LE DORÉ Constant, Eugène

Né le 3 septembre 1840 à Brest (Finistère) ; mort dans cette ville le 31 octobre 1881 ; célibataire ; « écrivain de comptabilité » au port de Brest ; fondateur de la section brestoise de l’Internationale.

Constant Le Doré était fils d’un ajusteur au port, qui était père de famille nombreuse : neuf enfants au moins.

Une lettre du colonel directeur d’artillerie de la Marine au vice-amiral, préfet maritime à Brest, en date du 27 novembre 1870, donne sur Constant Le Doré les renseignements suivants : Est entré en juillet 1860 comme journalier au magasin général ; en mars 1862, il fut nommé « écrivain de comptabilité » au service de la direction d’artillerie de la Marine. Sa conduite privée « a constamment été bonne » et il mène une vie « austère ». Il ne manque pas « d’une certaine capacité », mais son caractère est « fantasque » et son esprit « difficultueux avec ses chefs » (sic). Il montre « une attitude froidement hostile à toute subordination hiérarchique. Imbu d’idées fausses, mais très arrêtées chez lui, sur les conditions de l’organisation sociale, il a refusé, le 21 août 1868, un avancement à l’ancienneté au grade et à l’emploi de commis de comptabilité, déclarant que, dans sa manière de voir, toutes distinctions hiérarchiques étant contraires à la justice, et l’organisation de la société devant être fondée sur la justice, il préférait, plutôt que d’enfreindre pour sa part la condition fondamentale de cette organisation, conserver un emploi subalterne : emploi qui, je le dis en passant, et jusqu’à un certain point à sa louange, lui donnait à peine de quoi ne pas mourir précisément de faim ». « Esprit troublé », au dire du colonel, Le Doré « ne reconnaissait pas de chef, mais simplement des collaborateurs. Ainsi son chef de corps, le directeur de l’artillerie, le commissaire général, le préfet maritime n’étaient à ses yeux que des collègues, des collaborateurs auxquels, en dehors de sa part de collaboration, il ne devait rien ».

Mettant ses théories en application, Le Doré manqua de respect envers l’inspecteur général de l’artillerie en tournée à Brest — il garda son chapeau sur la tête à l’appel de son nom et demeura assis lorsque l’inspecteur entra dans le bureau où il travaillait — et, de ce fait, il fut frappé, le 23 juillet 1869, de cinq jours de suspension d’emploi.

En septembre de cette même année, il fonda la section brestoise de l’Internationale dont il devint secrétaire correspondant et qu’il fédéra en avril 1870 avec les sections parisiennes (c’est le 5 avril que la formation de la section de Brest fut annoncée en séance du Conseil général ; la section comptait alors 14 membres). D’après une lettre de Le Doré à Combault en date du 23 avril, une réunion de la section tenue la veille avait réuni « 16 membres votants ». La section comptait en octobre 27 membres d’après la déposition de Le Doré devant le conseil de guerre.
Arrêté le 3 mai 1870 en raison de son appartenance à l’Internationale, Le Doré fut relâché le 7 juin ; mais le 23 juillet suivant, le tribunal correctionnel de Brest le condamnait à deux mois de prison et 50 F d’amende. Furent condamnés avec lui : Joseph Le Doré ; Louis Moalic ; Célestin Plouzané ; Claude Plouzané ; Pierre Tréguier. Le jugement fut annulé le 17 septembre par la Cour d’appel de Rennes. Le 26 juillet, Le Doré avait été congédié de l’arsenal.

