VERMERSCH Eugène, Marie, Joseph

Né le 13 août 1845 à Lille (Nord), mort le 9 octobre 1878 à Londres ; créateur, avec A. Humbert et M. Vuillaume, du Père Duchêne de 1871.

Fils d’un brigadier de police de Lille (d’un négociant, Arch. Min. Guerre), journaliste, sans être docteur ès lettres — cf. Vuillaume, op. cit., p. 437 — Vermersch vint à Paris vers 1863 pour entreprendre des études de médecine, mais il y renonça bientôt par amour des lettres et du journalisme.

Après avoir publié quelques vers dans l’Écho du Nord, il débuta à Paris dans La Fraternité. En 1866, il entra au Hanneton dont il devint directeur littéraire. Il collabora ensuite à Paris Caprice et à l’Éclipse. Il écrivit aussi au Figaro, puis travailla au petit Père Duchêne, in-quarto de quatre pages de Gustave Maroteau. Il publiait également quelques brochures telles que La Lanterne en vers de Bohème et insérait des poésies et articles dans l’Almanach du Quartier Latin qu’il fonda avec Maroteau.

Le 31 mai 1867, il fut condamné comme directeur-gérant du Hanneton à huit jours de prison et 500 f d’amende pour outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs, à l’occasion d’un article dont il était l’auteur, intitulé « Les deux pudeurs ». L’année suivante, le 1er avril 1868, à Lille, il était à nouveau condamné : quinze jours de prison et 100 f d’amende pour publication d’articles incitant les militaires à l’insubordination.
Dès le début de la guerre franco-allemande, il fut attaché au service des ambulances et on le vit sur le champ de bataille prodiguant ses soins aux blessés. Durant le Siège, il écrivit six sonnets gastronomiques qui célébraient les étranges mets auxquels la disette forçait de recourir.

Il collabora au Cri du Peuple de Jules Vallès (22 février-23 mai 1871). Le 6 mars, avec Alphonse Humbert et M. Vuillaume, il fonda, pastiche de celui d’Hébert de 1793, le Père Duchêne qui fut supprimé par arrêté du général Vinoy, le 9 mars, mais reprit le 21 mars avec le n° 6 ; il y eut en tout 68 numéros entre le 6 mars et le 22 mai 1871 et ce fut un grand succès financier, puisque les trois journalistes et leurs deux commanditaires réalisèrent au total un bénéfice de 25 000 f, déduction faite des frais de publication de La Sociale que les mêmes faisaient paraître l’après-midi (48 numéros du 31 mars au 17 mai) et qui ne fut qu’un demi-succès.

Vermersch logeait alors rue de Seine, là où habita Baudelaire. Vuillaume a conté dans le menu la naissance, la vie et la mort du Père Duchêne dans ses Cahiers rouges, op. cit. (chap. « Quand nous faisions le Père-Duchêne »). Fin mai 1871, Vermersch fut caché par Théodore, cafetier rue Monsieur-Le-Prince, VIe arr., puis conduit à la frontière.

Le 3e conseil de guerre condamna Vermersch par contumace, le 28 (le 20 ?) novembre 1871, à la peine de mort. Il avait gagné la Belgique puis la Hollande d’où il fut expulsé et, après un bref séjour en Suisse, vint à Londres où, peu après son arrivée, il rendit visite à Karl Marx et fit publier dans L’Illustration en date du 11 novembre 1871 la biographie de ce dernier, à partir de notes qui lui avaient été fournies par la fille de Marx — notes vraisemblablement prises sous la dictée de l’intéressé. Mais il ne tarda pas à adhérer à la section fédéraliste française de 1871 et fonda le Qui Vive !, « organe de la démocratie universelle », 3 octobre-10-11 décembre 1871 (60 n°s) dont il fut le rédacteur en chef.

C’est dans ce journal qu’il publia, en novembre, son poème Les Incendiaires, daté Bruxelles, août-Londres, septembre 1871, dans lequel il justifie la violence et la terreur révolutionnaires. Voici les derniers vers de ce poème qui fut édité à Londres en 1872 :

« Et toi, dont l’œil nous suit à travers nos ténèbres, Nous t’évoquerons, ô Marat !

