PASQUIER Émile, André

Par René Gaudy

Né le 20 novembre 1897 à Sainte-Anne (Loir-et-Cher), mort le 1er octobre 1979 à Versailles (Yvelines) ; cheminot puis employé à la CPDE ; secrétaire du syndicat des employés et contremaîtres des secteurs électriques de la région parisienne (1927-1936), dirigeant de la Fédération CGT de l’Éclairage (1936-1972) ; administrateur d’EDF ; militant communiste, conseiller municipal (1935-1940) puis maire adjoint d’Ivry-sur-Seine (1953-1965).

Fils d’un ouvrier agricole décédé en 1933 et d’une femme de journée à Saint-Amand-de-Vendôme, Émile Pasquier commença à travailler dans une ferme en juillet 1908 puis entra, à l’âge de treize ans, en apprentissage chez un bourrelier-sellier. Mobilisé en janvier 1916 dans un régiment d’artillerie, il combattit dans la Somme, au Chemin des Dames, puis dans l’Oise où il fut blessé. Envoyé en Allemagne après l’armistice, il ne fut démobilisé que le 25 septembre 1919. Au front, il avait lu le Feu de Barbusse : « Ces années de guerre m’ont fortement marqué, et en souvenir des massacres que j’ai connus, notamment le 16 avril 1917, au Chemin des Dames, je jurai de lutter toute ma vie contre la guerre et le régime qui l’engendre » , écrit-il dans ses Notes sur ma vie et mes activités, rédigées en 1974.

Émile Pasquier fit une demande d’emploi aux chemins de fer et fut embauché, en novembre 1919, à la Maison-Blanche (Petite Ceinture). Aussitôt, il adhéra au syndicat CGT et devint collecteur. Il participa aux grèves de février et mai 1920. À la scission, il rejoignit la CGTU avec la majorité de son syndicat (Paris-Ceinture). Il entra au bureau syndical et devint trésorier. Émile Pasquier, qui s’était marié début 1921 et avait eu un enfant, Georges, à la fin de l’année, cherchait un emploi mieux rémunéré. En 1924, il entra à la Compagnie parisienne de distribution d’électricité (CPDE) comme employé, dans le service du personnel, au siège social de la Compagnie.

En septembre 1924, il adhéra au Parti communiste, recommandé par Antoine Demusois et Jean Pégot, fit d’abord partie de la section locale au Kremlin-Bicêtre où il habitait puis, avec quelques collègues, créa la première cellule d’entreprise du siège social de la CPDE ; il allait être membre d’une cellule d’entreprise jusqu’en 1967. Il fut candidat aux élections municipales de 1925 au Kremlin-Bicêtre. En 1934, il écrit : « Je ne me suis occupé du travail municipal que dans la mesure où les camarades m’ont demandé des conseils sur le problème de l’alimentation en électricité des municipalités communistes. »

Lors de la scission syndicale, la majorité du syndicat des employés et contremaîtres se prononça pour rester à la CGT, les minoritaires de tendance CGTU restèrent dans cette structure, travaillant à y faire triompher leurs positions. Pasquier devint délégué du siège social au conseil syndical en 1925 ou 1926 (voir Fernand Gambier). En 1925, lors de la lutte contre la guerre du Maroc, il représenta la minorité confédérée au bureau du Comité central d’action avec Maurice Thorez. Délégué au IXe congrès de la Fédération CGT (Bordeaux, 2-4 septembre 1926), il intervint pour défendre sa conception de l’unité, ce qui lui valut une réplique de Léon Jouhaux. En 1927, devenu secrétaire général adjoint du syndicat (voir H. Aragon), il prit part à la constitution de groupes d’« Amis de l’Unité “ jusqu’en 1927 puis aux groupes d’OSR (opposition syndicale révolutionnaire) à partir de 1930. Au Xe congrès fédéral (Marseille, 16-18 août 1928), la minorité gagna du terrain : environ un quart des effectifs lui était favorable. À l’occasion du XXe congrès de la CGT (Paris, septembre 1929), le mandat du syndicat n’ayant pas été validé, l’assemblée générale du 26 septembre renouvela sa confiance au bureau syndical.

En 1930, Émile Pasquier succéda à H. Aragon au secrétariat général, poste qu’il occupa jusqu’en 1936. Il fut par ailleurs gérant du journal jusqu’en 1939 et délégué à l’UD de la Seine. Au début des années trente, l’assemblée du syndicat choisit l’autonomie, la confédération lui refusant cartes et timbres. Il ne rejoignit la CGTU qu’à la veille de la réunification, préservant ainsi son unité. Cependant, Émile Pasquier avait pu prendre la parole au nom de son syndicat lors du XIIe congrès de la Fédération CGT de l’Éclairage, le 23 septembre 1932 à Bordeaux. En août, il s’était rendu à Amsterdam comme délégué au congrès mondial contre le fascisme et la guerre.

