SAUVA Arsène [SAUVA Toussaint, Mathieu, Arsène, dit aussi SALVAT]

Par Michel Cordillot

Né le 19 juillet 1839 à Tallard (Hautes-Alpes) ; mort le 23 octobre 1896 à Paris (XVe arr.) ; tailleur d’habits ; communiste icarien ; coopérateur ; syndicaliste ; membre de l’AIT ; combattant de la Commune, exilé aux États-Unis ; figure de proue du socialisme franco-américain.

Venu de France, Sauva débarqua aux États-Unis en juillet 1860 avec sa fiancée pour s’installer dans la colonie icarienne de Cheltenham (Missouri). Lorsque Benjamin Mercadier et un certain nombre d’Icariens s’engagèrent dans l’armée de l’Union en 1861, Sauva fut chargé de présider la colonie par interim. Durant de longs mois, il s’efforça d’en préserver la cohésion, faisant face à de graves difficultés. Il fut pourtant contraint de renoncer en 1864, procédant à la dissolution alors que la colonie ne comptait plus que huit familles. Il s’engagea peu après dans les rangs nordistes et servit jusqu’à la fin de la guerre de Sécession.
Démobilisé, il rentra en France et se lia au mouvement coopératif. C’est ainsi qu’on le retrouve membre (avec Jean Bedouch) de la « Société de crédit mutuel et de solidarité commerciale » fondée à Paris en 1865, puis en 1866 membre de la « Société coopérative d’assurance sur la vie » L’Équité. Militant syndicaliste actif, il fut également condamné pour délit de coalition en 1867.

Ayant adhéré à l’AIT, il cosigna en compagnie de dix-neuf autres Internationaux un programme d’inspiration républicaine et socialiste lors des élections générales du mois de mai 1869.
Sous le gouvernement de la Défense nationale, Sauva sollicita et obtint, en tant que gérant de l’association coopérative des tailleurs d’habits, la fourniture de l’habillement des bataillons de marche de la Garde nationale. L’association occupa ainsi 35 000 personnes (dont 32 000 femmes) à la fabrication de capotes, de vareuses, de pantalons, etc., permettant au gouvernement de réaliser d’importantes économies.

Sous la Commune de Paris, il servit comme sergent major dans la 2e cie du 112e fédéré. Il fut condamné par contumace par le 4e conseil de guerre à la déportation dans une enceinte fortifiée.

