Par Nicole Racine
Né le 26 décembre 1891 à Paris, mort le 21 janvier 1966 à Paris ; pacifiste ; journaliste, écrivain ; fondateur et directeur du Crapouillot (1915-1965).
Jean Galtier-Boissière était le fils de Louise Ménard et d’Émile Galtier-Boissière, (1858-1919), médecin pédiatre, fondateur du Larousse médical. (1er édition 1912).
Licencié es-lettres et en philosophie, au début de ses célèbres "Mémoires d’un Parisien" (p 33, Edition Quai Voltaire 1994), Jean Galtier-Boissière écrit : "Héréditairement, j’ai le papier imprimé dans le sang : mon père créateur du "Larousse Médical" et mon grand-père ont publié des bouquins." Plus loin (p 455 même Edition) : "délaissant la pratique, il se lança dans la littérature de vulgarisation médicale, d’abord chez Armand Colin, (...) puis chez Larousse avec le "Petit Dictionnaire de Médecine", dit le "Galtier-Boissière" qui fut un très gros succès de vente, enfin, couronnement de sa carrière, avec le "Larousse Médical (...)." (p 455, Edition Quai Voltaire 1994, avec index). a : "vous toucherez encore des droits d’auteur cinquante ans après ma mort" disait fièrement le père à ses enfants Jean et vSuzanne Galtier-Boissière (1888-1962) ("Mémoires d’un Parisien", p 1114,).
Ce fut pour lutter contre « le bourrage de crânes » dans lequel excellaient les écrivains et journalistes de l’arrière que Jean Galtier-Boissière, alors au front, fonda en 1915 le Crapouillot, journal de tranchées, qui fit appel à des écrivains et artistes combattants. Galtier-Boissière — qui n’avait pas achevé son service militaire quand la guerre éclata — fut envoyé au front le 8 août 1914 ; il prit part à la bataille de la Marne ; évacué à la fin septembre 1915, il retourna au front en 1916 en Artois ; évacué en mars 1916, il fut éloigné du front mais resta mobilisé. Il publia en 1917 deux récits sur les débuts de la guerre. En rase campagne. 1914, son carnet de route qui décrivait la guerre de mouvement du 6 août au 15 septembre (republié en 1928 avec rétablissement des passages supprimés par la censure avec un titre nouveau, La Fleur au fusil, et Un hiver à Souchez. 1915-1916, qu’il avait illustrés lui-même. Ses deux livres eurent peu de succès car le grand public, nous dit-il, « partagé entre l’optimisme béat de Benjamin et le pessimisme morbide de Barbusse » ne leur avait accordé aucune attention. En revanche, les dessins de guerre du Crapouillot exposés dans les galeries parisiennes en 1917 et 1918 connurent un grand succès.
Le 1er avril 1919 paraissait le premier numéro du Crapouillot de paix qui allait devenir une revue littéraire et artistique d’avant-garde à laquelle collaborèrent F. Carco, H. Béraud, R. Dorgelès, A. Arnoux et de nombreux illustrateurs. En août 1928, Galtier-Boissière lançait un numéro anniversaire spécial sur la guerre, en juillet 1930 un nouveau numéro spécial sur la Grande Guerre, « la Guerre inconnue », qui débutait par une anthologie du bourrage de crânes due à Charles Daudet et intitulée « Le grand mensonge ». Le succès de ce numéro influença le développement ultérieur de la revue, l’orientant vers la publication de numéros spéciaux. Le pacifisme du directeur s’y affirmait de plus en plus nettement. Citons en juin 1931 « Les mystères de la guerre », en mars 1932 « Les maîtres du monde » (sur Deterding, Zaharoff, Kreuger), en mai-août 1932 et janvier 1933 une « Histoire de la guerre » rédigée avec le concours de René Lefebvre qui allait être éditée en volume, en mai 1933 « Histoire de la Paix », en juillet 1933 « Hitler est-ce la guerre ? », en octobre 1933 « Les marchands de canons contre la nation ».
Au lendemain du 6 février 1934, Galtier-Boissière entrait au Canard enchaîné (auquel il avait collaboré pour la première fois en 1922) après la démission de La Fouchardière. En 1934-35 paraissaient encore de nouveaux numéros spéciaux du Crapouillot, « Menaces sur le monde », « La vérité sur la Sarre », « Les fusillés pour l’exemple », une « Histoire de la Presse », en collaboration avec René Lefebvre, une « Foire aux Girouettes » et une « Histoire de la IIIe République » en trois numéros. En 1936 paraissaient « Expéditions coloniales », « Les 200 familles », « Les Financiers de la démocratie » de Fr. Delaisi. Les convictions pacifistes et antistaliniennes de Galtier-Boissière le conduisirent à démissionner en 1937 du Canard enchaîné. Galtier avait donné sa démission une première fois le 10 septembre 1936 (à la suite d’un article de Pierre Bénard qui critiquait violemment la politique de L. Blum en Espagne), puis il avait publié dans le Canard du 16 septembre un article où il dénonçait — nous dit-il dans ses Mémoires d’un Parisien — le « bellicisme stalinien ». L’Humanité faisait campagne contre lui allant jusqu’à l’accuser d’être un sympathisant hitlérien (« Une Oie chez les Canards », 17 septembre 1936). Galtier continua cependant à écrire dans le Canard, Maurice Maréchal*, directeur de l’hebdomadaire s’étant engagé à continuer de le publier. À l’automne 1936 et au début de 1937, Galtier put donc saluer le Retour de l’URSS de Gide et dénoncer les purges staliniennes en URSS. Cependant à la suite des différends avec Maréchal et d’une violente campagne de L’Humanité, Galtier donna définitivement sa démission de l’hebdomadaire satirique (7 juillet 1937) qui ne publia d’ailleurs pas sa lettre de démission (voir le Crapouillot, novembre 1938). La Flèche de Bergery l’accueillait alors. En janvier 1937 paraissait un numéro du Crapouillot intitulé « De Lénine à Staline », rédigé par Victor Serge, en janvier 1938 un numéro consacré à « L’Anarchie », rédigé par Victor Serge*, Alexandre Croix, Jean Bernier. Galtier-Boissière participa aux combats du pacifisme de gauche. Après Munich, il publia le numéro « Septembre 38 » (janvier 1939). Après le numéro du 1er août 1939, Galtier décida de cesser la publication du Crapouillot. Pendant la drôle de guerre, il accepta de remplacer au Merle son vieil ami Henri Jeanson* qui venait d’être incarcéré à la Santé et y publia le feuilleton, « La fille du Fridolin ». Au début de l’Occupation, Galtier fut de l’équipe réunie par Henri Jeanson* au sein du quotidien Aujourd’hui (10 septembre - 22 novembre 1940) qui tenta de résister à l’Ordre moral de Vichy et aux occupants ; lorsque le journal fut sommé de célébrer Montoire et de participer à la campagne antisémite, Galtier suivit H. Jeanson et quitta le journal.
