GERÖ Ernö [SINGER Ernö, dit]. Pseudonymes : EDGAR (1932), PEDRO (1936-1937).

Par Peter Huber

Né le 8 juillet 1898 à Tergebec (Empire austro-hongrois), mort le 12 mars 1980 à Budapest ; élève à l’École léniniste internationale (1929), rapporteur au Secrétariat latin (1931-1934) et instructeur en France, en Belgique, en Italie et en Espagne ; secrétaire de D. Z. Manouilski (1935-1941) ; membre du bureau politique (1945-1956) du Parti communiste de Hongrie puis du Parti hongrois des travailleurs et ministre de l’Intérieur (1953-1956).

Né dans une famille de dix enfants, fils d’un employé de banque, Ernö Singer commença ses études en médecine en 1917 à l’Université de Budapest. Membre du PC hongrois dès sa fondation (novembre 1918), il abandonna ses études lors de la proclamation de la République des conseils ouvriers et devint permanent des Jeunesses communistes. Suite à l’écrasement de la révolution, Singer émigra à Vienne, puis à Bratislava (Slovaquie), où il essaya d’y fonder les Jeunesses communistes. Chargé par la direction du Parti, alors réfugiée à Vienne, de reconstruire le Parti, il revint illégalement en Hongrie en septembre 1921 et se fit arrêter après douze mois. Condamné à 14 ans de prison, il fut libéré avec un groupe de communistes après deux ans suite à un accord d’échange de prisonniers conclu entre Moscou et Budapest.

Parlant déjà sept langues, membre du VKP (b) (Parti communiste de Russie) et s’appelant désormais Ernö Gerö, il fut engagé par l’appareil du Komintern en 1925, qui l’envoya aussitôt pour six mois dans une usine afin d’apprendre le russe. Vers la fin de la même année, et en accord avec le Parti hongrois, le Komintern le dépêcha à Paris pour travailler parmi l’émigration et construire, au sein du PCF, le « groupe de langue hongroise ». Rentré à Moscou en 1929, Gerö étudia à l’École léniniste et entra, en 1931, au Secrétariat latin dirigé par S. Minev (Stepanov) et D. Z. Manouilski. Sa compréhension, sa capacité d’analyse et de travail ainsi que son assiduité furent remarquées par ses supérieurs. On lui confia d’abord des missions auprès du PCF (1931-1932), puis en Belgique où il séjourna sept mois (1932) ; ensuite, Gerö fut envoyé plusieurs mois, en tant qu’instructeur, en Italie (1933) et en Espagne (1934-1935).

Proche collaborateur de D. Z. Manouilski pendant la préparation du tournant vers le Front populaire, travaillant jour et nuit lors du VIIe congrès du Komintern (juillet-août 1935) auquel il assista dans sa fonction de collaborateur du Comité exécutif de l’Internationale communiste (CEIC), Gerö conserva son poste de spécialiste pour « les affaires latines » lors de la réorganisation de l’appareil du Komintern en automne 1935 : comme S. Minev (Stepanov) et J. Z. Mirov*, il fut désigné « conseiller » de D. Z. Manouilski dont le secrétariat comportait douze collaborateurs. La victoire électorale du Front populaire en Espagne, et en particulier le putsch des généraux de juillet 1936 avec la révolution sociale qui s’ensuivit, dépassant de loin le cadre antifasciste dessiné par Staline*, mirent le Komintern à l’épreuve. Gerö, utilisant le pseudonyme de « Pedro », fut un des premiers cadres dépêchés en Espagne. Connaissant ce pays depuis sa première mission de 1934-1935, parlant le castillan et le catalan, sa tâche consista à guider le Parti catalan (PSUC) selon les prémisses du VIIe congrès du Komintern : à savoir combattre, au sein du camp républicain, les forces qui ne respectaient pas le calcul stratégique de Moscou. Installé à l’hôtel « Colón », siège du PSUC, Gerö travailla jusqu’en novembre 1938 — moment de son rappel à Moscou — à l’encadrement du Parti catalan et à l’élimination de ses adversaires politiques. Ainsi, il participa, pour ne citer que l’exemple le plus connu, à la préparation de l’assassinat d’Andreu Nin, perpétré par des services liés au NKVD sous la direction d’Alexandre Orlov.

