FRIED Eugen [FRIED Evzen, dit]. Pseudonymes : CLÉMENT, BERNARD, ÉMILE, dit aussi « Le Grand » [version DBK]

Par Michel Dreyfus

Né le 13 mars 1900 à Trnava en Slovaquie occidentale (Autriche-Hongrie), mort, assassiné le 17 août 1943 à Bruxelles ; militant du Parti communiste tchécoslovaque de 1921 à 1929 ; devenu à partir de 1930 un cadre du Komintern ; chargé de suivre le PCF à partir de 1931, il fut jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, le responsable du Komintern le plus important en charge des affaires du communisme français.

Juif issu de la petite minorité hongroise qui fut annexée par le Traité de Versailles à la Tchécoslovaquie, Eugen Fried après avoir entrepris des études supérieures de chimie à Budapest s’engagea dans le mouvement révolutionnaire en 1919. Lors de la fondation du Parti communiste de Tchécoslovaquie (PCT) en septembre 1921, il aurait siégé à son comité central comme représentant des communistes de nationalité hongroise puis en 1923, lors du 2e congrès du PCT où il rencontra D. Manouilski, il fut officiellement élu au CC.

Membre de la Délégation du PCT au Ve congrès de l’IC (juillet 1924), il se prononça en faveur de la bolchevisation de son parti. Revenu en Tchécoslovaquie, il fut arrêté le 3 décembre 1924, condamné à trois ans de prison au cours desquels il épousa Anna Ruzbarska-Jurendkova, née en 1894, dont il se séparera en 1929. Il sortit de prison en juin 1927. Il fut alors envoyé à Liberec à la fin de l’été ou au début de l’automne 1927 pour mener à bien la bolchevisation.

En juin 1928, il se rendit à Moscou puis en juillet, il fut nommé secrétaire à l’organisation du PCT. Il assista ensuite au VIe congrès de l’IC puis, de retour à Prague, fut coopté au comité central en septembre et entra au bureau politique en décembre. Convaincu de la primauté de l’appartenance du PCT au mouvement communiste international, tenant d’une lutte particulièrement ferme contre la social-démocratie, opposé à la notion d’État tchécoslovaque, il représentait alors « le profil presque parfait du futur dirigeant stalinien » (A. Kriegel, S. Courtois E. Fried…, op. cit. p. 73). Lors du 5e congrès du PCT (février 1929), il défendit avec une particulière vigueur les thèses de l’IC en estimant que le PCT devait être purgé de ses éléments réformistes. À nouveau emprisonné du 13 mai au 13 juin 1929, il apparaissait comme tenant d’une orientation ultra-gauche. Lors d’une réunion du Secrétariat de l’IC pour l’Europe centrale tenue au début de décembre 1929, il fut critiqué, et en dépit d’une autocritique, il fut écarté du secrétariat du PCT. Appelé à Moscou pour y commencer à travailler dans la section d’agitation et de propagande dirigée par Bela Kun, il y arriva au début de 1930 : il aurait participé à la préparation et dirigé le 2e congrès du Parti communiste hongrois tenu près de Moscou en février 1930 et eut également en charge une conférence tenue le 21 avril 1930 de sept partis communistes européens. Il remplit diverses missions et, entre autres, représenta l’IC au 5e congrès du PC suisse (7-9 juin 1930) où il était déjà venu au printemps 1929 pour lui imposer la bolchevisation.

Puis commença sa « période française », de loin la plus importante. Le 30 novembre 1930, il fut désigné comme représentant de l’IC auprès du parti français. Il arriva en France peu après en compagnie de la dirigeante roumaine Anna Pauker, afin de dresser un bilan de l’action du PCF. Après quelques mois en France, Fried participa au 11e plénum de l’IC (avril 1931) puis devint le représentant de l’IC auprès des PC allemand, belge et français.

