Par Gauthier Langlois
Né le 18 janvier 1827 à Mayenne (Mayenne), mort le 5 février 1909 à Mayenne ; horloger puis commissionnaire en vins et journaliste ; franc-maçon, libre-penseur, bibliophile ; il fut déporté en Algérie suite au coup d’État de 1851 puis exilé en Angleterre ; éphémère sous préfet de Mayenne à la proclamation de la IIIe République, il contribua sans doute l’année suivante à cacher son frère, le communard Edmond Goupil. En 1882 il créa un hebdomadaire de tendance radical-socialiste, Le Petit Mayennais.
Sur son acte de naissance son nom est orthographié Goupy, nom qu’il va conserver, même si les autres membres de la famille ont généralement préféré la forme Goupil. C’était le fils de Victor Goupil, un hôtelier de Mayenne, conseiller municipal et capitaine de la Garde nationale de sa ville en 1848. À son décès Victor fut enterré civilement, ce qui fit scandale. La mère, Victoire Adélaïde Loison, était la fille d’un aubergiste. Le couple eut quatre enfants qui reçurent tous une bonne éducation. L’aîné, Auguste, reprit le métier de ses parents. Victor Goupy fut imprimeur à Paris. L’avant dernier, Léon, fut horloger puis commissionnaire en vin. Il était aussi engagé politiquement que son cadet le docteur Edmond Goupil.
Léon Goupy resta toute sa vie un républicain convaincu. Opposant au coup d’État de Louis Napoléon Bonaparte, il afficha un appel de vingt-deux membres de gauche, qui en donnant des extraits de la Constitution, rappelaient à leurs devoirs le président de la République, les pouvoir constitués et le peuple français. Pour cette raison, le 5 décembre 1851, il fut arrêté avec ses amis à la sortie de la mairie de Mayenne, sur le motif d’« excitation à la haine ». Le 7 il fut transféré de la prison de Mayenne à celle de Laval. Le 20 avril, huit des détenus, au nombre desquels était Goupy, furent dirigés sur Brest. Ils furent parqués le 13 mai sur le vaisseau Duguesclin transformé en un infâme dépôt de forçats en instance de départ pour le bagne. Une semaine après il partait avec 350 prisonniers sur le Mogador, frégate à vapeur, pour l’Algérie. Il fut interné dans la banlieue d’Alger, au camp de Birakem puis à celui de Douera. Pendant toute la durée de son emprisonnement il refusa toute compromission, ne cessa d’afficher ses convictions républicaines, de protester contre l’arbitraire de la déportation et d’aider ses camarades. Cependant il se signala avec ses camarades par son dévouement dans un incendie. Reconnaissants, les notables algérois firent pression sur les autorités qui permirent la libération d’une vingtaine de prisonniers. Goupy et son camarade Auguste Claverie firent partie des graciés. Ils furent autorisés à rentrer à leur domicile par décision du 5 janvier 1853. Ils rentrèrent en France via Toulon par le vapeur Montezuma.
Rentré à Mayenne Goupy fut enthousiasmé par la publication par Victor Hugo des Châtiments, oeuvre qui dénonçait les coups d’états des Bonaparte, et participa à sa diffusion clandestine. Un ami l’ayant prévenu qu’on avait donné l’ordre de l’arrêter, il se réfugia en Bretagne et, grâce à l’obligeance d’un pécheur, il put débarquer à Jersey où il rencontra Hugo et de nombreux proscrits avec lesquels il se lia d’amitié. Il y retrouva l’un de ses compagnons de déportation Alexandre Douard, qui s’était évadé des camps. Il y croisa aussi le journaliste Charles Ribeyrolles dont il fut sans doute un des informateurs pour son livre sur les bagnes d’Afrique. Il collabora en tout cas à son journal L’Homme. Le 11 novembre 1853 Goupy participa à l’assemblée générale des proscrits républicains résidant à Jersey, qui déclara le sieur Julien Hubert comme espion et agent provocateur de la police de Napoléon III. Le 18 août 1854, il participa à une autre réunion des mêmes proscrits relative en particulier au « cas de Jean Colfavru », ex-député de la Législative. Goupy, Eugène Alavoine, Alphonse Bianchi, François-Victor Hugo, Édouard Bonnet-Duverdier, Adrien Ranc et Charles Hugo se prononcèrent contre lui, Victor Hugo s’abstint.
C’est à Jersey encore, vers 1855, qu’il aurait été initié à la franc-maçonnerie. Il appartenait alors, selon les sources, à la loge « La Césarée » ou « Les Amis de l’Avenir », Orient de Saint-Hélier. Plus tard, à son retour en France, il était en 1867 affilié à la loge « La Constance de Mayenne » Orient de Laval, devenue « Le Ralliement » dont il était l’orateur en 1882, 1888 et 1906.