Les sympathies de Galtier l’avaient d’abord porté vers le gaullisme et la Résistance et il avait dénoncé l’itinéraire de certains pacifistes de gauche enclins à sympathiser avec le nouveau régime ; il refusa de faire reparaître le Crapouillot pendant l’Occupation. Cependant il ne s’engagea pas dans la Résistance.
Après la guerre, Galtier-Boissière s’éleva contre le conformisme et les mensonges de guerre. Il relança le Crapouillot par une « Histoire de la guerre 1939-1945 » en plusieurs volumes (1948) écrite en collaboration avec Charles Alexandre et par « Bobards 1939-1945 » (1949). Il avait dénoncé les excès de l’épuration en 1947 dans l’Intransigeant. La nouvelle série du Crapouillot se poursuivait avec des numéros spéciaux de plus en plus axés sur les mœurs, la sexualité, la presse, les scandales. Citons comme numéro plus politique, une « Histoire du PC » en janvier 1962, rédigée par Hagnauer, P. Hervé, Galtier-Boissière et Darrigrand. En 1965, Galtier-Boissière cédait le Crapouillot à Jean-Jacques Pauvert après l’avoir dirigé pendant un demi-siècle.
Par Nicole Racine
ŒUVRE CHOISIE : En rase campagne, 1914. Un hiver à Souchez. 1915-1916. Berger-Levrault, 1917, 296 p. — Loin de la Rifflette, Crès, 1921, 261 p. (éd. complète Baudinière, 1929, 238 p.) — (Ces textes ont été republiés dans le premier volume des Mémoires d’un Parisien). — « Le panier de crabes. Souvenirs d’un polémiste (1915-1938) », Crapouillot, novembre 1938. — Mon journal pendant l’Occupation, la Jeune Parque 1944, 296 p. — Mon journal depuis la Libération, id., 1945, 335 p. — Mon journal dans la drôle de paix, id., 1947, 337 p. — Mon journal dans la grande pagaïe, id., 1950, 309 p. — (Ces quatre ouvrages ont été repris dans l’ensemble dans Mémoires d’un Parisien). — Mémoires d’un Parisien, La Table Ronde, 3 volumes, 1960-1961-1963, 413 p., 349 p., 407 p.
Numéros spéciaux du Crapouillot :
« Histoire de la guerre », avec la collaboration de René Lefebvre, 3 volumes, mai, août 1932, janvier 1933 (republié sous le titre Histoire de la grande guerre, 1914-1918, Les Amis du Club du livre de mois, 1959, 605 p). — « Les marchands de canon contre la nation » avec la collaboration de René Lefebvre, octobre 1933. — « Histoire de la presse », avec la collaboration de René Lefebvre, 2 volumes, juin, novembre 1934. — « La foire aux girouettes », janvier 1935. — « Du provocateur Delaveau à J. Chiappe », juillet 1936. — « Le bourrage de crânes », juillet 1937. — « Histoire de la guerre 1939-1945 », avec la collaboration de Ch. Alexandre, 5 volumes, 1948 (réédition la Jeune Parque, 1965, 2 vol., 367 p., 367 p.) — « Bobards 39-45 », n° 7, 1949. — « Dictionnaire des contemporains », avec la collaboration de A. Alexandre, G. Allary, t. 1 A à F, t. 2 G à Z, 1950. — « Scandales de la IVe » avec René Poirier, 1954, n° 27. — « Dictionnaire des girouettes », 1957, 2 vol., n° 36-37. — « Nouveau dictionnaire des contemporains », Jean-Marc Campagne, t. 1 A à M, t. 2 M à Z, octobre 1958, janvier 1959, n° 42-43. — « Histoire du PC » avec Hagnauer, P. Hervé, Darrigrand, janv. 1962, n° 55. — « Hommage au Crapouillot. Histoire d’un journal libre et de son directeur, hommages, commentaires et souvenirs », mai 1965, n° 66.
SOURCES : Jean Norton Cru, Témoins, Les Étincelles, 1929, 731 p. — Dictionnaire biographique français contemporain, 1954-55, Pharos, 708 p. — Who’s who in France ? Laffitte, 1957-1958. — « Hommage au Crapouillot », Le Crapouillot, n° 66, mai 1965. — Le Monde, 23-24 janvier 1966. — Notes et correctifs de Nicolas Heller. — http://www.barbizon.fr/wp-content/u....