Né le 17 octobre 1840 à la maternité de Port-Royal, à Paris ; mort le 2 mai 1885 à Charenton (Seine) ; caricaturiste ; lié avec la plupart des chefs de la Commune de Paris sous laquelle il fut administrateur du musée du Luxembourg.
La mère d’André Gill était couturière, non mariée : son père, dit comte de Guinnes, mourut de congestion lorsque l’enfant était tout petit. À la mort de sa mère, l’enfant fut recueilli par son grand-père paternel, qui, sous le nom de « M. Blanc », avait fait carrière dans les Contributions indirectes, et par sa tante Rosalie ; le grand-père s’intéressa au garçonnet, lui parla art et poésie, lui fit faire de la gymnastique. À huit ans, il était demi-boursier au collège Sainte-Barbe ; il brillait en latin et en gymnastique, et devint bachelier malgré la mort de son grand-père. Il hésita quelque temps devant le choix d’une profession, puis opta pour le dessin ; pour gagner un peu d’argent, tout en suivant des cours, il travailla chez un architecte ; il y revint après un stage à l’atelier de Leloir, rue Visconti (1857-1858) et un échec au prix de Rome. Son patron le présenta à Nadar, qui le convainquit de choisir d’abord un autre nom : le jeune homme opta pour « Gill » par référence à Watteau, et pour André, prénom de l’architecte qui l’avait aidé. En 1859, Nadar l’envoya à Philippon, du Journal amusant ; pour gagner sa vie, il fut dessinateur sur étoffes, au besoin commissionnaire, et en profita pour observer les passants ; il détestait le travail régulier, mais collabora à la Revue pour tous (1861) et au Mercure galant. Pour avoir tiré au sort un mauvais numéro, il passa quelques mois à Nogent-sur-Marne au 44e régiment de ligne ; la pratique de l’escrime lui enseigna de nouvelles silhouettes.
Tôt libéré, il reprit le dessin ; le choléra, en 1865, lui fut une fortune, car il fit le portrait des cadavres nauséabonds... Il vivait alors avec sa tante, rue de Tournon, et fréquentait un restaurant de la rue Vavin où il rencontrait Eugène Vermersch et de futures personnalités de la Commune : il se lia avec Georges Pilotell, Francis Enne, Georges Puissant, Georges Cavalier ; il écrivit et dessina pour le Hanneton, la Lune — celle-ci, à cause d’André Gill désormais tourné vers la critique de mœurs, fut supprimée ; elle reparut sous le nom de L’Éclipse. Sa tante mourut en 1867 et André Gill s’installa rue d’Assas, au-dessus du logement de son ami Jules Vallès. Ce fut la période la plus fructueuse de sa vie, la plus gaie aussi ; il dessinait les personnages et représentait les faits d’actualité, risquait la censure politique et tenait toujours un dessin en réserve pour le cas où son œuvre serait frappée d’une telle mesure. Il fréquentait la brasserie Glaser, rue Saint-Séverin, et y coudoyait Gustave Maroteau, Alphonse Humbert, Maxime Vuillaume, Charles Longuet, etc. En 1870, il représenta Pierre Bonaparte sous les traits de Troppmann, l’assassin à la mode, donna des portraits des avocats défendant les familles de Fonvielle et de Victor Noir, de Gustave Courbet qui venait de refuser la Légion d’honneur ; au procès de Tours, il prit des croquis d’audience pour le journal la Marseillaise.
Mobilisé, il quitta Paris le 25 juillet 1870 ; il envoya des croquis au Rappel. Le 4 septembre, il était devant le Palais-Bourbon ; mais, oublié dans la distribution des places, il resta un garde national besogneux, aide-pharmacien de son bataillon ; au 18 mars 1871, il était à Montmartre, vit passer Clément Thomas et fuit la rue des Rosiers.
Lorsque Courbet eut reçu du Comité central l’autorisation de rouvrir les musées de Paris (12 avril 1871), des réunions se tinrent à cet effet à l’École de médecine. André Gill, qui appartint à la commission fédérale des artistes élue le 17 avril — Voir François Bonvin — fut délégué le 17 mai, sur proposition de cette commission, comme administrateur provisoire du musée du Luxembourg. Lui étaient adjoints, pour l’assister, Jean-Baptiste Chapuy, sculpteur, et Gluck, peintre. (J.O. Commune, 17 mai 1871.) Il eut le temps d’explorer les greniers du Luxembourg, d’en exhumer des toiles de valeur et de réorganiser son musée.
En mai, André Gill trouva asile chez des amis, rue du Four. Il resta à Paris et démentit son arrestation, annoncée le 7 juin par le Figaro ; il expliqua être demeuré à Paris sous la Commune parce qu’impécunieux. Vallès, qui lui en voulait de ses faiblesses, eut des paroles très dures : « Dans les derniers jours de l’Empire, Gill incarna un moment, contre Napoléon, la force de l’esprit gaulois ; il prêta l’arme de la blague aux républicains sans fusil. Toutefois, ce n’était que jeu d’artiste pour lui. »
Après 1871, la vogue de Gill était passée, ou ses anciens amis comme ses ennemis lui reprochaient son caractère indécis ; ses caricatures de Thiers, Gambetta, Rochefort trouvèrent peu d’audience. En mars 1878, il publia dans La Lune rousse des caricatures en ombre chinoise illustrant les rumeurs concernant les brutalités ecclésiastiques sur de jeunes enfants. Plus talentueux que génial, grisé par les succès antérieurs, il sombra dans le désespoir et la folie (1881). Vallès, resté amical, alla le chercher à Bruxelles après une crise et le ramena à Paris ou plutôt à Ville-Évrard ; il sortit de l’hôpital, mais il fallut l’y ramener. Il mourut le 2 mai 1885 et fut inhumé le 3 mai au Père-Lachaise.
SOURCES : Jean Valmy-Baisse, le Roman d’un caricaturiste. — Ulysse Rouchon, « Gill et Vallès », article du Mercure de France, 1er mai 1935, qui dit la longue amitié des deux hommes. — Jacqueline Lalouette, La libre pensée en France, préface de Maurice Agulhon, Paris, Albin Michel, 1997.