En juillet, Dimitri Manouilski, dirigeant de fait de l’IC, débarqua incognito à Paris pour préparer le changement de direction du PCF lié à « l’affaire Barbé-Celor ». Son travail avait été vraisemblablement préparé par Fried et A. Pauker qui, fin août, assistèrent au premier CC du PCF où l’on annonça les décisions prises par l’IC : la nomination d’une nouvelle direction constituée principalement de Maurice Thorez, Jacques Duclos, Benoît Frachon et Marcel Gitton.
Fried prit alors la direction d’un « collège de direction » — A. Pauker*, E. Gerö*, G. Kagan*, etc. — chargé de former et de superviser la direction du PCF et y remplit quatre fonctions principales : il assura la liaison politique avec Moscou, informa la direction du PCF des directives de l’IC, participa personnellement à la formation idéologique et politique des nouveaux dirigeants. Enfin, il dirigea le choix des cadres du PCF : sous son autorité se mit en place une commission des cadres — dirigée successivement par Duclos, Vassart et Tréand — qui inaugura la pratique des « bios » que la direction fit remplir à chaque cadre du Parti. À travers des entretiens personnels, Fried présida au choix de tous les cadres appelés à certaines responsabilités, tels que Jean Chaintron ou Raymond Dallidet.
Fried participa au 12e plénum de l’IC, (Moscou, 27 août-15 septembre 1932), au cours duquel Thorez* fut critiqué par l’IC, ce qui conforta la position de Jacques Doriot*, son principal rival. Mais Fried, resté quelques jours de plus à Moscou, sut convaincre Piatnitsky*, responsable adjoint de l’IC, du danger qu’il y aurait à laisser à Doriot* la responsabilité de la région parisienne du PCF comme il avait été décidé à ce plénum. Il obtint que la direction parisienne du Parti fût scindée en cinq régions, Doriot* se voyant seulement confier la région Paris-Nord.
C’est alors que se créa véritablement le « tandem » Fried-Thorez : l’envoyé de l’IC avait fait son choix et protégea Thorez qui mit ses pas dans ceux de Fried. Revenu en France, s’appuyant sur l’autorité de Fried qu’il présenta comme « l’un des meilleurs délégués du Komintern que nous ayons jamais eu », Thorez sut gagner à lui Vassart* et Gitton* pour poursuivre son offensive contre Doriot*. Désormais, conseillé presque quotidiennement par Fried, Thorez vit son autorité croître rapidement au sein du Parti ; d’ailleurs, le bureau politique se tint souvent dans la clandestinité pour permettre à Fried — militant clandestin qui se faisait appeler « le camarade Clément » — d’y assister.
La lutte entre Thorez et Doriot* devint ouverte au CC de janvier 1934 ; en désaccord avec la politique de dénonciation du « social-fascisme » menée par l’IC depuis des années, Doriot* se fit l’avocat d’un rapprochement avec les socialistes. Fried suivit avec attention les événements de février 1934. En accord avec Thorez, il fit lancer l’appel à la manifestation communiste du 9 février 1934 puis joua un rôle très important dans la politique de rapprochement du PCF avec les socialistes, inaugurée lors de la conférence nationale du PCF le 23 juin 1934, au cours de laquelle fut votée l’exclusion de Doriot*.

Convoqué à Moscou au début de juillet 1934, Fried revint en France à l’été pour engager complètement le PCF dans sa nouvelle politique d’alliance ; à en croire Cachin*, c’est Fried qui aurait « inventé » la fameuse formule du « Front populaire du pain, de la paix et de la liberté » utilisée pour la première fois par Thorez le 10 octobre 1934 ; c’est Fried encore qui aurait encouragé Thorez à proposer, ce même jour, aux radicaux une alliance, pourtant formellement désapprouvée par Togliatti* au nom de l’IC. Le PCF devint lors du VIIe congrès de l’IC (juillet-août 1935) le phare de la nouvelle stratégie antifasciste et le poids de Fried au sein de l’IC en fut accru.

Fried suivit de très près les problèmes de la guerre civile en Espagne ; il eut entre autres sous ses ordres Giulio Ceretti* qui devint en 1937 le chef de la Compagnie maritime France-Navigation, flotte communiste dont les bateaux transportaient en Espagne le matériel militaire vendu par Staline* aux Républicains espagnols. Selon des sources hongroises, Fried serait devenu en 1938 l’un des dirigeants du journal bi-hebdomadaire de l’IC, La Correspondance internationale. Toujours militant clandestin, Fried était alors au sommet de sa « carrière » militante.

