HUMBERT-DROZ Jules. Pseudonymes : CHRISTOPHE, JEAN-CHRISTOPHE.

Par Bernhard Bayerlein, Brigitte Studer

Né et mort à La Chaux-de-Fonds, 23 septembre 1891 — 16 octobre 1971 ; pasteur ; un des fondateurs du Parti communiste suisse et pendant près de dix ans secrétaire de l’Internationale communiste ; adepte de Boukharine, il fut écarté du Comité exécutif de l’IC après un conflit avec Staline ; au service du Komintern en tant que responsable du Parti communiste suisse (PCS) de1931 jusqu’en 1941/1942 ; exclu du PCS en 1943, il réintégra le Parti socialiste suisse dont il fut un des secrétaires centraux, de 1947 jusqu’à sa retraite en 1959.

Trotski, Henri Guilbeaux, Humbert-Droz au moment du 2e congrès de l’IC.
Librairie du travail.

Également connu sous les pseudonymes de Christophe ou de Jean-Christophe, Jules Humbert-Droz naquit dans une famille d’ouvriers horlogers de La Chaux-de-Fonds. Il fit des études de théologie à Neuchâtel, à Paris et à Berlin. Au cours de ses études, qu’il acheva en 1914 avec un mémoire de licence sur Le christianisme et le socialisme, leurs oppositions et leurs rapports, il s’inscrivit au Parti socialiste et devint rédacteur de La Sentinelle. Après près de deux années en tant que suffragant de l’Église réformée évangélique française de Bayswater à Londres, il se maria en 1916 avec Jenny Perret.

Il subit trois condamnations (13 mois d’emprisonnement et plusieurs années de privation des droits civiques) pour refus de servir et pour son rôle dans la grève générale de 1918. En été 1919, à l’initiative de Béla Kun, il fonda Le Phare, revue qui se fit l’interprète de la IIIe Internationale en Suisse romande. Elle parut de septembre 1919 à l’été 1921, jusqu’en juillet 1920 avec le sous-titre Éducation et documentation socialistes, à partir de août 1920 avec celui d’Organe officiel de la Troisième Internationale en Suisse romande.

Il s’agissait d’un important canal de diffusion des idées de la révolution russe et de l’IC en Europe centrale. Le journal était alimenté par les informations des agences de l’Internationale naissante, comme Vaensterpress en Suède, Rosta à Vienne, le Westeuropäisches Sekretariat à Berlin et le Bureau d’Amsterdam du Komintern. J. Humbert-Droz se considérait en quelque sorte comme le successeur de Henri Guilbeaux qui avait de 1916 à 1918 édité l’organe Demain à Genève. Le tirage du Phare atteignit 1 600 exemplaires au début de l’année 1920. Parmi ses collaborateurs réguliers il comptait Stepan Minev (Stepanov) à Genève, Boris Souvarine à Paris, Henriette Roland Holst à Amsterdam, Edouard van Overstraeten à Bruxelles, etc. Grâce au Phare, Humbert-Droz réussit à construire un réseau international de contacts et sympathisants de la IIIe Internationale à une époque où les liaisons étaient encore extrêmement difficiles. Lors de la fondation du PCS, le CE de l’IC (Comité exécutif de l’Internationale communiste) le chargea de présider la commission d’unification entre la gauche socialiste et l’ancien Parti communiste.