Après la chute de la Commune, il repartit aux États-Unis. Il se lia aux blanquistes et occupa les fonctions de secrétaire des séances du comité de gestion du Socialiste. Il protesta à ce titre contre les accusations de trahison lancées par Benoît Hubert et le Conseil fédéral (« anti-autoritaire ») à l’encontre du journal (Le Socialiste, 25 mai 1872). Il était à la même époque secrétaire correspondant de la section 2 de New York de l’AIT, et cosigna avec E. Geoffroy, le secrétaire-correspondant de la section 10 (française, New York) un appel aux Internationaux des États-Unis pour qu’ils envoient des fonds à la « Ligue des Huit Heures » (Le Socialiste, 8 juin 1872). En juin, il se rallia à la pétition diligentée par Edmond Mégy à la demande des blanquistes de Londres contre la proposition qui avait été formulée de rédiger une contre-enquête officielle.
En septembre, mandaté par les sections 2 (qui avait refusé d’avaliser le choix de Simon Dereure par le congrès de la Fédération de l’Amérique du Nord « centraliste » ; toutefois son mandat ne fut pas validé), 29 (Paterson) et 42 (West Hoboken), il se rendit à La Haye pour participer au congrès de l’AIT. Sauva s’abstint au cours du vote relatif à l’exclusion de Bakounine et se prononça contre l’exclusion de J. Guillaume et de A. Schwitzguébel. Il ne prit pas part au vote concernant le transfert du conseil général à New York.
Au cours des années suivantes, Sauva tint au sein de la mouvance blanquiste new yorkaise une place de tout premier plan, se voyant confier d’importantes responsabilités. Il fut ainsi élu successivement secrétaire de la société des Réfugiés de la Commune, secrétaire-correspondant du Groupe révolutionnaire socialiste internationaliste (GRSI) lors de sa fondation, membre de la commission de contrôle du Socialiste et secrétaire-corespondant de la « Section de langue française de l’AIT ", née de la fusion du GRSI et de l’ex-section 2 (Le Socialiste, 15 décembre 1872, 12 janvier, 2 février 1873 ; Bulletin de l’Union républicaine, 16 juin 1874).
Mais Sauva était aussi — et peut-être avant tout — un homme de terrain, un militant, comme en témoigne son action durant les quelques semaines « chaudes » de janvier-février 1874, alors que le mouvement des chômeurs atteignait son paroxysme. Au lendemain de la manifestation violemment réprimée de Tompkins Square, il porta avec Charnier au Messager Franco-américain une protestation du « Club des Travailleurs de langue française » (Courrier des États-Unis, 14 juin 1874). Le 21 janvier, il était vice-président du meeting organisé par les socialistes-révolutionnaires français au casino, meeting au cours duquel fut décidée la création de milices armées d’autodéfense. Lors d’une réunion du GRSI tenue une semaine plus tard, il proposa la formation de bataillons et de compagnie par nationalité et le 5 février, il était signalé comme commandant avec Henri Hanser la 1re compagnie formée par les militants français.
Il demeurait alors 133 Bleeker Street et y exerçait sa profession de tailleur.
Il fut encore président de la Commission d’enquête constituée par les Réfugiés de la Commune pour vérifier les accusations lancées par Mégy contre les frères Élie May et Gustave May. En juillet de la même année, il était signalé par un indicateur de police comme recevant « des correspondances intéressantes » (APPo, BA 435, rapport daté de New York, 31 juillet 1874) et, en septembre, suite à la tonitruante traversée des États-Unis de Henri Rochefort, il fut élu membre du comité chargé d’organiser à New York la collecte en faveur des déportés de la Nouvelle-Calédonie.
Le 1er octobre 1875, il participa comme observateur et en tant que représentant de la section française de l’AIT à une réunion qui rassembla les diverses factions socialistes et internationalistes de New York et des environs en vue d’une éventuelle unification. À peu près à la même époque, il écrivait à Jules Leroux à propos de Étienne Cabet : « Depuis un quinzaine d’années, j’étudie, je médite ses œuvres, et mon admiration pour elles ne tend pas à diminuer » (Étoile du Kansas, 1er janvier 1876).
Le 30 mars 1876, il participa à la réunion extraordinaire de la Société des Réfugiés tenue à Husch’s Hall sous la présidence de E. Fondeville fils, au cours de laquelle furent définitivement exclus les frères May.
Environ deux semaines plus tard, Sauva partit avec sa femme et ses deux fils, Georges et Raoul, rejoindre la colonie icarienne de Corning (Iowa), où, eu égard à son passé, il fut admis directement, sans avoir à effectuer les six mois de noviciat.
Très vite il imposa son charisme au sein d’une communauté divisée et en perte de vitesse. Pendant plusieurs mois, il joua les médiateurs et parvint à maintenir une trêve entre frères ennemis. C’est aussi sans doute lui qui décida plusieurs anciens communards à venir s’installer en Icarie pour y apporter du sang neuf et des forces vives (Voir Brossard, S. Dereure, Charles Lévy, H. Pédoussant, Émile Péron, Alexis Tanguy). Il possédait une importante bibliothèque dans laquelle figuraient des œuvres de tous les grands auteurs socialistes et, peu après son arrivée, il décida d’organiser des « cours icariens » — semblables à ceux qui avaient été dispensés à Nauvoo et Cheltenham — au programme desquels figuraient l’étude des textes de Cabet et autres socialistes, des récits, des chansons, etc.
Pour Sauva, ce retour aux sources ne constituait en aucune façon un reniement de ses engagements militants passés. Il gardait toutes sortes de contacts et, par exemple, en 1877, il envoya au Bulletin de la Fédération jurassienne une étude sur l’histoire d’Icarie ; peu après il écrivait de nouveau aux Internationaux jurassiens pour les féliciter de leur attitude ferme lors des incidents du 18 mars à Berne (affaire dite « du drapeau rouge », Bulletin de la Fédération jurassienne, 20, 27 mai 1877).
Lorsque la scission fut consommée, Sauva opta pour rester fidèle à la « vieille Icarie », tout en reconnaissant en privé que certaines critiques de la minorité n’étaient pas sans fondements. Porte-parole de son camp, il écrivit alors plusieurs opuscules (La Crise icarienne, 1877-1878, mai 1878 ; La Crise icarienne n° 2, août 1878). Il gardait visiblement un important prestige au dehors, puisque, à sa demande, 54 communistes et réfugiés français de New York signèrent un texte intitulé « Aux membres de la Communauté icarienne », dans lequel ils prenaient position en faveur de la majorité.
Le 4 juillet 1878, il organisa à la vieille Icarie la célébration de la fête nationale américaine, dans une salle décorée des portraits de Théophile Ferré, Charles Delescluze et Auguste Blanqui, ce qui lui valut de subir les foudres de Jules Leroux.
Le 1er mai 1879, il figurait avec sa femme Léonie parmi les signataires de l’acte d’incorporation de la nouvelle société icarienne (« vieille Icarie »). Durant les années suivantes, il occupa la fonction de secrétaire trésorier en 1881, 1882 et 1884. Sa femme, qui, aux dires de Marie Marchand, « était aussi militante que lui ", fut pour sa part élue directrice du vêtement en 1883.
Imitant leur fils Georges, démissionnaire en 1883, Arsène Sauva et son épouse quittèrent la communauté le 21 avril 1884, emportant la somme totale de $584. Réinstallé à New York, il reprit contact avec les milieux communistes révolutionnaires de cette ville. Il donna $10 pour contribuer au lancement de la Torpille d’Édouard David fin 1885, puis versa de nouveau $2 en juin 1886.
Peu après, il rentra définitivement en France — il avait été grâcié le 5 juin 1879, sous condition d’arrêté d’expulsion du fait de sa naturalisation comme citoyen américain ; mais entretemps l’amnistie avait été votée. Établi à Paris, où il avait repris sa profession de tailleur, Arsène Sauva fit avec beaucoup de cordialité les honneurs de l’Exposition universelle de 1889 à ses anciens adversaires de la « jeune Icarie » É. Péron et Fugier.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article70682, notice SAUVA Arsène [SAUVA Toussaint, Mathieu, Arsène, dit aussi SALVAT] par Michel Cordillot, version mise en ligne le 26 juillet 2009, dernière modification le 16 juillet 2020.