Tous les témoins s’accordent à reconnaître sa prestance, son élégance naturelle entretenue par une garde-robe soignée, sa distinction, son caractère ouvert et sympathique, servi par la connaissance de nombreuses langues parlées à la perfection — allemand, hongrois, russe, français — mais avec un léger bégaiement. Il impressionnait les dirigeants du PCF — tous d’origine ouvrière — par sa passion de la lecture, des livres rares, par sa connaissance de la culture française et de l’histoire de France, en particulier de la Révolution française dont il était un fin connaisseur, ce qui explique son rôle déterminant dans la fondation du Musée de l’Histoire à Montreuil en 1939. Ce n’était pas un « moine de la révolution » : sensible aux charmes du sexe opposé, attentionné pour ses amis du moment, il aimait le luxe. Pourtant, sous ses dehors simples et fraternels, il restait un cadre communiste international totalement fidèle à Staline*, au point qu’A. Ferrat* rapporte que dans les milieux du Komintern on le surnommait « le miroir », tant il reflétait toujours la ligne du moment.

Cette fidélité au Komintern était renforcée par des liens personnels et intimes avec d’autres hauts responsables communistes ; d’abord en février ou mars 1931 avec Anna Pauker* puis à partir de février 1934 avec Aurore Membœuf, la première femme de M. Thorez* lorsque le secrétaire général du PC se sépara de cette dernière pour vivre avec Jeannette Vermeersch, Fried ne tarda pas à cohabiter avec Aurore ; ils élevèrent ainsi de concert le fils aîné de Thorez et d’Aurore ainsi que la petite Maria sa fille et celle d’Anna Pauker, née le 22 décembre 1932. Fried était très attaché à ces deux enfants. Les relations politiques entre Fried et Thorez furent ainsi renforcées par ces relations quasi familiales.

Dès le 17 août 1939, la police française s’intéressa de très près à la compagnie France-Navigation. Le 23 août 1939, Fried fut tout aussi surpris que la direction du PCF par le renversement de la politique de Staline* que révélait le Pacte germano-soviétique. Ayant reçu l’ordre de créer à Bruxelles une base de repli, il envoya Ceretti* en jeter les premiers éléments et s’employa à vérifier la fidélité à Moscou des principaux responsables du PCF.

Début septembre, il s’installa à Bruxelles et, avec l’aide de Francine Fromond*, il mit sur pied une activité légale destinée à couvrir ses activités clandestines. Ses missions étaient multiples : mettre à l’abri de la répression les principaux cadres du PCF ; réorganiser à Bruxelles un centre technique de l’IC — postes émetteurs-récepteurs, courriers, planques, réseaux — travail qui, effectué en grande partie par Ceretti*, lui permit de se maintenir en contact avec Moscou et d’en transmettre les directives aux PC français, belge et hollandais.

Le 8 octobre, Fried organisa à Bruges une réunion restreinte de la direction du PCF à laquelle assistèrent Thorez, Duclos, Ramette* et Ceretti* ainsi peut-être que Tréand* et Émile Dutilleul* ; cette réunion fut consacrée à la restructuration et à la réorientation du PCF après son interdiction par le 26 septembre, l’arrestation de ses députés, début d’octobre et le changement d’orientation de l’IC : alors que le PCF avait suivi une ligne antifasciste jusqu’au 23 août 1939 et une ligne de défense nationale jusque vers le 20 septembre, il devait maintenant considérer que la guerre entre Hitler et les démocraties était une guerre « interimpérialiste » dont l’Angleterre et la France portaient la principale responsabilité et donc appeler les communistes français à lutter contre le gouvernement « fasciste » de Daladier. Enfin, Fried fut chargé de faire reparaître en Belgique le bi-hebdomadaire de l’IC, la Correspondance internationale, interdite en France et créa à cet effet le bi-mensuel Monde, dont le premier numéro parut le 15 septembre 1939 ; interdit par les autorités belges à la mi-novembre 1939, ce journal fut remplacé jusqu’en avril 1940 par des revues aux titres divers (Cisailles, Coup d’œil à travers la presse).

