard) avec Micheline Guilhaumon. Divorcé en juillet 1983, il se maria en troisièmes noces, en novembre 1983 à Paulhan (Hérault) avec Danielle Gayraud, dirigeante communiste de l’Hérault.
Par Claude Pennetier
ŒUVRE : L’actualité théâtrale, Éditions de la Nouvelle Critique, 1969. — Les communistes et la création artistique, Éditions de la Nouvelle Critique, 1970. — Lénine et l’art vivant, Éditeurs français réunis, 1970. — Les Marxistes et l’évolution du monde catholique (en collaboration avec Antoine Casanova* et André Moine*), Éditions sociales, 1972. — Éluard (préface), Éditeurs français réunis, 1972. — Pour la culture, avec les intellectuels, Éditions de la Nouvelle Critique, 1974. — « Sacré métier », préface à Roger Vailland, chronique des années folles (Édition dirigée par René Ballet), Éditions sociales, 1984. — La quête du bonheur, Bernard Grasset, 1995. — Un siècle d’Humanité (direction), Le Cherche Midi, 2004.
SOURCES : Fonds Roland Leroy, Arch. Dép. Seine-Saint-Denis (263 J et 542 J), inventaire en ligne. — Fonds Roland Leroy, Arch. du comité national du PCF. — Fonds Roland Leroy, Arch. du Parti communistes. — Arch. Maurice Thorez, Arch. Nationales (notes de Paul Boulland). — Marie-Paule Dhaille-Hervieu, Communisme au Havre, communistes au Havre, société culture et politique 1930-1983. — Biographie par Philippe Robrieux dans Histoire intérieure du Parti communiste, op. cit. — Livre de mémoire : La quête du bonheur, Grasset, 1995, tome IV, p. 116-118. — Frédérique Matonti, Intellectuels communistes. Essai sur l’obéissance politique, La Nouvelle Critique, Paris, La Découverte, 2005. — Jean Collet, Façon de voir… Culture et démocratie, préface de Roland Leroy, Éditons Graphein, 1997 ; À vingt ans dans la Résistance, 1940-1944, Graphein, 1999. — Roger Pannequin, Adieu camarades, Sagittaire, 1977. — Who’s Who de France, 1994-1995. — Dictionnaire des parlementaires français, 1944-1958, La Documentation française, 2005. — Notes de Bernard Pudal et de Paul Boulland. — Rencontre avec Roland Leroy, 11 juillet 2012 à Clermont l’Hérault.