De 1930 à 1935, le syndicat qu’il dirigeait mena des actions en commun avec le syndicat ouvrier CGTU dont le secrétaire était Marcel Paul. Ces actions débouchèrent sur la signature en 1936 d’un statut unique du personnel ouvriers et employés des sociétés d’électricité de la région parisienne. C’est à cette époque que commença une longue collaboration entre les deux hommes. Fin 1935, Émile Pasquier fit partie de la commission d’unification et d’élaboration des statuts des syndicats d’électriciens de la région parisienne, et c’est lui qui, au nom de la majorité de la commission, rapporta sur les statuts des deux syndicats unifiés (ouvriers et employés) lors de l’assemblée générale de fusion du 18 décembre 1935.

Émile Pasquier fut délégué au congrès fédéral d’unité en 1936. Il fut membre de la commission de vérification des mandats et présida la séance du 29 février après-midi. Candidat sans succès au comité fédéral, il ne resta pas longtemps à l’écart. Quand les grèves se déclenchèrent, la direction fédérale, débordée, fit appel à lui. En juin, il devint secrétaire fédéral, aux côtés de Charles Biot et Raoul Lèbre. Il fut remplacé à la tête de son syndicat par André Girard. En juillet, à la suite de problèmes personnels entre Charles Biot et Raoul Lèbre, Lucien Barthes succéda à Raoul Lèbre.

Émile Pasquier et Lucien Barthes co-signèrent à la fin de 1936 un éditorial d’Éclairage et Force motrice, dans lequel ils faisaient le bilan de la direction fédérale depuis juin. Émile Pasquier joua alors un rôle de premier plan dans les industries de l’électricité et du gaz : il participa aux nombreuses négociations avec le patronat et le gouvernement et sillonna le pays en tous sens. Il contribua largement à faire avancer la conception de revendications nationales, centrée autour de l’idée d’un statut-type, qui allait devenir la revendication du statut national adoptée par le XVe congrès fédéral en 1937.

En juin 1937, la Fédération CGT de l’Éclairage regroupait 73 000 à 80 000 adhérents sur environ 90 000 syndicables (487 syndicats). Le syndicat d’Émile Pasquier était passé d’un millier d’adhérents avant 1936 à 2 200 en 1938. Réélu au comité fédéral, il devint secrétaire général adjoint aux côtés de deux ex-confédérés, Jacques Alliez et Lucien Barthes, Marcel Paul étant élu secrétaire général.

Lors des élections municipales de 1935, Émile Pasquier avait été élu à Ivry où il résidait depuis 1929 dans les HBM Ph. Pompée. Il présidait l’Union fraternelle des locataires des HBM de la commune.

En vacances dans le Jura, Émile Pasquier apprit la signature du Pacte germano-soviétique et rentra aussitôt à Paris. Marcel Paul et Lucien Barthes furent mobilisés, É. Pasquier resta au secrétariat fédéral avec Jacques Alliez. L’Éclairage demeurait l’une des dernières fédérations dont la direction n’avait pas encore été exclue. Émile Pasquier refusa de convoquer le comité fédéral (malgré les demandes de Léon Jouhaux et de Clément Delsol), avant d’avoir reçu les mandats des mobilisés. À la réunion du comité fédéral du 5 novembre, Clément Delsol et Gabriel Borie obtinrent le départ des communistes et de Jacques Alliez. Gabriel Borie devint secrétaire général et Clément Delsol secrétaire. Alors que Jacques Alliez reprenait son travail au gaz de Pau, Pasquier ne fut pas réintégré. Dans une semi-clandestinité, il s’occupa alors avec Fernand Gambier des œuvres sociales des Services publics et fit rouvrir la clinique de la rue de Bondy où sa femme devait être arrêtée une première fois le 13 avril. Mobilisé depuis janvier 1940 au 25e dépôt d’artillerie à Bourges, affecté au secrétariat du colonel, il obtint une permission pour rendre visite à sa femme à la Roquette. Puis, sur les conseils d’Eugène Hénaff, il décida de rejoindre sa caserne. Le 4 mai 1940, il était arrêté pour reconstitution de ligues dissoutes et incarcéré à la Santé. Lors de l’offensive allemande, il fut évacué vers le camp de Gurs et transféré en novembre à Mauzac. Fin décembre, il fut jugé par le tribunal militaire de Périgueux avec sa femme et d’autres militants de l’Éclairage, Fernand Gambier, André Girard, Émile Loiseau, Jean-Baptiste Carrara, Maurice Nègre... (affaire des « 21 »). Sa femme et lui furent acquittés. Émile Pasquier se fit aussitôt démobiliser et rentra à Paris. Il reprit contact avec Marcel Paul le 1er janvier 1941. Le 2, il entra dans la clandestinité et s’occupa de constituer des comités populaires dans les services publics, de rédiger et diffuser des tracts, de collecter et d’établir des cahiers de revendications. Lorsque Marcel Paul fut arrêté en novembre 1941, il devint le principal responsable syndical clandestin de l’Éclairage. Il tenta de faire évader Marcel Paul. Peu après, le 26 mars 1942, Pasquier fut arrêté en même temps qu’une soixantaine d’autres militants. Incarcéré à la Santé, il fut jugé par la section spéciale le 28 mars 1943 et condamné à quatre ans de prison. D’abord interné à Clairvaux, il fut transféré à la prison de Blois en septembre 1943 où il retrouva Marcel Paul. En février 1944, il fut livré aux Allemands et dirigé vers Compiègne. De là à Mauthausen. En avril, il fut envoyé dans un commando de travail à Loibl-Pass, à la frontière austro-yougoslave. Il entra dans l’organisation de résistance du camp qui était en liaison avec les partisans yougoslaves de la région. Après la libération du camp, il fit partie des deux cent trente volontaires (sur mille déportés environ) qui décidèrent de lutter aux côtés des partisans yougoslaves pour finir de libérer la région ; ils formèrent la « brigade Liberté » qui combattit jusqu’à la fin mai. Il ne fut rapatrié en France que le 24 juin. Il reprit après quelque temps son poste au secrétariat de la Fédération.