Gerö rentra à Moscou en novembre 1938. Il rencontra une émigration hongroise décimée par la terreur à laquelle il avait échappé grâce à ses deux années de missions à l’étranger. Jouissant encore de la confiance de Manouilski, il réintégra son secrétariat et fut désigné par ailleurs représentant du PC hongrois auprès du CEIC. Il participa régulièrement aux réunions du Secrétariat du CEIC traitant de la situation en France, en Espagne, en Belgique, en Hongrie et dans les Balkans. En janvier 1941, Gerö devint en plus membre de la « rédaction de travail » de la revue théorique L’Internationale communiste. Sa capacité de travail déjà énoncée, ses connaissances des dossiers les plus divers ainsi que des rouages du Komintern frappèrent plusieurs de ses collaborateurs ; à l’opposé de son supérieur D. Z. Manouilski, connu pour son sens de l’humour et sa jovialité, Gerö se fit remarquer par sa froideur et passa pour un « homme de grande intelligence, mais sans cœur ».

Avec l’attaque allemande de juin 1941 et l’évacuation de l’appareil du CEIC vers Oufa, le champ d’intervention de Gerö se recentra sur la Hongrie : faisant partie du cercle dirigeant du PC hongrois autour de M. Rakosi, Gerö travailla pour les émissions en langue hongroise de « Radio Kossouth », visita les camps de prisonniers de guerre hongrois et rédigea des rapports pour la direction soviétique.

De retour à Moscou en 1943, habitant de nouveau l’hôtel « Lux », il fit preuve d’autorité dans des domaines qui touchaient la politique allemande. Ainsi, en automne 1943, c’est lui qui supervisa la ligne politique du bulletin du « Comité national Allemagne libre ».

Arrivé à Budapest au sein du premier groupe de cadres du PC en septembre 1944, après vingt ans à l’étranger, Gerö se fit élire lors du premier congrès du Parti au comité central et au bureau politique. Pour l’État, il occupa d’abord le poste de ministre des Communications, puis celui de ministre des Finances et du Commerce extérieur et enfin celui de ministre de l’Intérieur (1953-1954). Devenu premier secrétaire du PC en juillet 1956, il se montra incapable de contenir le mécontentement de la population et fit tirer sur la foule en octobre provoquant ainsi le soulèvement. Pris de panique, il appela les chars soviétiques le 23 octobre. Atteint d’une crise de nerfs et destitué par le comité central, il se réfugia à Moscou et y vécut jusqu’en 1960. Son deuxième retour en Hongrie fut accordé par le régime de Kádár sous la condition de s’abstenir de toute activité politique. Vivant d’une pension d’État dans un petit deux pièces à Budapest, il traduisait des ouvrages politiques, principalement du français. Il mourut, aveugle, le 12 mars 1980.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article73191, notice GERÖ Ernö [SINGER Ernö, dit]. Pseudonymes : EDGAR (1932), PEDRO (1936-1937). par Peter Huber, version mise en ligne le 10 août 2009, dernière modification le 10 août 2009.

Par Peter Huber

ŒUVRE : E. Gerö, Harcban a szocialista népgazdaságért. Válogatott beszédek és cikkek 1944-1950, Budapest 1950.

SOURCES : RGASPI, 495 32 106 ; 495 18 1020 ; 495 18 1279 ; 495 18 1274 ; 495724. — L’Avenc (Barcelone), n° 166, janvier 1993, p. 30. — Hubert von Ranke, Erinnerungen [Manuscrits, déposé à l’Institut für Zeitgeschichte, Munique], 1977, p. 40-41. — Wolfgang Leonhard, Die Revolution entlässt ihre Kinder, Cologne 1981, p. 257-258. — DBC, op. cit., p. 137-138. — K.-D. Grothusen (ed.), Südosteuropa-Handbuch, Vol. V. Ungarn, Göttingen 1987, p. 691-692. — Ruth von Mayenburg, Hotel Lux, München 1991, p. 312. — G. Borsányi, « Ernö Gerö. Aus demLeben eines Apparatschiks », Jahrbuch für Historische Kommunismusforschung, 1994, p. 275-280. — P. Broué, Histoire de l’Internationale communiste 1919-1943, op. cit.

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