PAILLIEUX André, Henri, Adrien

Par Georges Ribeill

Né le 13 août 1899 à Granville (Manche), mort le 13 décembre 1991 à Parthenay (Deux-Sèvres) ; employé du service Exploitation puis de la Voie ; secrétaire général de l’Union État (1935-1943) ; secrétaire général adjoint dès avril 1939 puis secrétaire général de la Fédération CFTC des cheminots (1943-1954), vice-président de la Confédération CFTC (1948-1951) ; député MRP de la Seine (1945-1946) ; vice-président du Conseil économique (1947-1957).

André Paillieux
André Paillieux
[Arch. Fédération CFDT des cheminots]

Né d’une famille de cheminots et tôt orphelin (son père, qui était ajusteur mécanicien à la Compagnie de l’Ouest, fut tué en service en 1902), André Paillieux fut élevé par son grand-père maternel, employé de chemin de fer à Caen. Élève au collège Sainte-Marie de Caen, le déclenchement de la guerre entraîna André Paillieux à abandonner ses études et à entrer au réseau de l’État le 5 avril 1915 à Caen (Calvados). Embauché au service Exploitation, il y endura la condition ingrate de « bouche-trou ». À la suite d’un concours, il entra définitivement au service de la Voie le 1er janvier 1918. Il adhéra, en mars 1921, à la Fédération des syndicats professionnels des cheminots de France, affiliée à la CFTC. Fondateur et animateur du syndicat de Caen, André Paillieux fut un militant représentatif de l’Union État, aile la plus radicale de la Fédération, hostile par exemple à l’actionnariat syndical dans les compagnies, que défendaient d’autres Unions (PO, PLM). Préoccupé très tôt par les enjeux politiques et économiques du chemin de fer, au XVe congrès fédéral (26-28 avril 1935), il fut le rapporteur remarqué sur la question de la coordination des transports. Peu après, le 1er octobre 1935, il était élu secrétaire général de l’Union État. Il siégea au conseil fédéral, au titre de l’Union État, dès le congrès d’avril 1933, puis devint membre du bureau de la Fédération CFTC des Cheminots à partir du congrès de mai 1936. Il fut élu secrétaire général adjoint de la Fédération lors du congrès d’avril 1939.

Fort de l’expérience vécue du Réseau de l’Ouest étatisé en 1909, André Paillieux suivit de près les préparatifs de « nationalisation » des chemins de fer et fut consulté par le gouvernement au printemps 1937. Alors que la CGT préconisait la déchéance des compagnies suivie de leur expropriation pure et simple, la CFTC, se référant au récent précédent belge de la constitution d’une société d’économie mixte (SNCB) issue de la fusion d’une compagnie privée (Nord-Belge) et d’un réseau d’État, préconisait une société d’économie mixte, à prépondérance étatique, sous le titre de Société nationale des chemins de fer français (SNCF). Les avis de la CFTC se confondirent largement avec les résultats des négociations menées l’été 1937 entre le gouvernement radical de Chautemps et les compagnies privées, conclues par la création de la SNCF par décret-loi du 31 août 1937.

Durant l’Occupation, membre depuis 1940 du bureau clandestin de la CFTC, André Paillieux fit du siège de son Union de réseau, rue de Budapest (IXe arr.), le lieu des réunions clandestines du Comité de résistance du syndicalisme chrétien que présidait Gaston Tessier. Au sein de la Fédération, Paillieux anima la tendance opposée à l’élaboration d’une « charte des cheminots ». Mais son Union et celle du Nord furent minoritaires au conseil fédéral du 28 mars 1943, avec seulement 16 voix contre 42 favorables à cette institution. Paillieux entreprit de d’inverser le courant. Une résolution, prise majoritairement le 27 juin 1943 lors d’un rassemblement des Unions départementales, indiquait que « le syndicalisme chrétien… s’abstiendra de toute participation ». À l’issue d’un conseil fédéral extraordinaire, le 19 décembre 1943, la ligne du refus fut majoritaire avec 32 voix contre 17. Paillieux fut alors nommé secrétaire général de la Fédération. Il amorça un rapprochement avec la Fédération légale et fut reçu par Roger Liaud. Ce dernier annonça au bureau exécutif de la Fédération, le 22 février 1944, que les camarades Maurice Garnier, Henri Darnet, Paillieux et Maurice Nickmilder feraient partie du Comité d’organisation syndicale pour les chrétiens. Paillieux fut présent au bureau du 26 avril 1944, lorsque celui-ci se prononça sur la position à adopter sur les salaires, suite à des propositions de la SNCF.