De son côté, sa femme Germaine avait été arrêtée le 24 septembre 1942 et internée administrativement jusqu’à la Libération.

Fin octobre, parti pour l’Algérie assister au congrès de l’Union algérienne des syndicats CGT de l’électricité et du gaz, Émile Pasquier apprit par la radio la nomination de Marcel Paul comme ministre de la Production industrielle. À son retour, on lui fit savoir qu’il avait été nommé directeur du cabinet de Marcel Paul. Il le fut jusqu’en août 1946. Il participa activement à la bataille pour la nationalisation de l’électricité et du gaz, travaillant avec Marcel Paul et Lucien Barthes (conseiller du ministre) à l’élaboration du statut national du personnel. Après le vote de la loi, il siégea en juin et juillet dans une commission interministérielle créée par le ministère Bidault qui tentait de remettre en cause ce statut, finalement sauvé. En août, il quitta le ministère pour préparer le XVIe congrès fédéral qui se tint en septembre à Paris ; il y présenta le rapport moral et invita les électriciens et gaziers à produire « pour aider le pays à retrouver son indépendance ». Son rapport fut adopté à une large majorité. Il fut alors élu secrétaire général de la Fédération, et Marcel Paul, président. Il resta à ce poste jusqu’en 1956 (Paul reprenant le titre), puis fut secrétaire général adjoint (1956-1966) et membre du bureau fédéral jusqu’en 1972. Le 10 mai 1946, il fut nommé administrateur d’EDF au titre de représentant du personnel (les autres administrateurs CGT étaient Pierre Le Brun, John Ottaway, Jean Deluche et Jules Plicault ; André Colders pour la CFTC). En mai 1950, Pierre Le Brun et Pasquier furent révoqués du conseil d’administration pour avoir critiqué le projet d’emprunt EDF. La révocation fut annulée en 1959 par le conseil d’État mais Émile Pasquier et Pierre Le Brun ne siégèrent plus au conseil.

Le 14 décembre 1949, Émile Pasquier fut élu administrateur du Conseil central des œuvres sociales (CCOS) et le12 janvier suivant, il devint secrétaire de cet organisme qui fut dissout par le gouvernement en février 1951. Il fit partie de plusieurs délégations de la Fédération CGT à l’étranger : Pologne (1947), URSS (1952). En 1955, il se rendit à Hanoï avec une délégation du conseil national du Mouvement de la paix et à cette occasion fit un séjour en Chine. Membre de la commission administrative de la CGT de 1948 à 1955, Émile Pasquier siégea de 1953 à 1965 comme maire adjoint d’Ivry-sur-Seine où il fut enterré.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article73158, notice PASQUIER Émile, André par René Gaudy, version mise en ligne le 6 août 2009, dernière modification le 22 novembre 2022.

Par René Gaudy

SOURCES : RGASPI, Moscou, 495 270 1493 (notes de Claude Pennetier). — Arch. FNE-CGT. — Notes sur ma vie et mes activités, 1974, 28 p. — Bulletin du syndicat des employés et contremaîtres des secteurs électriques de la région parisienne, 1924-1928. — Le Secteur électrique, 1929-1939. — Éclairage et Force motrice, 1923-1938. — René Gaudy, Et la lumière fut nationalisée, Éditions sociales, 1978 ; Les porteurs d’énergie, Paris, Temps Actuels, 1982. — Dictionnaire Gaziers-électriciens, sous la direction de Michel Dreyfus, Paris, Les Éditions de l’Atelier, 1996, p. 275-277.

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