Par Michel Cordillot

ŒUVRE : Icarie, Corning, mars 1877, 12 p. — Lettre à tous les amis d’Icarie, Corning, janvier 1878, in-4 placard. — La crise icarienne, 1877-1878, Corning, mai 1878, 18 p. — La crise icarienne n° 2. Une manœuvre perfide, Corning, 8 p.
Collaboration : La Revue icarienne (articles non signés).

SOURCES : Arch. Nat. BB 24/860 A, n° 3943. — Arch. Min. Guerre, 4e conseil, n° 1317. — Arch. PPo., B a/429 et listes de contumaces. — Le Socialiste, passim et Bulletin de l’Union républicaine, passim. — J. Gaumont, Histoire générale de la coopération en France, Paris, Fédération Nationale des coopératives de consommation, t. II, p. 14-15. — Jules Prudhommeaux, Icarie et son fondateur Étienne Cabet, Paris, Cornély, 1907. — Jacques Freymond (éd.), La Première Internationale, 4 vol., Genève, Droz, 1962-1971. — Marie Marchand-Ross, Child of Icaria, NY, City Printing Company, 1938. — Hubert Perrier, Idées et mouvement socialistes aux États-Unis, 1864-1890, Thèse d’ État, Université Paris VIII, 1984. — Michel Cordillot, « Les Blanquistes à New York », Bulletin de la Société d’Histoire de la Révolution de 1848, Paris, 1990. — Michel Cordillot (coord.), La Commune de Paris 1871. L’événement, les acteurs, les lieux, Ivry-sur-Seine, Les Éditions de l’Atelier, janvier 2021.

Iconographie : Jules Prudhommeaux, Icarie et son fondateur Étienne Cabet, Paris, Cornély, 1907, p. 530.

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