Membre du Comité parisien de Libération (octobre 1943), sous le pseudonyme de « Granville », il fut nommé par le Conseil national de la Résistance (CNR) avec deux représentants de la CGT (Gérard Ouradou et Bégot) membre de la commission ministérielle des voies et communications, chargée de diriger le ministère des Travaux publics et des Transports durant l’insurrection puis d’organiser la libération de Paris, en attendant la reprise en main effective du ministère par René Mayer, membre du gouvernement provisoire d’Alger. Le 17 août 1944, André Paillieux et Louis Bouté, pour la CFTC, cosignaient avec les représentants de la CGT (Raymond Tournemaine et Gérard Ouradou) l’appel à la grève insurrectionnelle des cheminots pour le lendemain. Le 19, avec les autres membres de la commission, il occupait le ministère des Travaux publics, procédant, en attendant l’arrivée d’Alger, le 8 septembre, du ministre, aux mesures les plus urgentes (organisation du ravitaillement de Paris, remise en marche de la SNCF).

Par décret du 22 novembre 1944, il fut nommé administrateur de la SNCF, aux côtés des quatre représentants de la CGT qui jusqu’alors, seule, avait été représentée au conseil d’administration.

Très présent dans la vie politique parisienne en voie de reconstitution, André Paillieux fut nommé le 8 novembre 1944 à l’Assemblée consultative provisoire par le général de Gaulle sur la recommandation de Georges Bidault. Il rejoignit alors la commission de l’équipement national, de la production et des communications ainsi que celle de la justice et de l’épuration. Il intervint assez régulièrement en séance, essentiellement lors de la discussion du projet de budget pour l’année 1945. Ainsi appela-t-il à une régulation des tarifs comme à une remise en ordre des chemins de fer. Lors de la discussion générale relative à l’instauration de la Sécurité sociale, il prit à témoin l’Assemblée sur le sort des employés de la SNCF et la défense de leur statut.

Lors des élections de la première Assemblée nationale constituante, le 21 novembre 1945, résidant à Colombes depuis 1938, il fut choisi naturellement dans la sixième circonscription de la Seine dont relevait cette municipalité, pour diriger la liste du Mouvement républicain populaire (MRP). Le Parti communiste y fut remarquablement implanté et ses chefs de file locaux, Jacques Duclos et Charles Tillon, bénéficiaient d’une grande notoriété. Avec 143 942 des 308 887 suffrages exprimés, le Parti communiste recueillit 46,6 % des voix et, à la clef, quatre des sept sièges à pourvoir, tandis que la liste démocrate-chrétienne, avec 26,6 % des suffrages, obtint deux élus, le dernier siège incombant à la liste socialiste. André Paillieux fut donc élu et retrouva la commission des moyens de communications et des Postes, Télégraphes et Téléphones (PTT). Il fut également nommé juré à la Haute cour de justice créée comme telle à la suite de la commission de la justice et de l’épuration. Il se révèla un parlementaire relativement actif puisqu’il déposa trois propositions de loi et deux propositions de résolution et intervint à deux reprises en séance. Il déposa un rapport sur le projet de loi relatif aux retraites des agents des chemins de fer secondaires d’intérêt général, des chemins de fer d’intérêt local et des tramways. Il manifesta, en séance, un intérêt tout particulier pour les questions sociales, qu’il s’agissait des pensions, de la titularisation professionnelle, des congés payés, des retraités de la SNCF ou plus généralement de la fonction publique, ou encore de la nationalisation de l’électricité et du gaz, débat au cours duquel il défendit un amendement. À l’unisson des représentants républicains populaires, il vota l’investiture de Félix Gouin le 23 janvier 1946, en faveur de la nationalisation de l’électricité et du gaz le 28 mars et pour l’adoption du premier projet constitutionnel le 19 avril.

Mais Paillieux ne se représenta pas lors des élections du 10 novembre 1946, préférant se consacrer à son rôle d’administrateur de la SNCF et au syndicalisme comme membre du bureau et vice-président de la CFTC. Sa fédération obtint une audience certaine auprès des cols blancs, des bureaux dans les services centraux et les filières féminines : aux élections des délégués indiciels de 1951, la CFTC fut en seconde position dans tous les collèges : à l’Exécution avec 19 % de voix (derrière la CGT avec 67,5 % et devant FO avec 12 %), dans le collège Maîtrise (30 %, derrière la FMC avec 47 %) et dans le collège des cadres (29 %, derrière la FMC avec 49 %). En 1953, elle compta 8 % d’adhérents, contre 38 % à la CGT, un taux d’adhésion qui ne dépassa jamais 9 % par la suite à la Fédération CFDT des cheminots.