À Jersey, le 22 janvier 1855, il se maria civilement avec une jeune malouine, Sophie Renou (1833- ap. 1894). C’est peut-être à cette occasion qu’il reçu la visite de deux de ses frères, dont Edmond Goupil (voir photo). Le 25 décembre 1857 son épouse Sophie, au court d’un séjour chez son beau-père à Mayenne, accoucha de leur premier enfant prénommé Louis René. Pour des raisons de sécurité Léon était resté à Jersey où il exerçait toujours la profession d’horloger. Selon Abel Duchêne la boutique était pauvre, la clientèle menue, et quand l’horlogerie n’allait plus, l’on y gravait sur métaux ; Victor Hugo y commanda un sceau qui portait en exergue Ego Hugo.
En 1858 la famille s’installa à Londres où naquit Coeline dite Nina, née le 28 novembre 1858 à Marylebone. L’année suivante Léon rentra en France à la faveur de l’amnistie qui suivit la guerre d’Italie, avec sa jeune femme, ses deux enfants et un orphelin de trois ans qu’il avait adopté, Henri Manton, le fils d’un proscrit . Il s’installa à Mayenne, rue des Capucins puis rue de Paris et enfin quai de la République, où il exerçait comme commissionnaire en vin. Le couple eut encore sept autres enfants : Louise Victorine (1860), Marguerite (1863), Fernand (1864), Juliette Clémentine (1865), Paul Victor (1868), Gaston Léon (1867), Albert Raymond Nathaniel (1872).
À la faveur des réformes libérales de 1869 Goupy s’investit à nouveau dans la politique. Il publia à Argentan et à Mortagne un tract appelant à ne pas soutenir le plébiscite prévu le 8 mai 1870. Ce tract se terminait par le programme républicain, démocratique et social suivant : « Les élections libres, la commune libre, la presse libre ; l’abolition des octrois, l’abolition de la conscription, l’indépendance de la justice ; l’instruction gratuite et obligatoire, l’Église hors de l’État ; la diminution et la répartition équitable des impôts ; la suppression de la liste civile et des ses corruptions ; et surtout, par une étude consciencieuse de la question du travail : la disparition des causes de grèves et de leurs conséquences désastreuses ! Et comme les exigences du pain quotidien vous le permettent, jetez dans l’urne un bulletin NON, un bulletin blanc ou abstenez-vous, en attendant avec calme et confiance le gouvernement loyal du Pays par le Pays, c’est à dire la République ! ». Le 13 juin il achevait son récit du coup d’état du 2 décembre 1851 en Mayenne. Il avait commencé à le publier en feuilleton dans le Courrier de la Sarthe, de l’Orne et de la Mayenne jusqu’à la disparition de ce journal le 27 octobre 1869. Ce récit écrit avec talent et humour était un véritable réquisitoire contre Napoléon III. C’est pourquoi il ne put le faire imprimer en totalité qu’en 1871, par les soins de son frère Victor Goupy à Paris.
À la proclamation de la République, le 4 septembre 1870, Goupy se précipita à Paris auprès du Gouvernement de la défense nationale. Le jeudi 8 septembre il y croisa Eugène Alavoine qu’il avait connu à Jersey. Celui-ci témoignant des désorganisations du gouvernement, écrivait : « Goupy part jeudi à 8 heures du matin avec la nomination de Dubignon à la préfecture de Mayenne dans sa poche, j’ai vu de mes yeux cette pièce, et vendredi Lacouture rencontre Delattre qui partait nommé préfet du même département ! Voilà Goupy avec deux préfets sur les bras. » Selon Ernest Laurain, le surlendemain Léon Goupy se trouvait à Laval. Avec le fabricant Fouassier-Anger il « flanquait » Eugène Delattre qui venait prendre possession de la préfecture et parler aux habitants. On affirme que Goupy avait été nommé à cette époque sous-préfet de Mayenne. Si tel est le cas ce fut pour peu de temps car Henri Gandais, maire de Mayenne, fut nommé à ce poste le 13 septembre et y resta en fonction jusqu’en avril suivant. Si la mission confiée par le gouvernement à Goupy n’est pas très explicite, celui-ci témoigna plus tard s’être investi dans la défense nationale.
Par la suite Goupy continua sa propagande républicaine dans les réunions, dans les journaux et dans quelques brochures. Il contribua sans doute à cacher son frère Edmond, communard qui fuyait la répression versaillaise, entre juin et août 1871. Pour toutes ces raisons il était surveillé de près ainsi qu’un certain Marienne. Le nouveau préfet écrivait à leur sujet, le 2 août 1871 ; « Il serait difficile toutefois de fournir des preuves matérielles de leur affiliation [à l’Internationale] ».
