Par Peter Huber
Né le 21 mars 1901 à Bâle, mort le 8 mars 1965 à Moscou ; collaborateur de l’Internationale syndicale rouge à Moscou (1928-1935), puis du bureau étranger des syndicats soviétiques (1936-1938) ; collaborateur de la section de presse du Komintern (1939-1943) ; rédacteur en chef de la revue russe de langue allemande Sowjetliteratur, après la guerre.
Né dans une famille ouvrière de six enfants, fils cadet d’un menuisier et d’une femme de ménage, Emil Hofmaier commença à travailler à l’âge de quatorze ans, d’abord comme aide dans une boucherie, puis comme coursier. Licencié en 1917 pour refus de travailler le dimanche, il eut l’occasion de faire un apprentissage de monteur électricien, une formation de 4 ans qu’il abandonna prématurément, en 1919, en raison de litiges salariaux. Muni d’un billet de train payé par l’aide aux pauvres, Emil partit vers la Suisse romande, suivant ainsi l’exemple de Karl Hofmaier, son frère aîné qui allait devenir, en quelque sorte, son protecteur, non seulement en Suisse, mais surtout à Moscou.
Vivant pendant trois ans de petits boulots occasionnels, tantôt dans des fonderies, tantôt dans la construction de barrages, toujours sans appartenance syndicale ni politique, il rentra à Bâle en 1921 où son frère s’apprêtait à partir pour le IIIe congrès de l’IC (1921). D’après ses multiples « autobiographies » rédigées plus tard à Moscou pour l’IC, il joignit les Jeunesses communistes en 1921 ou en 1923. Son ascension, d’abord au sein de la section bâloise, puis au CC du Parti communiste suisse, éveilla des jalousies et donna lieu à des rumeurs selon lesquelles son frère aîné abusait de son influence. secrétaire central des JCS de 1924 jusqu’en janvier 1926, il était payé au salaire d’un chômeur et s’occupa, entre autres, de l’édition du bimensuel Arbeiterjugend. L’affaire Hofmaier éclata début 1926 : accusé d’irrégularités financières et de menaces contre le Parti, il fut exclu du PCS et des JC. Une commission d’enquête lui reprocha d’avoir menacé d’informer discrètement le ministère public sur certaines activités illégales du Parti, « au cas où celui-ci oserait le destituer ».
Pendant l’enquête déjà, Emil informa de ses mésaventures son frère Karl — alors instructeur du département d’organisation pour l’Italie à Moscou
— espérant peut-être une intervention de sa part pour le tirer de l’affaire. Les réponses du « grand frère » ou ses interventions — s’il y en eut — ne se trouvent pas dans les dossiers accessibles aux chercheurs. Destitué du secrétariat, exclu du Parti et de nouveau au chômage, Emil Hofmaier travailla sporadiquement comme serrurier, jusqu’au moment où, au printemps 1927, son frère arriva de Moscou et lui proposa de travailler, à Lugano, pour le centre extérieur du PC italien. Admis pour ce travail clandestin au PCI, il effectua plusieurs missions subalternes en Italie, acheminant du matériel de propagande et des instructions au parti interdit. Ce retour au travail de parti prit brusquement fin en octobre 1927, lorsque la police italienne arrêta son frère Karl et démantela le réseau. Encore une fois, ce fut son frère qui changea son destin : muni d’un faux passeport, confronté aux juges d’instruction, Karl emprunta le nom de son frère cadet, beaucoup moins connu et redouté des services de police. Cette astuce obligea le vrai Emil Hofmaier à quitter l’Italie et la Suisse et à se cacher en France. Pendant plusieurs mois et jusqu’en août 1928, il vécut péniblement en Corse et à Marseille, jusqu’au moment où le PCI obtint pour lui un visa d’émigrant politique pour Moscou.
Arrivé en septembre 1928, accompagné par sa femme Emma née Bürgin dont il se séparera en 1931, il prit le pseudonyme « Paul Fischer » et travailla au Profintern jusqu’en 1936. Nommé d’abord rapporteur au sein du département pour l’organisation pour la France et l’Italie, puis chef du secteur « Conditions de la classe ouvrière » au sein du département socio-économique, il finit rédacteur dans la « Commission pour la presse » jusqu’à la dissolution du Profintern. Le transfert au parti russe lui fut accordé quelques mois après son arrivée à Moscou, non sans que l’on se soit renseigné auprès du PCS à propos de son exclusion de 1926. La correspondance témoigne que les camarades suisses ont estimé qu’il avait payé cher pour les irrégularités commises à l’époque ; une fois son dévouement à la cause prouvé, rien ne devait s’opposer à sa réintégration.
Résidant à l’hôtel Lux avec sa seconde épouse, Margarete Pollak, fille de communistes autrichiens employés au Komintern et au Profintern, Emil Hofmaier devint un des spécialistes du Profintern sur les assurances sociales en URSS et dans les pays capitalistes. Cette position relativement aisée et une certaine reconnaissance sociale ne l’empêchèrent pas de sonder le terrain pour un retour en Suisse ou en France. Devant la section des cadres, il se dit prêt à partir si les partis respectifs ou le Komintern lui garantissaient un travail de parti rémunéré. Le PCS s’opposa catégoriquement à son départ ; le représentant du Parti à Moscou, Koni Mayer, alla jusqu’à écrire, dans une lettre à la section des cadres, que Emil Hofmaier se sentait, pour une raison inconnue, mal à l’aise en URSS et vivait « depuis des années déconnecté de la classe ouvrière ». Son frère Karl, ayant retrouvé la liberté, récemment installé en Suisse et élu secrétaire d’organisation du PCS, ne semble pas non plus être intervenu pour faciliter le retour d’Emil.
Emil Hofmaier se vit obligé, en 1938, à l’instar de tous les collaborateurs du Komintern encore en URSS, de solliciter la nationalité soviétique, demande qui lui fut accordée en 1939. Il retrouva un emploi auprès du bureau des relations avec l’étranger du Conseil central des syndicats soviétiques. En mai 1939, le secrétariat du Comité exécutif de l’Internationale communiste (CEIC) ratifia son incorporation dans l’appareil du Komintern. Ainsi que son compatriote S. Bamatter, il travailla à l’agence télégraphique, dans le département de presse et propagande, alors sous l’autorité de l’Autrichien F. Glaubauf. L’attaque du Troisième Reich le surprit lors d’un séjour de vacances à Gagry, au bord de la mer Noire. Rappelé à Moscou et évacué en octobre 1941 vers Oufa, il figura, en avril 1942, dans une liste des collaborateurs du CEIC, comme rédacteur et speaker dans le secteur télégraphique du département de presse. D’après une source soviétique, il aurait effectué, pendant la guerre, des « missions spéciales, faisant preuve d’un courage extraordinaire ».
En 1947 au plus tard, il entra dans la rédaction de la revue Sowjetliteratur, l’édition allemande de l’organe de l’Association des écrivains soviétiques. Devenu rédacteur en chef, il mourut d’un infarctus à l’âge de soixante-trois ans.
Par Peter Huber
SOURCES : RGASPI, dossier personnel, 495 274 208. — AFS, E 4320 (B) 1, vol. 11 ; AFS, E 2200 Moscou, 1970/258, vol. 8. — Sowjetliteratur (Moscou) n° 4 (1965).