Par José Gotovitch
Né le 3 mai 1899 à Ledeberg (Flandre), mort le 22 juin 1974 à Bruxelles ; avocat ; membre du comité central du Parti communiste belge ; responsable de l’appareil d’Eugen Fried en Belgique.
Né dans une famille libérale, d’un père fonctionnaire et d’une mère enseignante, Jean Fonteyne fut emprisonné six mois par l’occupant en 1916 pour avoir diffusé la presse clandestine patriotique dans son lycée. Il rejoignit ensuite l’armée belge par les Pays-Bas. Docteur en droit de l’Université Libre de Bruxelles en 1920, il participa pendant ses études au Mouvement estudiantin pour la culture morale. En 1922, il épousa Andrée De Lannay. Ils eurent quatre filles. Stagiaire chez un grand avocat et homme politique libéral, il fonda et dirigera jusqu’à sa mort la Revue générale des assurances et des responsabilités.
La crise l’amena au contact direct de la classe ouvrière et de ses luttes. Il devint l’un des avocats les plus actifs du Secours rouge en Belgique. Parallèlement, il fonda l’Éducation par l’image (EPI) et participa à la création de l’Association révolutionnaire culturelle (ARC). La conjonction de son engagement social et de ses préoccupations culturelles le conduisit, après la grève de 1932 où il avait assuré la défense des militants ouvriers emprisonnés, à jouer un rôle de mentor dans la mise au point du film « Borinage » de Henri Storck et Joris Ivens. Avec le docteur Hennebert, il véhicula les cinéastes et tourna lui-même un film. Il se situa ainsi au centre d’une brochette d’artistes et d’intellectuels révolutionnaires, dont son beau-frère, Paul Libois, mathématicien, qui fut l’un des premiers assistants communistes à l’Université de Bruxelles. Il adhéra au PC en 1934 et assura la fondation et l’organisation du Comité de vigilance des intellectuels antifascistes, dont il demeura le pivot tout au long de son existence. Il était membre de l’Ordre maçonnique mixte, Le Droit Humain, milieu dont l’antifascisme fit une pépinière de communistes parmi les intellectuels. Pendant la guerre d’Espagne, qu’il vécut comme animateur du CVIA (Comité de vigilance des intellectuels antifascistes), donc de toutes les actions de solidarité, il accueillit un enfant espagnol qui grandit dans la famille. En 1936, il fut membre de la Commission d’enquête sur les interventions de crise et les collusions entre la politique et la finance. Il était déjà l’avocat de l’ambassade soviétique quand, avec la drôle de guerre et la mise hors la loi du PCF, il fut amené à assurer la responsabilité principale des contacts avec l’appareil de direction du PCF qui s’installa à Bruxelles. Il assura la défense des députés français emprisonnés, dont il tira un ouvrage, imprimé antidaté sous l’occupation Le Procès des 44. En contact direct avec Jacques Duclos, il hébergea Maurice Thorez quand celui-ci déserta. Mais il fut avant tout l’organisateur du séjour en Belgique du délégué de l’Internationale auprès du PCF, Eugen Fried, dont il assura les liaisons ainsi que le financement. Quelques hommes d’affaires de confiance assuraient, depuis Anvers et les Pays-Bas, le rendement des placements opérés. Plusieurs immeubles achetés sous divers noms en Belgique fournissaient également planques et revenus. Il assura, le moment venu, le sauvetage de la Compagnie France-Navigation
Pendant les semaines de confusion de l’été 1940, Fried l’envoya en mission à Paris et dans le Sud-Ouest. Ainsi, du 10 au 20 juillet, il accomplit un long périple qui rétablit le contact de Duclos avec Bruxelles et Moscou et le conduisit dans les camps du Sud-Ouest de la France. Là, par subterfuge, il fit libérer des militantes et des militants communistes emprisonnés. En octobre, il retourna en France, chargé cette fois, avec l’aide de l’Ambassade soviétique de Paris, de faire libérer par tous les moyens, y compris la corruption, les dirigeants des Brigades internationales emprisonnés en les « naturalisant » soviétiques. Luigi Longo était le principal concerné, mais aussi le dirigeant indonésien Musso. Il assura encore plusieurs missions à Paris en janvier, février, mars et jusqu’en juin 1941, afin de régler les questions financières touchant à la Compagnie France-Navigation, en particulier en ramenant les actions à Bruxelles et en trouvant des actionnaires fictifs. L’invasion de l’URSS coupa court à sa dernière mission à Paris qui avait comme but d’assurer avec l’Ambassade, comme demandé par l’IC, le rapatriement de militants bessarabiens, piliers de la MOI (Main-d’œuvre ouvrière immigrée) en Belgique.