En 1882, dans le cadre de la loi d’indemnisation des victimes de la répression impériale, il reçut une pension dont ses enfants héritèrent plus tard. La même année il lança l’hebdomadaire Le Petit Mayennais, qui disparut en 1884. Il s’y révéla comme un radical bon teint, proche de Henri Brisson et de Georges Clemenceau.
Libre penseur, Léon Goupy refusait de baptiser ses enfants et de leur donner une éducation religieuse. C’est pourquoi sa femme les avait fait baptiser en cachette. En 1882, en son absence, elle fit venir le chanoine Pellier, curé-archiprêtre de Mayenne, pour baptiser le dernier né. Goupy l’ayant appris se déchaîna. Il attaqua violemment le prêtre dans son journal Le Petit Mayennais. Ce dernier s’estimant diffamé porta plainte. En appel Goupy fut condamné par la Cour d’assise de Laval à 20 jours de prison et 100 francs d’amende. Les désaccords du couple sur la religion furent sans doute la cause de la séparation des époux. Sophie Renou s’installa à Paramé puis à Fougères (Ille-et-Vilaine), où elle résidait encore en 1894.
En 1887 Goupy publia, à l’attention de ses enfants, la suite du récit de sa « transportation », témoignage vivant et précieux sur les conditions de vie des déportés en Algérie.
Les obsèques civiles de Goupy, le 7 février 1909, réunirent la plupart des notables et des militants républicains de Mayenne, ainsi que ses amis membres de la « Libre-Pensée du Mans » ou de la « Société de l’Union démocratique ».
Par Gauthier Langlois
ŒUVRE : Circulaire de M. Léon Goupy contre le plébiscite, datée du 18 avril 1870, Mortagne, impr. de Daupeley frères, et Argentan, Impr. de Cagnant, 1870. — Le coup d’État dans la Mayenne, Paris, imp. Victor Goupy, 1871. — La Question de l’impôt, Paris, V. Gillet, 1879. — « Éloge funèbre de Henri Montembault à Ambrières le 26 avril 1881 », L’Ouest-Éclair, 8 mai 1881. — La transportation en Afrique, pour faire suite au "Coup d’État dans la Mayenne", 14 juillet 1886, Domfront, impr. de F. Renault, 1887. — L.˙. le Ralliement, Or.˙. de Laval. Discours du F.˙. L. Goupy, orat.˙. Tenue du 30 septembre 1888, Domfront, imp. de F. Renault. — La monarchie française jugée par la Bastille, Mayenne, Boursier et Victor Bridoux, 1906. — Discours à la Loge "Le Ralliement", Mayenne, 1906.
SOURCES : Archives nationales, C 2885. — Maison de Victor Hugo - Hauteville House à Guernesey, Album Philippe Asplet, folio 7, folio 19. — Bnf Gallica, fichier Bossu, Goupy ou Goupil, Léon, Goupy, Léon. — Recensement de Mayenne, 1861, vue 99/342, 1872, vue 248/335. — Geneanet. — A la France. L’agent provocateur Hubert, Jersey : imp. universelle, [1853]. — La Gazette des tribunaux, 19 octobre 1872. — Abel Dechêne, « Les proscrits du deux décembre à Jersey (1852-1855) », Études, tome 151, avril 1917, p. 607 ; tome 152, 5 juillet 1917, p. 204. — Alphonse-Marius Gossez, « Documents sur la situation au lendemain de la proclamation de la République (sept.- nov. 1870) », Revue d’Histoire du XIXe siècle - 1848, année 1934, p. 170-177.— L’Avenir de la Mayenne, 15 avril 1883, 8 juillet 1883, 3 juillet 1887, 14 février 1909. — Le Petit parisien, 5 mai 1893. — Journal officiel de la République française. Lois et décrets, 2 décembre 1909, p. 11490. — Bulletin de la Commission historique et archéologique de la Mayenne, 1922, p. 361. — Alphonse-Victor Angot et Ferdinand Gaugain, « Léon Goupy », Dictionnaire historique, topographique et biographique de la Mayenne, Laval, Goupil, 1900-1910, t. IV, p. 415. — Rémi Gossez Rémi, « I. Le Comité International Permanent », 1848. Revue des révolutions contemporaines, tome 46, numéro 189, décembre 1951, pp. 97-115. — Michel Denis, « Un républicain de Mayenne au XIXe siècle, Léon Goupy », Bulletin de la Commission historique et archéologique de la Mayenne, 1970-1971, p. 83-108. — Jean Steunou, « Léon Goupy, "Ex-transporté du Deux-Décembre" », L’Oribus, n° 12, décembre 1983, p. 41-44. — Jean-Claude Farcy, Rosine Fry, « Goupil, Léon François », Poursuivis à la suite du coup d’État de décembre 1851, Centre Georges Chevrier - (Université de Bourgogne/CNRS), [En ligne], mis en ligne le 27 août 2013.