Toi seul avais raison : Pour que le peuple touche
À ce port qui s’enfuit toujours,
Il nous faut au grand jour la justice farouche
Sans haines comme sans amours,
Dont l’effrayante voix plus haut que la tempête
Parle dans sa sérénité
Et dont la main tranquille au ciel lève la tête
De Prudhomme décapité ! »
Au Qui Vive ! succéda le Vermersch Journal avec 82 n°s du 17-18 décembre 1871 au 23 mars 1872. En février, Vermersch avait adressé une lettre au député de Tréveneuc, lettre qui fut publiée par La Patrie. Il y précisait ainsi son point de vue : Nous sommes les ennemis nés de tout gouvernement et lorsqu’on dit à l’un de nous : Je vois ce que vous cherchez : vous voulez être du gouvernement, je déclare qu’il devrait toujours répondre franchement : Oui ! parce que tout le monde doit être du gouvernement et que l’anarchie organisée n’est autre chose que le gouvernement de tous par tous ! Auparavant toutefois il faut une dictature, courte, mais efficace. « La crise passée, les dictateurs s’en iront et feront place à la nation enfin mise en possession d’elle-même ».

Après le Vermersch-Journal, en mars 1872, parut l’Union démocratique, propriété d’une société coopérative de six personnes ; Vermersch se retira de la rédaction à dater du 19 juin.

L’année suivante, il publia des « opuscules révolutionnaires » de seize pages, in-24°, non datées :

n° 1, La Force — n° 2, La Dictature — n° 3, Le Droit au Vol. — n° 4, La Grève. — n° 5, La Propagande révolutionnaire. — n° 6, La Société secrète (demeurée à l’état de projet).

En voici quelques extraits :

Dans le Droit au Vol — cf. p. 16 — parlant des pauvres, il déclarait :

« Il n’y a pour eux ni lois ni devoirs ; ils n’ont d’obligations d’aucune sorte ; ils ne sont tenus à aucun service, à aucune réserve, à aucun respect de qui que ce soit et de quoi que ce soit. Pour avoir des devoirs, il faut avoir des droits : or, quel droit ont-ils, si ce n’est celui de mourir de faim ? [...] Qu’ils pillent, qu’ils volent, qu’ils tuent, ne vous en plaignez pas ! C’est vous-mêmes qui leur en avez reconnu le droit : ils étaient vos égaux ; vous en avez fait des bêtes de proie ! ».

En ce qui concerne La Grève, il se proposait « de démontrer ici que son organisation sérieuse est impossible à obtenir ; que la fin qu’elle poursuit est dérisoire ; enfin, qu’elle ne tend à rien de moins qu’à neutraliser les énergies révolutionnaires et à vicier le principe de la raison populaire ». Et il concluait : « On ne discute pas avec l’oppresseur : on le tue ! ».

La Propagande révolutionnaire — cf. p. 16 — ne se concevait donc que comme une lutte armée : « Il est plus utile d’apprendre à un prolétaire à construire ou à commander une batterie, à organiser un bataillon, à opérer une reconnaissance ou une retraite dans un quartier, à fortifier ou à défendre un front de bataille, ne fût-ce que de cent mètres, à prendre les mesures politiques nécessaires dans un moment de réaction, que d’écrire un volume de mille pages sur le Capital ou de prononcer des discours dans trente villes de province ».

Sa plume acerbe valut à Vermersch de nombreux démêlés, non seulement avec les instances officielles, mais aussi avec les gens de son milieu. C’est ainsi qu’ayant traité Jourde de « mouchard » dans le Qui Vive ! du 28 novembre 1871 et ayant refusé de se rétracter, l’affaire se prolongea jusqu’en 1876. En août, Jourde souffleta Vermersch à Genève et fut acquitté en correctionnelle le 2 septembre suivant. Cela enrichit le palmarès de Vermersch de l’opuscule suivant :

Déclaration relative à Fr. Jourde qu’eût prononcée, le 2 septembre 1876, le citoyen E. Vermersch devant le tribunal correctionnel de Genève, si on ne lui eut interdit de développer ses moyens dans la cause (8 p.).