Mais le terrain belge ne lui restait pas étranger. C’est lui qui tissa au Palais de Justice de Bruxelles les premiers liens qui débouchèrent en octobre 1941 sur la création du groupe et du journal clandestins Justice libre pour lesquels il obtint la collaboration d’avocats et magistrats de tous les horizons politiques. Il publia une brochure clandestine Droit et Justice en Union soviétique (rééditée après-guerre à Paris et à Bruxelles).
Illégal et recherché depuis le 22 juin 1941, Jean Fonteyne assurait toujours avec le concours de sa femme, la sécurité et les liaisons de Fried et la coordination de Justice libre. Il participait à Temps nouveaux, organe des intellectuels du Parti, en rapport direct avec le secrétariat du Parti pour lequel il assurait des missions particulières. Fonteyne tomba le 6 juillet 1943, dans la grande rafle qui décapita le Parti. Son comportement fut exemplaire tout au long de son emprisonnement : à Breendonk, d’où il parvint à faire sortir des informations ; à Buchenwald ensuite où il arriva en mai 1944. Libéré et rapatrié, il relata son expérience en une plaquette, rééditée à plusieurs reprises.
Il reprit ses activités au Barreau. Élu sénateur en 1946, il joua un rôle actif à la Commission de la Justice, dont il fut secrétaire. Le congrès de 1948 l’élut au comité central. Dans la lancée de Justice Libre, il fut au centre du groupe Renaissance Judiciaire, branche belge de l’Association internationale des juristes démocrates. En 1951, il fut écarté du CC, comme « intellectuel… dont certaines interventions au CC "participent de ce libéralisme pourri" que le Secrétaire général a dénoncé ». Il fut l’un des artisans du renouveau en 1954. Le 12e congrès le désigna à la commission de contrôle du Parti. Malgré un indéfectible attachement à l’URSS, il s’écarta du Parti communiste belge dans les remous du maoïsme en 1963, refusant certaines pratiques et tendances qu’il jugeait « révisionnistes ». En 1965, sa cellule refusa de renouveler sa carte. Il quitta le Parti sans s’éloigner : on le vit dans les manifestations pour le Vietnam, il prit en main la défense de Willy Peers, médecin communiste emprisonné pour avortement. Il ne s’engagea pas dans le nouveau parti « grippiste » parti maoïste de Jacques Grippa). Il écrivait, il s’intéressait à tout. Un infarctus le terrassa le 22 juin 1974.
Sans avoir été formellement lié aux structures de l’IC, Jean Fonteyne fut au centre des dispositifs les plus secrets de celle-ci et du PC en Belgique comme en France. Il s’est tu jusqu’au moment où Jacques Duclos le libéra de sa parole, en 1971, au bénéfice d’Alain Guérin. Mais loin d’être un homme de l’ombre, il a rayonné comme intellectuel communiste, comme militant de l’art, profondément inséré dans son environnement professionnel où il se signalait par une activité de spécialiste reconnu comme de militant. Il y jouissait de l’estime de tous : la clandestinité et les réactions à son décès l’ont bien montré. À son exemple, sa femme et deux de ses enfants devinrent militants clandestins. Tout porte à croire qu’en dehors du Parti, il est mort communiste, personnage emblématique de l’engagement définitif de certains intellectuels pendant les années 1930.
Par José Gotovitch
ŒUVRE : Le Procès des Quarante-quatre, Anvers, Renneboog, 1940. — Buchenwald. Choses vécues, Bruxelles, 1945 (2e éd. complétée 1975). — Droit et Justice en Union soviétique, paru d’abord clandestinement, puis Paris, Éditions Socrates, 1946 ; Bruxelles, AUS, 1946. — Le Pays de Dimitrov, Bruxelles, l951
SOURCES : Fonds Jean Fonteyne, Arch. Dép. de Seine-Saint-Denis (310 J), inventaire en ligne. — RGASPI, 495 74 56 ; 495 184 14. — TsChSD, Fonds 5, Dossier personnel, 1-24. — CARCOB, dossier CCP. — Interview par José Gotovitch, 1970. — Interview par Alain Guérin, 1971. — Notes manuscrites rédigées par Andrée Fonteyne. — Notice de Paul Frederic dans Le Journal des Tribunaux, 14 septembre 1974. — Notice biographique dans J. Gotovitch, Du Rouge au Tricolore, op. cit., p. 517-519. — A. Kriegel, S. Courtois, Eugen Fried. Le grand secret du PCF, Paris, Le Seuil, 1997, 450 p.