PRIVÉ Fortuné (à tort parfois prénommé Francis)

Par Jean-Louis Robert

Né le 1er juin 1833 à Forêt-la-Folie (Eure), mort le 11 janvier 1901 à Paris (VIe arr.) ; ouvrier tapissier, puis marchand de curiosités  ; syndicaliste, franc-maçon, communard, socialiste possibiliste.

Né dans un petit village de l’Eure où son père était garde-champêtre, Fortuné Privé monta à Paris où il devint ouvrier tapissier. Il habita 64 rue de Saintonge, IIIe arrondissement, où il se maria, puis 11 rue Guisarde, VIe arrondissement.
Fortuné Privé fut un des fondateurs en 1868 de la chambre syndicale des ouvriers tapissiers. Il en fut un des premiers syndics, puis le président en 1869-1870. En juin 1869, il fut signataire avec Hecklé d’une adresse à la chambre syndicale des ouvriers marbriers qui se concluait par : « Si chaque corps de métier réuni en syndicat est une force, que sera-ce quand nous formerons une fédération ! » Il fut d’ailleurs actif lors de la formation de la chambre fédérale des sociétés ouvrières parisiennes de la Corderie. Mais son syndicat n’adhéra à l’AIT qu’en mars 1871. En août 1870, Privé fit partie du comité mis en place pour gérer la souscription pour les familles des ouvriers tapissiers sous les drapeaux. On ne sait à quelle date, il avait adhéré à la franc-maçonnerie.
Mais la guerre allait réorienter les activités de Fortuné Privé. Le 5 septembre 1870 il fut élu membre du comité central républicain provisoire des vingt arrondissements avec Chouteau, Haan, Hamet, Spoetler, Robillard et Varlin. Il ne fut pas reconduit (ou ne le souhaita pas) le 20 septembre et se consacra désormais à son action dans le VIe arrondissement. Pendant le siège par les Prussiens, Privé fut membre de la société d’armement et d’hygiène du VIe arrondissement, organisant et dirigeant le service des boucheries municipales et assurant le logement aux réfugiés de la banlieue. On ne sait s’il continua ces fonctions pendant la Commune puisqu’on ne trouve pas son nom dans les services communards du VIe arrondissement. Toujours est-il qu’il combattit pour la Commune dans les derniers jours de la révolution, en servant dans l’artillerie de la Commune au Père-Lachaise. Puis, voyant la partie perdue, il enjamba le mur du cimetière dans la nuit du 27 au 28 mai 1871, et se trouva dans la rue du Repos, XXe arr. Ayant vu fusiller des hommes porteurs de « godillots », il entra dans un café pour s’y laver les mains, cirer ses chaussures, frotter son épaule endolorie par le fusil et brosser son chapeau ; puis il descendit la rue de la Roquette, XIe arr., et trouva difficilement refuge chez des compagnons de sa loge maçonnique, raconta-t-il à Maxime Vuillaume (qui le prénomme à tort Francis).
Bien que ne figurant sur aucune liste de condamnés, il se réfugia à Londres où il participa, en 1877, à l’organisation d’une tombola au profit des condamnés politiques de Nouvelle-Calédonie. Un certain Privé, le même sans doute, tapissier d’ameublement, communard, décora à Londres avec Lehman, l’hôtel Richard Wallace. Revenu à Paris après l’amnistie, il fit commerce d’antiquaire-brocanteur dans un baraquement, 76, rue de Rennes (VIe arr.).
Après quelques années où l’on ne trouve pas de trace d’activités politiques, il devint, à compter de 1884, un militant socialiste actif, de sensibilité nettement possibiliste. Il resta impliqué dans le mouvement socialiste jusqu’à sa mort. Il écrivit ainsi, en novembre 1886 une lettre au Cri du Peuple, regrettant la critique de Séverine contre l’Union fédérative du centre. Il fut membre du cercle ouvrier du 6e arrondissement qui adhérait à l’Union. Il fut membre du comté fédéral de la Seine de l’Union. En 1893, il présida l’assemblée constitutive de la société d’édition du Prolétaire, journal de l’Union. Il fut un adversaire résolu de Boulanger appelant à voter contre lui lors de l’élection de janvier 1889 dans la Seine.
Lors d’une tombola organisée à l’occasion de l’anniversaire du 18 mars, en 1892, rue Mouffetard, Privé fournit comme lot une superbe étude de Gustave Courbet.
Fortuné Privé fut aussi actif dans le Ve arrondissement : il participa aux activités du groupe des Prolétaires du Ve arrondissement dans les années 1890 et fut candidat possibiliste, soutenu par le parti radical, dans le quartier du Jardin des Plantes en avril 1896.
Le 10 février 1887, Le Cri du Peuple, publia une lettre d‘un habitant de Forêt-la-Folie, Gustave Sauvage, qui écrivait : « C’est une véritable joie pour la classe ouvrière du Vexin-Normand de constater avec quelle sollicitude, quelle activité, quelle abnégation, le citoyen Privé vient soutenir la cause des pauvres des modestes et des humbles (…) Il est de chez nous ce vieux brave-là et nous en sommes fiers. Originaire de Forêt (canton des Andelys) où il a du reste toute sa famille… »
Privé écrivit dans de nombreux journaux, Le Cri du Peuple, Le prolétaire, Le Parti ouvrier, La Cité.
Il fut aussi membre de la commission scolaire du VIe arrondissement et pendant dix ans membre de la commission des logements insalubres de la Ville de Paris.
Maxime Vuillaume l’a présenté ainsi : « Dans sa haute taille et ses larges épaules, avec sa crinière grise, ses sourcils broussailleux sur des yeux bleus, son nez fortement accusé, le regard franc toujours en avant, le vieil insurgé a fort grand air. »
Privé mourut le 11 janvier 1901, à l’hôpital de la Charité, rue Jacob, et fut enterré au cimetière d’Issy. Le groupe d’union socialiste révolutionnaire d’Issy les Moulineaux vint un mois plus tard « porter une couronne sur sa tombe pour honorer la mémoire du lutteur intègre. »

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article69023, notice PRIVÉ Fortuné (à tort parfois prénommé Francis) par Jean-Louis Robert, version mise en ligne le 26 juillet 2009, dernière modification le 9 octobre 2022.

Par Jean-Louis Robert

SOURCES  : État-civil de Forêt la Folie - État-civil de Paris VIe arrondissement. — M. Vuillaume, Mes Cahiers rouges..., op. cit. — J. Dautry, L. Scheler, Le Comité central républicain..., op. cit. — Arch. PPo., B a/429. — L. Descaves, Philémon..., op. cit., p. 310 - Rapport de la 2e commission du conseil municipal de Paris, 1890. — La Voix du peuple, 19 juin 1869. — Le Temps, 9 août 1869. — La réforme politique et sociale, 18 janvier 1870. — Le journal du Peuple, 11 août 1870. — L’Intransigeant, 14 décembre 1882. — Le Prolétariat, 31 mars et 25 avril 1885. — Le Cri du Peuple, 8 septembre 1885, 5 novembre 1886, 5 mars 1887. — Le Radical, 27 janvier 1889, 23 mars 1892, 17 mars 1895. — L’Égalité, 23 décembre 1890. — Le Prolétaire, 11 mars 1893. — La Petite République, 6 octobre 1895. — La Cravache, 22 octobre 1898. — La Lanterne, 4 février 1901.

rebonds ?
Les rebonds proposent trois biographies choisies aléatoirement en fonction de similarités thématiques (dictionnaires), chronologiques (périodes), géographiques (département) et socioprofessionnelles.
Version imprimable