Chargé de responsabilités aussi lourdes, Fried trouva cependant le temps de s’occuper de ses affaires personnelles : en novembre, Aurore et Maurice Thorez junior le rejoignent à Bruxelles.

Le 9 mai 1940, Fried put faire évacuer en catastrophe Palmiro Togliatti*, Garlandi, R. Guyot* et A. Ramette*, passés clandestinement par la Belgique et qui s’embarquèrent à Amsterdam en destination de l’URSS. Le 17, Bruxelles fut occupée. Le 26, Fried et Duclos décidèrent de transférer la direction du PCF en France mais le 6 juin, le front de la Somme étant rompu, Fried, Duclos et Tréand*, venus de Bruxelles ne purent franchir, le lendemain, la ligne du front au sud d’Arras. Fried et Duclos regagnèrent Bruxelles. Duclos parvint à Paris le 12 juin tandis que Fried restait en Belgique. Il conserva un contact radio avec Moscou mais eut plus de difficultés à renouer la liaison avec Duclos*.

Après ces semaines agitées, Fried retomba dans la routine de la clandestinité, d’autant plus que le PCF ayant établi ses propres moyens de communication avec Moscou, il entra dans une semi-activité. Après avoir appris la dissolution du Komintern en mai 1943, il aurait déclaré, non sans humour, être « au chômage. » Mais le filet de la répression se resserrait autour de lui ; début 1943, il faisait savoir à Duclos qu’il souhaitait être évacué vers la France ; le 6 juillet 1943, son ami et collaborateur, Jean Fonteyne, fut arrêté au moment où le PC belge clandestin était décapité. Fried, Aurore et les deux enfants étaient de plus en plus isolés. Le 17 août, Fried fut assassiné.

Le seul témoignage sur cette mort est celui d’Aurore : tôt le matin du 17, Fried suivi de loin par Aurore, s’était rendu à Ixelles, faubourg de Bruxelles, dans une planque qui lui servait de « bureau » : dans le vestibule de la maison, il se serait trouvé nez à nez avec des policiers allemands qui l’auraient abattu ; Aurore, voyant depuis la rue ce qui se passait, se serait enfuie. Selon une seconde version confiée vingt ans plus tard à Lise London, Fried et Aurore se trouvaient dans la maison lorsque, suite à un coup de sonnette, Fried se serait présenté à la porte et aurait été abattu d’un coup de revolver. Les éléments réunis jusqu’ici confortent la première version. Depuis plusieurs mois, la Gestapo était, sans le savoir, sur la trace de Fried. Cependant on n’a retrouvé jusqu’à ce jour aucun rapport sur l’assassinat de Fried. De même, le corps de Fried n’a jamais pu être localisé ou retrouvé ; peut-être fut-il envoyé à Berlin pour une tentative d’identification ?

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article73183, notice FRIED Eugen [FRIED Evzen, dit]. Pseudonymes : CLÉMENT, BERNARD, ÉMILE, dit aussi « Le Grand » [version DBK] par Michel Dreyfus, version mise en ligne le 10 août 2009, dernière modification le 19 février 2019.

Par Michel Dreyfus

SOURCES : RGASPI, dossier personnel. — Notice par S. Courtois, M. Dreyfus, DBMOF. — DBC, op. cit. — J. Gérard-Libois, J. Gotovitch, L’an 40. La Belgique occupée, Bruxelles, CRISP, 1971, 518 p. — G. Ceretti, À l’ombre des deux T…, op. cit. — S. Courtois, Le PCF dans la guerre…, op. cit. — J. Rupnik, Histoire du Parti communiste tchécoslovaque. Des origines à la prise du pouvoir, Paris, Presses de la FNSP, 1981. — C. Coussement, J. Gotovitch, « Qui a tué E. Fried… ? », Cahiers marxistes, n° 110, janvier 1983, p. 38-40. — S. Wolikow, Le PCF et l’Internationale…, op. cit. — S. Courtois, A. Kriegel, Eugen Fried, Seuil, 1997.

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