En 1921, Humbert-Droz fut nommé secrétaire du CE de l’Internationale communiste ; il s’installa à l’hôtel Lux avec sa femme et sa petite fille, à laquelle s’ajouta en 1922 un fils. En 1925, il entra au bureau d’organisation, en 1926 au Présidium du CE de l’IC en tant que suppléant, en 1927 à la petite commission du Secrétariat et au WEB (Bureau d’Europe occidentale), et en 1928 au Secrétariat politique du CE de l’IC, année où il fut également élu Secrétaire général du VIe congrès de l’IC et membre de son Présidium. Ses domaines d’activité étaient les pays latins, tout particulièrement les questions française, italienne et espagnole. Il s’occupait en outre de problèmes syndicaux et était engagé dans la lutte contre « l’opposition de gauche ». Il intervint dans ce sens dans les partis belge, français, italien, espagnol, norvégien et hollandais. Jusqu’en 1931, il accomplit ainsi de nombreuses missions en France, en Italie, en Espagne, aux Pays-Bas, en Belgique (il participa activement à la conférence de 1928 qui exclut les trotskystes), au Portugal et en Amérique latine pour le Komintern (cf. à ce sujet les volumes I-III des Archives de Jules Humbert-Droz et L’œil de Moscou à Paris). Arrêté en automne 1927 à Paris, il passa cinq mois en prison. Après sa libération il retournera à Moscou, mais assista d’abord, en janvier 1928, à une séance du comité central du PCS. Quoiqu’il eût été un des instigateurs de la ligne « classe contre classe » en France, il désapprouva l’évolution politique ultérieure, notamment lors de « l’affaire Thaelmann ». Ami et adepte politique de Boukharine, Humbert-Droz pratiquait apparemment avec lui une sorte de division du travail. Alors que le Russe concentrait son activité sur le Parti soviétique, Humbert-Droz défendait une politique similaire dans l’Internationale. Les deux dirigeants échangeaient aussi constamment leurs informations. Mais à partir de 1927 la position de Boukharine étant de plus en plus soumise aux attaques staliniennes. Humbert-Droz fut également entraîné dans le conflit. En décembre 1928, il fut violemment pris à partie au cours d’une séance du Présidium du CE de l’IC par Staline* qui lui dit « d’aller au diable ». En avril 1929, il fut envoyé en mission en Amérique latine, où il prépara avec Codovilla la première conférence des partis communistes d’Amérique latine. Celle-ci eut lieu à Buenos Aires en juillet 1929. Elle imposa une ligne politique offensive qui s’avéra désastreuse, en particulier pour le PC mexicain. Alors qu’à son retour, il faisait un passage par la Suisse, Humbert-Droz apprit la destitution de l’ancienne direction du Parti suisse qui avait été remplacée sur intervention de l’Internationale. Il perdit ainsi le soutien de son parti d’origine. Lors du 10e plénum du CE de l’IC, qui se tint du 3 au 19 juillet 1929, il fut destitué de sa fonction de membre du secrétariat politique du CE de l’IC malgré une autocritique. En décembre 1930, l’Exécutif de l’Internationale décida son envoi en Espagne ou il devait contribuer à la construction clandestine du Parti communiste espagnol. Il s’agissait de sa dernière mission internationale durant laquelle il devait intervenir dans la politique d’un Parti communiste.

En octobre 1931, il reçut l’autorisation de revenir en Suisse, d’abord pour peu de temps, puis de manière définitive. La section suisse était alors sous le contrôle de l’émissaire allemand Richard Georg Gyptner. C’est avec son accord qu’Humbert-Droz forma le nouveau secrétariat du Parti, en commun avec Robert Müller et Robert Krebs. Mais au cours de l’été 1932, le Secrétariat pour les pays d’Europe centrale et le secrétariat du CE de l’IC, puis le 12e plénum le destituèrent pour « opportunisme de droite ». Il garda néanmoins la charge du journal communiste romand Le Drapeau Rouge (devenu La Lutte en 1934) et des sections romandes. Il semble que son appartenance à la fraction des « conciliateurs », qui travaillaient en direction d’un changement de la ligne politique face à l’Allemagne, était largement connue à Moscou. La cause invoquée par la direction du Komintern était cependant différente. On lui reprochait sa ligne politique « conciliatrice » au sein de la section suisse.

Mais sans doute ce conflit de remplacement mis en scène par les uns et les autres ne trompait pas les acteurs de l’époque sur les véritables enjeux. Il ne s’agissait évidemment pas des formes de collaboration du PCS avec l’aile gauche de la social-démocratie suisse, ballon d’essai lancé par Humbert-Droz, mais de la politique allemande. Après le VIIe congrès mondial de l’IC Humbert-Droz fut à nouveau place à la tête du PCS. Comme Moscou l’avait décidé en décembre 1935, le comité central du PCS de janvier 1936 l’instaura comme secrétaire politique. Le 6e congrès du PCS (Pentecôte, 1936) avalisa cette décision. Le congrès suivant, en 1939, le nomma président du Parti. Au cours de l’été 1938, il accéda au conseil national, à la place d’Ernst Walter, qui avait démissionné du Parti ; le premier pressenti à cette succession était Otto Brunner, mais il venait d’être privé de ses droits civiques dans un procès.

Convoqué à Moscou en janvier 1937, officiellement pour discuter des affaires suisses, le secrétariat du CE de l’IC lui apprit qu’il était chargé de prendre part à la bataille propagandiste du Komintern en faveur des procès de Moscou. Il dut couvrir le second procès de Moscou pour la presse communiste suisse. Ses articles lui valurent les louanges de Palmiro Togliatti qui envisagea de l’envoyer en tournée de conférences de la part de l’appareil de propagande mis sur pied par ses soins. Mais interdit de séjour en France, Humbert-Droz étant dans l’incapacité de se rendre officiellement dans la plupart des pays européens, tels que l’Espagne, la Belgique, l’Angleterre ou la Hollande, le projet ne fut pas exécuté. En revanche, ses articles furent publiés sous forme d’une brochure intitulée De la fausse théorie au crime. Humbert-Droz fut également engagé dans la campagne de dénonciations et de calomnies lancées contre le journaliste et ancien communiste Raoul Laszlo, dont les écrits et les informations avaient alimenté les deux livres critiques qu’André Gide avait publiés sur l’URSS.C’est aux Éditions du PCS que parut, en décembre 1937, la brochure Aus der Hexenküche des Antibolschewismus. Elle était un produit typique du procédé de l’amalgame, passant de l’accusation de « trotskysme » à celle « d’agent du fascisme ». Humbert-Droz en rédigea la préface. Cela ne l’empêcha pas de risquer de devenir lui-même une autre victime des « purges ». Au cours de l’été 1938, lors de son ultime séjour à Moscou, on lui refusa, dans un premier temps, son visa. Après des jours d’attente dans l’angoisse et après avoir fait la promesse de rédiger un article de dénonciation de son ami Boukharine dès son retour en Suisse, il put rentrer. Néanmoins, il perdit sa place à la tête du PCS : ce fut Karl Hofmaier, avec qui il avait déjà des différends et qui devint bientôt son farouche adversaire, qui fut dès lors l’homme de contact du Komintern pour la Suisse.