Constant Le Doré fut l’initiateur, fin septembre, de la constitution d’un comité de surveillance et de défense nationale de vingt membres, destiné à remplacer le conseil municipal. Ce comité fut définitivement constitué le 1er octobre au cours d’une réunion publique. Il comprenait : Bizien V., Bréluzeau H., Cabon L., Cloarec G., Coupart J.-L., Debray de Villement, Domalin J., Goavec J.-M., Hamon J., Landrin J.-M., Le Coalt L., Le Doré C., Le Gall J.-M., Le Gall L., Le Gallais P.-H., Legrand E., Le Page Y., Lucas-Labastire, Outin C., Régnier, Tréguier P.
Le lendemain une tentative eut lieu pour s’emparer de l’Hôtel de Ville, mais elle échoua. Douze inculpations suivirent, mais le conseil de guerre ne prononça que quatre condamnations. (Inculpés : H. Bréluzeau, J.-M. Coupart, J. Domalin, J. Hamon, J.-M. Landrin, A. Le Doré, C. Le Doré, J.-M. Le Gall, L. Le Gall, Y. Le Page, Célestin Plouzané, Régnier, P. Tréguier. Condamnés : Coupart ; Landrin ; Constant Le Doré ; Plouzané). Pour « attentat contre la sûreté de l’État », Constant Le Doré fut condamné le 28 octobre à deux ans de prison et 50 f d’amende. Il fut gracié le 13 décembre suivant. Quelques jours auparavant — le 10 — il écrivait au ministère de la Justice, à Tours, qu’il était « le plus innocent et le plus honnête homme qui se puisse trouver » et que, « du fond de son cachot », il renouvelait « au nom du salut de la Patrie, au nom du salut de la France, la demande suivante : [...] paraître immédiatement devant la délégation du gouvernement, à Tours, pour y faire une communication très importante. Affaire d’État ». Nous ignorons quelles révélations Constant Le Doré se proposait de faire...
Que convient-il de penser de la tentative avortée de Le Doré et de ses compagnons ? Selon le préfet du Finistère — lettre du 2 novembre 1870 à Monsieur le Directeur délégué de la Surveillance générale à Tours : « La garde nationale effarouchée, l’appareil militaire de l’état de siège commandé par un vice-amiral lui ont seuls donné de l’importance. » Il semble bien qu’il en ait été ainsi puisque l’essai fut sans antécédent, sans lendemain, et peu important par lui-même.

Réintégré à l’arsenal, Le Doré recommença à militer. En avril 1871, il fut supplanté par Le Page à la direction de la section, mais cela ne dura pas. Après la Commune, le vie de la section fut réduite à très peu de chose. Le Doré, toutefois, en août 1874, lors de l’arrivée à Brest du maréchal Mac-Mahon, président de la République, prit l’initiative d’une manifestation. Au passage de la voiture présidentielle, il cria « Vive la République ». Ce cri servit de ralliement aux socialistes épars dans la foule qui tentèrent de défiler en chantant la Marseillaise, mais gendarmerie et police dispersèrent les manifestants. Contrairement à ce qui est dit dans un rapport sur les menées socialistes à Brest, 1862-1889 (cf. Le Mouvement social, n° 41, octobre-décembre 1962) la manifestation ne dut avoir qu’une ampleur très limitée ; à notre connaissance elle ne fut suivie d’aucune poursuite et il n’en fut pas fait mention dans la presse parisienne.

Le Doré mourut, le 31 octobre 1881, rue Kerfautras, à son domicile, d’une insuffisance auriculo-ventriculaire.

Par ailleurs, les sources ayant servi à écrire cette notice permettent de dresser une liste de 24 adhérents brestois de l’Internationale : Jacques Bervas, Victor Bizien, Hippolyte Bréluzeau, Laurent Cabon, Jean Couchouron, Debray de Villement, Joseph Domalin, Marie Geffroy, Jean-Marie Goavec, Jean-Marie Landrin, Augustin Le Chêne, Armand Le Doré, Constant Le Doré, Joseph Le Doré, Jean-Marie Le Gall, Louis Le Gall, Paul, Henri Le Gallais, Edmond Legrand, Yves Le Page, Louis Moalic, Constant Outin, Célestin Plouzané, Claude Plouzané, Pierre Tréguier.

Depuis l’établissement de cette liste, quelques noms nouveaux sont venus s’ajouter d’adhérents plus ou moins certains de l’Internationale : E. Dérédec, V.-M. Grandmontagne, J. Hamon, P. Jézéquel (?),M. Keranguyader (?), Penvern (?), Régnier.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article63822, notice LE DORÉ Constant, Eugène, version mise en ligne le 26 juillet 2009, dernière modification le 13 janvier 2021.

SOURCES : Arch. Nat., BB 24/724, n° 6863. — Arch. PPo., B a/439 et a/441 (signature autographe, pièce 6543). — Arch. Dép. Finistère, 21 M. — Arch. du Port de Brest, 2 A 2/326, 333, 338. — État-civil de Brest. — Minutes..., op. cit., t. III. — Jean Maitron et G.-M. Thomas, « L’Internationale et la Commune à Brest », Le Mouvement social, n° 41, octobre-décembre 1962.

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