Le mois précédent, le 24 juillet, près de Genève, Vermersch s’était battu en duel avec Gustave Lefrançais.

Enfin, entre-temps, à Londres, le 24 mars 1874, Constant Martin avait frappé Vermersch, ce qui lui avait valu, le 2 avril suivant, une condamnation à 30 shillings d’amende et 2 shillings pour les frais ou quatorze jours de prison.

Vermersch, qui avait épousé à Londres, le 5 septembre 1872, une Hollandaise, fille de l’ancien imprimeur du Qui Vive ! quitta l’Angleterre à l’automne 1874. Le 7 septembre, il arrivait en Belgique, mais il en fut expulsé dès le 29 novembre. En décembre, il arrivait avec sa femme et son enfant à Altorf, où l’accueillait Vuillaume. Il y passa une année tranquille. « Quand je pense à ces bons jours d’Altorf, écrira plus tard sa femme, les larmes me viennent aux yeux ». Vuillaume a conté ce que fut alors sa vie :

« Vermersch est le plus casanier des hommes. Tout le jour plongé dans son dictionnaire latin. Il traduit alors Juvénal, qu’il ne quitte que pour s’installer à l’ingrate besogne qui lui permet de vivre. Il rédige presque en entier, pour l’éditeur Madre, de la rue du Croissant, le Grelot », journal hebdomadaire illustré. Quand il a fini son Grelot, il abat du roman, du gros roman feuilleton, les Amants de la Guillotine, ou autres machines terrifiantes. Je lui en vis faire au moins une demi-douzaine.

« Son seul passe-temps, mais un passe-temps qui est pour lui une passion, c’est la cuisine ».

Vermersch quitta Genève pour Londres en octobre 1875. Il mourut à l’âge de trente-trois ans, le 9 octobre 1878, après avoir à demi perdu la raison. Il fut enterré civilement à Londres quatre jours plus tard. Il était marié, père de deux fils.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article72494, notice VERMERSCH Eugène, Marie, Joseph , version mise en ligne le 26 juillet 2009, dernière modification le 7 octobre 2020.

ŒUVRES : Les Incendiaires, Londres, 1872, in-32 (Bibl. Nat. 8° Ye, Pièce, 497) et 8° R 15263 (Paris, 1910, publication des « Temps nouveaux »). — Manifeste d’un groupe de révolutionnaires du 18 mars 1871 au Peuple de Paris et des départements au sujet de la prolongation des pouvoirs du Maréchal Mac-Mahon, Londres, nov. 1873, 8 p. (Vermersch en fut le rédacteur). — Le Grand Testament du sieur Vermersch, 70 p., Paris, 1868, in-12, Ye 34560. — Latium moderne, Paris, 1864, 32 p. in-8° Li 3/310. — L’infamie humaine, 1890, Paris, préface de P. Verlaine (Bibl. Nat., 8° Y 2 43577). — Opuscules révolutionnaires, les cinq premiers — cf. page précédente sont à la Bibl. Nat., 8° Lb 57/1268. — Les Partageux, Londres, s.d. [1874] 24°, 16 p. Res Ye 4973.

SOURCES : Arch. Min. Guerre, 3e conseil. — Arch. PPo., B a/1292 et a/1293 (Voir, en particulier, le rapport du 22 octobre 1874, largement utilisé, mais dont toutes les données n’ont pu être vérifiées), et E a/104-7. — M. Vuillaume, Mes Cahiers rouges, op. cit. — Enquête parlementaire..., op. cit., p. 149. — Fonds Vermersch (collection Descaves) de l’Institut International d’Histoire Sociale d’Amsterdam. — Tristan Haan : étude sur Vermersch suivie d’une bibliographie sans doute exhaustive (à paraître). — Le « Père Duchêne » pendant la Commune de Paris. Mémoire de Maîtrise de Mme Duhamel, Paris, Sorbonne, 1970. — Notes de T. Haan.

ICONOGRAPHIE : G. Bourgin, La Commune, 1870-1871, op. cit., p. 419. — Arch. PPo., album 286/43.

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