Au cours de la guerre, Humbert-Droz fut progressivement mis à l’écart de la direction du PCS. D’abord écarté du secrétariat en janvier 1942, il fut finalement exclu du Parti au début de 1943. Pendant l’été de cette même année, il adhéra au PSS. En 1947, il en était un des secrétaires centraux.
Le 12 avril 1953, il fit une « causerie » à Paris à l’invitation du Cercle Zimmerwald (initié par Pierre Monatte). Humbert-Droz y fit une critique du stalinisme et du capitalisme d’État en URSS. Il prévoyait par ailleurs que la Chine pouvait être pour la Russie « une rivale pour demain ».
En 1959, il se réinstalla à La Chaux-de-Fonds, sans pour autant abandonner son activité militante. Il écrivit ses Mémoires, en quatre volumes, et de nombreux articles et brochures politiques. Il laissa d’importantes archives à la Bibliothèque de La Chaux-de-Fonds pour l’histoire du mouvement ouvrier suisse et du Komintern.

L’importance de Jules Humbert-Droz pour le Komintern, notamment dans les années 1920, fut de premier ordre. Son rôle pour le communisme suisse de l’entre-deux-guerres est également fondamental. S’il ne fut pas le dirigeant incontesté du Parti, il peut être considéré comme son dirigeant le plus qualifié. Dans les années 1930 et la période de guerre, la biographie politique de Humbert-Droz comporte néanmoins plusieurs périodes restées partiellement obscures : il n’est pas possible de définir avec précision la période pendant laquelle il fut réellement lié à l’opposition interne dite des « conciliateurs », qui regroupait surtout des militants allemands. Humbert-Droz présenta rétrospectivement plusieurs versions divergentes de cet engagement (pour plus de détails cf. Archives Humbert-Droz IV). De même, les motifs exacts et le moment précis de son exclusion du PCS ainsi que les raisons de son adhésion extrêmement rapide au Parti socialiste suisse durant la guerre demeurent peu précis et réduisent l’historien aux suppositions (cf. Archives Humbert-Droz V).

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article73252, notice HUMBERT-DROZ Jules. Pseudonymes : CHRISTOPHE, JEAN-CHRISTOPHE. par Bernhard Bayerlein, Brigitte Studer, version mise en ligne le 12 août 2009, dernière modification le 18 janvier 2022.

Par Bernhard Bayerlein, Brigitte Studer

Trotski, Henri Guilbeaux, Humbert-Droz au moment du 2e congrès de l’IC.
Librairie du travail.

ŒUVRE : J. Humbert-Droz, Mémoires, 4 volumes, Neuchâtel, À La Baconnière, 1969-1973. — Jenny Humbert-Droz, Une pensée, une conscience, un combat. La carrière politique de Jules Humbert-Droz retracée par sa femme, Neuchâtel, A La Baconnière, 1976, 226 p.

SOURCES : RGASPI, 495, 19, n° 665 et 495, 274, n° 206. — Archives fédérales suisses, Berne, E21/8989. — V. Kahan, « The Communist International1919-43 : The Personnel of its Highest Bodies », International Review of Social History, 21, 1976, part2, p. 160-161, 168-170, 172 et 174. — K. K. Schirinja, « Der Kampf in der Komintern Ende gegendie’rechte’Abweichung und seine Folgen », Beiträge zur Geschichte der Arbeiterbewegung, 32, 1990, n° 6 p. 743. — Centenaire Jules Humbert-Droz. Actes du colloque sur l’Internationale communiste, La Chaux-de-Fonds, Fondation Jules Humbert-Droz, 1992 (en particulier les contributions de Graf, Kriegel, Mothes, Natoli, Pagès, Perrenoud, Watlin). — P. Huber, Stalins Schatten, op. cit., 629 p. — B. Studer, Un parti sous influence, op. cit., 818 p. — Sous l’œil de Moscou, op. cit. Archives de Jules Humbert-Droz IV. — La Révolution prolétarienne, mai 1953. — Note de J. Chuzeville.

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