Membre du Conseil économique depuis 1947, ce fut au congrès fédéral de février 1954 qu’André Paillieux laissa sa place de secrétaire général à Paul Butet* qu’il avait fait venir au secrétariat. Président de la Fédération jusqu’en 1956, puis président d’honneur, Paillieux conserva tous ces titres au sein de la CFTC à laquelle il resta très attaché après la scission de 1964. Il fut élu président de l’Union fédérale des retraités cheminots CFTC au congrès d’avril 1959. Au niveau confédéral, il fut membre du bureau confédéral de la CFTC dès août 1944, où il fut l’un des 6 cooptés dans la clandestinité, puis élu en septembre 1945 et réélu à chaque congrès confédéral de 1946 à 1957 et vice-président de la Confédération CFTC de 1948 à 1957. Au congrès confédéral de 1953, il présenta, au nom du bureau confédéral, le rapport modifiant les structures, dont le bureau confédéral réduit à 12 membres, qui constitue l’exécutif de la confédération, et un conseil confédéral de 44 membres, 22 désignés par les fédérations et Unions régionales, pour affirmer la conception fédéraliste, et 22 élus par le congrès ; le rapport fut adopté à une très large majorité.

Son activité de secrétaire général s’était constamment exercée en faveur de la défense politique et syndicale des chemins de fer. Il était le tenant d’une nationalisation des transports qui, par le biais d’une Société nationale des transports, aurait mis un terme aux errements de la concurrence toujours mal réglementée du rail et de la route.

Retraité de la SNCF le 1er septembre 1958 avec le grade d’inspecteur divisionnaire, lors de la séance du 26 mars 1958, le conseil d’administration, par la voix de son président André Segalat, lui avait rendu hommage pour la « démonstration exemplaire » qu’il avait faite du rôle d’un représentant du personnel au sein du conseil d’une entreprise publique. Demeuré administrateur de la STEF (filiale de la SNCF) jusqu’en 1975, André Paillieux pouvait évoquer soixante ans de sa vie (1915-1975) consacrés aux chemins de fer.

En 1954, la fédération des cheminots CFTC acheta un château à Saint-Denis près Martel pour en faire une maison familiale de vacances des cheminots de France. Une association fut créée pour en assurer la gestion et André Paillieux en fut élu président dès l’assemblée générale constitutive du 29 mai 1954 ; il fut réélu président à chaque assemblée générale, avec Léon Delsert* comme administrateur (directeur), jusqu’à celle de début 1963, où il fut remplacé par André Nicolas*. Il resta membre du CA jusqu’au début 1964.

Longtemps resté fidèle à sa Normandie natale, il s’était impliqué dans la vie politique locale en briguant et en remportant, sous les couleurs du MRP en 1959, la petite municipalité de Bénerville-sur-Mer. Il ne se représenta pas en 1965, mais continua de s’intéresser à l’actualité régionale en collaborant assez régulièrement à la revue Le Pays d’Auge. Il n’a jamais rompu avec le MRP dont il fut adhérent jusqu’en 1965, choisissant alors de rejoindre le Centre démocrate.

Retiré à Parthenay à partir de 1983, André Paillieux ne cessa de s’intéresser à la politique ferroviaire. Ainsi, il rappela par lettre aux ministres des Transports de l’époque, à Charles Fiterman en particulier, qu’à la SNCF, société expirant statutairement le 31 décembre 1982, devait succéder naturellement le « Service national des chemins de fer », « le SNCF », service public à la manière des PTT et tel que le décret-loi du 31 août 1937 créant la SNCF l’avait « expressément prévu », mesure qui eût ainsi définitivement consacré le rôle de service public des chemins de fer. Officier de la Légion d’honneur (JO du 12 février 1949) et titulaire de la Médaille de la Résistance (novembre 1946) et de la grande Médaille de vermeil de la Ville de Paris, André Paillieux fut une grande figure du syndicalisme cheminot. Par son intransigeance, il protégea la Fédération chrétienne des cheminots d’un certain dévoiement idéologique, et par son autorité personnelle, en fit un acteur social fort au sein du mouvement cheminot. Marié en août 1920 à Caen avec Suzanne Raulet, il s’était remarié en juillet 1970 à Colombes (Hauts-de-Seine) avec Renée Pavaillon.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article7221, notice PAILLIEUX André, Henri, Adrien par Georges Ribeill, version mise en ligne le 30 juin 2008, dernière modification le 14 janvier 2019.

Par Georges Ribeill

André Paillieux
André Paillieux
[Arch. Fédération CFDT des cheminots]

SOURCES : Arch. Fédération CGT des cheminots (procès-verbaux du bureau exécutif de la Fédération légale). — Arch. CFDT Cheminots. — Le Cheminot de France. — Souvenirs du militant sur la Résistance et la Libération parus dans Le Cheminot CFTC (1984-1986). — Carole Sanduraud, Le syndicalisme chrétien sous l’Occupation, Perrin, 1999. — Notice DBMOF. — Gérard Boudesseul, Vitalité du syndicalisme d’action : la CFDT Basse-Normandie, Paris, L’Harmattan, 1996. — Entretiens (octobre 1986) et correspondance avec l’auteur. — Documents communiqués par l’intéressé. — Notes de Michel Gorand. — Notice biographique de l’Assemblée nationale. — État civil. — Voir l’inventaire du fonds A. Paillieux, en ligne (Arch. conf. CFDT).

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